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27/09/2010 | FRANCE | N°09/00535

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chambre sociale, 27 septembre 2010, 09/00535


RG N° 09/00535



N° Minute :



















































































































Notifié le :

Grosse délivrée le :







AU NOM DU PEUPLE F

RANCAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE SOCIALE



ARRET DU LUNDI 27 SEPTEMBRE 2010





Appel d'une décision (N° RG 07/00660)

rendue par le Conseil de Prud'hommes de VALENCE

en date du 18 décembre 2008

suivant déclaration d'appel du 13 Janvier 2009



APPELANTE :



La S.A.S. REYNOLDS prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par M...

RG N° 09/00535

N° Minute :

Notifié le :

Grosse délivrée le :

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU LUNDI 27 SEPTEMBRE 2010

Appel d'une décision (N° RG 07/00660)

rendue par le Conseil de Prud'hommes de VALENCE

en date du 18 décembre 2008

suivant déclaration d'appel du 13 Janvier 2009

APPELANTE :

La S.A.S. REYNOLDS prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Monsieur [D] [K] (D.R.H.) et assistée par Me Jean-Michel BOBILLO (avocat au barreau de PARIS)

INTIMES :

Monsieur [N] [B]

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représenté par Me Georges MEYER (avocat au barreau de LYON)

Le SYNDICAT CHIMIE ENERGIE DAUPHINE VIVARAIS CFDT prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 9]

Représenté par Me Georges MEYER (avocat au barreau de LYON)

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Monsieur Daniel DELPEUCH, Président de Chambre,

Monsieur Eric SEGUY, Conseiller,

Madame Dominique JACOB, Conseiller,

Assistés lors des débats de Madame Simone VERDAN, Greffier.

DEBATS :

A l'audience publique du 21 Juin 2010,

Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoirie(s).

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 27 Septembre 2010.

L'arrêt a été rendu le 27 Septembre 2010.

RG 09/535 DJ

EXPOSE DU LITIGE

La société par actions simplifiée REYNOLDS, filiale depuis 1999 du groupe international NEWELL RUBBERMAID, exploitait sur le site de [Localité 9]-[Localité 4] un établissement de fabrication de stylos des marques Reynolds (90%) et Papermate ainsi qu'une plate-forme logistique. Fin juin 2006, l'effectif de ce site était de 312 salariés.

Au sein du groupe NEWELL RUBBERMAID, la société REYNOLDS était rattachée au secteur 'instruments d'écriture', lui-même organisé en trois activités et entités juridiques distinctes : la société WATERMAN à [Localité 8]-[Localité 6], la société REYNOLDS à [Localité 9] et la société SANFORD ÉCRITURE à [Localité 5], troisième site sur lequel sont réunis l'activité commerciale France et les fonctions support des trois sociétés ainsi que le siège européen du groupe.

Ces trois sociétés formaient une unité économique et sociale dotée d'un comité central et des trois comités d'établissement.

L'employeur a engagé le 18 juillet 2006 (convocation des organes de représentation du personnel au comité central d'entreprise du 27 juillet 2006) et conduit un processus d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel dans le cadre d'un projet de fermeture du site de [Localité 9]-[Localité 4] et d'une procédure de licenciements collectifs pour motif économique, processus qui s'est poursuivi jusqu'aux 4 et 7 décembre 2006 (avis négatif des représentants du personnel sur les livres IV et III).

Un accord sur les critères d'ordre des licenciements et des volontaires au départ a été signé le 5 janvier 2007.

Par ailleurs, un accord collectif sur la mise en place d'un dispositif de cessation anticipée d'activité (dispositif de préretraite) a été signé le 20 décembre 2006 et un accord collectif tripartite sur le volontariat au départ a été signé le 11 juillet 2007.

Le site de [Localité 9]-[Localité 4] a été fermé en 2007. La fabrication a été externalisée, celle des stylos (plume et bille) au profit d'une société tunisienne, celle des marqueurs à une société chinoise, celles des encres à une usine du groupe NEWELL RUBBERMAID située aux USA. L'activité emballage et conditionnement gros volumes a été externalisée au profit des mêmes partenaires tunisiens et chinois et celle du packaging des petits volumes en Italie.

