RG No 07 / 01480
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU MERCREDI 14 MAI 2008
Appel d'une décision (No RG F 05 / 01004) rendue par le Conseil de Prud'hommes de GRENOBLE en date du 16 avril 2007 suivant déclaration d'appel du 18 Avril 2007
APPELANTE :
Madame Jeanine X......
Comparante et assistée par Me Flavien JORQUERA (avocat au barreau de GRENOBLE)
INTIMES :
La S. A. S. GLOBAL SUPPORT SERVICES prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège 14 Avenue du Général de Gaulle 38410 SEYSSINET PARISET
Représentée par Monsieur Y... (Directeur) assisté par la SCP FOLCO- TOURETTE (avocats au barreau de GRENOBLE)
Maître Régis Z... adminsitrateur judiciaire de la S. A. S. GLOBAL SUPPORT SERVICES...
Représenté par la SCP FOLCO- TOURRETTE (avocats au barreau de GRENOBLE)
Maître Christophe A... mandataire judiciaire de la S. A. S. GLOBAL SUPPORT SERVICES...
Représenté par la SCP FOLCO- TOURRETTE (avocats au barreau de GRENOBLE)
L'AGS- C. G. E. A. D'ANNECY Acropole B. P. 37 88, avenue d'Aix- les- Bains 74602 SEYNOD CEDEX
Représentée par la SCP FOLCO- TOURRETTE (avocats au barreau de GRENOBLE)
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur Daniel DELPEUCH, Président de Chambre, Monsieur Eric SEGUY, Conseiller, Madame Dominique JACOB, Conseiller,
Assistés lors des débats de Madame Simone VERDAN, Greffier.
DEBATS :
A l'audience publique du 03 Avril 2008, Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoirie (s).
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 14 Mai 2008.
L'arrêt a été rendu le 14 Mai 2008.
Jeanine B... épouse X... a été engagée par la société HEWLETT- PACKARD (HP) à compter du 1er septembre 1980 en qualité d'assembleuse.
Son contrat de travail a été transféré à la société GLOBAL SUPPORT SERVICES (G2S), filiale du groupe N. S. E., à effet au 26 janvier 2000, dans le cadre de l'externalisation des tâches exécutées par l'atelier de réparation du site de la société HP d'Eybens où elle était affectée.
Elle a été désignée déléguée syndicale suppléante par le syndicat CGT en 2000 et élue déléguée du personnel titulaire le 8 octobre 2003 puis le 6 octobre 2005.
Elle a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble, le 9 septembre 2005, sur le fondement des articles L. 122-45, L. 122-49 et L. 412-2 du code du travail, en reprochant à son employeur une discrimination syndicale et salariale ainsi que des agissements répétés de harcèlement moral.
Elle a été déboutée de l'intégralité de ses demandes par jugement du 16 avril 2007, rendu sous la présidence du juge départiteur.
Elle a interjeté appel le 18 avril 2007.
Le 6 novembre 2007, le tribunal de commerce de Grenoble a ouvert une procédure de sauvegarde à l'encontre de la société G2S, Me Christophe A... étant désigné en qualité de mandataire judiciaire, Me Régis Z... en qualité d'administrateur judiciaire. Cette procédure est toujours en cours.
Jeanine X... demande à la cour d'infirmer le jugement du 16 avril 2007, de constater qu'elle a fait l'objet de discrimination syndicale et de harcèlement moral, de prononcer en conséquence la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur et de fixer sa créance sur la procédure collective aux sommes suivantes :-3. 538, 91 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,-353, 89 € au titre des congés payés afférents,-11. 678, 00 € à titre d'indemnité de licenciement,-40. 000, 00 € à titre de dommages et intérêts pour rupture aux torts de l'employeur,
-25. 000, 00 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, discrimination syndicale et salariale,-2. 000, 00 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sollicite la remise sous astreinte des documents de rupture.
