La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/12/2010 | FRANCE | N°10/01692

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chambre sociale, 13 décembre 2010, 10/01692


RG N° 10/01692



N° Minute :



























































































AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE SOCIALE



ARRET DU LUNDI 13 DECEMBRE 2010







Appel d'une dÃ

©cision (N° RG 06/00330)

rendue par le Conseil de Prud'hommes D'ANNECY en date du 10 octobre 2007

ayant fait l'objet d'un arrêt de la cour d'Appel de CHAMBERY en date du 26 juin 2008 cassé par un arrêt de la Cour de Cassation du 15 décembre 2009



APPELANT :



La S.A. SOPREDA 2 prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Ad...

RG N° 10/01692

N° Minute :

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU LUNDI 13 DECEMBRE 2010

Appel d'une décision (N° RG 06/00330)

rendue par le Conseil de Prud'hommes D'ANNECY en date du 10 octobre 2007

ayant fait l'objet d'un arrêt de la cour d'Appel de CHAMBERY en date du 26 juin 2008 cassé par un arrêt de la Cour de Cassation du 15 décembre 2009

APPELANT :

La S.A. SOPREDA 2 prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Léon AZANCOT (avocat au barreau de PARIS)

INTIMEE :

Madame [H] [X]

[Adresse 6]

[Adresse 7]

[Localité 2]

Comparante et assistée de Me Paul DARVES-BORNOZ (avocat au barreau d'ANNECY)

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Monsieur Daniel DELPEUCH, Président de Chambre,

Madame Hélène COMBES, Conseiller,

Madame Astrid RAULY, Conseiller,

Assistés lors des débats de Mme Chantal FERBUS, Adjoint administratif.

DEBATS :

A l'audience publique du 02 Novembre 2010,

Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoirie(s).

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 13 Décembre 2010.

L'arrêt a été rendu le 13 Décembre 2010.

Notifié le :

Grosse délivrée le :

RG 1001692 DD

La Cour est saisie sur renvoi de cassation l'arrêt rendu le 15 décembre 2009, cassant l'arrêt rendu le 26 juin 2008 par la cour d'appel de Chambéry sur appel du jugement rendu le 10 octobre 2007 par le Conseil de Prud'hommes d'Annecy.

Exposé des faits

La Cour de cassation, après avoir relevé que la cour d'appel a retenu, pour débouter Mme [H] [X] de toutes ses demandes, qu'elle a commis une faute grave en s'opposant systématiquement et de façon agressive à ses supérieurs hiérarchiques et en adressant le 29 octobre 2006 au directeur de la publication une lettre à caractère injurieux, a jugé qu'en statuant ainsi alors que ni la lettre du 29 octobre 2006 par laquelle Mme [X], sans tenir de propos excessifs, injurieux ou diffamatoires, rappelait les obligations déontologiques des journalistes, ni le fait pour elle de s'être opposée régulièrement, fut-ce avec vivacité, mais sans abuser de liberté d'expression, aux demandes de ses supérieurs, n'étaient constitutifs d'une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise.

Mme [X], directeur de rédaction du magazine « Eco des pays de Savoie » édité par la société Sopreda 2, a été embauchée par cette société le 12 novembre 1990 en qualité de journaliste et a accédé le 1er octobre 1991 à la qualification de rédactrice en chef.

Le 29 mars 2006, Mme [X] a reçu un avertissement motivé par son attitude « intolérable et préjudiciable aux intérêts vitaux de la société », un désaccord étant apparu avec M. [I], directeur de publication de l'ensemble des supports édités par la société Sopreda 2 dont il est le président du directoire.

En mai 2006, M. [K] a été nommé directeur des rédactions et Mme [X], considérant subir une rétrogradation par la remise en cause de ses fonctions a saisi le conseil de prud'hommes le 28 juillet 2006 en demandant la résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

Alors que la procédure était en cours, Mme [X] a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un licenciement le 2 novembre 2006 avec mise à pied à titre conservatoire et licenciée pour faute grave le 17 novembre 2006.