La mise en oeuvre du projet a entraîné la suppression de 256 postes, nombre réduit à 251 après la phase de consultation des représentants du personnel.

Par lettres datées d'avril 2007 à juillet 2007, signées par la directrice des ressources humaines de la SAS Reynolds, 242 salariés ont été licenciés pour un motif économique tiré de la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'activité instruments d'écriture d'usage quotidien et de la marque Reynolds.

Sur les 251 salariés concernés par la fermeture du site, 129 ont saisi le conseil de prud'hommes de Valence les 6 novembre 2007, 21 et 24 décembre 2007 et en avril 2008.

[N] [B], le 6 novembre 2007, a demandé la condamnation de la société REYNOLDS à lui payer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'un rappel de salaire relatif au congé de reclassement et des frais irrépétibles.

Par jugement du 18 décembre 2008 le conseil de prud'hommes a :

- dit que l'accord tripartite sur les conditions de mise en oeuvre du congé de reclassement de 9 mois signé le 11 juillet 2007 s'appliquait (allocation de 85% de la rémunération brute moyenne des 12 mois précédents la notification du licenciement),

- a condamné l'employeur à payer à [N] [B] 869,52 euros de rappel de salaire plus congés payés afférents,

- et a renvoyé l'affaire devant le juge départiteur pour le surplus des demandes.

La société REYNOLDS à qui le jugement a été notifié le 5 janvier 2009 a relevé appel le 13 janvier 2009.

Par jugement de départage du 23 avril 2009, concernant non seulement [N] [B] mais l'ensemble des autres salariés, la formation prud'homale a :

- constaté que le licenciement des salariés ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse,

- condamné en conséquence la SAS REYNOLDS à leur payer des dommages et intérêts qu'elle a évalués pour [N] [B] à la somme 32.190 euros outre 300 euros d'indemnité pour frais irrépétibles,

- ordonné le remboursement à l'Assedic dans la limite de 6 mois d'indemnités,

- déclaré recevable l'intervention volontaire du Syndicat Chimie Energie Dauphiné Vivarais CFDT et condamné la société REYNOLDS à lui payer 3.000 euros à titre de dommages-intérêts et 150 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Les premiers juges ont principalement considéré que le motif économique devait être apprécié dans le périmètre du secteur d'activité 'Sanford brands', sans qu'il y ait lieu de distinguer entre les secteurs des instruments d'écriture 'haut de gamme' et 'quotidien', estimant que l'activité économique de ces secteurs était identique, que la différence tenant à la caractéristique des produits était indifférente et que l'employeur, en se limitant à la situation de REYNOLDS, n'avait pas mis le conseil en mesure d'apprécier la situation économique de Sanford Brands au moment des licenciements.

La société REYNOLDS demande à la cour d'infirmer les deux jugements, de débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes tant aux fins de nullité du licenciement que de remise en cause de l'existence d'une cause réelle et sérieuse, de le condamner au paiement d'une indemnité de 50 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour s'opposer au moyen de nullité du licenciement, elle soutient que :

- les dispositions de l'article L. 227-6 du code de commerce ne concernent que les répartitions statuaires des pouvoirs entre le président et les autres mandataires sociaux mais pas la délégation de pouvoir en matière de licenciement, qui peut être verbale, du président de la société au directeur des ressources humaines,

- les salariés ne peuvent être assimilés à des tiers au sens de ce même article ;

- l'article R.123-54 du code de commerce ne concerne pas spécifiquement les SAS et, pourtant, la jurisprudence n'avait jamais exigé un tel formalisme en matière de délégation de pouvoir dans les autres types de sociétés, une telle exigence étant, en tout état de cause, contraire à la volonté du législateur qui était de permettre à ces entreprises exploitées sous forme de SAS, souvent de taille réduite, de fonctionner sous un formalisme également réduit.