Elle invoque au soutien de ses prétentions : -des reproches, des rappels à l'ordre et des sanctions qu'elle estime totalement injustifiés, -des horaires disparates, modifiés et augmentés sans délai de prévenance et de manière inhabituelle, des reports illégaux d'" heures négatives " une année sur l'autre, -une mise à l'écart, une affectation à des tâches ingrates, une absence de poste fixe, un retrait de tâches allant même jusqu'à une absence totale de travail, des tentatives d'affectation à un poste incompatible avec son état de santé, l'absence de proposition d'un poste adapté lors de sa reprise après un congé maladie, -une absence d'évolution de son salaire, resté bloqué pendant huit années à 1. 646, 36 € hors prime d'ancienneté, à la différence de ses collègues venant de la société HP.
Elle conteste que d'autres salariés aient été sanctionnés, aient eu des retraits de tâches ou aient été placés dans des conditions de travail comparables aux siennes.
Elle invoque les répercussions de cet état de fait sur sa santé (dépressions en 2005 et 2006), ce qui avait provoqué un arrêt de travail à compter du 7 juin 2006, au cours duquel elle avait été opérée du canal carpien, arrêt suivi d'une reprise à mi- temps thérapeutique en juin 2007, mais au cours de laquelle les discriminations et harcèlement s'étaient poursuivis.
La société G2S ainsi que Me A... et Me Z... ès qualités demandent à la cour de confirmer le jugement, de débouter la salariée de ses prétentions et de la condamner au paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles.
Ils exposent que c'était pour des raisons parfaitement justifiées que Jeanine X... avait reçu un avertissement le 8 janvier 2001, puis une demande d'explication le 23 décembre 2004 à propos d'une attestation dont la fausseté avait été établie, un avertissement le 20 juin 2005 pour non- respect des prescriptions de sécurité, une mise en garde le 30 août 2007 et un avertissement le 9 octobre 2007 pour être sortie de l'entreprise.
Pour expliquer les variations des horaires de travail invoquées et les courts délais de prévenance reprochés, ils invoquent la nécessaire flexibilité du temps de travail, dans le domaine d'activité de l'entreprise G2S, tributaire des demandes de sa clientèle et la mise en oeuvre d'un accord de modulation. Ils font valoir que le problème des heures négatives avait concerné d'autres salariés.
Ils rappellent que Jeanine X... avait bénéficié de formations externes et internes mais que son champ de compétence limité n'avait pas permis à l'employeur de lui trouver tout le temps du travail, alors que la maintenance des produits de la société HP, pour laquelle elle était qualifiée, ne représentait plus que 5 % du chiffre d'affaires, que depuis septembre 2007 et l'arrivée du nouveau client Thalès Avionics, du travail beaucoup plus régulier avait pu à nouveau lui être confié mais qu'elle s'était alors plainte d'avoir trop de travail.
Les intimés contestent que les tâches qui lui avaient été confiées puissent être considérées comme dégradantes ou médicalement inadaptées et soulignent que la prise en charge de son affection au canal carpien au titre de la législation professionnelle avait été refusée.
Ils objectent aussi que l'inspecteur du travail n'avait rédigé aucun procès- verbal ou rapport après l'enquête qu'il avait effectuée le 22 octobre 2007.
Ils soutiennent, par ailleurs, que le salaire de l'intéressée était de 20 % supérieur à celui de la profession, qu'elle n'était pas la seule, parmi les salariés transférés de la société HP, dont le salaire n'avait pas évolué et que les difficultés économiques de l'entreprise n'avaient pas permis d'augmenter les salaires.
L'AGS, représentée par le CGEA d'Annecy, conclut à sa mise hors de cause en invoquant les dispositions de l'article L. 625-3 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005, selon lequel sa mise en cause systématique ne serait pas prévue en matière de procédure de sauvegarde.
Subsidiairement, elle fait valoir que la garantie ne peut intervenir que pour les créances entrant dans le champ d'application de l'article L. 143-11-1 1o et 2o du code du travail et rappelle les conditions de son intervention et de sa garantie.
