La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/09/2010 | FRANCE | N°09/00536

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chambre sociale, 27 septembre 2010, 09/00536


RG N° 09/00536



N° Minute :























































































































Notifié le :

Grosse délivrée le







AU

NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE SOCIALE



ARRET DU LUNDI 27 SEPTEMBRE 2010



Appel d'une décision (N° RG 07/00737)

rendue par le Conseil de Prud'hommes de VALENCE

en date du 03 décembre 2008

suivant déclaration d'appel du 09 Janvier 2009



APPELANTS :



Monsieur [I] [N]

[Adresse 3]

[Localité 5]



Comparant et assisté par Me Georges MEYER (avocat au barreau de LYON)



Le SYNDICAT CHIMIE ENERGIE DAUPHINE VIVARAI...

RG N° 09/00536

N° Minute :

Notifié le :

Grosse délivrée le

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU LUNDI 27 SEPTEMBRE 2010

Appel d'une décision (N° RG 07/00737)

rendue par le Conseil de Prud'hommes de VALENCE

en date du 03 décembre 2008

suivant déclaration d'appel du 09 Janvier 2009

APPELANTS :

Monsieur [I] [N]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Comparant et assisté par Me Georges MEYER (avocat au barreau de LYON)

Le SYNDICAT CHIMIE ENERGIE DAUPHINE VIVARAIS CFDT prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Georges MEYER (avocat au barreau de LYON)

INTIME :

La S.A.S. REYNOLDS prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

Le Rhovalparc Rovalatain TGV

[Localité 6]

Représentée par Monsieur [C] [O] (D.R.H.) et assistée par Me Jean-Michel BOBILLO (avocat au barreau de PARIS)

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Monsieur Daniel DELPEUCH, Président de Chambre,

Monsieur Eric SEGUY, Conseiller,

Madame Dominique JACOB, Conseiller,

Assistés lors des débats de Madame Simone VERDAN, Greffier.

DEBATS :

A l'audience publique du 21 Juin 2010,

Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoirie(s).

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 27 Septembre 2010.

L'arrêt a été rendu le 27 Septembre 2010.

RG 09 536 ES

[I] [N] a été engagé en janvier 1978 par la société REYNOLDS et exerçait en dernier lieu les fonctions de technicien essai.

La société par actions simplifiée REYNOLDS, filiale depuis 1999 du groupe international NEWELL RUBBERMAID, exploitait sur le site de [Localité 4]-[Localité 6] un établissement de fabrication de stylos des marques Reynolds (90%) et Papermate ainsi qu'une plate-forme logistique. Fin juin 2006, l'effectif de ce site était de 312 salariés.

Au sein du groupe NEWELL RUBBERMAID, la société REYNOLDS était rattachée au secteur 'instruments d'écriture', lui-même organisé en trois activités et entités juridiques distinctes : la société WATERMAN à [Localité 9]-[Localité 8], la société REYNOLDS à [Localité 4] et la société SANFORD ÉCRITURE à [Localité 7], troisième site sur lequel sont réunis l'activité commerciale France et les fonctions support des trois sociétés ainsi que le siège européen du groupe.

Ces trois sociétés formaient une unité économique et sociale dotée d'un comité central et des trois comités d'établissement.

L'employeur a engagé le 18 juillet 2006 (convocation des organes de représentation du personnel au comité central d'entreprise du 27 juillet 2006) et conduit un processus d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel dans le cadre d'un projet de fermeture du site de [Localité 4]-[Localité 6] et d'une procédure de licenciements collectifs pour motif économique, processus qui s'est poursuivi jusqu'aux 4 et 7 décembre 2006 (avis négatif des représentants du personnel sur les livres IV et III).

Un accord sur les critères d'ordre des licenciements et des volontaires au départ a été signé le 5 janvier 2007.

Par ailleurs, un accord collectif sur la mise en place d'un dispositif de cessation anticipée d'activité (dispositif de préretraite) a été signé le 20 décembre 2006 et un accord collectif tripartite sur le volontariat au départ a été signé le 11 juillet 2007.

