RG No 06 / 00677
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU LUNDI 10 SEPTEMBRE 2007
Appel d'une décision (No RG 05 / 00118) rendue par le Conseil de Prud'hommes de VIENNE en date du 19 janvier 2006 suivant déclaration d'appel du 01 Février 2006
APPELANTS :
Monsieur Amar X......... 38300 BOURGOIN- JALLIEU
Monsieur Michel Y...... 69124 COLOMBIER SAUGNIEU
Monsieur Xavier Z......... 38080 ST ALBAN DE ROCHE
Madame Maryline A...... 38110 CESSIEU
Monsieur David B...... 38080 L'ISLE D'ABEAU
Monsieur Philippe C......... 38090 VILLEFONTAINE
Mademoiselle Isabelle D...... 38090 VILLEFONTAINE
Monsieur Hubert E...... 38440 ST JEAN DE BOURNAY
Tous les huit comparants et assistés de Me Mustapha BAICHE (avocat au barreau de LYON)
Monsieur Ali Osman F...... 38090 VILLEFONTAINE
Monsieur Lahcène G...... 69330 MEYZIEU
Monsieur Jean- Robert H......... 38300 BOURGOIN- JALLIEU
Monsieur Ahmed I......... 38300 NIVOLAS VERMELLE
Mademoiselle Monika J...... 38090 VILLEFONTAINE
Monsieur Christof K... Chez Madame L...... 38090 VILLEFONTAINE
Monsieur Nicolas M......... 38090 VILLEFONTAINE
Monsieur Sylvain N...... 38300 MAUBEC
Mademoiselle Séverine O...... 38890 VIGNEU
Monsieur Laurent P...... 38890 VIGNEU
Monsieur Arnaud Q...... 38440 CHATONNAY
Monsieur Osman R...... 38290 LA VERPILLIERE
Monsieur Aziz S......... 38090 VILLEFONTAINE
Monsieur Ibrahim T......... 38290 LA VERPILLIERE
Monsieur Gérard U...... 38110 ST CLAIR DE LA TOUR
Monsieur Jean- Pierre V......... 38110 LA TOUR DU PIN
Monsieur Albert W...... 38080 L'ISLE D'ABEAU
Monsieur Stéphane XX...... 38080 L'ISLE D'ABEAU
Tous les dix- huit représentés par Me Mustapha BAICHE (avocat au barreau de LYON)
INTIMEE :
La S. A. S. KUEHNE + NAGEL LOGISTICS anciennement dénommée ACR LOGISTICS 89 rue de Malacombe Zone Industrielle Chesnes la Noirée 38070 ST QUENTIN FALLAVIER
Représentant : Mme YY... (Dir. Rég. Ress. Humaines) assistée de Me Marilyn FAVIER (avocat au barreau de LYON)
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DELIBERE :
Monsieur Jean- François GALLICE, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Hélène COMBES, Conseiller, Monsieur Eric SEGUY, Conseiller.
DEBATS :
A l'audience publique du 18 Juin 2007, Madame COMBES, chargée du rapport, en présence de Monsieur GALLICE, assistés de Mme LEICKNER, Greffier, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoirie (s), conformément aux dispositions de l'article 945-1 du Nouveau Code de Procédure Civile, les parties ne s'y étant pas opposées ; Puis l'affaire a été mise en délibéré au 10 Septembre 2007, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 10 Septembre 2007.
EXPOSE DU LITIGE
La société Hays Logistics exerçait son activité dans le domaine de la logistique et intervenait sur les marchés de la grande distribution, de la grande consommation, des pièces détachées d'automobile et des télécoms.
L'établissement de Saint- Quentin Fallavier employait 116 personnes et assurait une prestation logistique pour le groupe Carrefour, client unique.
Au mois de février 2004, la société Hays Logistics a été rachetée par un groupe américain Platinium Equity et elle a changé de dénomination pour devenir la société ACR Logistics.
Quelques mois après ce rachat, la société ACR Logistics a engagé sur le site de Saint- Quentin Fallavier une procédure de licenciement collectif pour motif économique en raison du désengagement du groupe Carrefour et au mois de juillet 2004, elle a établi un projet de centralisation de l'activité épicerie de Carrefour sur le site de Pont de Veyle (Ain) avec un plan de sauvegarde de l'emploi.
Au final, 69 salariés ont été reclassés, les autres étant licenciés pour motif économique.