Elle fait valoir que le directeur des ressources humaines remplissait au cas présent toutes les conditions pour bénéficier d'une délégation de pouvoirs et qu'au demeurant la sanction n'était pas la nullité ou l'absence de cause réelle et sérieuse, faute de disposition légale expresse en ce sens et qu'en l'absence d'atteinte à une liberté fondamentale, l'irrégularité pouvait être réparée a posteriori.

Elle prétend aussi que l'éventuelle irrégularité entraînait tout au plus le paiement d'une indemnité d'un mois de salaire, non cumulable dans le cas où le salarié avait deux ans d'ancienneté.

Elle soutient plus subsidiairement qu'une régularisation de cette éventuelle irrégularité avait été ratifiée a posteriori par les salariés par le bénéfice des dispositifs de reclassement et des indemnités de rupture.

S'agissant du motif économique et de la nécessité de la sauvegarder la compétitivité de son entreprise, l'employeur explique que le groupe NEWELL RUBBERMAN comprenait quatre divisions (produits d'entretien et rangement, matériels et outillages, maison & famille, fournitures de bureaux), que la société REYNOLDS était rattachée à cette dernière division fournitures de bureaux dénommée 'Sanford Brands', elle-même subdivisée en deux secteurs:

- les articles de bureau (solutions de rangements et solutions d'étiquetage),

- les instruments d'écriture, eux-mêmes répartis en deux segments :

' le haut de gamme comprenant les marques Parker, Watermann, Rotring, Sensa,

' l'usage quotidien comprenant les marques Reynolds, Papermate, Sharpie et Berol.

L'employeur expose que le projet litigieux n'avait concerné que le secteur d'activité 'instruments d'écriture' et non le secteur 'fournitures de bureau', comme l'avait jugé à tort le conseil de prud'hommes.

Il conteste avoir caché au personnel une prétendue décision de fermeture du site qui aurait remonté à plusieurs années, s'explique sur le calendrier de consultation des institutions représentatives, fait valoir qu'aucun délit d'entrave n'avait été retenu à son encontre et conteste un manquement au principe de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au sens notamment de l'article L.2323-56 du code du travail.

La société REYNOLDS considère que la sauvegarde de la compétitivité ne devait être appréciée, à l'intérieur de l'activité 'instruments d'écriture', qu'au niveau de l'activité du segment 'usage quotidien' sur le marché français où la marque réalisait 75% de son chiffre d'affaires et prétend que le choix fait par l'employeur de la délimitation de ce périmètre échappait au contrôle du juge.

Elle explique que l'activité de ce segment 'instruments d'écriture usage quotidien' était confrontée à une concurrence exacerbée, notamment en raison du développement des marques distributeur exploitées par les grandes et moyennes surfaces où la société REYNOLDS réalisait traditionnellement 80% de ses ventes et en raison de la concurrence de la marque BIC.

Elle fait état d'un recul au niveau international et en France où le marché n'avait pas connu d'évolution favorable depuis 2005/2006.

Elle expose qu'elle était aussi confrontée à l'incidence de la hausse de la matière première pour la production des stylos REYNOLDS 50 en résine et aux répercussions de la même hausse du pétrole sur le coût du transport, d'où des difficultés en 2006 et un problème de compétitivité-prix par rapport à la concurrence (REYNOLDS est 40% plus cher que BIC qui a 13% du marché contre 12% pour NEWELL RUBBERMAID).

Elle souligne que la situation de l'activité fournitures de bureau s'était encore dégradée entre 2006 et 2007, ce qui démontrait a posteriori la nécessité d'entreprendre des mesures de sauvegarde dès 2006.

Elle ajoute que la rentabilité de la marque REYNOLDS était de 10 points inférieure à celle des autres marques du secteur instruments d'écritures, ce qu'avait reconnu l'expert du CCE, le cabinet Syndex.