Le site de [Localité 4]-[Localité 6] a été fermé en 2007. La fabrication a été externalisée, celle des stylos (plume et bille) au profit d'une société tunisienne, celle des marqueurs à une société chinoise, celles des encres à une usine du groupe NEWELL RUBBERMAID située aux USA. L'activité emballage et conditionnement gros volumes a été externalisée au profit des mêmes partenaires tunisiens et chinois et celle du packaging des petits volumes en Italie.

La mise en oeuvre du projet a entraîné la suppression de 256 postes, nombre réduit à 251 après la phase de consultation des représentants du personnel.

Par lettres datées d'avril 2007 à juillet 2007, signées par la directrice des ressources humaines de la SAS Reynolds, 242 salariés ont été licenciés pour un motif économique tiré de la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'activité instruments d'écriture d'usage quotidien et de la marque Reynolds.

D'autres salariés ont demandé en janvier 2007 à adhérer au dispositif de cessation anticipée d'activité pré-retraite prévu par l'accord d'entreprise du 20 décembre 2006, ce qui a conduit à la rupture de leur contrat d'un commun accord dans le cadre de protocoles signés entre les parties le 26 mars 2007 et au versement à chacun d'une indemnité spécifique de départ volontaire.

C'est ainsi que [I] [N] a demandé les 23 janvier 2007 et 5 mai 2007 à adhérer au dispositif de cessation anticipée d'activité pré-retraite prévu par l'accord d'entreprise du 20 décembre 2006, ce qui a conduit à la rupture de son contrat d'un commun accord dans le cadre d'un protocole signé entre les parties le 24 juillet 2007 et le versement d'une indemnité spécifique de départ volontaire.

Sur les 251 salariés concernés par la fermeture du site, 129 ont saisi le conseil de prud'hommes de Valence les 6 novembre 2007, 21 et 24 décembre 2007 et en avril 2008.

[I] [N] a saisi le conseil de prud'hommes le 21 décembre 2007.

Par jugement du 3 décembre 2008, le conseil de prud'hommes de Valence a débouté [I] [N] de l'ensemble de ses demandes, considérant notamment que 'si la rupture d'un commun accord a pour origine la référence à un motif économique' le salarié 'ne peut invoquer l'article L.1233-3 du code du travail qui concerne les licenciement'.

Le salarié et le syndicat chimie énergie Dauphiné Vivarais CFDT ont relevé appel le 7 janvier 2009.

La plupart des dossiers concernant les autres salariés ont fait l'objet d'une jonction et ont donné lieu à un jugement de départage du 23 avril 2009, également frappé d'appel. Les appels ont été évoqués à la même audience de la cour et donnent lieu à des arrêts distincts.

[I] [N] demande à la cour d'infirmer le jugement le concernant, de déclarer recevable sa contestation de la rupture de son contrat de travail, de juger qu'elle ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse, de condamner la société REYNOLDS à lui verser la somme de 40.264 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il estime que l'irrecevabilité de la contestation de ce type d'accord doit être cantonnée à ceux conclus 'à froid' dans le cadre d'une gestion prévisionnelle des emplois et que l'accord qu'il avait signé ne relevait pas de cette catégorie en ce que :

' à la date de l'accord d'entreprise du 20 décembre 2006 sur la cessation anticipée d'activité et le départ en préretraite des salariés d'au moins 55 ans, la fermeture du site était inéluctablement acquise,

' cet accord avait été négocié dans un contexte économique 'à chaud' et ne constituait expressément selon son préambule qu'une 'mesure d'accompagnement'des licenciements économiques,

' si le salarié ne l'avait pas signé, il aurait nécessairement été licencié.

Il en déduit que cette rupture par départ volontaire mais dont l'employeur avait pris l'initiative reposait sur un motif économique au sens de l'article L.1233-3 du code du travail et qu'il était donc recevable à contester l'existence de ce motif.

Il invoque aussi une rupture du principe d'égalité avec les salariés licenciés en ce qu'il n'avait pas reçu d'information écrite sur les motifs économiques et qu'il ne lui avait pas été indiqué que la signature de ce dispositif entraînerait l'interdiction de contester la rupture.

Il conteste l'existence d'un motif économique.

Il rappelle que l'inspecteur, le directeur départemental puis le ministre du travail avaient refusé d'autoriser le licenciement des salariés protégés.