Sur quoi :
Attendu qu'au moment du transfert de son contrat de travail, le 26 janvier 2000, la rémunération mensuelle perçue par Jeanine X... dans la société HP, où elle était classée au coefficient 190, était de 1. 445, 22 € plus 138, 82 € de prime d'ancienneté ;
Attendu que sa rémunération initiale dans la société G2S (bulletin de salaire de février 2000) était 1. 762, 26 € ;
Qu'en 2001, sa rémunération était composée d'un salaire de base mensuel de 1. 646, 36 euros et d'une prime d'ancienneté variable, soit en tout en moyenne un salaire brut mensuel de l'ordre de 1. 768 euros ;
Qu'en octobre 2007, elle était toujours classée au même coefficient 190 et sa rémunération de base était toujours de 1. 646, 36 euros plus la prime d'ancienneté (123 € ce mois- là) ;
Qu'elle n'a donc effectivement connu aucune augmentation salariale en sept années ;
Attendu que l'employeur produit un panel de comparaison avec 32 opérateurs ou techniciens mais qu'aucune donnée nominative ne figure sur ce document, ce qui lui ôte toute fiabilité ;
Mais qu'il y lieu, en revanche, de relever après examen des autres pièces de comparaison produites par l'employeur, que deux salariés dont le contrat avec la société HP avait également été transféré à la société G2S en 2000, qui avaient une ancienneté au moins aussi importante que Jeanine X... sinon supérieure, à savoir Jean- Jacques C... (32 ans d'ancienneté en 2006) et Daniel D... (24 ans en 2006), tous deux classés opérateurs de production confirmés, sont restés au coefficient 190 de 2000 à 2006 et n'ont pas été augmentés en 6 ans, leur salaire de base de respectivement 1. 639 € pour JJ C... et 1647, 45 pour D. D... étant demeuré identique de 2000 à 2006 ;
Que les 7 salariés dont Jeanine X... analyse la situation et la compare à la sienne, dans ses écritures déposées au soutien de ses observations orales, étaient classés en réalité à des coefficients supérieurs au sien, à savoir les coefficients 215, 255 et même 285 ;
Que la discrimination salariale invoquée n'apparaît pas suffisamment caractérisée ;
Attendu que l'examen des bulletins d'évaluation de Jeanine X... pour 1996 et 1997 dans la société H. P. fait apparaître qu'elle y était plutôt bien notée, se situant au cinquième degré vers le haut sur une échelle qui comportait sept degrés, que sa productivité était jugée correcte et que, selon les observations du notateur, elle avait une capacité à dépasser le cadre strict de sa fonction, elle prenait des initiatives ;
Que sa disponibilité et son volontariat avaient également été relevés, qu'elle avait reçu une lettre de remerciement de son employeur, le 22 octobre 1996, pour sa contribution dans une mission qui lui avait été confiée ;
Attendu qu'en revanche, après son transfert et sa désignation à partir de l'année 2000 aux fonctions de représentant du personnel, des reproches écrits n'ont cessé de lui être notifiés :
- le 8 janvier 2001 : les reproches de trop se déplacer dans les locaux de l'entreprise et de trop discuter avec ses collègues, ce à quoi 26 autres salariés avaient répondu par une pétition de soutien à ce représentant du personnel,
- le 8 janvier 2004 : un rappel à propos du respect des horaires de travail en décembre 2003,
- le 21 juillet 2004 : un autre rappel écrit suite à son refus d'occuper le poste de nettoyage des écrans d'ordinateur,
- le 24 septembre 2004 : un nouveau rappel écrit des instructions de travail et des plannings horaires,
- le 12 octobre 2004 : une mise en garde à propos du suivi de ces plannings,
- le 23 décembre 2004 : une demande d'explications à propos du témoignage que Jeanine X... avait rédigé en faveur de sa collègue, déléguée titulaire du même syndicat, lettre sur laquelle il sera revenu ci- après,