Le 7 avril 2005, vingt- six d'entre eux ont contesté leur licenciement devant le conseil de Prud'hommes de Vienne.
Ils invoquaient la nullité du plan de sauvegarde de l'emploi et subsidiairement l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.
En cours de procédure devant le conseil de Prud'hommes, le groupe Platinium Equity a revendu l'intégralité des actions de la société ACR Logistics à la société Kuehne + Nagel au mois d'octobre 2005 et la société ACR Logistics est alors devenue la société Kuehne + Nagel Logistics.
Par jugement du 19 janvier 2006, le conseil de Prud'hommes a ordonné la jonction des procédures, dit que les licenciements reposent sur un motif économique réel et sérieux, que le plan de reclassement répond aux exigences légales et que le préavis n'a pas été respecté pour 14 salariés qui ont obtenu la condamnation de la société ACR Logistics au paiement des sommes suivantes :
- Isabelle D... : 692, 49 euros outre 69, 24 euros au titre des congés payés afférents- Séverine O... : 578, 71 euros outre 57, 87 euros au titre des congés payés afférents- Ali F... : 1. 414, 30 euros outre 141, 43 euros au titre des congés payés afférents- Jean- Robert H... : 1. 344, 64 euros outre 134, 46 euros au titre des congés payés afférents- Gérard U... : 659, 21 euros outre 65, 92 euros au titre des congés payés afférents- Ibrahim T... : 1. 335, 29 euros outre 133, 52 euros au titre des congés payés afférents- Amar X... : 165, 13 euros outre 16, 51 euros au titre des congés payés afférents- Laurent P... : 593, 57 euros outre 59, 35 euros au titre des congés payés afférents- Philippe C... : 807, 59 euros outre 80, 75 euros au titre des congés payés afférents- Xavier Z... : 1. 116, 48 euros outre 111, 65 euros au titre des congés payés afférents- Nicolas M... : 268, 22 euros outre 26, 82 euros au titre des congés payés afférents- Sylvain N... : 593, 57 euros outre 59, 35 euros au titre des congés payés afférents- Aziz S... : 1. 527, 16 euros outre 152, 72 euros au titre des congés payés afférents- Stéphane XX... : 3. 131, 73 euros outre 313, 17 euros au titre des congés payés afférents-140 euros chacun au titre des frais irrépétibles.
Michel Y..., Albert W..., Lahcene G..., Arnaud Q..., Osman R..., Jean- Pierre V..., David B..., Ahmed I..., Christophe K..., Hubert E..., Monika J... et Maryline A... ont été déboutés de l'ensemble de leurs demandes.
Les 26 salariés ont relevé appel le 1er février 2006.
Ils demandent à la Cour de constater l'insuffisance et donc la nullité du plan de sauvegarde de l'emploi et subsidiairement l'absence de motif économique et de condamner la société Kuehne + Nagel Logistics qui vient aux droits de la société ACR Logistics à leur payer les sommes suivantes à titre de dommages- intérêts pour la nullité du plan social et subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
- Ali F... : 20. 349 euros et subsidiairement 10. 175 euros- Isabelle D... : 18. 410 euros et subsidiairement 9. 205 euros- Michel Y... : 51. 000 euros et subsidiairement 51. 000 euros- Albert W... : 16. 452 euros et subsidiairement 8. 232 euros- Jean- Robert H... : 33. 000 euros et subsidiairement 33. 0000 euros- Gérard U... : 26. 000 euros et subsidiairement 26. 000 euros- Ibrahim T... : 30. 000 euros et subsidiairement 30. 000 euros- Amar X... : 19. 320 euros et subsidiairement 9. 615 euros- Laurent P... : 25. 920 euros et subsidiairement 11. 109 euros- Lahcene G... : 62. 000 euros et subsidiairement 62. 000 euros- Arnaud Q... : 24. 829 euros et subsidiairement 12. 415 euros- Philippe C... : 15. 644 euros et subsidiairement 7. 822 euros- Xavier Z... : 25. 300 euros et subsidiairement 25. 300 euros- Nicolas M... : 30. 776 euros et subsidiairement 30. 776 euros- Osman R... : 32. 000 euros et subsidiairement 32. 000 euros- Jean- Pierre V... : 28. 300 euros et subsidiairement 28. 300 euros- David B... : 34. 400 euros et subsidiairement 34. 400 euros- Ahmed I... : 34. 160 euros et subsidiairement 34. 160 euros- Aziz S... : 15. 979 euros et subsidiairement 7. 990 euros- Sylvain N... : 24. 600 euros et subsidiairement 12. 300 euros- Séverine O... : 16. 320 euros et subsidiairement 8. 160 euros- Christophe K... : 18. 452 euros et subsidiairement 9. 126 euros- Maryline A... : 31. 400 euros et subsidiairement 31. 400 euros- Monika J... : 19. 490 euros et subsidiairement 9. 745 euros- Stéphane XX... : (Salarié protégé) 27. 490 euros- Hubert E... : 48. 000 euros et subsidiairement 48. 000 euros
Hubert E... et Ahmed I... réclament très subsidiairement 24. 000 euros et 22. 778 euros à titre de dommages- intérêts pour non- respect des engagements contenus dans le plan de sauvegarde de l'emploi.