Il plaide que le motif économique doit être apprécié à l'intérieur du même secteur d'activité du groupe, qu'en l'espèce le périmètre pertinent était celui de l'activité instruments d'écriture tant en France qu'à l'étranger, activité dont il soutient qu'elle était demeurée prospère.

Il expose la situation du groupe (4,9 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2006 soit +8,5% par rapport à l'exercice précédent, 521 millions d'euros de résultat positif en 2006 soit +15%).

Il reproche à son ancien employeur de s'être cantonné à la situation de la marque Reynolds et du site de [Localité 4], ce qu'il considère comme dépourvu de pertinence, lui reproche aussi d'avoir introduit dans les débats une notion trop réductrice de sous-secteur ou de 'segment usage quotidien' et d'avoir en fait délocalisé la production de 154+191 références dans des pays à bas coût de main d'oeuvre.

Il dénonce l'absence de fourniture de données comptables globales et de résultats chiffrés, tant dans la note économique que dans lettre de licenciement, précisément sur ce secteur 'instruments d'écritures', sauf une baisse de chiffre d'affaires de -0,5 à - 0,8% entre 2004 et 2005, considérée par le salarié comme très peu significative.

Il estime subsidiairement que, même dans le périmètre choisi par la société REYNOLDS, le motif n'était pas avéré, que la situation résultait d'un choix de gestion et de conditions de fermeture du site 'volontairement construites' dans le cadre de la réorganisation du groupe NEWELL RUBBERMAID décidée en 2003 (fermeture d'un tiers des 80 usines).

Il invoque les avis de l'inspecteur du travail et de l'expert du comité d'entreprise, le transfert du chiffre d'affaires vers la marque Papermate, le fait que la société de [Localité 4] ne réalisait pas elle-même la commercialisation de ses produits, transférée à Sanford écriture son unique client qui lui imposait les prix, le déficit d'investissement sur la marque Reynolds et le fait que la réorganisation engagée début 2006 n'avait pas été menée à son terme ce qui trahissait les hésitations de l'employeur.

Il soutient que les perspectives dramatiques de la marque et de la société étaient à relativiser. Il fait état d'un échec du projet et de nouveaux licenciements en 2008.

Il reproche également à son ancien employeur un manque de volonté d'anticipation et un manque de bonne foi, au sens de l'article L.1222-1 Code du travail, en faisant état d'un 'projet masqué' depuis 2004 ou 2005 alors que le déménagement de la production avait, selon le salarié, été nécessairement préparé depuis plusieurs mois puisque l'activité avait redémarré en Chine et Tunisie en janvier 2007.

Le Syndicat chimie énergie Dauphiné Vivarais CFDT, présent en première instance dans cette affaire, a pris des conclusions d'intervention volontaire communes aux dossiers évoqués lors de l'audience du 21 juin 2010. Il ne forme toutefois pas de demande spécifique dans le cadre de la procédure concernant [I] [N].

La société REYNOLDS demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter l'appelant de toutes ses demandes et de le condamner au paiement d'une somme de 50 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle estime que, dès lors que le contrat de travail de [I] [N] avait été rompu de manière amiable dans le cadre d'une réorganisation de l'entreprise, il ne pouvait valablement contester cette rupture de son contrat de travail, sauf en cas de vice du consentement ou d'inexécution de ses obligations par l'une des parties, moyens dont elle relève qu'ils n'étaient pas invoqués en l'espèce.

Elle conteste avoir entretenu une quelconque confusion entre le départ volontaire de ce salarié et un licenciement pour motif économique et expose que l'intéressé n'avait pas été informé d'une possibilité de contester dans le délai d'un an la rupture de son contrat de travail c'était parce que cette possibilité n'était ouverte qu'en cas de licenciement pour motif économique.

Subsidiairement l'employeur explique que le groupe NEWELL RUBBERMAID comprenait quatre divisions (produits d'entretien et rangement, matériels et outillages, maison & famille, fournitures de bureaux), que la société REYNOLDS était rattachée à cette dernière division fournitures de bureaux dénommée 'Sanford Brands', elle-même subdivisée en deux secteurs :

- les articles de bureau (solutions de rangements et solutions d'étiquetage),

- les instruments d'écriture, eux-mêmes répartis en deux segments :

' le haut de gamme comprenant les marques Parker, Watermann, Rotring, Sensa,

' l'usage quotidien comprenant les marques Reynolds, Papermate, Sharpie et Berol.

