RG No 07 / 01473
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU LUNDI 19 MAI 2008
Appel d'une décision (No RG 06 / 00119) rendue par le Conseil de Prud'hommes de ROMANS SUR ISERE en date du 29 mars 2007 suivant déclaration d'appel du 16 Avril 2007
APPELANTE :
Madame Christelle X... ...
Comparante et assistée par Me Isabelle BARACHINI (avocat au barreau de TARASCON)
INTIMEE :
La S. A. S. BASE DE LOISIRS DU LAC D'AIGUILLE " LES FOLIES DU LAC " prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège Lac d'Aiguille 26300 CHATEAUNEUF SUR ISERE
Représentée par la SCP AGUERA et Associés (avocat au barreau de LYON) substitué par Me TRAN MINH (avocat au barreau de LYON)
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur Jean- François GALLICE, Conseiller, faisant fonction de Président, Monsieur Eric SEGUY, Conseiller, Madame Dominique JACOB, Conseiller,
Assistés lors des débats de Madame Simone VERDAN, Greffier.
DEBATS :
A l'audience publique du 31 Mars 2008, Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoirie (s).
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 19 Mai 2008.
L'arrêt a été rendu le 19 Mai 2008.
Christelle X... a été engagée en qualité de danseuse ou d'artiste chorégraphique par la société anonyme Base de Loisirs du lac d'Aiguille, à l'enseigne " les Folies du Lac " (ci-après nommée la société), dans le cadre de 15 contrats à durée déterminée signés entre le 3 mai 2003 et le 13 avril 2006, dont les périodes d'exécution se sont échelonnées entre le 26 mai 2003 et le 25 juin 2006.
Elle a été élue déléguée du personnel le 22 décembre 2005. Un conflit l'a alors opposée à son employeur notamment sur son rôle du déléguée du personnel.
Christelle X... a saisi le conseil de prud'hommes de Romans sur Isère, le 22 août 2006, d'une demande aux fins de requalification de ses contrats en contrat de travail à durée indéterminée, de versement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de versement d'une indemnité pour inobservation des dispositions de l'article L. 425-2 du code du travail.
Par jugement du 29 mars 2007 assorti de l'exécution provisoire, ce conseil a condamné l'employeur à lui payer les sommes de 10. 200 euros pour non- respect de la procédure relative au renouvellement d'un contrat à durée déterminée d'une salariée protégée et de 2. 000, 00 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, mais a débouté Christelle X... du surplus de ses demandes.
Christelle X... a relevé appel le 16 avril 2007. Elle demande à la cour d'infirmer le jugement,- de requalifier ses contrats en contrat de travail à durée indéterminée,- de constater l'illicéité de la rupture,- de condamner l'employeur, par application des articles L. 425-1 et L. 122-14-4 du code du travail, au paiement des sommes suivantes : . salaires pendant sa période de protection au- delà du 25 juin 2006 (4 ans) : 81. 632, 00 €, . indemnité compensatrice de préavis : 1. 700, 00 € plus les congés payés afférents, . dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 10. 200, 00 € (six mois de salaire), . salaire des heures de délégation : 800, 00 €, . indemnité de licenciement : 510, 00 €, . indemnité pour frais irrépétibles : 2. 500, 00 €.
Elle fait valoir que, même en admettant que l'employeur ait voulu conclure des contrats d'artiste d'usage et à durée déterminée, ils n'étaient pas réguliers dès lors que :
- à l'exception d'un seul, ils ne précisaient pas les motifs du recours à un engagement à durée déterminée, en infraction formelle avec l'article L. 122-3-1 du code du travail,- la société exploitait en réalité une activité permanente de music- hall,- le simple changement du nom du spectacle, d'une année sur l'autre, était indifférent dès lors qu'il s'agissait d'une activité qui nécessitait des emplois permanents, certains salariés étant d'ailleurs titulaires de contrat à durée indéterminée,- sa candidature comme déléguée du personnel n'avait pas été remise en cause par l'employeur alors que son éligibilité était subordonnée à une condition d'ancienneté d'un an, par application de l'article L. 432-8 du même code, qui ne pouvait être tenue pour acquise s'il était considéré qu'elle était sous contrat de travail à durée déterminée.