David B..., Maryline A... et Séverine O... réclament très subsidiairement des dommages- intérêts indentiques à ceux qu'ils réclament à titre principal et subsidiairement pour non- respect de l'obligation de reclassement.
Tous les salariés réclament 1. 000 euros chacun au titre des frais irrépétibles.
I- Sur la nullité des licenciements
Les appelants invoquent la nullité des licenciements au visa des dispositions de l'article L. 321-4-1 du code du travail.
Ils rappellent que le plan de sauvegarde de l'emploi doit comporter des mesures concrètes et précises, ce qui implique que le plan contienne des indications précises sur les modalités de reclassement interne : nombre et nature des emplois proposés à l'intérieur du groupe et dans les entreprises dont les activités permettent d'envisager des permutations ;
qu'un plan n'est pas valable lorsqu'aucune recherche n'a été effectuée dans les autres sociétés du groupe ;
que toutes les mesures possibles doivent être proposées : réduction du temps de travail, passage à temps partiel, développement de nouvelles activités.
Ils soutiennent que l'employeur doit être en mesure d'établir qu'il a procédé à l'inventaire des sociétés composant le groupe et à une recherche de reclassement dans chaque société où la permutation est possible, y compris parmi les sociétés situées à l'étranger.
Ils font valoir qu'en l'espèce, le plan de sauvegarde de l'emploi établi par la société ACR Logistics était insuffisant dans l'étendue des recherches de reclassement et dans les autres mesures prévues au plan.
Ils soulignent encore que contrairement à ce qui est indiqué dans le plan de sauvegarde de l'emploi, la société ACR Logistics n'a pas fermé le site de Saint- Quentin Fallavier qui fonctionne toujours.
1) Sur l'insuffisance dans l'étendue des recherches de reclassement ils font valoir :
- que les recherches de reclassement ont été faites dans 15 établissements de la société ACR Logistics mais n'ont pas été étendues à tous les établissements dépendant de la société qui sont répartis sur 180 sites ;
qu'ainsi, de nombreuses agences et établissements ne sont pas mentionnés dans le plan de sauvegarde de l'emploi, comme l'établissement de Satolas créé en 2001 qui a été purement et simplement écarté ou l'entrepôt frigorifique de Saint- Quentin Fallavier.
- que les recherches de reclassement n'ont pas été étendues à toutes les sociétés du groupe Platinium Equity auquel appartient la société ACR Logistics, groupe qui possède dans le monde 19 sociétés, au sujet desquelles le plan ne donne aucune précision quant à leur activité, leur organisation et leur implantation.
Ils soutiennent qu'en définitive, la société ACR Logistics s'est limitée dans la mise en place des mesures de reclassement à des propositions sur le site de Pont de Veyle (Ain) dont elle savait par avance qu'elles seraient refusées en raison de l'éloignement.
2) Sur l'insuffisance des autres mesures, ils soutiennent que la plupart des mesures figurant dans le plan de sauvegarde de l'emploi n'ont pas pour objet d'éviter ou de limiter le nombre des licenciements mais constituent des mesures conditionnelles subordonnées par la découverte d'un nouvel emploi par le salarié licencié.
Ils en concluent que le plan de sauvegarde de l'emploi établi par la société ACR Logistics est un plan purement formel qui ne contient aucune mesure sérieuse de nature à réduire, voire supprimer les licenciements, comme par exemple la réduction ou l'aménagement de la durée du travail, la suppression du recours aux heures supplémentaires ou l'arrêt du recours aux intérimaires.