- le 20 juin 2005 : un avertissement décerné pour absence de port de talonnettes (équipement de protection de sécurité) dans une zone protégée, sanction que Jeanine X... avait contestée dès le 29 juin 2005 en faisant observer que la plupart des salariés de l'atelier ne respectaient pas cette consigne, n'avaient pas reçu pour autant, à la date de la sanction, de rappel à l'ordre collectif et qu'elle était la seule sanctionnée pour ces faits ;
Que s'agissant de cet avertissement, aucun justificatif n'a été fourni par la société G2S sur la question de la différence de traitement, lorsque cette dernière a été évoquée avec l'employeur au cours d'une réunion des délégués du personnel, en septembre 2005 ;
Attendu qu'après une période d'absence pour maladie, lors de la reprise, les reproches ont également repris :
- le 30 août 2007 : une mise en garde pour mauvais classement de fiches et pour avoir été trouvée occupée à lire un livre sur son lieu de travail,
- le 8 octobre 2007 : une soudaine demande de justification de ses heures de délégation sur une période de six mois remontant à mai 2007,
- le 9 octobre 2007 : un avertissement pour être sortie quelques instants de l'entreprise pour discuter avec un tiers et pour avoir pris un café dans le local du comité d'entreprise le 8 octobre 2007,
soit en tout dix réprimandes écrites, mises en gardes ou sanctions disciplinaires en sept ans, dont trois avertissements, la salariée faisant observer que l'employeur usait ordinairement de son droit de sanction avec parcimonie ; que la société G2S justifie que trois avertissements ont été notifiés à d'autre salariés ; qu'à elle seule, elle en a donc reçu autant que les trois autres réunis ;
Attendu que Jeanine X... avait certifié par écrit, le 27 mars 2003, avoir vu Angèle E... " sans travail pendant des mois (4 mois) à la demande de la société G2S " ;
Attendu que par lettre du 16 juillet 2003, l'inspecteur du travail avait demandé des explications au dirigeant de la société G2S à propos de la démarche suivante, qui lui avait paru susceptible de constituer une discrimination à l'égard de la déléguée syndicale CGT titulaire Angèle E..., licenciée pour inaptitude physique à son poste en mars 2003 et dont Jeanine X... était la suppléante depuis 2000 ;
Que l'inspecteur du travail indiquait avoir appris par trois représentants du personnel et par un responsable de site que, dans le contexte du contentieux afférent à ce licenciement, le directeur des ressources humaines du groupe NSE avait réuni trois délégués du personnel en avril 2003 pour leur expliquer que le directeur de G2S risquait d'être convoqué en justice suite à la contestation de ce licenciement, pour demander aux intéressés d'obtenir des attestations de la part des salariés en leur mentionnant plusieurs suggestions qu'ils devaient prendre et en leur demandant de faire comprendre aux salariés les conséquences qu'aurait la perte du procès pour la société ;
Qu'après que le conseil de prud'hommes a débouté Angèle E... de sa contestation, par jugement du 5 novembre 2004, l'employeur a cru nécessaire de faire observer à Jeanine X..., par lettre recommandée du 23 décembre 2004, que sa collègue avait perdu et que la société avait produit des éléments factuels qui avaient contredit son propre témoignage ;
Qu'il était demandé à Jeanine X... des explications sur ce témoignage et lui était précisé que l'employeur se réservait le droit d'engager d'éventuelles poursuites ;
Attendu que toutefois rien n'établit que Jeanine X... avait rédigé une fausse attestation ; qu'il n'est en tout cas pas indiqué dans le jugement du 5 novembre 2004, qui n'y fait aucune référence dans ses motifs, que ce témoignage était contredit par d'autres éléments ou qu'il était mensonger ;
Que l'employeur a manifestement exercé des pressions sur le personnel et tenté d'intimider la déléguée syndicale suppléante à l'occasion des difficultés qui l'opposaient au délégué titulaire ;
Attendu que parmi les mises en gardes ou les observations notifiées à Jeanine X... par la société, de nombreuses étaient motivées par des reproches de manquements en matière de respect du temps de travail et d'accomplissement du travail ;
