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06/10/2010 | FRANCE | N°09/04352

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chambre sociale, 06 octobre 2010, 09/04352


RG N° 09/04352



N° Minute :





















































































































Notifié le :

Grosse délivrée le :







AU NOM DU

PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE SOCIALE



ARRET DU MERCREDI 06 OCTOBRE 2010



Appel d'une décision (N° RG 08/01588)

rendue par le Conseil de Prud'hommes de GRENOBLE

en date du 28 septembre 2009

suivant déclaration d'appel du 06 Octobre 2009



APPELANTS :



Monsieur [S] [M]

[Adresse 3]

[Localité 2]



Comparant et assisté par Me Myriam TIDJANI (avocat au barreau de GRENOBLE)



Monsieur [D] [Y]

[Adresse 3]

[Adre...

RG N° 09/04352

N° Minute :

Notifié le :

Grosse délivrée le :

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU MERCREDI 06 OCTOBRE 2010

Appel d'une décision (N° RG 08/01588)

rendue par le Conseil de Prud'hommes de GRENOBLE

en date du 28 septembre 2009

suivant déclaration d'appel du 06 Octobre 2009

APPELANTS :

Monsieur [S] [M]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Comparant et assisté par Me Myriam TIDJANI (avocat au barreau de GRENOBLE)

Monsieur [D] [Y]

[Adresse 3]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Monsieur [Z] [N]

[Adresse 3]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Tous les deux représentés par Me Pierre JANOT (avocat au barreau de GRENOBLE)

INTIMEE :

La S.A.S. BUREAU INTERNATIONAL DE CONCERTS ET CONFERENCES (B.I.C.C. CONNAISSANCE DU MONDE) prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par la SCP SAJET (avocats au barreau de PARIS) substitué par Me TIXIER (avocat au barreau de PARIS)

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Monsieur Bernard VIGNY, Conseiller, faisant fonction de Président,

Madame Hélène COMBES, Conseiller,

Madame Dominique JACOB, Conseiller,

Assistés lors des débats de Simone VERDAN, Greffier,

DEBATS :

A l'audience publique du 15 Septembre 2010,

Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoirie(s).

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 06 Octobre 2010.

L'arrêt a été rendu le 06 Octobre 2010.

RG N° 09/4352 HC

EXPOSE DU LITIGE

La société Bureau international de concerts et de conférences (BICC) organise sous la marque 'Connaissance du monde' des circuits de conférences en France et à l'étranger (Belgique, Luxembourg, Suisse, Canada) dont le principe est la présentation au public de films documentaires, la projection étant suivie d'une conférence animée par le réalisateur du film.

Depuis 1985, les relations entre la société BICC et les conférenciers sont régies par un contrat intitulé 'contrat de mandat'.

[D] [Y], [Z] [N] et [S] [M] ont été en relation avec la société BICC et le 20 décembre 2005, ils ont chacun signé avec elle :

- un contrat de mandat pour la diffusion du film 'Sur les chemins de Compostelle' ([D] [Y])

- un contrat de mandat pour la diffusion du film 'Mexique' ([Z] [N])

- un contrat de mandat pour la diffusion du film 'Mexique' ([S] [M])

Ces contrats prenant effet le 1er janvier 2006 ont été conclus pour trois saisons : du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2007, du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2008 et du 1er octobre 2008 au 30 septembre 2009.

Un litige étant survenu sur la programmation de la saison 2008/2009, [D] [Y], [Z] [N] et [S] [M] ont saisi le conseil de Prud'hommes de Grenoble pour demander la requalification des contrats de mandat en contrats de travail et pour obtenir le paiement de dommages-intérêts et des indemnités de rupture.

Par jugement du 28 septembre 2009, le conseil de Prud'hommes a dit qu'en l'absence de preuve d'un lien de subordination, le litige ne relève pas de la compétence de la juridiction prud'homale.

[S] [M], [D] [Y] et [Z] [N] ont formé contredit au greffe du conseil de Prud'hommes le 6 octobre 2009.