Sur l'argumentation développée par la société ACR Logistics, ils rappellent que la validité du plan de sauvegarde de l'emploi doit s'apprécier au regard de son contenu et que les salariés licenciés pour motif économique ont un droit propre à faire valoir que leur licenciement est nul au regard de l'article L. 321-4-1 du code du travail, sans que l'employeur puisse leur opposer que des mesures individuelles de reclassement leur ont été proposées.
Ils donnent 10 exemples de propositions qui ont été faites et acceptées pour être finalement refusées, ce qui démontre qu'il n'y avait aucune intention de reclassement.
Ils soutiennent que la majorité des offres a été retirée sous prétexte d'une application des critères de reclassement et correspondent à des postes qui n'ont pas été pourvus.
Ils en concluent que l'objectif de la société ACR Logistics a consisté dès l'origine de se séparer des salariés les plus anciens, pré- identifiés.
II- Sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement
Ils rappellent qu'en première instance, la société ACR Logistics n'avait produit aucun élément de nature à démontrer le désengagement du groupe Carrefour, une lettre du 4 mars 2004 étant produite en cours de délibéré et font valoir :
- que la société ACR Logistics n'a jamais justifié de l'envoi de cette lettre avant le prononcé des licenciements économiques et que le document produit a été établi pour les besoins de la cause.
- que les raisons pour lesquelles Carrefour a résilié le contrat ne sont pas précisées, ce qui ne peut fonder les licenciements économiques.
- que la réalité du motif économique n'est pas établie, le véritable motif du licenciement ne figurant pas dans la lettre de licenciement.
- que la nécessité de sauvegarder la compétitivité n'est pas démontrée.
Ils soutiennent que la véritable cause des licenciements dont le projet a été porté à la connaissance des représentants du personnel 4 mois après le rachat par le groupe Platinium Equity était de parvenir à une compression d'effectifs dans un souci de rentabilité.
Ils détaillent les cinq situations personnelles au vu desquelles les demandes subsidiaires sont formées.
La société Kuehne + Nagel Logistics conclut à la confirmation du jugement et demande subsidiairement à la Cour de limiter le montant des dommages- intérêts.
Elle indique ne pas contester les dispositions du jugement relatives aux indemnités de préavis qui ont été payées.
Elle rappelle que la société ACR Logistics faisait partie depuis février 2004 du groupe américain Platinium Equity recouvrant trois secteurs d'activité, dont celui de l'externalisation des fonctions supports de l'entreprise et que depuis le mois de mars 2006, elle a été reprise par la société Kuehne + Nagel.
Elle expose que son activité s'effectue à partir de plusieurs plates- formes logistiques dont certaines dédiées au client Carrefour qui représente une part importante de son chiffre d'affaires.
Elle indique qu'après sa fusion avec Promodès, le groupe Carrefour a arrêté une nouvelle stratégie en termes de logistique globale et a mis fin en 2004 au contrat de prestation, ce qui l'a conduite à envisager la fermeture du site de Saint- Quentin Fallavier, qui lui était totalement dédié, pour transférer l'activité sur le site de Pont de Veyle.
Elle précise qu'elle a pu conclure trois contrats de prestation qui ont finalement permis le maintien du site de Saint- Quentin Fallavier avec un effectif de 13 personnes, qui est à ce jour de 30 salariés.
Elle indique qu'elle a soumis à l'avis du comité central d'entreprise un projet de licenciement collectif concernant 99 personnes, et que le comité central d'entreprise a rendu un avis favorable ;
que des propositions de transfert sur Pont de Veyle et de reclassement ont été transmises à chaque salarié concerné et que ceux qui les ont refusées se sont vu notifier leur licenciement.
I- Sur le plan de sauvegarde de l'emploi
Elle fait valoir que le plan soumis au comité central d'entreprise comporte des mesures effectives d'aide au reclassement, la volonté de la direction étant de proposer le plus d'emplois possible sur la région Rhône- Alpes ;
qu'ainsi, 189 postes étaient proposés pour 99 emplois concernés.
Elle relève l'incohérence qu'il y a à soutenir d'une part que les mutations à Pont de Veyle ont été refusées en raison de l'éloignement et à reprocher d'autre part à l'entreprise de ne pas avoir proposé de reclassement dans tout le groupe Platinium Equity.
