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17/11/2008 | FRANCE | N°04/01185

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chambre civile 2, 17 novembre 2008, 04/01185


RG N° 04 / 01185
Grosse délivrée à :
SELARL DAUPHIN MIHAJLOVIC
SCP CALAS
SCP GRIMAUD
Me RAMILLON
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
2E CHAMBRE CIVILE
ARRET DU LUNDI 17 NOVEMBRE 2008
DECLARATION DE SAISINE DU 19 Mars 2004 sur un arrêt de cassation du 13 novembre 2003

Recours contre un Jugement (N° RG 9401270) rendu par le Tribunal de Grande Instance de BONNEVILLE en date du 10 avril 1996 ayant fait l'objet d'un arrêt rendu le 19 septembre 2000 par la Cour d'Appel de CHAMBERY

APPELANT :
Monsieur Serge X... ...75013 PARIS

représenté pa

r la SELARL DAUPHIN et MIHAJLOVIC, avoués à la Cour assisté de Me YVERNAULT, avocat au barreau de PARIS
...

RG N° 04 / 01185
Grosse délivrée à :
SELARL DAUPHIN MIHAJLOVIC
SCP CALAS
SCP GRIMAUD
Me RAMILLON
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
2E CHAMBRE CIVILE
ARRET DU LUNDI 17 NOVEMBRE 2008
DECLARATION DE SAISINE DU 19 Mars 2004 sur un arrêt de cassation du 13 novembre 2003

Recours contre un Jugement (N° RG 9401270) rendu par le Tribunal de Grande Instance de BONNEVILLE en date du 10 avril 1996 ayant fait l'objet d'un arrêt rendu le 19 septembre 2000 par la Cour d'Appel de CHAMBERY

APPELANT :
Monsieur Serge X... ...75013 PARIS

représenté par la SELARL DAUPHIN et MIHAJLOVIC, avoués à la Cour assisté de Me YVERNAULT, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES :
SA DOMAINE SKIABLE DE FLAINE prise en la personne de son représentant légal en exercice demeurant en cette qualité audit siège avec nom commercial " SEPAD DIRECTION FLAINE " Lieudit Les Grandes Platières 74300 ARACHES LA FRASSE

non représentée
CPAM DE PARIS prise en la personne de son représentant légal en exercice demeurant en cette qualité audit siège 173 Rue de Bercy 75586 PARIS CEDEX 12

représentée par la SCP JEAN CALAS, avoués à la Cour
AXA FRANCE venant aux droits de la Société UNI EUROPE prise en la personne de son représentant légal en exercice demeurant en cette qualité audit siège 26 Rue Drouot 75426 PARIS CEDEX 09

représentée par la SCP GRIMAUD, avoués à la Cour assistée de Me Jean-Bruno PETIT, avocat au barreau de GRENOBLE

Société SWISSLIFE ASSURANCES DE BIENS venant aux droits de la Société LLOYD CONTINENTAL prise en la personne de son représentant légal en exercice demeurant en cette qualité audit siège 86, Bd Haussman 75380 PARIS CEDEX 08

représentée par Me Marie-France RAMILLON, avoué à la Cour assistée de Me BRIFFOD, avocat au barreau de BONNEVILLE

COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Mme DURAND, Président Monsieur ALLAIS, Conseiller Madame BLATRY, Conseiller

Assistés lors des débats de Mme Brigitte BARNOUD, Greffier.
DEBATS :
A l'audience publique de renvoi de cassation tenue le 06 OCTOBRE 2008, Mme DURAND, Président, a été entendue en son rapport. Les avoués et les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries.

Puis l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu à l'audience du LUNDI 17 NOVEMBRE 2008.

FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS DES PARTIES

Le 1er janvier 1991, Monsieur Serge X... a été victime d'un très grave accident de ski sur la station de FLAINE, située sur le territoire de la commune d'ARACHES-LES-CARROZ, alors qu'il empruntait un talus formé par le damage de l'aire de départ d'un télésiège. Le 15 septembre 1993, il a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une action tendant à voir déclarer la commune d'ARACHES-LES-CARROZ responsable des conséquences de l'accident. Par jugement du 14 avril 1995, sa requête a été rejetée. Par acte du 13 juillet 1994, Monsieur Serge X... a fait assigner la SOCIETE D'ETUDE ET DE PARTICIPATION ET DE DEVELOPPEMENT, dite SEPAD, devant le tribunal de grande instance de BONNEVILLE à l'effet de voir déclarer celle-ci responsable des conséquences de l'accident.

Par jugement rendu le 10 avril 1996, cette juridiction a retenu sa compétence mais a débouté Monsieur Serge X... de toutes ses prétentions, considérant que son imprudence caractérisée était à l'origine exclusive de l'accident.
Sur appel de celui-ci, la Cour d'appel de Chambéry a, par arrêt du 19 septembre 2000, réformé le jugement mais déclaré les juridictions de l'ordre judiciaire incompétentes pour statuer sur les demandes de Monsieur Serge X... et renvoyé celui-ci à mieux se pourvoir devant la juridiction administrative.
Sur pourvoi de Monsieur Serge X..., la Cour de cassation a, par arrêt du 13 novembre 2003, reproché à la Cour d'appel d'avoir déclaré les juridictions de l'ordre judiciaire incompétentes pour statuer sans avoir recherché si la faute reprochée à la SEPAD ne présentait pas une gravité telle que le caractère détachable du service puisse lui être reconnu et a, en conséquence, au visa de la loi des 16-24 août 1790, cassé et annulé cet arrêt pour défaut de base légale.
Aux termes de ses écritures déposées devant la Cour de renvoi, Monsieur Serge X... demande l'infirmation du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bonneville.
Il soutient que la SEPAD, établissement public à caractère industriel et commercial, concessionnaire d'un service public, a commis une faute d'une particulière gravité, détachable du service, engageant sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du code civil et de nature à entraîner la compétence de la juridiction de l'ordre judiciaire en omettant de baliser le talus formé par l'aire de damage du télésiège, qui présentait un important dénivelé, abstention inexcusable dans l'exécution de ses obligations contractuelles en matière de sécurité des pistes, de nature à porter gravement atteinte à l'intégrité physique des skieurs.
Il précise que la brusque rupture de pente, à l'endroit où s'est produit l'accident, n'était pas visible en descente par le skieur en l'absence de signalisation et a provoqué son « décollage » involontaire, rendant sa chute inévitable, alors qu'il s'agissait d'une piste bleue accédant au télésiège, destinée à tous les skieurs y compris les débutants, qui n'aurait dû présenter aucun danger.
Il ajoute qu'en raison de la nature juridique de la société intimée, qui est un service public à caractère industriel et commercial, la SEPAD, qui a méconnu les obligations de sécurité qui lui étaient imposées, ne peut soutenir que la mise en jeu de sa responsabilité à l'égard d'un usager du domaine skiable relèverait du droit public.
Monsieur Serge X... indique qu'à la suite de l'accident, il est quadraplégique, que son état nécessite la présence d'une tierce personne au moins 8 heures par jour et que son préjudice est considérable.
Il sollicite la désignation d'un expert médical et la condamnation de la SEPAD, garantie par les compagnies d'assurance AXA France et SWISSLIFE au paiement d'une indemnité provisionnelle de 100 000 euros outre 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société DOMAINE SKIABLE DE FLAINE, dont le nom commercial est SEPAD DIRECTION FLAINE, régulièrement assignée à personne habilitée à recevoir l'acte, n'a pas constitué avoué.
La compagnie d'assurance AXA France venant aux droits de la compagnie UNI EUROPE invoque à titre principal le défaut de garantie, à titre subsidiaire l'incompétence des juridictions de l'ordre judiciaire et, plus subsidiairement, l'absence de faute de la SEPAD, l'accident résultant exclusivement d'une imprudence caractérisée de Monsieur Serge X... .
Elle expose que le contrat d'assurance responsabilité civile envers les tiers souscrit auprès de la compagnie UNI EUROPE par la SEPAD a pris effet le 1er janvier 1993 et ne peut couvrir les faits générateurs de dommages survenus avant la souscription du contrat que si l'assuré n'en a pas eu connaissance, ce qui ne peut être soutenu en l'espèce, les secours ayant été appelés par un employé de la SEPAD.
La société SWISS LIFE ASSURANCES DE BIENS venant aux droits de la compagnie LLOYD CONTINENTAL demande la confirmation du jugement et le rejet de toutes les demandes formées par Monsieur Serge X... .
Elle dénie sa garantie, la réclamation lui étant parvenue le 14 octobre 1994, postérieurement à la résiliation du contrat souscrit par la SEPAD.
Elle fait valoir que Monsieur Serge X..., skieur de haut niveau, avait utilisé l'estacade de l'aire de départ du télésiège comme tremplin pour effectuer des sauts à une vitesse importante, ce qui constituait une imprudence caractérisée.
Elle soutient que l'éventuelle faute de la SEPAD n'a pu intervenir que dans le cadre de l'exécution de sa mission, que la responsabilité du concessionnaire d'un domaine skiable pour défaut d'entretien et absence de signalisation ne peut être retenue alors que ces obligations incombent à la commune dont dépend la piste, que l'accident trouve sa cause dans le comportement de Monsieur Serge X... et en déduit que cette faute ne pourrait être détachable du service.
La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS a demandé la condamnation in solidum de la SEPAD, de la société AXA GLOBAL RISKS et de la société SWISSLIFE à lui verser la somme de 147 399, 28 euros outre débours ultérieurs et 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 septembre 2008.