[D] [Y] et [Z] [N] demandent à la cour de réformer le jugement, de reconnaître l'existence d'un contrat de travail auquel la société BICC a mis fin unilatéralement et de la condamner à leur payer les sommes suivantes :

[D] [Y] : 12.318 euros au titre de l'indemnité de préavis et 1.231,80 euros au titre des congés payés afférents, 54.404,50 euros au titre de l'indemnité de licenciement, 221.724 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 1.500 euros au titre des frais irrépétibles.

[Z] [N] : 4.702 euros au titre de l'indemnité de préavis et 470,20 euros au titre des congés payés afférents, 13.257,03 euros au titre de l'indemnité de licenciement, 84.636 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 1.500 euros au titre des frais irrépétibles.

Ils exposent que passionnés par le Guatemala, ils réalisent des films et ont commencé à travailler avec la société BICC en 1978 pour [D] [Y] et en 1991 pour [Z] [N].

Ils indiquent qu'après le temps de la production du film pendant lequel ils sont totalement libres, vient le temps de sa présentation, au cours lequel ils sont sous la subordination du BICC.

Ils indiquent qu'au fil du temps, les contraintes imposées par la société BICC se sont accrues et ont conduit à la détérioration des relations à compter de 2003 ;

que les conférenciers ont alors créé une association pour faire valoir leurs droits et exprimer leur désapprobation, à la suite de quoi eux-mêmes ont été évincés, la société ne leur proposant plus qu'un nombre dérisoire de conférences, ce qui s'analyse en licenciement abusif.

Ils font valoir tout d'abord, que contrairement à ce qu'a retenu le conseil de Prud'hommes, ils bénéficient d'une présomption de salariat en vertu des dispositions de l'article L 7121-2 du code du travail.

Pour caractériser le lien de subordination, ils invoquent successivement l'autorité et le contrôle de l'employeur, les conditions matérielles d'exercice de l'activité et la dépendance économique.

Sur l'autorité, le contrôle et le pouvoir de sanction, ils soutiennent qu'avec la clause d'exclusivité en vertu de laquelle la société BICC a l'exploitation exclusive des films et détermine seule les conditions d'exploitation, elle exerce de fait un contrôle sur leur activité.

Ils invoquent également les directives que leur donne la société BICC sur l'organisation des conférences, fixant unilatéralement les dates, donnant des instructions sur l'emplacement du logo, de la bande annonce, des spots, leur imposant de téléphoner dans les villes quelques jours avant la séance, leur imposant une ligne éditoriale qui ne laisse aucune place à leur parole.

Ils expliquent qu'un comité de vision vérifie si le film est conforme aux exigences, peut exiger des modifications et évalue également le charisme et la tenue du conférencier.

Ils ajoutent que le correspondant local de la société évalue le conférencier, que le celui-ci doit faire un compte rendu, que son activité est contrôlée par le biais de carnets de route et que son nom n'apparaît pas sur les billets.

Sur les conditions matérielles d'exercice de l'activité, ils soutiennent que le BICC décide unilatéralement des lieux dans lesquels ils doivent intervenir et leur affecte des circuits sans les consulter, exigeant qu'ils adaptent leur emploi du temps pour le besoin des conférences ;

qu'il leur impose également des contraintes horaires et contrôle l'état du matériel et la technologie utilisée.

Sur la dépendance économique, ils font valoir que leur rémunération dépend du bon vouloir de la société BICC et qu'ils ne peuvent se constituer une clientèle propre.

Ils soutiennent enfin que leur rémunération est calculée selon des modalités fixes, ce qui revient à une rémunération stable sur 12 mois.

[S] [M] qui s'associe à l'argumentation de [D] [Y] et [Z] [N] réclame le paiement de 11.978 euros au titre de l'indemnité de préavis et 1.197 euros au titre des congés payés afférents, de 43.586 euros au titre de l'indemnité de licenciement, de 215.604 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Il rappelle que la société BICC dont l'activité n'a pas varié depuis 1956 en dépit de nombreuses mutations juridiques, coordonne plus de 50 conférenciers dans 680 lieux de projection et a deux catégories d'interlocuteurs : les conférenciers et les correspondants locaux.

