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06/10/2010 | FRANCE | N°09/03293

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chambre sociale, 06 octobre 2010, 09/03293


RG N° 09/03293



N° Minute :



























































































AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE SOCIALE



ARRET DU MERCREDI 06 OCTOBRE 2010







Appel d'une

décision (N° RG 07/A0175)

rendue par le Conseil de Prud'hommes de GRENOBLE

en date du 12 juin 2009

suivant déclaration d'appel du 03 Juillet 2009





APPELANTE :



La S.A.S. TERRITORIAL prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]



Représentée par Me Murielle VANDEVELDE (avocat au barreau de LYON)



INTIMEE...

RG N° 09/03293

N° Minute :

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU MERCREDI 06 OCTOBRE 2010

Appel d'une décision (N° RG 07/A0175)

rendue par le Conseil de Prud'hommes de GRENOBLE

en date du 12 juin 2009

suivant déclaration d'appel du 03 Juillet 2009

APPELANTE :

La S.A.S. TERRITORIAL prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Murielle VANDEVELDE (avocat au barreau de LYON)

INTIMEE :

Madame [G] [V]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Comparante et assistée par Me Laure GERMAIN PHION (avocat au barreau de GRENOBLE) substitué par Me Sophie BAUER (avocat au barreau de GRENOBLE)

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Monsieur Bernard VIGNY, Conseiller, faisant fonction de Président,

Madame Hélène COMBES, Conseiller,

Madame Astrid RAULY, Conseiller,

Assistés lors des débats de VERDAN,.

DEBATS :

A l'audience publique du 08 Septembre 2010,

Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoirie(s).

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 06 Octobre 2010.

L'arrêt a été rendu le 06 Octobre 2010.

Notifié le :

Grosse délivrée le :

RG N° 09 3293 AR

[G] [V] a été engagée en qualité de comptable par la SAS Territorial dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée le 10 juin 2003.

La société Territorial a été rachetée par le groupe Moniteur courant 2006.

À l'issue d'un entretien avec son supérieur hiérarchique le 7 juin 2007, [G] [V] a été en arrêt de travail du 8 juin 2007 au 8 juillet 2007 , pour syndrome anxio-dépressif majeur.

À la suite d'une visite médicale de reprise du 9 juillet 2007, [G] [V] a été déclarée définitivement inapte à son poste, sans deuxième visite de reprise.

Le 12 juillet 2007, la SAS Territorial a proposé à [G] [V] un reclassement sur un poste de standardiste moyennant une rémunération inférieure de 900 €, que la salariée a refusé le 22 juillet 2007.

[G] [V] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement le 27 juillet 2007 puis licenciée pour inaptitude définitive médicalement constatée et impossibilité de reclassement, par courrier du 3 août 2007.

Elle a saisi le conseil des prud'hommes de Grenoble le 28 août 2007 d'une contestation de son licenciement.

Une déclaration d'accident du travail a été remplie par la salariée le 27 septembre 2007.

Par courrier du 25 octobre 2007, la CPAM a notifié à l'assurée la prise en charge de son accident au titre des risques professionnels et en a avisé son employeur.

Le caractère professionnel de l'accident a été reconnu par le tribunal des affaires de sécurité sociale puis par la Cour d'appel de Grenoble.

Par jugement du 12 juin 2009, le conseil des prud'hommes de Grenoble a constaté le harcèlement moral dont elle avait été victime sur son lieu de travail, prononcé la nullité du licenciement, condamné la SAS Territorial à lui payer les sommes de :

- 20'000 € de dommages et intérêts pour nullité du licenciement,

- 12'000 € de dommages intérêts pour préjudice moral,

- 4320 € d'indemnités compensatrices de préavis,

- 432 € bruts de congés payés afférents,

- 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Appel de cette décision a été interjeté par la société Territorial le 2 juillet 2009.

Par conclusions régulièrement déposées et oralement à l'audience, la société Territorial sollicite l'infirmation de la décision entreprise et demande à la Cour de constater l'absence de harcèlement moral, de dire que le licenciement pour inaptitude est régulier et bien-fondé, de débouter Madame [V] de l'intégralité de ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Elle fait valoir que le 7 juin 2007, Madame [V] et M. [N] ont eu un entretien puis un échange de mails au sujet de la mauvaise qualité du travail de [G] [V],

que la conversation a été houleuse mais est restée courtoise et respectueuse, du moins du côté de Monsieur [N],

que Madame [V] s'est fait délivrer le 8 juin un arrêt de travail, renouvelé jusqu'au 8 juillet, puis a été déclarée inapte le 9 juillet au terme de sa visite médicale de reprise, qu'elle a refusé la proposition de reclassement de standardiste.

Elle souligne que ce n'est que le lendemain de la saisine du conseil des prud'hommes que la salariée a prétendu que sa dépression était liée à cet entretien et estime qu'elle a, pour les besoins de sa cause, présenté une demande auprès de la CPAM, afin de faire reconnaître son arrêt de travail comme consécutif à un accident du travail .