MOTIFS ET DECISION

- Sur la compétence de la juridiction judiciaire

Attendu que l'agent chargé d'une mission de service public est personnellement responsable de son fait fautif et répond de ses conséquences devant les juridictions de l'ordre judiciaire, même si sa faute n'est pas dépourvue de tout lien avec son service, dès lors que celle-ci implique une intention de nuire ou présente une gravité particulière, révélant un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel ;
Attendu en l'espèce que le pouvoir de police du maire prévu par l'article L. 2212 du code général des collectivités territoriales n'exclut pas la responsabilité de la société concessionnaire de l'exploitation du domaine skiable ;
Attendu que la SEPAD ne conteste pas qu'en application du contrat de concession, qui mettait à sa charge la sécurité et la surveillance du domaine skiable, l'aménagement de la zone sur laquelle s'est produit l'accident lui incombait ;
Qu'il est constant que l'accident dont a été victime Monsieur Serge X... s'est produit alors qu'il skiait sur le domaine de la station de FLAINE, située sur la commune d'ARRACHES LES CARROZ, à l'arrivée d'une piste bleue, sur l'aire aménagée pour permettre l'accès à deux remontées mécaniques ;
Qu'il n'est pas contesté que, le jour de l'accident, la remontée située sur la droite dans le sens de la descente était ouverte et le bord de la plate-forme y conduisant balisé, tandis que la remontée située sur la gauche était fermée et la limite de la plate-forme non signalée de ce côté ;
Que Monsieur Serge X... a franchi le talus à cet endroit et a chuté brutalement en contrebas dans une zone non damée ;
Que Monsieur Christopher B...et Monsieur Marc Y..., qui skiaient avec la victime et ont emprunté le même itinéraire, ont déclaré avoir été « surpris par un brusque et brutal dévers que l'on ne pouvait voir qu'en arrivant sur lui » et avoir également subi un saut dangereux ;
Que Monsieur René D..., directeur du syndicat intercommunal de la station et témoin oculaire de l'accident, a indiqué qu'il avait « vu décoller un skieur venant de l'estacade du télésiège, utilisant celle-ci comme tremplin et effectuant un vol impressionnant et déséquilibré » précisant que le lieu de la chute était « labouré par des expériences malheureuses » ce dont il convient de déduire que d'autres skieurs avaient antérieurement, volontairement ou non, franchis le talus dans les même circonstances ;
Qu'il n'a pas expliqué ce qui lui permettait d'affirmer que la victime effectuait volontairement un saut ;
Que les gendarmes qui sont intervenus après l'accident n'ont pas établi de relevé topographique des lieux et n'ont pas procédé à l'audition de témoin ;
Qu'ils ont relaté que " en empruntant la piste la serpentine ", Monsieur Serge X... s'était mal réceptionné en sautant des bosses volontairement sans indiquer sur quelles indications ils se fondaient ;
Que la circulaire ministérielle du 6 novembre 1987 relative à la sécurité sur les pistes de ski attirait l'attention des préfets sur les risques liés à la pratique du ski et proposait aux maires concernés des arrêtés municipaux types ; qu'elle préconisait notamment (article 5) la signalisation des zones ou des points dangereux traversés par les pistes balisées ou situées à leur proximité ;
Qu'il est connu que l'aire d'arrivée d'une piste et de départ d'une remontée mécanique est un lieu où les croisements et stationnement de skieurs sont constitutifs de risques, qui imposent la mise en place de précautions suffisantes ;