Mme [X] ayant maintenu sa demande de résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur, le conseil de prud'hommes a rejeté le 10 octobre 2007 sa demande, jugé que l'avertissement du 29 mars 2006 est fondé, jugé que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse et condamné la société Sopreda 2 à payer à Mme [X] les sommes suivantes :

- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

- l'indemnité conventionnelle de licenciement en renvoyant le calcul de son montant à la commission arbitrale des journalistes,

- 6 659,98 euros au titre de l'indemnité de préavis et 665,99 euros au titre des congés payés afférents,

- 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Débouté Mme [X] du surplus de ses demandes et condamné la société Sopreda 2 à rembourser les prestations de chômage dans la limite de mois de salaire, débouté la société Sopreda 2 de sa demande reconventionnelle et condamné la société aux dépens.

La cour d'appel de Chambéry a confirmé le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de résiliation du contrat de travail et l'a réformé pour le surplus, jugeant que « si les courriers de Mme [X] ne comportent d'un point de vue strictement rédactionnel aucun terme injurieux, le contenu de sa lettre du 29 octobre 2006, adressée à son directeur de publication, induisait clairement que celui-ci liait la parution d'articles aux campagnes publicitaires commandées par les sociétés, ce qu'il conteste ; que cette allégation présente manifestement un caractère injurieux à l'encontre de M. [I], directeur de publication, mis en cause par sa subordonnée, pour ne pas respecter les règles de déontologie professionnelle des journalistes, alors que dans le même temps une charte déontologique et éditoriale était en cours d'élaboration et que cette charte comportait des dispositions relatives à l'indépendance des journalistes et de la rédaction » et retenant par ailleurs le contenu des attestations produites par l'employeur pour juger qu'est établi l'existence d'un « comportement d'opposition systématique de la salariée envers ses supérieurs hiérarchiques et notamment envers M. [I], comportement qui a perduré » malgré l'avertissement du 29 mars 2006, tous éléments constituant une violation grave et renouvelée de ses obligations résultant de son contrat de travail rendant impossible son maintien dans la société et justifiant son licenciement pour faute grave.

Demandes et moyens des parties

La société Sopreda 2, appelante, demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de résiliation du contrat de travail et d'annulation de l'avertissement du 29 mars 2006, de l'infirmer dans ses autres dispositions, de constater l'existence d'une faute grave ayant justifiée le licenciement notifié le 17 novembre 2006 et débouter Mme [X] de l'ensemble de ses demandes, de constater que l'arrêt vaudra titre de restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire, de condamner Mme [X] aux dépens.

La société Sopreda 2 expose en ses conclusions régulièrement déposées, visées et développées oralement à l'audience que :

1) il appartient à la salariée de verser aux débats la preuve de faits tangibles justifiant la résiliation, ce qu'elle ne fait pas, l'avertissement du 29 mars ne faisant que demander à Mme [X] de respecter l'autorité hiérarchique et de cesser une attitude de harcèlement permanent nocive à l'entreprise,

Sur la demande d'annulation de l'avertissement du 29/03/2006 :

1-2) la salariée n'a jamais apporté de contestation factuelle aux faits précis évoqués dans l'avertissement,

1-3) la lettre du 2 mai 2006 de M. [I] se contente de rappeler la réglementation applicable en la matière,

Sur la demande de résiliation du contrat de travail

1-4) la salariée n'apporte aucune preuve d'une action du directeur de la publication pouvant être de nature à lui porter préjudice,

2) il n'est pas rapporté la preuve d'un quelconque grief lié à l'embauche d'un directeur des rédactions, celle-ci étant justifiée par le fait que la société Sopreda 2 édite maintenant 5 publications, mais aussi des guides et « frontaliers magazine 5 à 6 fois par an, et par la nécessité d'une harmonisation,