Mais attendu qu'il apparaît que dans le même temps Jeanine X... était confrontée à une dégradation de ses conditions d'emploi ;
Attendu que, tandis que certains jours de l'année 2003 son horaire de travail était réduit à zéro (en tout 9 jours en 2003 à l'examen des documents intitulés notifications de changement d'horaire), l'employeur avait tenté d'imposer à Jeanine X..., en invoquant un accord d'annualisation du temps de travail, le report sur l'année 2004 des heures non effectuées par elle en 2003, ce qui était impossible sans le consentement de l'intéressée par application des mêmes dispositions collectives en vigueur (accord collectif sur l'aménagement du temps de travail du 3 juin 2002 modifié le 17 septembre 2003) ;
Que c'est à cette époque que Jeanine X... s'était vu notifier le rappel du 8 janvier 2004 déjà cité ;
Qu'elle avait fait observer que, sur les cinq salariés de son service dans le même cas qu'elle, elle était la seule à s'être vu imposer cette récupération d'heures de 2003 en 2004 ;
Que la société G2S ne rapporte pas la preuve du contraire ;
Que la société ne justifie pas non plus de l'accord de Jeanine X... ; qu'elle fait état du consentement que celle- ci aurait exprimé lors d'un comité d'entreprise du 18 décembre 2003 mais dont le compte rendu approuvé n'est pas produit ;
Qu'il avait fallu l'intervention de l'inspection du travail pour faire cesser cette pratique et remettre à zéro le compteur des heures de la salariée en 2004 ;
Attendu que Jeanine X... fait observer qu'en décembre 2003 son horaire avait été brusquement porté de 7h00 à 8h30 pour 5 jours à partir du 17 décembre 2003, sans respect d'ailleurs du délai de prévenance conventionnel habituel de 7 jours mais avec usage du délai de prévenance exceptionnel de 24 heures (notification du 15 décembre) ;
Que plusieurs cas de non- respect du délai de prévenance ordinaire et du recours au délai abrégé sont d'ailleurs établis en 2003 et en 2004, notamment le changement d'horaire notifié le 21 juin pour le lendemain, ce qui n'avait pas empêché l'employeur de reprocher à Jeanine X..., le 24 septembre 2004, un horaire insuffisant lors d'une semaine de septembre 2004, qui plus est sur un poste dont l'inspecteur du travail avait rappelé à l'employeur, le 8 septembre précédent, qu'il n'était pas adapté à l'état de santé de l'intéressée ;
Attendu qu'il résulte de l'avis du 17 mai 2001 du médecin du travail, qu'à l'origine, Jeanine X... était affectée à la réparation et à l'entretien d'écrans d'ordinateurs avec manutention et manipulation répétées puis que, à la date de cet avis, son travail avait consisté à tester des cartes électroniques dites " PROCs / MEMs " (cartes mémoire et processus) ;
Qu'en raison de la pathologie dont elle était atteinte et qui est décrite dans cet avis du 17 mai 2001 (tendinites à l'épaule), le médecin du travail l'avait déclarée apte à un poste sans port de charge et sans position bras surélevés, avait relevé que l'aménagement du poste " moniteurs " était impossible, d'où la nécessité d'un changement de poste, le médecin ayant estimé en conclusion que Jeanine X... était apte au poste qu'elle occupait " mais à suivre " ;
Attendu que la COTOREP lui a reconnu le 27 juin 2001 la qualité de travailleur handicapé catégorie A pour une durée de 5 ans avec maintien en milieu ordinaire de travail ;
Attendu que le médecin du travail a émis les avis d'aptitude suivants, dans le même sens que celui de 2001 :
-21 juillet 2004 : apte sur un poste sans port de charges de plus de 10 kg environ, sans position bras surélevés ni mouvements répétés des membres supérieurs,
-3 septembre 2004, lors d'un nouvel examen demandé par l'employeur : apte au poste occupé ce jour, à revoir en cas de problème médico-professionnel,
-27 février 2006 : apte à un poste sans manutention ou port de charge jusqu'à nouvel avis,