Il précise qu'il était déclaré en tant qu'intermittent du spectacle, de sorte qu'il bénéficie d'une présomption de salariat et soutient que l'existence de la société de production Découvrir est indifférente à la relation existant entre lui et le BICC.

Il fait valoir pour l'essentiel que le contrat de mandat est inadapté aux relations des parties et expose que ce type de contrat a été mis en place dans les années 1990 après le contentieux opposant la société BICC à l'Urssaf.

Il soutient qu'au travers de ces contrats, la société BICC tente de laisser planer un doute sur une activité d'agent artistique, alors qu'elle est en réalité un entrepreneur et organisateur de spectacles.

Il fait observer qu'alors que l'obligation essentielle du mandataire est de rendre compte de l'exécution de son mandat, l'étude détaillée de la gestion de la société BICC démontre l'absence de comptes et de justificatifs.

Il invoque une véritable inversion dans les rapports mandant/mandataire de sorte que le pouvoir de décision appartient en réalité au mandataire tandis que le mandant se trouve en situation de rendre des comptes.

Sur la subordination juridique du conférencier, il rappelle la programmation de son film pour la saison 2007/2008, invoque l'itinéraire incohérent qui lui a été imposé ainsi que la chute brutale de la programmation de son film.

Il fait valoir que le conférencier n'intervient ni sur la fréquence des conférences, ni sur le choix des villes, ni sur la tarification des entrées et qu'aucune garantie ne lui est donnée sur le nombre de programmations ;

que chaque séance comporte un déroulement obligatoire, l'obligation de rédiger un compte rendu et qu'il lui a même été demandé de suivre des cours de diction.

Sur la dépendance économique, il invoque le décalage pouvant aller jusqu'à 12 mois entre la réalisation de la conférence et son règlement, le format atypique du film et la clause d'exclusivité, qui rendent son recyclage impossible, de sorte qu'une fois entré dans le circuit, le conférencier ne peut en sortir que difficilement.

La société BICC demande à la cour de juger le contredit irrecevable faute de motivation, subsidiairement de confirmer le jugement et de condamner [D] [Y], [Z] [N] et [S] [M] à lui payer la somme de 2.000 euros chacun au titre des frais irrépétibles.

Sur le fond, elle conteste l'existence de tout lien de subordination entre elle-même et les conférenciers.

Elle réplique que c'est à juste titre que le conseil de Prud'hommes a estimé qu'il existait une présomption de non salariat en raison de la nature même du contrat de mandat, par lequel [S] [M], [D] [Y] et [Z] [N] lui ont confié le soin d'organiser et de gérer en leur nom et pour leur compte leurs ciné-conférences et lui ont confié la représentation auprès du public de certaines de leurs oeuvres.

Elle fait valoir que ne pouvant miser sur leur notoriété, ils ont largement profité de la réputation de la marque 'Connaissance du monde' pour attirer le public à leurs conférences et que c'est avec mauvaise foi qu'ils revendiquent vingt ans plus tard, alors que leur carrière est en berne, la requalification des contrats de mandat librement consentis en contrats de travail.

Elle rappelle que chaque contrat de mandat ne porte que sur un film documentaire et non sur la totalité de l'oeuvre, qu'elle ne commande la réalisation d'aucun documentaire, qu'il n'y a aucun transfert de propriété intellectuelle et qu'elle doit rendre compte de sa gestion régulièrement.

Elle ajoute que [S] [M], [D] [Y] et [Z] [N] sont regroupés au sein de la société Découvrir, Sarl qui a pour objet la production, la réalisation et l'exploitation de films et dont ils sont certainement salariés ;

qu'en tant que dirigeant de cette société, [D] [Y] relève du régime social des salariés et ne peut de surcroît être lié à elle par un contrat de travail en vertu de l'article L 8221-6-3 du code du travail.