L'appelante conteste par ailleurs :

- que le transfert du chiffre d'affaires (surligneurs et marqueurs) de la marque REYNOLDS à la marque PAPERMATE, destinée à clarifier les marques, ait porté préjudice au site de [Localité 9],

- que l'insuffisance d'investissement dans la marque REYNOLDS ait résulté d'un choix volontaire et explique que l'arrêt de la première réorganisation de la marque était justifié par l'ampleur des difficultés rencontrées en 2006.

Elle conteste le caractère réaliste des propositions de l'expert du comité central d'entreprise et des propositions des représentants du personnel et explique que son projet était désormais en voie de réalisation.

Elle conteste ensuite le préjudice du salarié, invoque son propre comportement, qu'elle qualifie d'exemplaire, en matière de recherche de reclassements avant les licenciements (240 solutions de reclassement ont été identifiées par le cabinet Altédia selon l'employeur) et rappelle le versement d'indemnités.

Sur la demande de rappel de salaire formée au titre du congé de reclassement, elle soutient qu'une erreur de frappe (85% au lieu de 82%) s'est glissée dans la rédaction de l'accord tripartite signé par [N] [B], erreur qui a été rectifiée par courrier du 2 novembre 2007, de sorte qu'il n'est dû aucun rappel de salaire.

[N] [B], intimé, forme appel incident, soulève la nullité du licenciement, sollicite la confirmation des jugements à l'exception de la condamnation afférente au montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il réclame de ce chef la somme de 45.000 euros en invoquant une aggravation de sa situation, outre 300 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il expose que ce n'est qu'après l'exercice du droit d'alerte le 7 juin 2006 par le comité d'établissement et après une grève de trois jours déclenchée fin juin 2006 que la société a dévoilé son projet jusqu'alors démenti.

Il invoque la nullité des licenciements en soutenant que :

- l'article L.227-6 du code de commerce définissait strictement les organes habilités à représenter la société par actions simplifiée à l'égard des tiers, tiers auxquels les salariés estiment qu'il y a lieu de les assimiler,

- qu'en l'espèce, les statuts de la société REYNOLDS n'évoquaient aucune délégation du président de la SAS à la directrice des ressources humaines,

- que la société ne justifiait d'aucune délégation de pouvoirs consentie à la DRH à une date contemporaine des licenciements.

Il demande à la cour de statuer également sur la question du motif économique. Il considère que le licenciement dont il a fait l'objet était dépourvu de cause réelle et sérieuse et demande à la cour de statuer sur cette question quand bien même elle prononcerait la nullité du licenciement.

Il rappelle que l'inspecteur du travail, le directeur départemental puis le ministre du travail avaient refusé d'autoriser le licenciement des salariés protégés.

Il plaide que le motif économique doit être apprécié à l'intérieur du même secteur d'activité du groupe, qu'en l'espèce le périmètre pertinent était celui de l'activité instruments d'écriture tant en France qu'à l'étranger, activité dont il soutient qu'elle était demeurée prospère.

Il expose la situation du groupe (4,9 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2006 soit +8,5% par rapport à l'exercice précédent, 521 millions d'euros de résultat positif en 2006 soit +15%).

Il reproche à l'employeur de s'être cantonné à la situation de la marque Reynolds et du site de [Localité 9], ce qu'il considère comme dépourvu de pertinence, lui reproche aussi d'avoir introduit dans les débats une notion trop réductrice de sous-secteur ou de 'segment usage quotidien' et d'avoir en fait délocalisé la production de 154+191 références dans des pays à bas coût de main d'oeuvre.

Il dénonce l'absence de fourniture de données comptables globales et de résultats chiffrés, tant dans la note économique que dans lettre de licenciement, précisément sur ce secteur 'instruments d'écritures', sauf une baisse de chiffre d'affaires de -0,5 à - 0,8% entre 2004 et 2005, considérée par les salariés comme très peu significative.

Il estime subsidiairement que, même dans le périmètre choisi par la société REYNOLDS, le motif n'était pas avéré, que la situation résultait d'un choix de gestion et de conditions de fermeture du site 'volontairement construites' dans le cadre de la réorganisation du groupe NEWELL RUBBERMAID décidée en 2003 (fermeture d'un tiers des 80 usines).