L'employeur expose que le projet litigieux n'avait concerné que le secteur d'activité 'instruments d'écriture' et non le secteur 'fournitures de bureau', comme l'avait jugé à tort le conseil de prud'hommes.

Il conteste avoir caché au personnel une prétendue décision de fermeture du site qui aurait remonté à plusieurs années, s'explique sur le calendrier de consultation des institutions représentatives, fait valoir qu'aucun délit d'entrave n'avait été retenu à son encontre et conteste un manquement au principe de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au sens notamment de l'article L.2323-56 du code du travail.

La société REYNOLDS considère que la sauvegarde de la compétitivité ne devait être appréciée, à l'intérieur de l'activité 'instruments d'écriture', qu'au niveau de l'activité du segment 'usage quotidien' sur le marché français où la marque réalisait 75% de son chiffre d'affaires et prétend que le choix fait par l'employeur de la délimitation de ce périmètre échappait au contrôle du juge.

Elle explique que l'activité de ce segment 'instruments d'écriture usage quotidien' était confrontée à une concurrence exacerbée, notamment en raison du développement des marques distributeur exploitées par les grandes et moyennes surfaces où la société REYNOLDS réalisait traditionnellement 80% de ses ventes et en raison de la concurrence de la marque BIC.

Elle fait état d'un recul au niveau international et en France où le marché n'avait pas connu d'évolution favorable depuis 2005/2006.

Elle expose qu'elle était aussi confrontée à l'incidence de la hausse de la matière première pour la production des stylos REYNOLDS 50 en résine et aux répercussions de la même hausse du pétrole sur le coût du transport, d'où des difficultés en 2006 et un problème de compétitivité-prix par rapport à la concurrence (REYNOLDS est 40% plus cher que BIC qui a 13% du marché contre 12% pour NEWELL RUBBERMAID).

Elle souligne que la situation de l'activité fournitures de bureau s'était encore dégradée entre 2006 et 2007, ce qui démontrait a posteriori la nécessité d'entreprendre des mesures de sauvegarde dès 2006.

Elle ajoute que la rentabilité de la marque REYNOLDS était de 10 points inférieure à celle des autres marques du secteur instruments d'écritures, ce qu'avait reconnu l'expert du CCE, le cabinet Syndex.

L'intimée conteste par ailleurs :

- que le transfert du chiffre d'affaires (surligneurs et marqueurs) de la marque REYNOLDS à la marque PAPERMATE, destinée à clarifier les marques, ait porté préjudice au site de [Localité 4],

- que l'insuffisance d'investissement dans la marque REYNOLDS ait résulté d'un choix volontaire et explique que l'arrêt de la première réorganisation de la marque était justifiée par l'ampleur des difficultés rencontrées en 2006.

Elle conteste le caractère réaliste des propositions de l'expert du comité central d'entreprise et des propositions des représentants du personnel et explique que son projet était désormais en voie de réalisation.

Elle conteste le préjudice invoqué par le salarié.

sur quoi :

Attendu que la société REYNOLDS a mis en place au cours du second semestre 2006 un plan de sauvegarde de l'emploi après les consultations du comité d'entreprise au titre des livres III et IV du code du travail ;

Attendu qu'un accord de cessation anticipée d'activité a par ailleurs été conclu le 20 décembre 2006 pour une durée déterminée jusqu'au 30 juin 2007 entre les sociétés membres de l'UES Sanford Ecriture et les organisations syndicales représentatives au sein de cette UES, aux termes duquel les parties se sont accordées à mettre en place un dispositif de pré-retraite, prenant la forme d'une rupture d'un commun accord du contrat de travail en dehors de tout préavis, ouvert à une catégorie déterminée de salariés remplissant notamment des conditions d'âge et de droit au regard du régime d'assurance retraite et leur garantissant le versement d'une indemnité de départ volontaire équivalente à l'indemnité conventionnelle de mise à la retraite majorée de 9.000 euros bruts, exclusive de l'indemnité complémentaire de licenciement prévue au plan de sauvegarde de l'emploi et du congé de reclassement ;