Elle soutient que même si les trois conférenciers ont signé à titre individuel un contrat de mandat avec elle, les obligations de ce contrat ont été exécutées par la société Découvrir qui encaisse et comptabilise toutes les recettes de leur activité et agit en leur nom en cas de différend.

Elle en conclut que ce lien contractuel et commercial qui existe entre elle-même et la société Découvir, ne peut que contrarier l'existence de la relation salariée revendiquée.

Elle soutient encore que c'est à tort qu'ils revendiquent le statut de metteur en scène, alors qu'ils ne sont pas des artistes du spectacle, mais filment des situations issues de la nature.

Elle souligne qu'elle n'est pas une société de production mais qu'elle a pour objet d'organiser des circuits de conférences, qu'elle ne choisit ni n'impose les thèmes des films, ne commande ni ne subventionne aucun film et n'intervient pas dans les tournages.

Sur l'absence de lien de subordination juridique, elle fait valoir que les obligations imposées et qui ont été acceptées dans le cadre du contrat de mandat, permettent simplement aux ciné-conférenciers de pouvoir se prévaloir du label 'Connaissance du monde' et ajoute :

- qu'elle n'impose pas le choix des thèmes, ne définit aucune ligne éditoriale, les seuls critères retenus tenant à la possibilité d'utiliser la marque qui s'adresse à un public fidélisé depuis 50 ans,

- que les spots publicitaires et les partenaires commerciaux, réduisent sensiblement le coût d'organisation et profitent directement aux conférenciers,

- qu'il est normal que les films présentent un niveau de qualité suffisant, ce qui la conduit à imposer le matériel et à la technologie utilisés,

- qu'avant toute programmation, les conférenciers sont interrogés sur leurs disponibilités et qu'un projet de circuit leur est soumis,

- que les questionnaires de satisfaction ne caractérisent nullement l'existence d'un lien de subordination et que d'ailleurs, certains conférenciers ne les retournent pas.

Sur l'absence de dépendance économique, elle relève que [S] [M], [D] [Y] et [Z] [N] sont libres de confier l'organisation d'un circuit de conférences à un concurrent, que la rémunération qu'ils perçoivent n'a aucun caractère salarial, le bénéfice variable dépendant du prix de la location de la salle, des frais du correspondant et de la fréquentation du public.

DISCUSSION

Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues à l'audience;

1 - Sur la recevabilité du contredit

Attendu que l'article 82 du code de procédure civile dispose que le contredit doit, à peine d'irrecevabilité, être motivé ;

Attendu que la déclaration de contredit de [S] [M], [D] [Y] et [Z] [N] est ainsi formulée :

'Le conseil a dit que le litige opposant les demandeurs à la société BICC n'entre pas dans le champ de compétence matérielle de la juridiction prud'homale, ce que les demandeurs contestent formellement, estimant que le litige relève bien du conseil de Prud'hommes étant liés par un contrat de travail.' ;

Attendu qu'en invoquant l'existence d'un contrat de travail, [S] [M], [D] [Y] et [Z] [N] ont invoqué un moyen de fait et de droit et suffisamment motivé le contredit au regard de l'exigence posée par l'article sus-visé ;

2 - Sur l'existence d'un contrat de travail

Attendu qu'il ressort des explications concordantes des parties qu'il convient de distinguer la phase de production du film documentaire de la phase de sa présentation au public dans le cadre d'un circuit de ciné- conférences sous le label 'Connaissance du Monde' ;

Attendu que le présent litige concerne exclusivement les contrats 'de mandat' conclus intuitu personae entre la société BICC [D] [Y], [Z] [N] et [S] [M] en vue de la présentation de leurs films au public ;

qu'il en résulte que l'existence de la société de production Découvrir dont [D] [Y] est le gérant, est sans incidence sur les relations des parties dans le cadre des contrats de mandat ;