-10 juillet 2007 : apte à une reprise à temps plein sur un poste ne comportant pas de port de charges répété de plus de 5 kg environ ;
Attendu qu'il résultait clairement de l'avis du 17 mai 2001 que Jeanine X... ne devait pas travailler sur le poste moniteurs ; que rien n'indique que cet avis n'était plus en vigueur avant le 21 juillet 2004 ;
Que pourtant, lors d'une reprise du travail à partir du 19 juillet 2004 après une période d'arrêt maladie, la tâche qui lui avait été confiée le 20 juillet 2004 avait consisté précisément à nettoyer des moniteurs CRT, ce qu'elle avait refusé les 20 et 21 juillet 2004 ;
Attendu que dans la lettre d'observation du 21 juillet 2004, l'employeur exposait que le poste ne demandait pas de port de charge, le moniteur restant sur son chariot ;
Qu'il s'était toutefois abstenu d'expliquer comment le processus de nettoyage de moniteurs CRT (moniteurs à tube cathodique) pouvait se dérouler sans soulever et sans manipuler l'appareil ; que dans une lettre du 24 septembre 2004 à l'inspection du travail, la société expliquait : " nous n'avons pas imposé à Jeanine X... de rentrer chez elle du fait de la restriction médicale. Au contraire, afin d'éviter cette situation, nous allions modifier notre processus sur les moniteurs CRT pour lui permettre de travailler. L'avis de la médecine du travail nous en a empêché ", ce qui permet de déduire que le processus initial non modifié nécessitait le port de charge ;
Que cette affectation constituait, de plus, une dégradation injustifiée de son poste, compte tenu du caractère ingrat de cette tâche de simple nettoyage par rapport au degré d'expérience et de qualification de Jeanine X... ;
Que la cour relève à ce sujet que Jeanine X... a été embauchée en 1980 en qualité d'assembleuse à temps plein, catégorie 03, niveau I, 3e échelon et coefficient 155 de la convention collective de la métallurgie de l'Isère ; qu'elle a été ensuite classée opératrice de dépannage, opératrice de réparation ;
Qu'au moment du transfert de son contrat de travail, en janvier 2000, elle était classée chez HEWLETT- PACKARD à l'emploi d'opératrice de production confirmée classification 23 au coefficient 190 déjà cité correspondant au niveau II P2 de la convention collective de la métallurgie (ouvriers), soit le 6e coefficient en partant du bas de la grille, ce même coefficient 190 étant, dans la grille conventionnelle, immédiatement inférieur à celui correspondant au niveau de technicien d'atelier ;
Attendu que par la suite, aucun travail n'a été confié à Jeanine X... au poste PROCs / MEMs ; qu'elle s'est même vu imposer de rentrer chez elle les jours suivant sa reprise de juillet 2004 ;
Attendu qu'elle a été placée en arrêt maladie une partie de l'année en 2006 puis en mi- temps thérapeutique de janvier 2007 au 16 juillet 2007 ; qu'elle a été de nouveau en arrêt maladie du 4 août 2007 au 15 janvier 2008 pour une intervention au canal carpien ;
Attendu qu'à sa reprise début 2006, lui avait été proposé un poste consistant non seulement à nettoyer les moniteurs CRT 15 pouces mais aussi à en rebuter certains, ce qui résulte de l'attestation du 10 mai 2006 de la responsable de production Catherine F... ;
Que dans une lettre du 14 février 2006, l'inspecteur du travail avait fait observer à la société qu'il y avait des postes disponibles dans l'entreprise correspondant aux compétences et à l'aptitude de Jeanine X..., à savoir les postes LCD, saisie à la réception et SMT ;
Que dans sa réponse du 23 février 2006, l'employeur soutenait que le poste au nettoyage des CRT avant leur l'emballage ne comportait par de port de charge mais avait omis d'évoquer, dans cette lettre de réponse, les fonctions de mise au rebut des moniteurs 15 pouces, consistant à séparer tous les éléments pour un tri sélectif, attributions pourtant décrites dans l'attestation de la responsable de production comme l'une des trois tâches confiées à Jeanine X... " depuis la fin de l'année 2005 " ;