Elle rappelle que les propositions de reclassement doivent être en adéquation avec les attentes légitimes des salariés et précise que les appelants se sont vu proposer des postes sur la région et dans un périmètre plus large mais que tous ont été réfractaires à la mobilité géographique.
Elle soutient encore :
- que dès la 1re réunion du comité d'établissement, il a été prévu la mise en place d'un point info / conseil afin que chaque salarié puisse exprimer ses souhaits.- que les embauches sous contrat à durée indéterminée ont été suspendues pour permettre les reclassements.- que l'inspection du travail n'a formulé aucune observation sur l'insuffisance du plan.- que compte tenu du nombre très important de postes offerts au reclassement interne en France et du niveau de qualification des salariés, il ne peut lui être reproché de n'avoir pas proposé de reclassement dans le groupe à l'étranger.- que consigne a été donnée par la direction à tous les sites de France de donner priorité sur les postes à pourvoir aux candidats venant de Saint- Quentin Fallavier.- que des facilités ont été accordées : possibilité de se rétracter pendant un mois, frais de vie et de trajet pris en charge pendant cette période, nouvelle proposition de reclassement en cas de rétractation, indemnités d'installation en cas de déménagement, maintien du salaire de base et de la prime d'ancienneté, indemnité de mutation en cas de déménagement.
Elle fait valoir que le plan contient les mesures prévues par l'article L. 321-4-1 du code du travail, soit 189 postes portés au plan de sauvegarde de l'emploi avec toutes les mesures d'accompagnement nécessaires : création d'activités nouvelles par l'entreprise et réactivation du bassin d'emploi par la recherche de nouveaux contrats de prestation de service, actions de formation dispensées à tous les salariés qui l'ont souhaité et mesures de réduction du temps de travail.
Elle précise que le site de Satolas, dédié à la société Rossignol, a été créé en 2004 et non en 2001 comme le soutiennent les appelants, qu'il employait 27 salariés et qu'il a été fermé en 2006.
Sur le cas particulier de Stéphane XX..., elle fait valoir qu'en tant qu'ancien salarié protégé, son licenciement économique a été autorisé par l'inspecteur du travail et que la décision de licenciement qui est définitive ne peut être remise en cause devant le juge judiciaire.
II- Sur le bien- fondé du licenciement économique
Elle soutient qu'elle a été contrainte d'accompagner la décision de Carrefour au regard du poids très important de ce client pour l'entreprise.
Elle indique encore que la décision de transférer l'activité de Saint- Quentin Fallavier à Pont de Veyle s'inscrit dans la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise.
III- Sur le respect de l'obligation de reclassement, elle fait valoir que les critères de reclassement ont été respectés et qu'aucun préjudice particulier n'est justifié par les cinq demandeurs.
Elle effectue dans ses conclusions une analyse des situations individuelles des 26 appelants.
DISCUSSION
Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées et soutenues à l'audience ;
I- Sur le plan de sauvegarde de l'emploi
Attendu que l'article L. 321-4-1 du code du travail édicte l'obligation pour une entreprise employant au moins 50 salariés d'établir et de mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi lorsque le nombre des licenciements est au moins égal à 10 dans une même période de 30 jours ;
Attendu que plan de sauvegarde de l'emploi est destiné à éviter les licenciements ou à en limiter le nombre et à faciliter le reclassement du personnel dont le licenciement ne pourrait être évité ;
Attendu que l'article L. 321-4-1 du code du travail énonce toute une série de mesures que le plan doit prévoir pour parvenir aux objectifs ci- dessus rappelés ;
que le plan de sauvegarde de l'emploi doit aussi contenir des précisions sur le nombre, la nature et la localisation des emplois offerts au reclassement afin que le comité d'entreprise soit en mesure d'apprécier la valeur de ces propositions au regard des salariés auxquels elles s'adressent ;
Attendu que le salarié licencié pour motif économique dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi dispose d'un droit propre à faire valoir que le plan est inexistant ou insuffisant au regard des dispositions de l'article L. 321-4-1 du code du travail, ce droit appartenant aussi au salarié protégé dont le licenciement a été autorisé par l'inspection du travail ;