Attendu que dans le courrier qu'elle a adressé le 6 mai 2008 au conseil de [D] [Y], [Z] [N] et [S] [M] , la société BICC a d'ailleurs bien précisé qu'elle n'avait aucune relation avec la société Découvrir (pièce [M] n° 6) ;

Attendu que bien que l'article L 7121-2 du code du travail ne donne pas une énumération limitative des personnes considérées comme artistes du spectacle, [D] [Y] et [Z] [N] ne relèvent pas de cette catégorie ;

que s'ils réalisent des films documentaires qu'ils présentent dans le cadre de ciné-conférences, ils n'assurent cependant qu'une présentation de leur film sans se livrer à une interprétation personnelle ;

qu'ils ne sont pas non plus dans la situation du metteur en scène vis à vis de la société de production lors de l'exécution matérielle de sa conception artistique ;

qu'ils ne sont pas fondés à invoquer la présomption de l'article L 7121-3 du code du travail;

Attendu que le statut d'intermittent du spectacle revendiqué par [S] [M] avant 2005 n'est pas de nature à le faire bénéficier de la présomption de salariat, alors que selon les pièces produites, ses relations avec la société BICC remontent au mois de décembre 2005 et que le statut d'intermittent concerne la période antérieure avec d'autres employeurs (attestation Assedic) ;

Attendu qu'il est de jurisprudence constante que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions réelles d'exercice de l'activité litigieuse ;

qu'il convient dès lors de rechercher si dans la phase de présentation de leurs films, [D] [Y], [Z] [N] et [S] [M] étaient placés dans un lien de subordination juridique vis à vis de la société BICC, lien caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur ayant le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les éventuels manquements ;

Attendu que même si le débat n'intéresse pas directement la cour, il n'est pas inutile de relever l'ambiguïté du statut de la société BICC qui dans les années 1970/1980 concluait avec les conférenciers des contrats d'engagement en qualité d'organisateur de spectacle moyennant le versement d'un cachet (pièce [M] n°2) et qui est à présent titulaire d'une licence d'agent artistique (pièce [Y] et [N] n° 84) ;

Attendu qu'à compter de 1985, les relations entre la société BICC et les conférenciers ont été régies par des contrats de mandat, les dirigeants de la société expliquant aux conférenciers, dans un courrier du 22 janvier 1987, que 'l'Urssaf a tendance à élargir le définition du salarié dans le but, bien entendu, de percevoir le maximum de cotisations' ;

Attendu que ce cadre juridique est à l'origine des relations conflictuelles des parties, l'association internationale des cinéastes conférenciers et écrivains de grands voyages reprochant en 2004 à la société BICC de se comporter plus en patron vis à vis de ses employés qu'en mandataire (pièce [Y] n° 37), et réclamant en 2006 une rémunération au cachet (pièce [M] n°18) ;

Attendu qu'il n'est pas inutile de relever que la société BICC n'a pas apporté de réponse à l'interrogation du conseil des trois conférenciers, qui le 16 juin 2008 insistait sur le caractère antinomique de l'activité d'organisateur de spectacle et d'agent artistique ainsi que sur l'encadrement de la rémunération de l'agent artistique ;

Attendu que les pièces produites aux débats révèlent qu'après avoir communiqué à la société BICC ses dates de disponibilité (pièce [Y] n°16), le conférencier n'intervient pas dans l'élaboration du circuit de la tournée (pièces 52 et 53) ;

qu'ainsi, la société BICC lui remet un carnet de route susceptible de modification (pièces [M] n° 4- [Y] n° 48) et lui communique sa programmation sous forme d'avenant à chaque nouvelle saison ;

Attendu que lorsque la proposition de programmation lui est communiquée, il lui est expressément spécifié ' Prière de ne demander AUCUN changement dans la désignation du circuit ou la date d'exécution car cela n'est plus possible. Cette programmation vous est donnée sous réserve de modifications qui pourraient s'avérer nécessaires. Dates exactes non garanties.' (Pièce [Y] n° 52) ;

