RG N° 08/05149
N° Minute :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU MERCREDI 20 JANVIER 2010
Appel d'une décision (N° RG 08/00096)
rendue par le Conseil de Prud'hommes de GRENOBLE
en date du 08 décembre 2008
suivant déclaration d'appel du 10 Décembre 2008
APPELANTE :
La FONDATION SANTE DES ETUDIANTS DE FRANCE poursuites et diligences de son Directeur en exercice, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Philippe GAUTIER (avocat au barreau de LYON)
INTIMEE :
Madame [F] [Z]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Comparante et assistée par Mme Pascale LE MAROIS (Délégué syndical ouvrier)
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DELIBERE :
Monsieur Bernard VIGNY, Conseiller, faisant fonction de Président,
Monsieur Eric SEGUY, Conseiller,
Madame Astrid RAULY, Conseiller,
DEBATS :
A l'audience publique du 03 Décembre 2009,
Monsieur Bernard VIGNY, Conseiller, chargé du rapport, en présence de Monsieur Eric SEGUY, Conseiller, assistés de Madame Simone VERDAN, Greffier, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoirie(s), conformément aux dispositions de l'article 945-1 du Nouveau Code de Procédure Civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 20 Janvier 2010, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 20 Janvier 2010.
Notifié le :
Grosse délivrée le :
RG N° 08/5149 BV
Madame [Z] a été embauchée par la Fondation Santé des Etudiants de France en qualité d'agent hôtelier le 12 août 1992. Elle exerçait ses fonctions au Centre Médico Universitaire [5] Elle a été élue déléguée du personnel depuis le 20 octobre 2005 pour 4 ans.
Le 21 décembre 2006, la Fondation Santé des Etudiants de France a informé la salariée de ce que, du fait du regroupement du [5] et de la Clinique Médico-Universitaire [6], la gestion du service auquel elle appartenait était confiée à la Société SODHEXO et qu'elle était transférée à cette dernière.
Le 5 mars 2007, Madame [Z] a refusé ce transfert.
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Le 26 mars 2007, La Fondation Santé des Etudiants de France a notifié à Madame [Z] son licenciement pour motif économique.
Par jugement du 8 décembre 2008, le Conseil de Prud'hommes de Grenoble a :
- dit que la Fondation Santé des Etudiants de France ne pouvait externaliser son service restauration
- dit le licenciement de Madame [Z] sans cause réelle et sérieuse
- condamné la Fondation Santé des Etudiants de France à payer à Madame [Z]:
- 23.839,00 € à titre de dommages-intérêts
- 6.913,77 € à titre de violation du statut protecteur
- 500,00 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
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La Fondation Santé des Etudiants de France a relevé appel et conclut au débouté des demandes de Madame [Z] .
Elle reconnaît lui devoir la somme de 6.913,77 € à titre de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur.
Elle expose que :
- sur le licenciement économique : le financement des établissements de santé est assuré par le Ministère de la Santé à travers une dotation annuelle budgétaire exclusive versée par l'Agence Régionale de l'Hospitalisation -A.R.H.-
- une autorité de tutelle peut toujours imposer une contrainte économique justifiant un licenciement économique. La Fondation s'est vu enjoindre, dans un but d'économie de gestion, de procéder à la fusion de la clinique [6] et du [5]
- la décision d'externalisation était une contrainte économique imposée par l'A.R.H.
qui a le pouvoir de fermer un établissement de santé ne respectant pas le budget.
- le licenciement de la salariée ne repose pas sur son refus de voir son contrat externalisé et c'est à tort que le Premier Juge a dit que le service restauration n'était pas une entité autonome
- sur le reclassement : la salariée s'est vu proposer un poste au sein de la Société SODHEXO, en tout point conforme à son emploi jusque-là occupé
- la salariée s'est vu proposer les emplois suivants : rédacteur à [7], chef de bureau à [10], commis de cuisine à [7], rédacteur aux Cadrans Solaires, employé accueil à [8]
- sur les critères d'ordre : tous les salariés ont été concernés (tant au [5] qu'à [6]).