Attendu qu'il résulte des éléments versés aux débats que le site de Saint- Quentin Fallavier créé en 1991 était exclusivement dédié au client Carrefour, premier client de la société ACR Logistics ;
Attendu que le plan de sauvegarde de l'emploi indique en page 8 que le désengagement du groupe Carrefour du contrat qui le liait au dépôt de Saint- Quentin Fallavier a conduit la société ACR Logistics à renforcer l'activité du site de Pont de Veyle tout en sauvant les emplois de Saint- Quentin Fallavier ;
Attendu que consulté le 26 juin 2004, le comité central d'entreprise n'a pas jugé utile de recourir à la consultation d'un expert et a voté à la majorité absolue en faveur du transfert de l'activité Carrefour de Saint- Quentin Fallavier à Pont de Veyle ;
Attendu que parallèlement, la société ACR Logistics a recherché de nouveaux clients sur le site de Saint- Quentin Fallavier, ce qui lui a permis de maintenir 13 salariés sur place, 99 étant concernés par la suppression du site (les 4 apprentis ne sont pas concernés) ;
Attendu que tous les salariés du site de Saint- Quentin Fallavier étant concernés par la cessation de l'activité Carrefour, le plan de sauvegarde de l'emploi énonce en page 11 que l'objectif est de reclasser tous les salariés dont le poste aura été supprimé et de fournir les efforts nécessaires au reclassement externe des salariés ayant refusé le reclassement interne ;
Attendu que 189 postes affectés aux reclassements internes sont énumérés dans le plan de sauvegarde de l'emploi dont 133 répartis sur les départements de l'Isère, du Rhône et de l'Ain, 19 dans le Var, 6 en Côte d'Or et 31 en Seine et Marne ;
Attendu que le plan de sauvegarde de l'emploi comporte donc les précisions nécessaires sur le nombre, la nature et la localisation des emplois offerts ;
Attendu que la plupart des emplois offerts dans le cadre du reclassement interne, l'étant dans un rayon proche de Saint- Quentin Fallavier, il ne saurait être fait grief à l'employeur de n'avoir pas étendu ses recherches à tous les établissements du groupe, les appelants ne pouvant simultanément invoquer l'éloignement que suppose une mutation dans l'Ain ou le Rhône et suggérer qu'ils auraient accepté un éloignement plus important ;
Attendu que l'argument concernant le site Rossignol de Satolas ne peut être retenu, ce site n'ayant pas été créé en 2001 comme le soutiennent les appelants, mais au mois de juin 2004 ;
Attendu que le plan de sauvegarde de l'emploi prévoit que l'ancienneté acquise à la date de la mutation sera conservée ainsi que la rémunération en cas de déclassement ;
Attendu que sont également prévues des mesures d'accompagnement comme la visite de l'environnement de travail avant la mutation ou une formation adaptée au nouveau poste de travail ;
Attendu que le plan de sauvegarde de l'emploi précise en outre que le salarié muté bénéficiera d'une période d'adaptation à ses nouvelles fonctions d'un mois renouvelable, période pendant laquelle il pourra y mettre fin ;
que le reclassement sur un autre poste lui sera proposé pour le cas où la période d'adaptation ne serait pas concluante ;
Attendu que selon le plan de sauvegarde de l'emploi, pendant cette période, l'employeur prendra en charge des frais de vie et de transport du salarié ou les frais de location d'un véhicule ;
Attendu qu'en cas de déménagement du salarié, l'employeur s'engage à prendre les frais de déménagement en charge ainsi qu'à verser une prime ;
que la prise en charge d'autres frais est également prévue : double loyer pendant la période probatoire, frais d'agence immobilière, frais de vie si aucun logement n'est trouvé à l'issue de la période probatoire ;
Attendu que d'autres mesures sont destinées à limiter les effets d'un éventuel licenciement et à favoriser les reclassements extérieurs comme la création d'un point information conseil dans le cadre duquel des entretiens individuels ont été menés et d'une antenne emploi dans les locaux de Saint- Quentin Fallavier ou comme l'institution de diverses aides et le versement d'allocations ;
Attendu que l'antenne emploi a pour vocation d'assister les salariés dans leur recherche d'emploi et de les aider dans leur reconversion professionnelle, notamment par le financement de formations ;
Attendu qu'il n'est pas soutenu que les mesures ci- dessus rappelées n'ont pas été effectivement mises en oeuvre mais qu'elles ne sont pas de nature à réduire, voire supprimer les licenciements ;