Que le 19 avril 2007, l'employeur a proposé de recevoir [I] [N] en entretien pour l'informer sur le dispositif préretraite ;

Que ce technicien essai, engagé en 1978, a adhéré le 5 mai 2007 au dispositif de préretraite et que le contrat de travail a été rompu d'un commun accord dans le cadre d'un protocole de rupture signé entre les parties le 24 juillet 2007 ;

Mais attendu que cet accord rappelait que la mesure s'inscrivait dans un projet plus global de réorganisation de la société REYNOLDS qui avait donné lieu à l'engagement d'une procédure de licenciement collectif pour motif économique et qu'à ce titre le dispositif de préretraite d'entreprise s'intégrait aux mesures d'accompagnement du plan de sauvegarde de l'emploi élaboré dans le cadre de cette réorganisation et mises en oeuvre conformément aux dispositions de l'article L.321-4-1 du code du travail (L.1233-61) ;

Qu'il rappelait aussi que la qualité de bénéficiaire du régime de pré-retraite était exclusive du bénéfice de l'ensemble des autres mesures prévues au plan de sauvegarde de l'emploi ;

Qu'à la suite de la mise en oeuvre de cet accord et du Plan de sauvegarde de l'emploi, le site a été fermé en 2007 ;

Que, compte tenu du contexte économique invoqué et de la chronologie, l'accord sur le dispositif de préretraite du 20 décembre 2006 dont l'employeur a pris l'initiative de le proposer au salarié en cause n'était qu'une des modalités pratiques de mise en oeuvre d'un unique projet de réorganisation de l'entreprise et fermeture d'un site qui avait motivé le plan de sauvegarde de l'emploi mise en oeuvre et que le salarié n'avait disposé effectivement que d'un choix entre d'une part l'adhésion au dispositif de pré-retraite dès lors qu'il en remplissait les conditions et d'autre part un licenciement économique dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi ;

Que d'ailleurs l'examen des pièces produites par l'employeur fait apparaître que si [I] [N] s'était porté volontaire le 23 janvier 2007 au dispositif de cessation anticipée d'activité, entre janvier et le 5 mai 2007, il s'était également porté volontaire au licenciement dans le cadre de la procédure collective et qu'il lui avait été proposé des postes de reclassement à durée indéterminée dans le groupe et aussi des postes de reclassement d'une durée déterminée liés au surcroît d'activité sur la plate-forme logistique ;

Que la rupture d'un commun accord litigieuse repose en conséquence exclusivement sur le même motif économique que celui ayant présidé aux licenciements opérés dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi ;

Attendu que l'article 1er de la directive 98/59 du Conseil du 20 juillet 1998, dont l'appelant invoque les dispositions, prévoit que, pour le calcul du nombre de licenciements prévu dans la définition des licenciements collectifs, sont assimilées aux licenciements les cessations du contrat de travail intervenues à l'initiative de l'employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs, à condition que les licenciements soient au moins au nombre de cinq ;

Que l'interdiction faite au salarié ayant choisi la première option de contester le caractère réel et sérieux du motif économique sous jacent introduit une atteinte injustifiée au principe d'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail entre les salariés placés dans la même situation, c'est à dire dont le poste est supprimé dans le cadre d'une même restructuration de l'entreprise qui plus est alors même que la cessation de son contrat de travail a vocation à être prise en compte dans le calcul du licenciement collectif ;

Qu'il était donc recevable à demander à la formation prud'homale de vérifier le caractère réel et sérieux de la référence au motif économique ayant présidé à la rupture d'un commun accord de son contrat de travail ;

Que le jugement par lequel il a été débouté de l'ensemble de ses demandes sera en conséquence infirmé ;

Attendu qu'il résulte de l'article L.1233-3 du Code du travail que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ;

Attendu que par courrier en date du 2 juillet 2007, la société Reynolds a notifié à chacun des salariés son licenciement pour le(s) motif(s) économique(s) suivant :

« Cette situation a entraîné une dégradation de la situation économique de Reynolds SAS qui, depuis 2003, connaît une diminution significative et constante de son chiffre d'affaires et des principaux indicateurs de son activité économique :

-En 2005, le chiffre d'affaires de Reynolds SAS était de 48 409,4 K€, contre 51 125,3 K€ en 2004, soit une baisse de plus de 5 %. Comparé à 2003, le chiffre d'affaires de Reynolds SAS a chuté de 11 % en deux ans. Il a continué à baisser sur 2006, les chiffres prévisionnels faisant état d'un chiffre d'affaires de 47 056 K€.