Il invoque les avis de l'inspecteur du travail et de l'expert du comité d'entreprise, le transfert du chiffre d'affaires vers la marque Papermate, le fait que la société de [Localité 9] ne réalisait pas elle-même la commercialisation de ses produits, transférée à Sanford écriture son unique client qui lui imposait les prix, le déficit d'investissement sur la marque Reynolds et le fait que la réorganisation engagée début 2006 n'avait pas été menée à son terme ce qui trahissait les hésitations de l'employeur.

Il soutient que les perspectives dramatiques de la marque et de la société étaient à relativiser. Il fait état d'un échec du projet et de nouveaux licenciements en 2008.

Il reproche également à l'employeur un manque de volonté d'anticipation et un manque de bonne foi, au sens de l'article L.1222-1 Code du travail, en faisant état d'un 'projet masqué' depuis 2004 ou 2005 alors que le déménagement de la production avait, selon les salariés, été nécessairement préparé depuis plusieurs mois puisque l'activité avait redémarré en Chine et Tunisie en janvier 2007.

Il sollicite une indemnisation qu'il chiffre à 14 mois de salaire pour tenir compte du fait qu'il est resté sept mois sans emploi et qu'il a retrouvé un travail moins bien rémunéré.

Sur la demande de rappel de salaire, il invoque les termes du formulaire d'adhésion, fait valoir que le moyen tiré d'une erreur de plume n'est pas sérieux et que c'est la convention signée qui l'emporte.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues oralement et sans modification à l'audience ;

Sur la nullité invoquée des licenciements :

Attendu que l'article L.227-6 du code de commerce prévoit que :

'La société est représentée à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts. Le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l'objet social.

Dans les rapports avec les tiers, la société est engagée même par les actes du président qui ne relèvent pas de l'objet social, à moins qu'elle ne prouve que le tiers savait que l'acte dépassait cet objet ou qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve.

Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article.

Les dispositions statutaires limitant les pouvoirs du président sont inopposables aux tiers';

Attendu que dans les sociétés par action simplifiées, les pouvoirs sont concentrés entre les mains du président et que les simplifications formelles introduites en droit positif par la création législative de ce nouveau type de société ont pour corollaire une définition plus limitative des délégataires du pouvoir du président, par rapport aux autres sociétés commerciales ;

Attendu que les statuts de la société par actions simplifiée REYNOLDS disposent notamment qu'elle est administrée et dirigée par un président investi des pouvoirs les plus étendus pour la représenter vis-à-vis des tiers, que ce président peut consentir à tous mandataires de son choix toutes délégations de pouvoirs dans la limite de ceux qui lui sont conférés par la loi et que ce président peut, s'il le souhaite, donner mandat à une personne physique ou une personne morale, associés ou non, de l'assister à titre de directeur général ;

Attendu que même s'il fait partie de l'entreprise en qualité de subordonné de la personne morale, le salarié est juridiquement un tiers par rapport au contrat entre les associés et leurs organes de direction ;

Que par ailleurs, en vertu de l'article L.1232-6 du code du travail, pour être valable son licenciement doit procéder de la notification d'une lettre de licenciement émanant de l'employeur ou de son représentant ;

Attendu que, contrairement à ce que soutient la SAS REYNOLDS, il résulte des dispositions de l'article L.227-6 du code de commerce que la délégation par le président de ses pouvoirs est soumise à des règles plus strictes dans les sociétés par action simplifiées et intervient au profit d'un directeur général ou d'un directeur général délégué, dont le nom doit figurer au registre du commerce et des sociétés en application des dispositions de l'article R.123-4 du code de commerce, précisément pour permettre l'information des tiers ;

Attendu qu'en l'espèce la lettre de licenciement a été signée par [U] [W], directrice des ressources humaines de la société ;

Attendu la société REYNOLDS ne justifie pas d'une délégation de pouvoir conférée à [U] [W] par son président, préalablement aux licenciements litigieux ;