Attendu que les appelants ne sauraient être suivis en leur argumentation alors qu'il résulte de ce qui précède que le plan de sauvegarde de l'emploi qui affirme la volonté de l'entreprise de reclasser tous les salariés comporte des mesures concrètes et précises sur les possibilités de reclassement ;
qu'en effet tous les salariés ont reçu des propositions écrites de reclassement à la suite desquelles ils ont pu accepter certains postes ;
que lorsque ces postes n'ont pu leur être attribués en application des critères, d'autres propositions leur ont été faites (cf courriers de licenciement Z..., M..., X...) ;
Attendu que d'autres salariés ont reçu plusieurs propositions successives (N..., K..., J..., P..., V...) ;
Attendu que les autres mesures rappelées plus haut ne sont pas destinées à créer une apparence de recherche de reclassement mais tendent réellement à accompagner et faciliter la mobilité des salariés ;
Attendu que comme le souligne la société Kuehne + Nagel Logistics, il n'aurait été d'aucune utilité de réduire les heures supplémentaires ou d'agir sur le temps de travail dès lors que la résiliation du contrat avec le groupe Carrefour entraînait l'arrêt de l'activité et la fermeture du site de Saint- Quentin Fallavier ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que le 13 septembre 2004, 69 reclassements étaient intervenus ;
que certains salariés n'ayant pas accepté le reclassement interne ont suivi des formations financées par l'employeur (concours de professeur des écoles, soudeur, formateur, Caces) ou ont adhéré à la cellule emploi ;
Attendu qu'il doit être retenu qu'en l'espèce la société ACR Logistics a fait des propositions de reclassement en adéquation avec les attentes légitimes des salariés et que le fait qu'environ 50 salariés aient été licenciés pour motif économique n'est pas imputable à une insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu de conclure à la nullité des licenciements en raison de l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi.
II- Sur le motif économique
Attendu que la société Kuehne + Nagel Logistics produit un courrier daté du 4 mars 2004 par lequel le groupe Carrefour résilie pour le 6 septembre 2004 le contrat le liant à la société ACR Logistics pour le site de Saint- Quentin Fallavier ;
Attendu que contrairement à ce que soutiennent les appelants, ce courrier n'a pas été établi pour les besoins de la cause en cours de procédure prud'homale puisqu'il a été lu par Patrick ZZ..., président de la société ACR Logistics lors de la réunion du comité central d'entreprise qui s'est tenue le 26 juin 2004 ;
que la fermeture du site de Saint- Quentin Fallavier dédié au client unique Carrefour n'est d'ailleurs pas contestée ;
Attendu qu'elle constitue à l'évidence avec le transfert de l'activité sur le site de Pont de Veyle dicté par la volonté de ne pas perdre ce gros client, le motif économique des licenciements comme l'a justement retenu le conseil de Prud'hommes.
III- Sur les demandes subsidiaires
Attendu que ces demandes sont fondées sur le non- respect de l'ordre de licenciements en application des critères dégagés ou le non- respect des engagements du plan ;
Hubert E...
Attendu qu'Hubert E..., chef d'équipe cariste, soutient qu'il totalisait 1. 034, 36 points et que si la société ACR Logistics avait tenu compte de ce classement, il aurait pu être affecté sur l'un des trois postes de chef d'équipe disponibles à Saint- Quentin Fallavier ;
Attendu que dans un courrier du 25 octobre 2004, la société ACR Logistics reconnaît que sur les trois personnes retenues pour les postes de chef d'équipe, une seule totalise un nombre de points supérieur au sien (Monsieur AA...) ;
Attendu qu'il est indiqué que les deux autres personnes retenues sur ces postes ont une meilleure polyvalence en raison de la maîtrise du logiciel Infolog, bien que totalisant moins de points que lui ;
Attendu qu'Hubert E... soutient à juste titre qu'il a été tenu compte des qualités professionnelles pour définir le nombre de points, pour lui comme pour les deux salariées qui lui ont été préférées ;
Attendu que la société Kuehne + Nagel Logistics ne peut se retrancher derrière une polyvalence qui n'est établie par aucune pièce pour soutenir qu'elle était fondée à ne pas attribuer à Hubert E... un poste de chef d'équipe à Saint- Quentin Fallavier ;
Attendu qu'en ne proposant pas à Hubert E... un poste auquel il pouvait prétendre en fonction des points qu'il totalisait, la société ACR Logistics lui a causé un incontestable préjudice ;
qu'il lui sera alloué la somme de 10. 000 euros à titre de dommages- intérêts ;
Ahmed I...