Elle fait valoir que le licenciement n'étant qu'une conséquence de son accident du travail ainsi qu'il a été jugé et qu'elle doit donc formuler sa demande de dommages-intérêts à ce titre devant le tribunal des affaires de sécurité sociale .

Elle conteste le harcèlement et souligne la vacuité des éléments de Madame [V].

Elle estime que la dépression de Madame [V] n'est pas liée à ses conditions de travail mais en réalité à sa personnalité et notamment à sa totale incapacité à admettre la critique.

Subsidiairement, elle fait valoir qu'on ne saurait lui reprocher d'avoir procédé au licenciement sans consulter les délégués du personnel dans la mesure où le licenciement est intervenu avant la déclaration d'accident du travail.

Par conclusions régulièrement déposées oralement à l'audience [G] [V] sollicite la confirmation de la décision entreprise et le débouté de la société Territorial de l'ensemble de ses demandes et sa condamnation à lui verser 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Subsidiairement, pour le cas où la Cour infirmerait le jugement du conseil des prud'hommes prononçant la nullité du licenciement , elle demande à la Cour de dire que ce licenciement est sans cause réelle et sérieuse .

Elle fait valoir qu'elle a été recrutée en qualité de comptable le 10 juin 2003, que Monsieur [N], directeur financier était satisfait de son travail jusqu'au rachat de l'entreprise par le groupe Moniteur à la suite duquel il a changé d'attitude à son égard en augmentant considérablement sa charge de travail, tout en lui adressant des reproches injustifiés sur un ton de mépris dévalorisant et agressif.

Elle souligne que son état de santé s'est dégradé et qu'elle s'est ouverte de ses difficultés à un représentant du personnel et à Mme [P] directeur de la société, le 23 mai 2005, qui n'a pas enjoint à M. [N] de changer de comportement ,

que le 7 juin, à l'issue d'un entretien au cours duquel elle a été traitée 'd'espèce de pauvre conne', elle est allée trouver le délégué du personnel qui lui a conseillé d'aller immédiatement consulter un médecin,

que celui-ci constatant son état anxieux dépressif majeur, lui a prescrit un arrêt de travail jusqu'au 8 juillet 2007.

Elle fait valoir qu'à la suite de la première visite médicale de reprise du 9 juillet, son inaptitude a été constatée par le médecin du travail mais que seul un poste de standardiste lui a été proposé, moyennant une diminution de rémunération de 900 € euros, qu'elle a refusé, puis qu'elle a été convoquée à un entretien préalable et licenciée pour inaptitude définitive médicalement constatée et impossibilité de reclassement.

Elle estime que l'arrêt 20 mai 2010 de la cour d'appel qui a confirmé la décision de la CPAM ne statue que sur le caractère professionnel de l'accident et non sur le harcèlement moral ou le licenciement et qu'elle est bien fondée à solliciter des dommages-intérêts, et ce, que le licenciement soit qualifié de nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Elle fait valoir que les certificats médicaux d'inaptitude du 9 juillet et du docteur [C] du 27 novembre 2007 permettent de présumer l'existence du harcèlement moral.

Elle expose qu'elle était totalement surchargée de travail, ce qui n'est pas contesté par l'employeur,

qu'elle a fait l'objet de critiques systématiques et vexantes qui l'ont déstabilisée,

que les agissements de M. [N] ont entraîné une dégradation de ses conditions de travail,

que ses collègues ont témoigné de la dégradation de son état de santé.

Subsidiairement, elle souligne l'absence de consultation des délégués du personnel alors que l'employeur avait connaissance de l'origine professionnelle, à tout le moins partielle, de l'incapacité puisqu'il avait été avisé des faits tant par elle-même que par une procédure d'alerte.

Elle fait valoir que l'employeur a également manqué à son obligation de reclassement puisque la seule proposition de reclassement effectuée consistait en un déclassement, ce qui, selon elle, consistait en une provocation supplémentaire.

DISCUSSION

Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues à l'audience;

Sur le harcèlement

Attendu que la salariée soutient que son inaptitude est la conséquence de faits de harcèlement moral dont elle a été victime de la part de son responsable ;

que la SAS Territorial fait valoir que le licenciement n'étant qu'une conséquence de l'accident du travail, elle ne peut formuler sa demande de dommages-intérêts à ce titre que devant le tribunal des affaires de sécurité sociale ;

Attendu que si l'article L 451- 1 du code de la sécurité sociale dispose qu'aucune action en réparation des accidents et maladies du travail ne peut être exercée conformément au droit commun, le préjudice résultant de la perte d'emploi du à la faute de l'employeur constitue un préjudice distinct de celui donnant lieu à la réparation spécifique, afférente à l'accident du travail ayant pour origine la faute inexcusable de l'employeur ; que par ailleurs, cette législation ne fait pas obstacle à l'attribution de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral dont le salarié a été victime antérieurement à la prise en charge de l'accident du travail par la sécurité sociale ;