Attendu que dès lors que l'appelante ne démontre pas que [U] [W] avait juridiquement, au sens des dispositions régissant les SAS, le pouvoir de procéder au licenciement litigieux et que cette circonstance n'est pas une simple irrégularité formelle mais constitue une nullité de fond dès lors que le salarié ne peut être licencié que par son employeur ou le représentant légal de ce dernier, il y a lieu de constater que le licenciement litigieux est nul ;

Attendu que le salarié licencié ne peut renoncer à se prévaloir de ce moyen de nullité et qu'il n'apparaît d'ailleurs pas qu'il ait entendu y renoncer ou ait ratifié son licenciement en ayant bénéficié des dispositifs de reclassement ou perçu des indemnités de rupture ;

Attendu que le salarié ne sollicite pas sa réintégration ;

Qu'il est en droit d'obtenir le versement d'une indemnité, destinée à réparer l'intégralité de son préjudice consécutif au caractère illicite du licenciement, dont le montant est au moins égal à celui prévu à l'article L.1235-3 du code du travail ;

Sur le motif économique :

Attendu qu'il résulte de l'article L 1233-3 du Code du travail que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ;

Attendu que par courrier en date du 2 juillet 2007, La société Reynolds a notifié à chacun des salariés son licenciement pour le(s) motif(s) économique(s) suivant :

«Cette situation a entraîné une dégradation de la situation économique de Reynolds SAS qui, depuis 2003, connaît une diminution significative et constante de son chiffre d'affaires et des principaux indicateurs de son activité économique :

- En 2005, le chiffre d'affaires de Reynolds SAS était de 48 409,4 K€, contre 51 125,3 K€ en 2004, soit une baisse de plus de 5 %. Comparé à 2003, le chiffre d'affaires de Reynolds SAS a chuté de 11 % en deux ans. Il a continué à baisser sur 2006, les chiffres prévisionnels faisant état d'un chiffre d'affaires de 47 056 K€.

La marge brute de Reynolds SAS s'est également détériorée puisqu'on 2005 elle était de 22 391,9 K€ contre 24 246,3 K€ en 2004.

- L'Excèdent Brut d'Exploitation (EBE) déjà négatif en 2004 à 58, 5 K€ a continué à se dégrader en 2005 pour atteindre - 202 K€.

Enfin, pour la seconde année consécutive, Reynolds SAS a dégagé en 2005 une perte d'un montant de 146,5 K€, les pertes ayant fortement augmenté sur 2006.

Cette situation a également entraîné une dégradation de la situation économique de la marque Reynolds :

- la baisse récurrente du chiffre d'affaires brut de la marque Reynolds en France, qui est passé de 53 305 K€ en 2003 à 46 606 K€ en 2005 et à 40 315 K€ en 2006, est aggravée par l'augmentation des remises arrières et des activités promotionnelles qui sont passées de 20,1% des ventes en 2003 à 22,4 % des ventes en 2005.

- les ventes nettes de la marque sont passées de 42 292 K€ à 35 987 K€ entre 2003 et 2005, soit une baisse de 14,9 %.

'

En l'absence de plan de redressement, la situation de Reynolds, qui est d'ores et déjà extrêmement difficile, s'aggraverait donc au point de porter atteinte à la pérennité de la marque elle-même, de Reynolds SAS, et plus globalement de l'activité «Instruments d'Ecriture».

Malgré les réorganisations industrielles mises en 'uvre au sein du groupe, les actions commerciales engagées pour redresser la marque (priorité donnée aux produits à plus forte marge, nouveaux produits, opérations événementielles, etc.) et les efforts d'optimisation industrielle (Lean Manufacturing, lancement de la Distribox), la situation est aujourd'hui critique et impose de sauvegarder la compétitivité de l'activité «Instruments d'Ecriture». »

Attendu que la société Reynolds invoque donc à la fois des difficultés économiques actuelles à son niveau et la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'activité du secteur «Instruments d'Ecriture » ;

Attendu que pour apprécier le bien fondé de la réorganisation de la société Reynolds, il convient tout d'abord, ainsi que l'on fait les premiers juges, de vérifier si le choix du périmètre économique, à savoir les limites du secteur d'activité retenues par l'employeur, est pertinent s'agissant d'une société qui appartient à un groupe qui est implanté dans le monde entier ;