Madame [Z] conclut à la confirmation du jugement, subsidiairement demande que la somme allouée le soit sur le fondement de la violation des critères d'ordre. Elle sollicite 1.000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle fait valoir que :
- la Cour de Cassation (Soc. 17/10/2006) a jugé que la réorganisation d'une entreprise liée aux prescriptions d'une autorité de tutelle ne constitue pas, en soi, une cause économique de licenciement.
En l'espèce, nulles difficultés économiques ne sont mentionnées dans la lettre de licenciement.
- l'article L 1224-1 du Code du Travail n'est pas applicable. La Fondation Santé des Etudiants de France est convenue avec la Société SODHEXO d'une application volontaire de ce texte. Le transfert nécessitait l'accord de la salariée.
- sur le reclassement : la Fondation Santé des Etudiants de France n'a pas respecté son obligation. Les postes proposés étaient très éloignés
- seuls les salariés du [5] ont été licenciés, pas ceux de la Clinique [6]
- la Fondation a méconnu les dispositions de l'article 15-02.1.6.2. de la Convention Collective du 31 octobre 1951 relatif aux conséquences du licenciement économique.
- sur son statut protecteur : la Fondation Santé des Etudiants de France n'a pas sollicité l'autorisation de l'Inspection du Travail et a tenté de réparer son erreur en lui adressant un courrier le 12 avril 2007 annulant la lettre de licenciement.
Elle a saisi le Conseil de Prud'hommes en référés qui a condamné la Fondation Santé des Etudiants de France à lui payer 16.926,03 € correspondant aux salaires dus entre la fin du préavis et la date prévue pour les nouvelles élections.
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MOTIFS DE L'ARRET :
1°) Sur le motif du licenciement :
L'article L 1233-3 du Code du Travail dispose :
'Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou a des mutations technologiques'.
En l'espèce, la lettre de licenciement adressée à Madame [Z] était ainsi motivée :
'Dans le cadre d'une mesure de licenciement collectif, nous sommes au regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour motif économique.
.../...
En ce qui concerne les motifs de ce licenciement, il s'agit :
La fusion entre la Clinique [6] et le [5] a été mise en oeuvre à la suite d'une injonction des Tutelles relative à la nécessité de rationaliser l'offre de soins et de réaliser des économies de gestion de l'ordre de 6 millions d'euros.
Les modalités opérationnelles de ce projet ont fait l'objet d'un Contrat d'Objectifs et de Moyens entre la Fondation SEF et les autorités de Tutelles.
Cette fusion s'accompagne d'incidences sociales dans la mesure où l'effectif cumulé des deux établissements laisse apparaître un sureffectif au regard des besoins, et cela plus spécifiquement dans le secteur logistique et dans le secteur administratif.
Dans le cadre de ce regroupement, il a été décidé de transférer la gestion du service Service Restauration auquel vous êtes affecté à la société SODEXHO et donc de transférer la totalité des personnels employés à cette activité.
Vous nous avez fait part de votre refus de reclassement au sein de la société SODEXHO par courrier en date du 7 mars 2007 et en l'absence d'autres possibilités de reclassement, cela conduit donc à la suppression de votre poste au sein de l'établissement.
Conformément aux dispositions de l'article L 321-4-3 du Code du Travail, nous vous proposons le bénéfice d'un congé de reclassement dont les conditions de mise en oeuvre vous sont communiquées ci-après. Nous vous rappelons que vous disposez d'un délai de 8 jours à compter de la date de notification de la présente pour nous faire part de votre décision (avec le coupon-réponse ci-joint). L'absence de réponse expresse de vote part sera assimilée à un refus de cette proposition.
Conformément à la fiche 8 du PSE, nous vous demandons de bien vouloir nous faire part de vos possibilités de mobilité géographique.'