Elle reproche à son employeur, qui envisageait de ne pas reconduire le contrat à durée déterminée, de n'avoir pas saisi l'inspection du travail un mois avant l'arrivée du terme, en l'espèce le 25 juin 2006, mais d'avoir seulement informé cette administration hors délai, ce que l'inspecteur du travail avait sanctionné en relevant un délit d'entrave.
La société intimée demande à la cour de réformer les dispositions du jugement qui lui sont défavorables, de confirmer les autres et de débouter Christelle X... de ses prétentions.
Elle fait observer que les exigences formelles de l'article L. 123-3-1 avaient été respectées. Elle invoque l'existence de raisons objectives à la souscription de contrats à durée déterminée, à savoir l'usage constant dans la profession du spectacle, ce qui correspondait d'ailleurs au souhait des artistes. Elle soutient que l'activité de son entreprise était bien saisonnière, qu'un nouveau spectacle était monté chaque saison, d'octobre à juin.
Elle explique que c'était par faveur qu'elle avait assoupli la règle de l'ancienneté d'un an sur l'éligibilité.
Elle a reconnu avoir prévenu l'inspection du travail tardivement mais soutient que la position de l'inspecteur du travail ne pouvait être analysée comme une décision implicite de rejet et souligne que l'inspecteur du travail n'avait pas constaté de discrimination.
Elle conteste que la jurisprudence invoquée par l'appelante soit transposable à l'espèce et conteste toute volonté discriminatoire à l'égard de la salariée dont elle soutient qu'elle voulait de toute façon cesser son activité.
Sur quoi :
Attendu que Christelle X... a été employée par la société intimée dans les conditions suivantes, telles que définies par 15 contrats à durée déterminée distincts, portant les dénominations le second de " contrat d'engagement à durée déterminée artistes du spectacle ", les suivants de " contrat de travail à durée déterminée article L. 122-1-1 et D. 121-2 du code du travail " ou de " contrat d'engagement d'artiste " sous le visa des mêmes articles :
- contrat du 3 mai 2003, modifié par un avenant non daté, pour la période du 5 novembre 2003 au 11 juillet 2004, sur une base de 20 représentations mensuelles, en matinée ou en soirée selon les jours de la semaine, dans le corps de ballet que la société produisait sur la scène du music- hall " les folies du lac " à Châteauneuf sur Isère, le contrat précisant que les répétitions débuteraient le 8 septembre 2003,- contrat du 25 mai 2003 pour la journée du 26 mai 2003,- contrat du 6 juillet 2004 pour la période du 16 septembre 2004 au 17 juillet 2005,- contrats du 10 juin 2005 pour les périodes du 22 août 2005 au 31 août 2005, du 1er au 3 septembre 2005, du 4 au 30 septembre 2005, du 1er au 30 octobre 2005, du 1er au 27 novembre 2005, du 1er au 29 janvier 2006, du 2 au 26 février 2006,- contrat du 29 septembre 2005 pour la période du 1er au 31 décembre 2005,- contrats du 3 février 2006 pour les périodes du 4 au 26 mars 2006, du 1er au 30 avril 2006,- contrats du 13 avril 2006 pour les périodes du 12 au 28 mai et du 1er au 25 juin 2006 ;
Attendu qu'il résulte de la combinaison des articles L. 122-1, L. 122-1-1, L. 122-3-10, alinéa 2 et D. 121-2 du code du travail, dans leur version en vigueur à la date des faits que, dans les secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, certains des emplois qui en relèvent peuvent être pourvus par des contrats de travail à durée déterminée lorsqu'il est d'usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée, en raison du caractère par nature temporaire de ces emplois ;
Que le secteur de l'hôtellerie restauration, auquel l'entreprise est rattachée, et le secteur du spectacle, constituent de tels secteurs mais qu'il appartient aussi à l'employeur de démontrer que, pour l'emploi concerné de danseur ou d'artiste chorégraphe, il était effectivement d'usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée et que le recours à l'utilisation de contrats à durée déterminée successifs pour ce même emploi était justifié par des raisons objectives, qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi ;