Attendu que le groupe qui comprend 4 divisions relatives à des activités différentes s'est situé uniquement, pour apprécier la situation de la société Reynolds, dans le sous secteur «instruments d'écriture quotidien» qui n'est lui-même qu'un sous secteur de la branche «Instruments d'Ecriture» qui appartient elle-même à la division fournitures de bureaux et instruments d'écriture ;

Attendu que c'est donc par des motifs pertinents que les premiers juges ont retenu que c'est au niveau du secteur « Instruments d'Ecriture» et non du sous secteur «instruments d'écriture quotidien» que l'on devait se placer pour apprécier le bien fondé du motif économique dans la mesure où ce secteur d'activité regroupe de nombreuses sociétés dispersées dans le monde, sociétés qui produisent des instruments d'écriture de différentes marques ; que l'ensemble des entreprises du groupe positionnées tant sur le segment quotidien que sur le segment haut de gamme ont une activité économique poursuivant le même objet ; que la différence tenant aux caractéristiques des produits est sans incidence sur l'appartenance à un même secteur d'activité ainsi que l'ont retenu les premiers juges ;

Attendu, à titre d'exemple de la réalité de l'existence d'un secteur d'activité «Instruments d'Ecriture » au niveau du groupe, qu'il n'a pas été contesté par l'employeur qu'un certain nombre de produits fabriqués par la société Reynolds ont été transférés à Papermate, ce qui a eu des incidences d'une part sur le chiffre d'affaires de la société Reynolds (-2,2 millions d'euros) qui serait resté stable sinon et d'autre part sur le taux d'exploitation des capacités de production du site ; qu'également ce n'était pas la société Reynolds qui commercialisait les produits fabriqués par elle mais la société Sanford Ecriture, laquelle définissait donc la politique commerciale et tarifaire ;

Attendu qu'il n'a pas été produit devant la cour plus d'éléments précis et certifiés permettant d'apprécier l'existence de difficultés économiques ou de risques pour la compétitivité au niveau du secteur d'activité «Instruments d'Ecriture» ; que la société Reynolds n'apporte pas d'éléments sur la situation de l'ensemble des entreprises du groupe « Newell Rubbermaid » appartenant à ce secteur d'activité ; qu'elle ne produit aucun compte consolidé seul élément permettant de vérifier la réalité des difficultés économiques et de la menace qui serait susceptible de peser sur la compétitivité du secteur d'activité tout entier et non sur une seule partie de ce secteur d'activité, la société Reynolds ne générant que 17% du chiffre d'affaires du secteur «Instruments d'Ecriture» ;

Attendu qu'en l'absence de ces éléments la société Reynolds ne fait pas la démonstration de l'existence des risques concurrentiels qu'elle invoque pour justifier que la compétitivité du secteur d'activité serait exposée à un niveau tel que cela nécessite la fermeture de l'entreprise ; qu'il n'est pas contestable qu'en mettant en oeuvre la politique tarifaire au niveau de Sanford Ecriture et non de la société Reynolds d'une part et en transférant une partie de la production du site de [Localité 9] à une autre société du secteur «instruments d'Ecriture» d'autre part, sans apporter à la cour d'information vérifiable sur les conditions de détermination de sa politique tarifaire au niveau du secteur d'activité et en limitant cette information au seul site de [Localité 9], l'employeur ne met pas la cour en mesure de vérifier son incapacité à vendre à un prix concurrentiel ; que l'appréciation à partir de la seule société Reynolds est nécessairement faussée et en conséquence la société Reynolds ne met pas la cour en mesure d'apprécier la gravité du risque pour sa compétitivité qu'elle invoque ;