Attendu que ce travail ne correspondait pourtant toujours pas à son aptitude physique, ce que le syndicat CGT avait officiellement dénoncé à l'employeur mais aussi à la société HP, donneur d'ordre et à l'inspection du travail, le 30 mars 2006, en dénonçant par la même occasion la situation de " non-travail " de Jeanine X... ;
Attendu qu'en mars 2006, plusieurs salariés de la société G2S (Marie- Claude G..., Annick H..., Yvette I..., Roland J..., Michèle K..., Daniel D...) avaient attesté que l'intéressée était restée sans travail à plusieurs reprises ou avait été renvoyée chez elle alors que, notamment, elle avait proposé ou demandé son affectation sur le poste des moniteurs à écran plat ;
Que ces témoignages sont corroborés par des fiches de suivi d'activité de février et mars 2006 portant la mention : " attente de travail " ;
Attendu que l'employeur ne produit aucun justificatif d'une impossibilité d'affecter Jeanine X... au poste écrans plats, ces appareils étant effectivement moins lourds ;
Attendu qu'en définitive, Jeanine X... n'a pas seulement été confrontée à une hésitation passagère de l'employeur sur le poste à lui confier après arrêt maladie mais est restée, en pratique, sans poste fixe malgré son retour à temps plein le 16 juillet 2007, ce que l'inspection du travail avait encore relevé le 31 août 2007, demandant à l'employeur de l'informer des postes proposés et en lui signalant que cette situation pouvait être constitutive d'une discrimination ;
Que la fiche mensuelle de Jeanine X... permet de constater qu'elle a été purement et simplement mise en congés payés à partir du 20 juillet 2007 ;
Attendu que Jeanine X... a été affectée à des taches subalternes, sans rapport avec sa qualification : emballage, rangements, saisie de données, collage d'étiquettes ;
Attendu que l'employeur lui oppose une prétendue incompétence à travailler sur la gamme de produits que traitait désormais la société et invoque le fait que les formations qu'elle avait suivies n'avaient pas été jugées satisfaisantes ;
Que Jeanine X... avait bénéficié d'une formation de 105 heures de mars à mai 2007 au nettoyage de drivers et plage d'accueil, jugée " non efficace : ne possède pas les compétences " ;
Qu'elle avait fait observer qu'elle n'avait fait l'objet d'aucune formation externe ; qu'elle avait aussi répondu le 28 septembre 2007 qu'elle estimait avoir la compétence pour occuper un poste sur une ligne SMT avec une vraie formation préalable, ce poste étant occupé depuis an par une intérimaire ;
Attendu que lorsque Jeanine X... avait été affectée fin novembre 2007 au poste nettoyage de connecteurs Thalès avionics, elle avait été la seule du service planifiée 8 heures par jour en décembre 2007 et la première semaine de janvier 2008, puis la seule planifiée 9 heures par jour deux autres semaines de janvier 2008, alors que les horaires de tous ses collègues étaient inférieurs, la plupart effectuant une heure de moins qu'elle ;
Attendu que si Jeanine X... avait été considérée par l'employeur, en novembre 2007, capable d'occuper ce poste, il appartient à la société de démontrer en quoi elle avait été incapable d'occuper les postes test de cartes CTLX, cellule LCD et drivers, évoqués dans la lettre envoyée le 21 septembre 2007 par la société à l'inspecteur du travail, qui exposait que les formations sur ces postes avaient été jugées non satisfaisantes par les responsables de l'entreprise ;
Attendu que ce faisceau d'éléments factuels, à savoir des sanctions ou des rappels à l'ordre injustifiés, des retraits de tâches, l'affectation à des tâches subalternes, des horaires de travail hachés et différents de ceux de ses collègues, l'attribution de travaux incompatibles avec son état de santé, le caractère répétitif et durable de ces faits depuis l'attribution des mandats de représentation, laissent supposer l'existence d'une discrimination syndicale directe ou indirecte ;