Que d'ailleurs le bord de la plate-forme conduisant au télésiège ouvert était balisé ;
Qu'alors qu'aucun témoignage ne permet de retenir que Monsieur Serge X... a volontairement choisi de sauter le talus artificiel constitué par le bord de la plate-forme et sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur les compétences de la victime, qui évoluait sur une piste bleue destinée à des skieurs peu expérimentés, la signalisation de la présence d'une dénivellation importante s'imposait, pour attirer l'attention des débutants comme des audacieux sur les risques présentés ;
Que constitue une faute imputable à la SEPAD l'omission en ce lieu de protection mettant obstacle au franchissement du talus et pour le moins de signalisation avertissant les usagers d'un risque inhérent à la configuration des lieux ;
Mais que pour relever de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire, le fait fautif de l'agent chargé d'une mission de service public doit être qualifié de détachable de la fonction ;
Que sera considérée comme telle, même si elle n'est pas dépourvue de tout lien avec son service, la faute de l'agent qui, impliquant une intention de nuire ou présentant une gravité particulière, révèle un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel ;
Que, même s'il n'est pas douteux que la prévention des accidents pouvant survenir à l'occasion de la sortie des pistes est une obligation essentielle parmi celles déléguées à la SEPAD, la faute qui lui est imputable ne revêt pas un tel caractère de gravité, s'agissant non pas d'un acte positif mais d'une omission, bien évidemment involontaire, survenue dans le cadre de fonctions qui s'exercent dans un environnement non maîtrisé, sur un territoire vaste et soumis aux aléas de la nature, circonstances dans lesquelles il est difficile d'appréhender l'intégralité des sites pouvant présenter un danger ;
Qu'il s'ensuit que la faute commise par la SEPAD ne peut être assimilée à une faute détachable du service et que les juridictions de l'ordre judiciaire sont incompétentes pour en connaître ;
Que le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bonneville doit être infirmé ;
Attendu qu'il ne convient pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant, en audience publique, sur renvoi de cassation par arrêt réputé contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,
Dit que la faute imputable à la SEPAD a été commise dans l'exercice de ses fonctions sans pouvoir être considérée comme une faute personnelle détachable du service,
Dit que, par suite, la juridiction judiciaire est incompétente pour connaître de l'action engagée par Monsieur Serge X... aux fins d'indemnisation de son préjudice,
Renvoie en conséquence les parties à mieux se pourvoir,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Condamne Monsieur Serge X... aux dépens, qui seront recouvrés par l'avoué de son adversaire conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame Anne-Marie DURAND, président et par Madame Brigitte BARNOUD, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 04/01185
Date de la décision : 17/11/2008
Type d'affaire : Civile

Références :

ARRET du 31 mars 2010, Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 31 mars 2010, 09-10.560, Publié au bulletin

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Bonneville, 10 avril 1996


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.grenoble;arret;2008-11-17;04.01185 ?
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