Attendu que le conférencier se trouve ainsi placé en position de demande lorsqu'il estime la programmation insuffisante et d'attente de la réponse de la société BICC, qui peut décider unilatéralement d'augmenter ou de diminuer le nombre de conférences, tandis qu'il lui est fait interdiction d'apporter toute modification au circuit ;

Attendu qu'en pages 7 et 8 de ses conclusions, [S] [M] donne la liste de sa programmation pour la saison 2007/2008, accompagnée d'une carte de l'itinéraire suivi ;

que ces éléments révèlent un parcours incohérent qui ne tient aucun compte des contraintes imposées au conférencier tant en termes de temps de déplacement que de coût ;

Attendu que [S] [M] observe à juste titre que de son propre gré, il ne se serait pas imposé un tel parcours ;

Attendu qu'en 2006, la société BICC lui avait déjà écrit dans un courrier du 16 janvier : 'Je vous prie d'accepter d'avance mes excuses sur ce dernier point, mais les données de l'équation ne permettent pas systématiquement des déplacements cohérents.' ;

Attendu que dans un courrier du 17 juillet 2006, elle lui avait également indiqué que son objectif pour la nouvelle saison était la réduction du nombre de kilomètres à parcourir ;

que ces documents révèlent que la société BICC fait son affaire personnelle de l'élaboration de la tournée, décidant seule de l'emploi du temps et de l'itinéraire du conférencier qui contracte l'engagement de se rendre sur les lieux de la conférence aux dates qui lui ont été fixées ;

Attendu que le conférencier n'a aucun pouvoir de décision sur le tarif des conférences qui lui est imposé au travers d'une grille tarifaire et ne perçoit pas directement les recettes ;

que ni son nom, ni le titre de son film n'apparaissent sur les billets ;

Attendu qu'en ce qui concerne le déroulement des conférences elles-mêmes, le conférencier reçoit des directives très précises sur la marche à suivre, (pièce [Y] n° 48) sur le contact préalable qu'il doit avoir avec le correspondant local, sur la diffusion des bandes annonce et des spots publicitaires (pièces [Y] n° 9 'il ne pourra pas être toléré de refus' et n°60), sur la division de la conférence et la durée de l'entracte ;

Attendu que la société BICC exerce également son contrôle sur le matériel et la technologie à utiliser ; qu'ainsi, le 15 septembre 2006, elle a écrit aux conférenciers dans une lettre circulaire :

'Nous avons décidé de fixer une date limite à partir de laquelle tous les sujets présentés à Connaissance du Monde devront avoir été tournés en Haute-Définition ;

Attendu que la société BICC a en outre instauré un dispositif lui permettant de contrôler l'exécution de ses instructions en imposant aux conférenciers de lui rendre compte des conférences ;

que dans un courrier du 17 juillet 2006 elle leur a écrit : 'Nous avons systématisé les comptes-rendus de tournées de la part des conférenciers et des correspondants. Aussi nous vous remercions de remplir systématiquement et pour chaque ville cette rubrique, de manière à nous signaler votre sentiment sur chaque ville ; Attention, il s'agit d'être bref, concis, synthétique et objectif.' ;

Attendu qu'enfin, elle a confié l'évaluation des conférenciers aux correspondants locaux, à travers des grilles d'évaluation par lesquelles elle leur demande d'évaluer la prestation du conférencier en notant les ciné-conférences qui leur ont le plus plu et celles qui les ont déçus;

qu'elle les charge également de remplir des bordereaux intitulés 'Retour conférence' sur lesquels une place leur est laissée pour des observations confidentielles ;

Attendu que l'évaluation du conférencier est également confiée au comité de vision qui s'adjoint les services d'un directeur d'acteur chargé d'apprécier la présentation orale, physique, vestimentaire et le charisme du conférencier (attestation [X] [W]) ;

Attendu que tout au long de la relation contractuelle, la société BICC a clairement revendiqué son pouvoir de sanction comme par exemple :

- dans un courrier du 10 septembre 1997 : 'Comme vous l'a expliqué (...), nous avons dû interrompre notre collaboration avec ces quelques conférenciers, essentiellement pour la raison suivante : il s'agit de manquements graves aux principes de notre métier. Ils étaient en train de couper la branche sur laquelle ils se trouvaient, entraînant tout l'ensemble de l'édifice. La branche est donc coupée... pour eux. En espérant que ce rappel fondamental sera suivi d'effet...'