2-2) aucune atteinte au statut de Mme [X] n'est démontrée,

2-3) le simple projet de charte déontologique, en discussion mais non encore adopté et encore moins appliqué, ne peut justifier le grief de Mme [X] tenant à sa prétendue rétrogradation (conséquence du rôle respectif donné au directeur de publication et au rédacteur en chef), ce projet ayant été repris in extenso d'un document remis aux éditeurs par le syndicat de la PHR,

2-4) l'argumentation de Mme [X] repose sur la négation pure et simple de toute autorité hiérarchique pouvant se situer au-dessus d'elle, alors que c'est bien le directeur de la publication qui est responsable à l'égard des tiers du contenu de la publication,

Sur le licenciement pour faute grave :

Indépendamment du motif écarté par la Cour de cassation, sur les autres motifs du licenciement :

3) les attestations produites démontrent l'attitude d'opposition systématique de Mme [X] à sa direction,

3-2) les griefs sont ainsi exposés et justifiés point par point :

- refus d'obtempérer à une instruction précise de sa hiérarchie,

- détournement et refus de restituer le sommaire rédactionnel du numéro spécial de fin d'année.

Mme [X], intimée, demande à la cour, de confirmer le jugement pour ce qu'il lui a accordé au titre des indemnités salariales de rupture du contrat de travail, de le réformer pour le surplus, d'annuler l'avertissement du 29/03/2006, de prononcer la résiliation du contrat de travail et de condamner la société Sopreda 2 à lui payer à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse la somme de 80 000 euros, de condamner la société Sopreda 2 à lui payer la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Subsidiairement de juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et de lui allouer les mêmes indemnités à ce titre.

Mme [X] expose en ses conclusions régulièrement déposées, visées et développées oralement à l'audience que :

Après avoir rappelé son statut et précisé que la convention collective ne prévoit pas de poste de directeur des publications, et les devoirs et droits des journalistes

1) ses fonctions exercées depuis 1991 impliquaient sous l'autorité du directeur la conception et la réalisation du journal et des éditions multimédias,

1-2) les atteintes au contrat de travail résultent des interventions directes de M. [I] sur les journalistes de la rédaction dont elle avait la responsabilité puis du recrutement de M. [K] recruté en octobre 2005 pour conduire la nouvelle formule d' « Eco des pays de Savoie » et de sa nomination en juin 2006 comme directeur des rédactions sous le prétexte de coordonner les différents titres d'« Eco des pays de Savoie »,

1-3) la lettre du 29 mars 2006 démontre, partant du postulat d'une opposition systématique de Mme [X], la diminution de ses prérogatives et la remise en cause de son rôle et de ses responsabilités, sa mise à l'index,

1-4) ceci s'est fait en violation de ses responsabilités et de leur définition conventionnelle (droit direct que M. [I] s'accordait sur la rédaction et les journalistes de rectification sur certains papiers des journalistes),

1-5) le courrier du 2 mai 2006 amplifie les termes de l'avertissement et formalise le fait que M. [I], dont elle ne conteste aucunement l'autorité sur elle, ne respecte pas l'autorité de la rédactrice en chef qu'elle est sur les journalistes puisqu'il passe pardessus sa tête,

1-6) c'est ce comportement qui est à l'origine des difficultés rencontrées par Mme [X] et des tensions existant dès lors pour le fonctionnement de la rédaction,

1-7) M. [K] va se comporter comme M. [I], intervenant directement auprès des journalistes de la rédaction pour modifier leurs publications ou leur demander de les modifier sans aucune concertation avec la rédactrice en chef, ce qui n'est pas contesté dans la réponse du 2 mai 2006 de l'employeur et qui est reconnu dans l'attestation de M. [K] qui cependant affirme que Mme [X] aurait été présente lors de cette modification et aurait donné son accord, ce qu'elle conteste, rappelant son courrier du 28 août 2006,

Il en a été de même le 6 octobre 2006, M. [K] ayant sans l'en informer supprimé un article et demandé la modification de son contenu,