Attendu que la société ne justifie d'aucune des raisons pour lesquelles le poste occupé par Christelle X... de manière ininterrompue, répétitions comprises, pendant une période qui s'est étendue du 8 septembre 2003 au 25 juin 2006 et qui n'a été interrompue que du 12 juillet au 16 septembre 2004 puis du 4 juillet 2005 au 22 août 2005, doit nécessairement être considéré comme temporaire par nature alors que :
- Christelle X... est donc restée employée pendant une trentaine de mois sur la même scène de music- hall exploitée par cette société, qui occupait 46 salariés en avril 2006 et qui, au seul examen des dispositions des contrats eux-mêmes et d'un document publicitaire daté de 2005, versé aux débats par la salariée, donnait des représentations de septembre à juillet de l'année suivante, suivant une périodicité très régulière, à savoir une vingtaine de représentations par mois, du mercredi au dimanche, outre un spectacle de fin d'année destiné aux enfants, le metteur en scène et le directeur artistique étant toujours les mêmes, seul changeant le nom ou tout du moins une partie du nom du spectacle ou de la revue,
- l'inspecteur du travail a relevé, suite à la visite qu'il a effectuée dans l'établissement le 28 avril 2006, que cette activité était permanente et a rappelé que la présence des danseurs était indispensable pour le fonctionnement du music- hall, ce qui ne peut sérieusement être contesté,
- la société ne produit aucun justificatif de l'existence de raisons d'ordre artistique ou de raisons d'ordre commercial qui imposeraient nécessairement des changements de danseurs dans le corps de ballet, d'un spectacle de music- hall à l'autre, raisons qu'elle évoquait dans sa lettre du 20 juillet 2006 adressée à l'inspection du travail,
- elle ne justifie d'ailleurs même pas que chacun des quatorze contrats détaillés ci- dessus (mis à part celui d'une journée en mai 2003) corresponde à un spectacle différent, à l'exception du spectacle de Noël 2005, alors que la société évoque seulement trois show distincts (Folies Illusions, Tourbillon de Folies et Magic'Folies) ;
- l'employeur a indiqué, lors de la réunion des délégués du personnel du 3 mars 2006, que l'établissement devait fermer ses portes 2 à 3 semaines pendant l'été,
- la clientèle est reçue toute l'année, hormis pendant une période d'environ un mois correspondant aux congés d'été,
- l'activité est donc dépourvue de tout caractère saisonnier ;
Attendu que les contrats litigieux ne relèvent donc pas de la catégorie des contrats à durée déterminée d'usage mais avaient bien pour objet, en réalité, de pourvoir durablement à un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ;
Qu'en conséquence, les relations entre les parties doivent être requalifiées de contrat de travail à durée indéterminée ;
Attendu que par lettre du 20 juin 2006, la société employeur avait indiqué à l'inspectrice du travail, sous le visa de l'article L. 425-2 alinéa premier, que le contrat " à durée déterminée d'usage " conclu le 22 août 2005 avec Christelle X..., qui exerce les fonctions de déléguée du personnel titulaire, avait pris fin " à son échéance normale le 25 juin 2006... (et que cette personne était) embauchée pour le spectacle " magic'folie " qui se termine ce dimanche 25 juin " ;
Attendu qu'en vertu de l'alinéa 2 du même article : " l'arrivée du terme du contrat n'entraîne la cessation du lien contractuel qu'après constatation par l'inspecteur du travail, saisi dans les conditions prévues à l'article L. 425-1, que le salarié n'a pas fait l'objet d'une mesure discriminatoire. Un mois avant l'arrivée du terme du contrat, l'employeur doit saisir l'inspecteur du travail qui doit statuer avant la date du terme du contrat " ;
Qu'en l'espèce, l'employeur n'a pas saisi l'autorité administrative un mois avant l'arrivée du terme du contrat ;