La marge brute de Reynolds SAS s'est également détériorée puisqu'on 2005 elle était de 22 391,9 K€ contre 24 246,3 K€ en 2004.

-L'Excèdent Brut d'Exploitation (EBE) déjà négatif en 2004 à 58, 5 K€ a continué à se dégrader en 2005 pour atteindre - 202 K€.

Enfin, pour la seconde année consécutive, Reynolds SAS a dégagé en 2005 une perte d'un montant de 146,5 K€, les pertes ayant fortement augmenté sur 2006.

Cette situation a également entraîné une dégradation de la situation économique de la marque Reynolds :

- la baisse récurrente du chiffre d'affaires brut de la marque Reynolds en France, qui est passé de 53 305 K€ en 2003 à 46 606 K€ en 2005 et à 40 315 K€ en 2006, est aggravée par l'augmentation des remises arrières et des activités promotionnelles qui sont passées de 20,1% des ventes en 2003 à 22,4 % des ventes en 2005.

- les ventes nettes de la marque sont passées de 42 292 K€ à 35 987 K€ entre 2003 et 2005, soit une baisse de 14,9 %.

'

En l'absence de plan de redressement, la situation de Reynolds, qui est d'ores et déjà extrêmement difficile, s'aggraverait donc au point de porter atteinte à la pérennité de la marque elle-même, de Reynolds SAS, et plus globalement de l'activité « Instruments d'Ecriture ».

Malgré les réorganisations industrielles mises en 'uvre au sein du groupe, les actions commerciales engagées pour redresser la marque (priorité donnée aux produits à plus forte marge, nouveaux produits, opérations événementielles, etc.) et les efforts d'optimisation industrielle (Lean Manufacturing, lancement de la Distribox), la situation est aujourd'hui critique et impose de sauvegarder la compétitivité de l'activité « Instruments d'Ecriture ». »

Attendu que la société Reynolds invoque donc à la fois des difficultés économiques actuelles à son niveau et la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'activité du secteur «Instruments d'Ecriture » ;

Attendu que pour apprécier le bien fondé de la réorganisation de la société Reynolds, il convient tout d'abord de vérifier si le choix du périmètre économique, à savoir les limites du secteur d'activité retenues par l'employeur, est pertinent, s'agissant d'une société qui appartient à un groupe qui est implanté dans le monde entier ;

Attendu que le groupe qui comprend 4 divisions relatives à des activités différentes s'est située uniquement, pour apprécier la situation de la société Reynolds dans le sous secteur « instruments d'écriture quotidien » qui n'est lui-même qu'un sous secteur de la branche «Instruments d'Ecriture » qui appartient elle-même à la division fournitures de bureaux et instruments d'écriture ;

Attendu que c'est donc au niveau du secteur « Instruments d'Ecriture » et non du sous secteur « instruments d'écriture quotidien » que l'on devait se placer pour apprécier le bien fondé du motif économique dans la mesure où ce secteur d'activité regroupe de nombreuses sociétés dispersées dans le monde, sociétés qui produisent des instruments d'écriture de différentes marques ; que l'ensemble des entreprises du groupe positionnées tant sur le segment quotidien que sur le segment haut de gamme ont une activité économique poursuivant le même objet ; que la différence tenant aux caractéristiques des produits est sans incidence sur l'appartenance à un même secteur d'activité ;

Attendu à titre d'exemple de la réalité de l'existence d'un secteur d'activité «Instruments d'Ecriture » au niveau du groupe qu'il n'a pas été contesté par l'employeur qu'un certain nombre de produits fabriqués par la société Reynolds ont été transférés à Papermate ce qui a eu des incidences d'une part sur le chiffre d'affaires de la société Reynolds (-2,2 millions d'euros) qui serait resté stable sinon et d'autre part sur le taux d'exploitation des capacités de production du site ; qu'également ce n'était pas la société Reynolds qui commercialisait les produits fabriqués par elle mais la société Sanford Ecriture, laquelle définissait donc la politique commerciale et tarifaire ;