1-8) de même la direction va procéder à l'ouverture des courriers nominatifs adressés aux journalistes et contrôler leurs messageries, allant jusqu'à détourner un mail qui lui était adressé ([O]),

2) cette remise en cause du rôle et de responsabilités de Mme [X] est clairement avouée dans l'avertissement du 29 mars 2006, il l'est par la charte de juin 2006 qui porte atteinte aux fonctions et responsabilités contractuelles des rédacteurs en chef, charte publiée sans concertation dans l'entreprise comme étant mise en 'uvre immédiatement et qui n'a été remise en cause qu'en raison des protestations de l'équipe de rédaction, (en 2010 sa mise en 'uvre est toujours différée !)

2-2) contrairement à ce que soutient la société pour les besoins de la cause, cette charte n'était pas un projet, ce que confirme le compte-rendu de la réunion du 19 septembre 2006, le document du 19 novembre 2006 émanant de l'employeur n'étant que la conséquence des réactions à l'encontre du document alors qu'il n'était nullement question d'un projet en septembre 2006,

- le témoignage de Mme [C], qui n'a pas qualité de journaliste et alors que M. [I] n'assistait pas à la réunion du 19 septembre, ne peut suffire à en faire un projet alors que l'employeur ne justifie d'aucune discussion ni d'aucune nouvelle réunion de concertation contrairement à ce qu'indique ce témoignage,

- la charte correspond exactement à l'état de l'organigramme mis en place à la suite de la nomination de M. [K],

2-3) la charte impose une ligne éditoriale ce qui est possible mais ce qui est de nature à ouvrir droit au profit de la salariée au dispositif de l'article L 761-7-3 devenu L7112-5 3° du Code du travail,

Sur l'annulation de l'avertissement :

3) il ne fait état d'aucun fait objectif matériellement vérifiable et la revendication du respect du contrat de travail ne peut être assimilée à une insubordination ou à une opposition systématique et il en va de même du refus de certaines pratiques anormales de l'entreprise,

Sur la demande de résiliation judiciaire :

4) l'employeur ne peut modifier le contrat de travail d'un salarié,

4-2) la résiliation prendra effet à la date de l'arrêt du licenciement et les sommes allouées à titre salarial seront confirmées, l'indemnité de l'article L 7112-3 s'élevant à 54 112,33 euros et les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse devant être fixée à 80 000 euros,

Subsidiairement

5) la lettre de rupture vise l'avertissement et dans la mesure où cet avertissement sera annulé, ce motif sera écarté,

5-2) le motif écarté par la Cour de cassation ne peut être retenu,

5-3) la lettre du 29 octobre ne traduit pas une opposition à la rédaction des articles concernant certaines entreprises mais rappelle simplement la manière dont cette exigence a été formulée par une personne n'ayant pas la qualité de rédacteur en chef ainsi que les règles déontologiques (pas de lien direct entre actualité économique des entreprises traitées par le journal et les annonces publicitaires commandées par ces dernières) et il est répondu point par point sur les diverses entreprises en cause,

5-4) Mme [X] démontre par ses attestations qu'elle n'a jamais cherché à remettre en cause l'ambiance de travail, 

5-5) elle n'a jamais volé de document de l'entreprise et les attestations de M. [K] qui est juge et partie et de Mme [T] qui a remplacé Mme [X] ne peuvent suffire à établir ce fait.

MOTIFS DE LA DECISION :

Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues à l'audience ;

Attendu qu'il convient, suite à la cassation en toutes ses dispositions de l'arrêt rendu le 26 juin 2008 par la cour d'appel de Chambéry, de revenir au jugement qui fait l'objet de l'appel de la société Sopreda 2 ;

Attendu que le conseil de prud'hommes d'Annecy a été saisi le 28 juillet 2006 de demandes qui seront dans le dernier état des conclusions de Mme [X] :