Attendu qu'Ahmed I..., responsable cariste de nuit, soutient que le nombre de points qu'il totalisait (962, 88) devait lui permettre d'être affecté sur l'un des trois postes disponibles à Saint- Quentin Fallavier dont deux ont été attribués à des salariés ayant moins de points que lui ;
Attendu que la société Kuehne + Nagel Logistics ne répond pas sur ce point et invoque uniquement les propositions de reclassement refusées à Pont de Veyle et Longvic (21) ;
qu'elle ne conteste cependant pas l'attribution de deux postes de chef d'équipe à Madame BB... (872, 85 points) et à Monsieur CC... (793, 81 points) ;
Attendu qu'en ne proposant pas à Ahmed I... un poste auquel il pouvait prétendre en fonction des points qu'il totalisait, la société ACR Logistics lui a causé un préjudice qui sera réparé par la somme de 10 000 euros ;
David B...
Attendu que David B... soutient qu'après avoir accepté une mutation à Pont de Veyle, il a demandé le 14 février 2005 à ce qu'il soit mis fin à la période probatoire en raison des difficultés posées par l'éloignement géographique et qu'aucune nouvelle proposition ne lui a été faite ;
Attendu que la société Kuehne + Nagel Logistics n'est pas fondée à invoquer la longueur de la période probatoire (8 mois) alors qu'elle a clairement indiqué à David B... par courrier du 23 septembre 2004 qu'il bénéficierait d'une période d'adaptation de 8 mois en prenant le soin de préciser : " Il n'y a donc pas d'erreur sur la durée " ;
Attendu qu'en prévoyant une période probatoire d'une durée supérieure à ce que prévoit le plan de sauvegarde de l'emploi, la société Kuehne + Nagel Logistics n'a pas renoncé à son engagement de proposer un nouveau poste de reclassement au salarié en cas de rupture de la période probatoire ;
Attendu qu'elle ne l'a pas fait et a ce faisant causé à David B... un préjudice qui sera réparé par la somme de 10 000 euros ;
Maryline A...
Attendu que Maryline A... indique que le 3 août 2004, elle a accepté deux propositions qui lui ont été faites mais que sa candidature n'a pas été retenue en application des critères de reclassement et qu'il s'avère qu'en définitive, ces postes n'ont pas été pourvus ;
Attendu que si la société Kuehne + Nagel Logistics justifie par deux courriers des 26 août et 15 septembre 2004 qu'elle a confirmé dans ces postes deux salariées, Véronique DD... et Josiane EE... qui totalisaient plus de points que Maryline A..., elle n'établit par aucune autre pièce (avenant au contrat de travail, bulletins de salaire) que ces deux salariées ont effectivement occupé ces deux postes ;
Attendu que Maryline A... établit un préjudice découlant du non- respect des critères d'ordre qui sera réparé par la somme de 10 000 euros ;
Séverine O...
Attendu que Séverine O... soutient que le poste de préparateur de commande à Satolas Rossignol qui lui a été proposé et qu'elle a accepté, n'a jamais été pourvu alors qu'on lui a indiqué qu'en application des critères de reclassement elle n'était pas retenue ;
Attendu que la société Kuehne + Nagel Logistics ne justifie par aucune pièce que le poste de préparateur de commande à Satolas a effectivement été affecté à un salarié ayant plus de points qu'elle ;
Attendu que Séverine O... établit un préjudice découlant du non- respect des critères d'ordre qui sera réparé par la somme de 7 000 euros ;
Attendu qu'il sera alloué aux salariés qui prospèrent en leur demande la somme globale de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
- Confirme le jugement rendu le 19 janvier 2006 par le conseil de Prud'hommes de Vienne, sauf en ce qu'il a débouté Hubert E..., Ahmed I..., David B... et Séverine O... de leurs demandes de dommages- intérêts pour non- respect des obligations du plan de sauvegarde de l'emploi et des critères d'ordre de reclassement.
- Le réformant de ce seul chef, condamne la société Kuehne + Nagel Logistics à payer :
à Hubert E... la somme de 10 000 euros à Ahmed I... la somme de 10 000 euros à David B... la somme de 10 000 euros à Maryline A... la somme de 10 000 euros à Séverine O... la somme de 7 000 euros
- Condamne la société Kuehne + Nagel Logistics à leur payer la somme globale de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles.
- Condamne la société Kuehne + Nagel Logistics aux dépend d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
Signé par Monsieur GALLICE, président, et par Madame LEICKNER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.