Que ce terme n'a pas été reporté au 20 juillet 2006 mais est effectivement intervenu le 25 juin 2006 ;
Que l'employeur n'a donc saisi l'inspecteur du travail que 5 jours avant ce terme, ce qui ne satisfaisait pas à l'exigence légale ;
Qu'en effet, l'administration du travail n'a pu disposer du délai qui résulte de la loi pour faire le constat attendu, mais a été mise devant le fait accompli au bout de 5 jours ;
Que la saisine tardive réalisée dans de telles conditions équivaut à une absence de saisine ;
Que l'inspectrice du travail, dans sa lettre en réponse du 3 juillet 2006, n'a d'ailleurs pu que constater que la procédure instituée par le code du travail n'avait pas été respectée ; que dans ces conditions, le fait pour l'inspectrice du travail de n'avoir pas indiqué, dans cette même réponse, qu'il y avait discrimination, ne permet pas de considérer que la procédure a été régulièrement suivie, contrairement à ce qu'objecte la société ;
Que juridiquement, le contrat à durée déterminée s'est donc poursuivi au- delà de son échéance au sens de l'article L. 122-3-10 du code du travail ;
Que, de ce second chef, il y a lieu de reconnaître que Christelle X... bénéficiait d'un contrat de travail à durée indéterminée et d'en tirer toutes les conséquences eu égard aux circonstances de sa rupture par l'employeur, Christelle X... ne sollicitant pas sa réintégration ;
Attendu qu'au titre de son droit spécifique à percevoir une indemnisation égale aux salaires qu'elle aurait perçus jusqu'à la fin de sa période de protection, Christelle X..., dont la rémunération annuelle de référence était de 20. 408 € (les données chiffrées n'étant pas contestées à titre subsidiaire par l'employeur), qui disposait d'un mandat de quatre ans ayant débuté le 22 décembre 2005 et bénéficiait d'une période de protection qui se poursuivait pendant 6 mois, est créancière de la somme de 4 X 20. 408 = 81. 632 euros ;
Attendu qu'en fonction de cette même rémunération de référence, de son ancienneté et par application notamment des dispositions de l'article L. 122-14-4 du code du travail, Christelle X... est également créancière des sommes suivantes au titre des indemnités de rupture : - indemnité compensatrice de préavis : 1. 700, 00 €, - indemnité compensatrice de congés payés afférents : 170, 00 €, - dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 10. 200, 00 € ; - indemnité légale de licenciement : 510, 00 €,
Attendu que l'employeur ne justifie pas du paiement de ses heures de délégation, soit une créance, pour 90 heures, de 800, 00 € ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à charge de Christelle X... ses frais irrépétibles en cause d'appel ; qu'une somme de 1. 000 euros sera mise à la charge de la société, à ce titre ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement prononcé le 29 mars 2007 par le conseil de prud'hommes de Romans sur Isère en ce qu'il a consacré l'inobservation par l'employeur de la procédure prévue à l'article L. 425-2 du code du travail, a condamné ce même employeur aux dépens et au paiement d'une somme de 2. 000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Infirme ce jugement pour le surplus ;
Requalifie les relations contractuelles entre les parties de contrat de travail à durée indéterminée ;
Condamne la SAS Base de Loisirs du lac d'Aiguille, à l'enseigne " les Folies du Lac ", à verser à Christelle X... les sommes ci- après :
- salaires pendant la période de protection : 81. 632, 00 €, - indemnité compensatrice de préavis : 1. 700, 00 €, - indemnité compensatrice de congés payés afférents : 170, 00 €, - dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 10. 200, 00 €, - salaire des heures de délégation : 800, 00 €, - indemnité de licenciement : 510, 00 €, - indemnité pour frais irrépétibles : 1. 000, 00 € ;
Condamne la société intimée aux dépens de l'appel et la déboute de ses demandes.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
Signé par Monsieur GALLICE, président, et par Madame LEICKNER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.