- dans la lettre du 2 décembre 1993 adressée à [A] [I] : 'Vous vous plaignez d'être puni comme un gamin. Cette mesure n'est pas une punition mais une sanction.'

- dans la lettre circulaire du 15 septembre 2006 : 'soit on approuve la politique, soit on la dénonce, mais si on la dénonce, on l'assume et on quitte le label.'

Attendu qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments, que contrairement à ce que suggère le contrat de mandat qui régit les obligations réciproques des parties, les conférenciers ne sont pas dans une relation égalitaire avec la société BICC mais dans le cadre d'un véritable lien de subordination juridique et économique, les obligations qui leur sont imposées, allant bien au delà de ce qu'exige le respect de la marque 'Connaissance du Monde' ;

Attendu que [D] [Y], [Z] [N] et [S] [M] produisent plusieurs courriers qui illustrent parfaitement cette situation :

- un courrier du 25 juin 1991, dans lequel la société BICC satisfaite du bon accueil réservé à un film, 'autorise' [B] [I] 'à réaliser pour Connaissance du Monde un autre film.'

- un courrier du 24 janvier 1998 dans lequel de [F] [J], journaliste conférencier écrit que 'le BICC fonctionne purement et simplement comme employeur des conférenciers. C'est toi qui décide de tout et qui me donne des ordres.'

- un courrier du 19 août 2008 dans lequel il dénonce le caractère déséquilibré du contrat qui lui impose 'des obligations innombrables et des investissements considérables' poursuivant : ' Et il est vrai en pratique que tout échappe au conférencier, y compris la logique des déplacements et le choix des dates et des salles.' ;

Attendu que [S] [M] invoque légitimement une inversion des rapports mandant/ mandataire, en vertu de laquelle le conférencier qui est le mandant se trouve continuellement en situation de recevoir des directives, de rendre compte de sa prestation et se voit infliger des rappels ou des sanctions ;

Attendu que les nombreuses pièces produites par la société BICC qui concernent pour l'essentiel les récapitulatifs financiers propres à chaque tournée, ne contredisent pas utilement l'argumentation des trois conférenciers sur l'inadaptation du contrat de mandat à la véritable nature de la relation contractuelle ;

Attendu que c'est à bon droit que [D] [Y], [Z] [N] et [S] [M] qui travaillent pour le compte de la société BICC et non pour leur propre compte, sollicitent la requalification des contrats de mandat en contrats de travail ;

3 - Sur la rupture du contrat de travail

Attendu qu'il résulte des courriers échangés entre les parties que le nombre de conférences confié à [D] [Y], [Z] [N] et [S] [M] a brutalement diminué pour la saison 2008/2009, dans les proportions rappelées par leur conseil dans un courrier du 16 juin 2008 soit 9 séances pour [D] [Y], 24 séances pour [Z] [N] et 24 séances pour [S] [M], au lieu des 450 conférences réalisées à trois au cours de la saison précédente ;

Attendu que devant leur refus de régulariser les avenants sur les bases proposées, la société BICC a considéré dans un courrier du 28 août 2008 que le contrat était rompu ;

Attendu qu'au regard de la réalité des relations des parties, cette rupture unilatérale s'analyse en un licenciement abusif ;

Attendu que pour formuler leurs demandes, [D] [Y], [Z] [N] et [S] [M] ont établi un document récapitulatif de la rémunération qu'ils ont perçue de la société BICC pour les saisons 2005/2006, 2006/2007 et 2007/2008 ;