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Le financement des établissements de santé, à but non lucratif est assuré par le Ministère de la Santé au travers d'une dotation annuelle budgétaire dont le montant est versé par l'Agence Régionale de l'Hospitalisation (A.R.H.). Cette Agence a pour mission de définir et de mettre en oeuvre la politique régionale d'offre de soins hospitaliers, d'analyser et de coordonner l'activité des établissements de santé, de contrôler leur fonctionnement et de déterminer leurs ressources.
Les articles R 6114-11 et R 6114-13 du Code de la Santé Publique autorisent cette Agence à fermer un établissement qui s'affranchirait des règles de fonctionnement imposées.
Si la Fondation ne produit pas l'injonction des autorités de tutelle relative à la nécessité de rationaliser l'offre de soins et de réaliser des économies de gestion de l'ordre de 6.000.000 €, elle produit le Contrat d'Objectifs et de Moyens qu'elle a signé le 31 mai 2006 avec l'Agence Régionale de l'Hospitalisation de Rhône-Alpes (A.R.H. - R.A.) dont les missions ont été précisées ci-dessus.
Or il ressort du Contrat d'Objectifs et de Moyens, destiné à fixer, pour une durée de cinq ans, 'le cadre stratégique dans lequel la Fondation Santé des Etudiants de France exploite les deux établissements, les évolutions à opérer dans l'organisation interne des structures et le budget d'exploitation et d'investissement', que la Fondation a projeté de regrouper les deux établissements, prenant en compte le fait que, dès 1998, le [5] a été informé par les autorités de Tutelles de la nécessité de rationaliser son offre de soins et de réaliser des économies de gestion, notamment au regard du ratio d'encadrement des patients qui est le double de celui des établissements situés aux alentours et de la baisse régulière, depuis plusieurs années, de l'activité face à des moyens en personnel en augmentation.
Un 'objectif cible' a été assigné à la Fondation Santé des Etudiants de France par l'A.R.H. R.A. lui imposant une contrainte économique qu'il lui était impossible de ne pas suivre, sous peine de risquer de se voir notifier la fermeture de l'établissement, faute de financement.
La situation de contrainte dans laquelle s'est trouvée la fondation constitue bien un motif économique, au sens de l'article L 1233-3 du code du Travail qui n'énumère pas de façon limitative les causes économiques de suppression d'emploi.
La réorganisation décidée par la Fondation Santé des Etudiants de France répondait à des exigences économiques destinées à réaliser des économies, imposées par les autorités de tutelle.
Si la fusion physique des deux établissements ne doit intervenir qu'en 2010, un nouvel établissement étant en construction à côté de la clinique [6] à [Localité 9], l'externalisation du service restauration est effective depuis le 26 mars 2007.
L'emploi de Madame [Z] a été supprimé en raison de la contrainte économique subie par la Fondation appelante.
2°) Sur l'obligation de reclassement :
L'article L 1233-4 du Code du Travail dispose :
'Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient.
Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.
Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises'.'
Il n'est pas discutable que la proposition de transfert du contrat de travail à Société SODEXHO n'était pas une proposition de reclassement au sens de l'article susvisé. La formulation contenue dans la lettre de licenciement (...'votre refus de reclassement au sein de la Société Sodexho...') est erronée.
L'article 15.02.1.6.2. de la Convention Collective Nationale du 31 octobre 1951 dispose :
'Les licenciements s'ils ne peuvent être évités, s'effectueront en tenant compte des charges de famille et de l'ancienneté de service dans l'établissement, ainsi que des qualités professionnelles des salariés concernés.
L'employeur ou son représentant, après consultation des représentants des organisations signataires de la convention, recherchera toutes mesures susceptibles de faciliter le reclassement du ou des salariés concernés notamment par des actions d'adaptation ou de formation professionnelle'.
Cette disposition vise l'obligation qui pèse sur l'employeur, après que les licenciements ont été prononcés. Elle ne constitue pas, comme le soutient l'intimée, une 'condition au prononcé du licenciement économique'.