- l'annulation d'un avertissement disciplinaire et

- le prononcé de la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur et la condamnation de la société Sopreda 2 au paiement de diverses sommes consécutivement à la rupture du contrat de travail  (indemnité de préavis : 6659,98 euros plus les congés payés afférents, 80 000 euros à titre de dommages et intérêts et l'indemnité de licenciement à hauteur de 54 112,33 euros ;

Qu'il convient de donc de rechercher si à la date de la saisine du conseil de prud'hommes il est démontré des manquements de l'employeur suffisamment graves pour justifier cette résiliation ;

Sur la demande de résiliation du contrat de travail de Mme [X] :

Attendu que d'abord embauchée en qualité de journaliste (lettre du 17/11/1990), Mme [X] a été nommée rédactrice en chef le 1er octobre 1991 du « Républicain Savoyard » devenu en 1995 « Eco des Pays de Savoie » ;

Attendu que pour apprécier la gravité des manquements invoqués par Mme [X], il convient de rappeler l'étendue de ses fonctions au sein de la rédaction ;

Que selon la convention collective applicable, la définition du rédacteur en chef est la suivante :

« Ce journaliste est responsable, sous l'autorité de la direction, de la conception, de la réalisation du journal et de l'organisation de la rédaction. Il a autorité sur l'ensemble du personnel de rédaction. » ;

Attendu que le 29 mars 2006, la société Sopreda 2 a adressé à Mme [X] un avertissement justifié non par sa capacité de travail qui n'est pas en cause mais par « son obstination à agir seule. Vous avez des comptes à rendre et devez suivre les directives du directeur de la publication ou de ses délégués. Non seulement vous n'en faites rien, mais vous vous opposez systématiquement à toutes les propositions et instructions hiérarchiques qui vous sont faites avant même d'en connaître la teneur. Ce fait prouve à suffire votre volonté de chercher en permanence l'affrontement.

Cette situation a trop duré. Déjà en son temps, un audit externe avait relevé cette dualité ce qui avait amené la direction à nommer un adjoint pour équilibrer la rédaction. Ceci, encore une fois dans un souci de faire les choses « en douceur » afin de vous permettre de conserver la face tant au sein de l'équipe qu'à l'extérieur de l'entreprise. »

« les dernières anicroches lors de la réunion de rédaction du 28 mars 2006 au cours de laquelle vous vous êtes opposée, sans motif, à la demande faite par le directeur de la publication d'avancer l'horaire de la conférence de rédaction afin de donner un réel contenu à celle-ci, c'est-à-dire de choisir et de discuter des sujets qui seront retenues dans les prochains numéros n'a fait que systématiser, une fois de plus, votre désir de vous opposer à ses demandes.

Un tel comportement se traduit également par le fait que vous modifier derrière son dos (de l'adjoint) au montage les rectifications de détail qu'il a apportées à certains papiers » ;

Attendu qu'il convient à la lecture de ce courrier de constater que les demandes du directeur de la publication ont pour conséquence immédiate de vider de son contenu la fonction de rédactrice en chef de Mme [X] qui a, elle, autorité directe sur l'équipe de rédaction, à la différence du directeur de la publication qui opère à un autre niveau et qui ne peut se substituer à la directrice de rédaction dans le cadre d'une exécution loyale du contrat de travail ;

Attendu que le 12 avril 2006, la rédaction de « Eco des Pays de Savoie » a adressé au directeur de la publication un courrier signé de ses membres ainsi rédigé « la rédaction d'« Eco des Pays de Savoie » s'étonne et condamne les agressions et les intimidations répétées qu'elle subit depuis plusieurs mois et qui ont pris une nouvelle dimension depuis l'envoi à certains de ses membres de lettres recommandées (émanant de vous-même en tant que directeur de la publication et président du directoire)

La rédaction souhaite l'instauration de relations plus respectueuses des personnes et du statut des journalistes » ;

Que les journalistes signaient seuls le même jour un courrier adressé au directeur de la publication ainsi rédigé « les journalistes d'« Eco des Pays de Savoie » tiennent à vous rappeler qu'ils reconnaissent l'autorité et la compétence de [H] [X] à mener à bien l'ensemble des missions de rédactrice en chef.