Attendu que s'il n'appartient pas au juge de s'immiscer dans les choix de gestion des entreprises, il incombe à l'entreprise de rapporter la preuve qu'au niveau du secteur d'activité, il existe des difficultés économiques actuelles, un risque pour sa compétitivité lié aux évolutions sectorielles ou à une mutation technologique à venir d'une ampleur telles que la réorganisation par suppression de l'entreprise et délocalisation des emplois soit nécessaire pour remédier aux difficultés économiques ou pour assurer la sauvegarde de la compétitivité ; qu'en l'espèce cette preuve n'est pas rapportée au niveau du secteur d'activité, seul niveau pertinent;

Attendu qu'en conséquence le motif économique n'est pas caractérisé et il s'en déduit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, le jugement devant être confirmé de ce chef ;

Sur les préjudices :

Attendu que [N] [B] est en droit d'obtenir le versement d'une indemnité destinée à réparer l'intégralité de son préjudice consécutif à l'absence de cause réelle et sérieuse de la rupture de leur contrat de travail ;

Attendu qu'il a été embauché le 22 mars 1983 ; qu'il occupait en dernier lieu un poste d'employé et technicien et exerçait les fonctions d'assistant contrôleur de gestion ; que son salaire mensuel moyen était de 3.216 euros ;

qu'à la date de son licenciement il comptait une ancienneté de 24 ans et était âgé de 51 ans ; qu'il a retrouvé un travail en contrat à durée indéterminée le 21 janvier 2008 ;

qu'il n'y a pas lieu de modifier l'indemnisation allouée par le Conseil de Prud'hommes qui avait exactement déterminé son préjudice ;

Sur la demande de rappel de salaire au titre de la période de reclassement :

Attendu que [N] [B] a adhéré au congé de reclassement prévu par le PSE et a signé, le 11 juillet 2007, l'accord tripartite sur les conditions de mise en oeuvre de ce congé;

qu'au paragraphe I article 3, l'accord passé entre la société REYNOLDS, [N] [B] et le cabinet ALTEDIA Sud-Est, prévoit le versement, pendant la période excédant la durée du préavis, d'une rémunération mensuelle brute fixée à 85 % de la rémunération brute moyenne des douze derniers mois précédant la notification du licenciement ;

Attendu que par lettre recommandée avec avis de réception du 2 novembre 2007, la société REYNOLDS, faisant suite à un entretien du 16 octobre, a confirmé à [N] [B] qu'une 'erreur de rédaction' s'était glissée dans le document 'accord tripartite' et qu'il fallait lire 82 % et non 85 % de la rémunération, conformément au PSE, paragraphe V.I.3 et au courrier recommandé qui lui avait été adressé le 20 février 2007 sur la base duquel il a décidé d'adhérer au congé de reclassement;

Attendu que, s'il n'est pas contestable que le PSE mentionne que 'l'allocation de reclassement sera d'un montant égal à 82 % de la rémunération brute moyenne perçue au cours des 12 mois précédant la notification du licenciement, sans pouvoir être inférieure à 85 % du SMIC', il n'en demeure pas moins que les termes de l'accord signé par [N] [B] le 11 juillet 2007 doivent recevoir application, étant observé que, comme l'a relevé le Conseil de Prud'hommes, ce n'est que près de quatre mois plus tard que l'employeur a invoqué une erreur de rédaction ;

que le jugement du 18 décembre 2008 doit donc être confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande en paiement de 869,52 euros de rappel de salaire et des congés payés afférents;

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

Attendu que l'équité commande d'allouer au salarié la somme de 300 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement du 18 décembre 2008 en toutes ses dispositions,

Constate que le licenciement de [N] [B] est nul et que le salarié ne sollicite pas sa réintégration,

Confirme, en tout état de cause, le jugement du 23 avril 2009 en toutes ses dispositions,

y ajoutant, condamne la société REYNOLDS à verser à [N] [B] une indemnité de 300 euros pour les frais irrépétibles engagés en cause d'appel,

Condamne la société REYNOLDS aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur DELPEUCH, président, et par Madame VERDAN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 09/00535
Date de la décision : 27/09/2010

Références :

Cour d'appel de Grenoble 04, arrêt n°09/00535 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-09-27;09.00535 ?
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