Attendu que la société BICC ne conteste pas les données figurant sur ce document qui fait apparaître les recettes des villes, les frais divers, les honoraires du BICC, le total des salaires pour un an ainsi que le salaire mensuel brut ;

Attendu que pour les trois saisons concernées, le salaire moyen de [D] [Y] a été de 6.159 euros , le salaire moyen de [Z] [N] a été de 2.350 euros et le salaire moyen de [S] [M] a été de 5.989 euros ;

Attendu qu'en l'état de ces éléments et sur le fondement des articles L 1234-1, il sera alloué :

- à [D] [Y] : la somme de 12.318 euros au titre de l'indemnité de préavis outre 1.231,80 euros au titre des congés payés afférents ;

- à [Z] [N] : la somme de 4.700 euros au titre de l'indemnité de préavis outre 470 euros au titre des congés payés afférents ;

- à [S] [M] : la somme de 11.978 euros au titre de l'indemnité de préavis outre 1.197 euros au titre des congés payés afférents ;

Attendu que [D] [Y] avait une ancienneté de 30 ans dans l'entreprise, les premiers contrats conclus remontant à la saison 1977/1978 ;

que [Z] [N] avait une ancienneté de 17 ans ;

Attendu que les pièces concernant [S] [M] ne permettent pas de retenir qu'il a travaillé pour le compte du BICC avant 2005 ;

Attendu qu'en application de l'article R 1234-2 du code du travail en vigueur au moment de la rupture (un cinquième de mois par année d'ancienneté auxquels s'ajoutent deux quinzièmes de mois par année au delà de 10 ans) , il sera alloué au titre de l'indemnité de licenciement, la somme de 53.378 euros à [D] [Y], celle de 10.183 euros à [Z] [N] et celle de 3.593 euros à [S] [M] ;

Attendu que le licenciement abusif des trois conférenciers leur a causé un préjudice qui sera réparé par les sommes suivantes :

- à [D] [Y] 80.000 euros

- à [Z] [N] 40.000 euros

- à [S] [M] 36.000 euros

Attendu que [S] [M] sera débouté de sa demande d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement ;

Attendu qu'il sera alloué à [D] [Y] et [Z] [N] la somme de 1.000 euros chacun au titre des frais irrépétibles et à [S] [M] la somme de 1.500 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

- Déclare recevable le contredit formé par [S] [M], [D] [Y] et [Z] [N] le 6 octobre 2009 à l'encontre du jugement rendu le 28 septembre 2009 par le conseil de Prud'hommes de Grenoble.

- Infirme le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,

- Ordonne la requalification en contrat de travail des contrats de mandat conclus entre la société BICC, [D] [Y], [Z] [N] et [S] [M] et dit que la rupture des relations contractuelles s'analyse en un licenciement abusif.

- Condamne la société BICC à payer :

à [D] [Y] la somme de 12.318 euros au titre de l'indemnité de préavis outre 1.231,80 euros au titre des congés payés afférents, celle de 53.378 euros au titre de l'indemnité de licenciement et celle de 80.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif

à [Z] [N] la somme de 4.700 euros au titre de l'indemnité de préavis outre 470 euros au titre des congés payés afférents, celle de 10.183 euros au titre de l'indemnité de licenciement et celle de 40.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif

à [S] [M] la somme de 11.978 euros au titre de l'indemnité de préavis outre 1.197 euros au titre des congés payés afférents, celle de 3.593 euros au titre de l'indemnité de licenciement et celle de 36.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif

- Déboute [S] [M] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure irrégulière.

- Condamne la société BICC à payer à [D] [Y] et [Z] [N] la somme de 1.000 euros chacun au titre des frais irrépétibles et à [S] [M] la somme de 1.500 euros sur le même fondement.

- Condamne la société BICC aux dépens de première instance et du contredit.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur VIGNY, président, et par Madame VERDAN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 09/04352
Date de la décision : 06/10/2010

Références :

Cour d'appel de Grenoble 04, arrêt n°09/04352 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-10-06;09.04352 ?
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