Ils reconnaissent sa capacité d'écoute, de dialogue, de concertation, dans le respect de la déontologie de notre profession » ;

Attendu que le 21 avril 2006, Mme [X] a adressé une lettre recommandée avec demande d'accusé de réception pour appeler à son employeur la convention collective des journalistes et ses fonctions de rédactrice en chef, listant les infractions suivantes à cette convention collective :

« - vous corrigez les articles de la rédaction,

- vous décidez des photos et des titres de la Une,

- vous ouvrez les courriers nominatifs des journalistes et contrôlez leurs mails,

- votre conseiller éditorial commande des articles à des pigistes sans mon accord. » ; Qu'elle a ajouté « les atteintes que vous portez à l'autonomie de la rédaction, dont j'ai noté ci-dessus quelques exemples, durent depuis longtemps mais se sont amplifiées ces derniers mois.

Si ma mission est de faire respecter la ligne éditoriale du journal, elle est aussi de travailler dans le respect de la déontologie de notre profession, seule façon de rendre « Eco des Pays de Savoie » crédible auprès de ses lecteurs.

$gt;Je souhaite que le rôle de chacun soit respecté, afin de pouvoir travailler dans un climat de coopération et de ramener la sérénité au sein de la rédaction. » ;

Attendu que la société Sopreda 2 a répondu le 2 mai à ce courrier dans des termes qui font la démonstration du refus de l'employeur de prendre en compte la spécificité des fonctions exercées par Mme [X] puisque M. [I] n'hésite pas à écrire « c'est par délégation que je vous ai donné en vous nommant à ce poste, délégation qui ne m'enlève pas l'autorité directe que j'ai sur cette même rédaction » ;

Attendu que la revendication du directeur de publication de l'autorité qu'il exerce sur le rédacteur en chef n'est pas discutée par Mme [X] ;

Mais attendu que M. [I] revendique dans ce courrier d' « assister aux conférences de rédaction et/ou d'intervenir directement auprès des rédactions pour apporter des modifications qu'il juge nécessaire au respect de la ligne éditoriale » ;

Que le courrier du 2 mai 2006 mentionne que Mme [X] a contesté le fait que le directeur de publication assiste à toutes les conférences de rédaction qu'elle lui a répondu le 18 avril 2006 alors qu'il lui demandait de lui faire part de l'analyse détaillée du contenu du prochain numéro qui sortait deux jours plus tard : « je connais mon métier, j'assume mes responsabilités. Tu n'as pas à être présent à toutes les conférences de rédaction » ; que l'employeur en déduit « Vous faites preuve d'opposition à la hiérarchie, vous enfreignez de ce fait notre convention collective qui vous soumet à l'autorité du directeur de publication et vous faites obstacle à son droit d'information » ;

Attendu que le courrier signé par Mme [X] le 21 avril 2006 ne fait que viser des exemples de violation tant de ses fonctions que celles des journalistes, violations qui correspondent à des actions qui sont revendiquées par l'employeur dans l'avertissement du 29 mars 2006 (droit de correction des articles par-dessus la tête de la rédactrice en chef, droit de prendre sa place dans la conférence de rédaction etc.. ;

Attendu que le directeur de la publication a mis en place en juin 2006 à la fois un directeur des rédactions et une charte déontologique et éditoriale dont il n'apparaît à aucun moment qu'il se soit agi, à ce moment là, d'un projet ;

Que, sous la pression des journalistes (lettre du 27 juin 2006) et de Mme [X] dans son courrier du 19 juin 2006 au directeur de la publication pour ce qui concernait sa propre fonction, une réunion a été organisée le 19 septembre 2006 et l'employeur est alors manifestement revenu sur ce « projet » ;