L'observation de cette disposition sera examinée après avoir vérifié si la Fédération appelante a respecté l'obligation de reclassement définie à l'article L 1233-4 du code du Travail rappelé ci-dessus.
La Fondation Santé des Etudiants de France compte 12 établissements dont les 2 établissements en cause situés dans la région grenobloise.
L'obligation de reclassement ne concernait que les emplois disponibles et susceptibles d'être proposés à la salariée, dans l'ensemble des établissements.
La Fondation indique avoir adressé par lettres recommandées avec accusé de réception du 26 janvier 2007 et 12 février 2007, à Madame [Z], les propositions de postes suivantes :
- employé d'accueil et de communication en contrat à durée indéterminée à temps plein au Centre [8] (95)
- employé d'accueil et de communication en contrat à durée déterminée à temps plein au Centre [5]
- employé d'accueil et de communication en contrat à durée déterminée à temps partiel au Centre [5]
- employé d'accueil et de communication en contrat à durée indéterminée à temps plein pour l'accueil des services de psychiatrie au Centre [8].
Alors que les lettres adressées à Madame [Z] mentionnent 'lettre recommandée avec accusé de réception', la Fédération ne justifie pas de leur réception par la salariée.
La Fédération ne justifie d'aucune autre proposition faite à la salariée dans les termes de l'article L 1233-4 du code du Travail.
La Fondation ne produit aucun élément relatif à ses structures. Elle ne produit pas de description de ses différents établissements (implantation géographique, notamment) et ne fournit aucune précision quant à la nature de son personnel, par catégorie professionnelle et par importance numérique à l'intérieur de chacune des catégories professionnelles.
Au regard de l'importance du personnel salarié de la fondation, personnel qui, eu égard à la nature des activités exercées, comporte nécessairement de nombreux emplois d'exécution, comme celui occupé par l'intimée, il ne paraît pas compréhensible que la Fondation n'ait pu proposer des postes de reclassement à la salariée dans les conditions légales.
La Fondation ayant failli à son obligation de reclassement, le licenciement de Madame [Z] est dénué de cause réelle et sérieuse.
La somme allouée à Madame [Z] à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice a été exactement déterminée, elle sera confirmée.
Le remboursement aux organismes concernés des indemnités de chômage, est justifié, il doit être confirmé.
3°) Sur le statut protecteur de Madame [Z] :
Madame [Z] a été élue déléguée du personnel le 20 octobre 2005 pour une durée de 4 ans.
La Fondation Santé des Etudiants de France ne conteste pas avoir sollicité l'autorisation de l'Inspection du Travail avant de procéder au licenciement de Madame [Z].
Le préavis de Madame [Z] a pris fin le 28 mai 2007 ; les nouvelles élections de délégué du personnel ont eu lieu le 6 mars 2008.
Ainsi que l'a jugé le Conseil de Prud'hommes, Madame [Z] est fondée à demander le paiement des salaires jusqu'à l'expiration de son mandat ainsi que les salaires de 6 mois suivant l'expiration du mandat pendant lesquels la protection est maintenue.
Le Premier Juge a très exactement calculé la somme due à Madame [Z] et a déduit celle allouée par le Juge des Référés suivant ordonnance en date du 16 mai 2007 (soit la somme de 16.926,03 €).
Il est du à Madame [Z] 23.839,80 € - 16.926,03 € = 6.913,77 €.
Le jugement sera confirmé sur ce chef de demande.
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L'équité commande la condamnation de la Fondation Santé des Etudiants de France à payer à Madame [Z] 500 € en application de l'article 700 du code de Procédure Civile pour les frais exposés en cause d'appel.
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PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi;
Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a dit que la Fondation Santé des Etudiants de France ne pouvait externaliser son personnel de service.
Condamne la Fondation Santé des Etudiants de France à payer à Madame [Z] 500 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile pour les frais exposés en cause d'appel.
Condamne la Fondation Santé des Etudiants de France aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.
Signé par Monsieur VIGNY, Président, et par Madame VERDAN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.