Que la société intimée ne démontre pas que ces décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination syndicale ; qu'elle ne démontre pas qu'en dépit des volumes de travail confiés par sa clientèle, en dépit de l'évolution de la société, d'autres salariés, du même niveau de qualification et d'expérience que Jeanine X..., avaient été comme elle placés dans de telles situations de non-travail ou s'étaient vu imposer des tâches de niveau inférieur ou des horaires et des rythmes de travail aussi décousus ;
Attendu que, sans qu'il soit nécessaire de retenir également l'existence d'un harcèlement moral, qui n'est pas suffisamment démontré et pour lequel la preuve d'un lien entre les problèmes de santé invoqués et de supposés agissements répétés de harcèlement moral au sens de l'article L. 122-49 du code du travail ne sont pas établis, la discrimination syndicale, qui elle est suffisamment établie, justifie de prononcer la résiliation du contrat de travail à la date de la présente décision pour manquement grave de l'employeur à ses obligations ;
Attendu que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Attendu qu'en fonction de l'ancienneté de Jeanine X..., de son salaire mensuel de référence (1. 769, 45 €), de l'effectif des salariés de la société G2S, il y a lieu de lui allouer les indemnités de rupture suivantes :- indemnité compensatrice de deux mois de préavis : 3. 538, 90 €,- indemnité compensatrice de congés payés afférents : 353, 89 €,- indemnité de licenciement : 11. 678, 00 €,- dommages et intérêts pour rupture abusive : 20. 000, 00 €,- dommages et intérêts pour discrimination syndicale : 20. 000, 00 € ;
Attendu que ces créances relèvent bien de la garantie instituée par l'article L. 143-11-1 1o et 2o du code du travail ; que la mise en cause de l'AGS se justifie de ce chef, afin que la décision lui soit opposable ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Jeanine X... les frais irrépétibles exposés ; qu'il lui reviendra de ce chef une indemnité de 2. 000 euros ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte la remise des documents de rupture ;
PAR CES MOTIFS
la Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi :
Infirme le jugement du 16 avril 2007,
Statuant à nouveau :
Juge que Jeanine X... a été l'objet de mesures discriminatoires de la part de son employeur en raison de l'exercice de ses activités syndicales ;
Prononce la résiliation à la date du présent arrêt de son contrat de travail pour manquements graves de l'employeur à ses obligations ;
Fixe les créances de Jeanine X... sur le passif de la société GLOBAL SUPPORT SERVICES (G2S), en procédure de sauvegarde, aux sommes ci- après :
- indemnité compensatrice de préavis : 3. 538, 90 €,- indemnité compensatrice de congés payés afférents : 353, 89 €,- indemnité de licenciement : 11. 678, 00 €,- dommages et intérêts pour rupture abusive : 20. 000, 00 €,- dommages et intérêts pour discrimination syndicale : 20. 000, 00 € ;
Ordonne la remise des documents de rupture ;
Dit que le présent arrêt est opposable à l'AGS gérée par le CGEA d'ANNECY dans la limite des garanties des plafonds légaux et réglementaires et que son obligation de faire l'avance des sommes allouées à Jeanine X... ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui- ci de l'absence de fonds disponibles pour procéder à leur paiement ;
Rappelle que cette obligation n'est pas applicable pour les sommes allouées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Met à la charge de la société G2S en procédure de sauvegarde la somme de 2. 000 € due à Jeanine X... au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de même que les entiers dépens d'instance et d'appel ;
Déboute la société G2S de ses demandes.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
Signé par Monsieur DELPEUCH, président, et par Madame VERDAN greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.