Attendu que c'est à juste titre que Mme [X] affirme que telles qu'elle était rédigée, la charte visait en fait à vider le poste de rédacteur en chef qu'elle exerçait de tout contenu le directeur des rédactions se voyant de fait conférer les fonctions de rédacteur en chef (supervision de l'ensemble des journalistes et infographistes des titres, contrôle des budgets de rédaction des différents supports, placement des rédacteurs en chef sous l'autorité du directeur des rédactions, des journalistes sous la responsabilité directe du directeur de la publication) ;

Attendu qu'à la date du 22 juillet 2006, lorsqu'elle a saisi le conseil de prud'hommes de la demande de résiliation de son contrat de travail, il apparaît que depuis de nombreux mois et en tout cas depuis le mois de mars 2006 tant par les comportements qu'il revendique que par la charte qu'il entend, à ce moment, imposer aux différentes rédactions, l'employeur n'exécute plus de façon loyale le contrat de travail pour lequel il a embauché Mme [X] et réduit ses fonctions en se substituant à elle à la direction de la conférence de rédaction dont il prend de fait la direction et en la privant de son autorité directe sur les journalistes de sa rédaction en revendiquant une action directe sur les articles des journalistes tant du directeur de la publication que du directeur des rédactions qui se voit lui aussi accorder le droit de passer outre le niveau hiérarchique confié à la directrice de rédaction ;

Attendu qu'eu égard à la nature de l'emploi confié à Mme [X] et à ses fonctions de journaliste et de rédactrice en chef, le comportement de l'employeur est bien constitutif de manquements d'une gravité telle qu'il justifie le prononcé de la résiliation du contrat de travail de la salariée ;

Attendu que le contrat de travail ayant été rompu le 17/11/2006 par l'employeur c'est à cette date que la rupture a produit ses effets ; que le contrat de travail étant résilié, il n'y a pas lieu de se prononcer sur le licenciement pour faute grave intervenu ensuite ;

Attendu que le jugement doit être réformé en ce qu'il a rejeté la demande de prononcé de la résiliation du contrat de travail ; qu'il doit être confirmé en ce qu'il a accordé l'indemnité de préavis et les congés payés afférents, l'indemnité conventionnelle de licenciement (54 112,33 euros) calculée conformément aux dispositions de l'article L 7112-3 du code du travail ;

Attendu que le préjudice subi par Mme [X] est important au regard de son ancienneté et de l'impossibilité de retrouver un travail ; que la somme de 59 940 euros l'indemnisera ;

Sur l'annulation de l'avertissement du 29 mars 2006 :

Attendu que les reproches adressés à Mme [X] dans cet avertissement ne peuvent être retenus dès lors que sa résistance vis-à-vis de sa hiérarchie ne visait qu'à obtenir le respect des attributions qui étaient attachées à l'exercice de ses fonctions de rédactrice en chef, fonctions que les termes même de l'avertissement remettaient en cause gravement ;

Que cet avertissement doit être annulé ;

Que le jugement est également confirmé en ce qu'il a ordonné le remboursement des prestations de chômage et sa transmission à l'UNEDIC ; que le présent arrêt sera envoyé à l'Unedic ;

PAR CES MOTIFS,

La Cour après en avoir délibéré conformément à la loi, contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de résiliation du contrat de travail de Mme [X] et sa demande d'annulation de l'avertissement du 29/03/2006 ;

Et statuant à nouveau de ce chef,

Annule l'avertissement du 29 mars 2006 ;

Prononce la résiliation du contrat de travail de Mme [X] avec effet au 17/11/2006 ;

Condamne la société Sopreda 2 à payer à Mme [X] la somme de 59 940 euros à titre de dommages et intérêts ;

Condamne la société Sopreda 2 à payer à Mme [X] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel,

Ordonne la transmission d'une copie certifiée conforme du présent arrêt à l'UNEDIC, [Adresse 4],

Condamne la société Sopreda 2 aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.

Signé par Monsieur DELPEUCH, Président, et par Madame VERDAN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 10/01692
Date de la décision : 13/12/2010

Références :

Cour d'appel de Grenoble 04, arrêt n°10/01692 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-12-13;10.01692 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award