Attendu qu'il importe donc de rechercher si [G] [V] établit des faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens des dispositions de l'article L 1152-1 du code du travail, étant rappelé que la réalité du harcèlement ne peut se déduire des seules impressions du salarié concerné, mais doit résulter de faits précis ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que la salariée a donné toute satisfaction à son employeur jusqu'en mars 2006, date du rachat de la société par le groupe Moniteur ;

qu'il résulte des déclarations mêmes de M. [N], son supérieur hiérarchique que ses méthodes de travail ont été totalement modifiées ; qu'elle s'est vu imposer une 'surchage de travail après le rachat du groupe Moniteur' ;

que la salariée fait valoir que dès lors, elle a été victime de brimades et mêmes de violences de la part de M. [N] ; qu'elle a déclaré lors de l'enquête déclenchée le 18 septembre 2007 que M. [N] la harcelait, la rabaissait, passait ses nerfs sur elle en hurlant, contrôlait ses sorties ;

que ses dires sont corroborés par les attestations produites et notamment celle de [H] [B] qui témoigne que M. [N] ' l'appelait soit '[J]' soit ' la conne', 'la truffe'...selon les jours et ses humeurs ; que le témoin atteste que 'M. [N] convoquait Mme [V] dans son bureau régulièrement pour lui faire des reproches (...) Le ton utilisé (...) était outrancié et humiliant. Je l'ai vue très souvent partir du bureau de M. [N] en pleurant, j'ai même vu une fois M.[N] donner un coup de poing sur le bureau et l'imprimante de Mme [V]' ;

qu'il résulte également des attestations produites qu'elle présentait des signes manifestes de stress et notamment qu'elle avait pleuré à plusieurs reprises ;

que les pièces médicales attestent de la fragilité de son état ;

qu'il n'a pas été contesté que [G] [V] a fait part de ses difficultés avec son supérieur hiérarchique à Mme [P] directeur de la société, le 23 mai 2005 ;

que cet entretien n'a néanmoins été suivi d'aucun effet ;

que le 7 juin, à l'issue d'un entretien au cours duquel, à tout le moins, de l'aveu même de M. [N], le ton était monté, [G] [V] est allée trouver en pleurs M. [S], responsable du CE ;

que par mail du même jour adressé à M. [N], la salariée souhaitait 'à l'avenir', ne plus être insultée comme elle l'avait été ; qu'elle sollicitait de bénéficier d'observations écrites ainsi que d'interdictions formelles ;

Attendu que par courriel du 12 juin 2007, de Messieurs [S] et [R], délégués du personnel, ont sollicité de leur employeur, une enquête en ces termes :

« nous avons reçu - à plusieurs reprises - en qualité de représentants du personnel, Mme [G] [V], employée au service comptabilité.

Celle-ci se plaint d'agissements réguliers de son responsable de service M. [W] [N], qui constitue à notre sens une pression morale sur sa personne (ce dont elle vous avait déjà fait part lors d'un entretien personnel). Ces faits se sont intensifiés ces derniers temps, par des insultes, brimades dégradantes et remises en cause permanente de ses aptitudes professionnelles. » ;

Attendu que [G] [V] a été en arrêt de travail du 8 juin 2007 au 8 juillet 2007 , pour syndrome anxio-dépressif majeur ;

que le médecin du travail a estimé le 9 juillet 2007, lors de la visite de reprise qu'elle était totalement et définitivement inapte à reprendre le travail sans deuxième visite de reprise, mentionnant que 'toute tentative de reprise du travail risque de mettre en danger la santé de Madame [V], quel que soit le poste proposé '

Attendu que tous ces éléments démontrent l'existence du harcèlement invoqué par la salariée;

Attendu que la salariée qui a subi pendant de longs mois des agissements qui ont entraîné une dégradation importante et durable de son état de santé, a subi un préjudice qui a été justement évalué par le conseil des prud'hommes à la somme de 12.000 euros ;

Attendu que l'inaptitude de la salariée qui a motivé le licenciement, n'est que la conséquence du harcèlement moral dont elle a été victime, et qui a pu se poursuivre du fait d'un manquement de l'employeur à son obligation de résultat de sécurité ;

que le licenciement est donc nul en application de l'article L 1152-3 du code du travail ;

Attendu que son licenciement pour inaptitude, au terme de quatre années passées au service de l'entreprise a entraîné pour la salariée un préjudice matériel et moral qui a été justement évalué par le conseil des prud'hommes ;

Attendu que le quantum des sommes dues au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents n'a pas été contesté ; qu'il convient par conséquent de confirmer sur ce point la décision entreprise ;

Attendu que c'est également à juste titre que le conseil des prud'hommes a alloué à la salariée une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; que l'équité commande également de condamner la SAS Territorial à lui verser 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés en cause d'appel ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

- Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 12 juin 2009 par le conseil de Prud'hommes de GRENOBLE .

- Y ajoutant, condamne la SAS Territorial à payer à [G] [V] 1500 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel

- condamne la SAS Territorial aux dépens.

Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.

Signé par Monsieur VIGNY, Président, et par Madame VERDAN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 09/03293
Date de la décision : 06/10/2010

Références :

Cour d'appel de Grenoble 04, arrêt n°09/03293 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-10-06;09.03293 ?
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