Attendu qu'il n'a pas été produit devant la cour plus d'éléments précis et certifiés permettant d'apprécier l'existence de difficultés économiques ou de risques pour la compétitivité au niveau du secteur d'activité «Instruments d'Ecriture » ; que la société Reynolds n'apporte pas d'éléments sur la situation de l'ensemble des entreprises du groupe « Newell Rubbermaid » appartenant à ce secteur d'activité ; qu'elle ne produit aucun compte consolidé, seul élément permettant de vérifier la réalité des difficultés économiques et de la menace qui serait susceptible de peser sur la compétitivité du secteur d'activité tout entier et non sur une seule partie de ce secteur d'activité la société Reynolds ne générant que 17% du chiffre d'affaires du secteur «Instruments d'Ecriture » ;

Attendu qu'en l'absence de ces éléments la société Reynolds ne fait pas la démonstration de l'existence des risques concurrentiels qu'elle invoque pour justifier que la compétitivité du secteur d'activité serait exposée à un niveau tel que cela nécessite la fermeture de l'entreprise ; qu'il n'est pas contestable qu'en mettant en oeuvre la politique tarifaire au niveau de Sanford Ecriture et non de la société Reynolds d'une part et en transférant une partie de la production du site de [Localité 4] à une autre société du secteur «instruments d'Ecriture» d'autre part, sans apporter à la cour d'information vérifiable sur les conditions, de détermination de sa politique tarifaire au niveau du secteur d'activité et en limitant cette information au seul site de [Localité 4], l'employeur ne met pas la cour en mesure de vérifier son incapacité à vendre à un prix concurrentiel ; que l'appréciation à partir de la seule société Reynolds est nécessairement faussée et en conséquence la société Reynolds ne met pas la cour en possibilité d'apprécier la gravité du risque pour sa compétitivité qu'elle invoque ;

Attendu que s'il n'appartient pas au juge de s'immiscer dans les choix de gestion des entreprises, il appartient à l'entreprise de rapporter la preuve qu'au niveau du secteur d'activité, il existe des difficultés économiques actuelles, un risque pour sa compétitivité liée aux évolutions sectorielles ou à une mutation technologique à venir d'une ampleur telles que la réorganisation par suppression de l'entreprise et délocalisation des emplois soit nécessaire pour remédier aux difficultés économiques ou pour assurer la sauvegarde de la compétitivité ; qu'en l'espèce cette preuve n'est pas rapportée au niveau du secteur d'activité seul niveau pertinent ;

Attendu qu'en conséquence le motif économique n'est pas caractérisé et il s'en déduit que [I] [N] est en droit d'obtenir le versement d'une indemnité destinée à réparer l'intégralité de son préjudice consécutif à l'absence de cause réelle et sérieuse de la rupture de son contrat de travail ;

Qu'à la date de cette dernière, il percevait un salaire mensuel moyen de 3.355 euros, salaire mensuel de référence pris en compte pour le calcul de la rente de préretaite ; qu'il comptait 29 ans et demi d'ancienneté ; que le revenu garanti pendant la période de préretraite est égal à 70% de la rémunération antérieure, soit pour l'intéressé une somme mensuelle brute de 2.348,74 euros ;

Qu'en considération de la perte de revenu et de l'incidence sur la retraite, l'indemnité sera fixée à 21.000 euros ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelant ses frais irrépétibles d'instance et d'appel ;

PAR CES MOTIFS

la Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi :

Infirme le jugement déféré ;

Déclare [I] [N] recevable et bien fondé en ses demandes ;

Juge que la rupture d'un commun accord de son contrat de travail ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SAS REYNOLDS à lui verser 21.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif à cette rupture ;

Déboute [I] [N] du surplus de ses demandes et la SAS REYNOLDS de ses prétentions

Condamne la SAS REYNOLDS à verser en outre à l'appelant une indemnité de 500 euros par application des dispositions prévues à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'instance et d'appel.

Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.

Signé par Monsieur DELPEUCH, Président, et par Madame VERDAN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 09/00536
Date de la décision : 27/09/2010

Références :

Cour d'appel de Grenoble 04, arrêt n°09/00536 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-09-27;09.00536 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award