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11/07/2024 | FRANCE | N°22/03654

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 11 juillet 2024, 22/03654


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 11/07/2024





****





N° de MINUTE :

N° RG 22/03654 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UNJC



Jugement (N° 21/00395)

rendu le 21 juin 2022 par le tribunal judiciaire de Dunkerque







APPELANTE



S.A.S. Mavan Amenageur

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 5]



représentée par Me

Romain Bodelle, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer, avocat constitué





INTIMÉS



Monsieur [P] [N]

né le 24 décembre 1933 à [Localité 10]

et

Madame [H] [F] épouse [N]

née le 10 septembre 1939 à [Localité 10]

demeurant ens...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 11/07/2024

****

N° de MINUTE :

N° RG 22/03654 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UNJC

Jugement (N° 21/00395)

rendu le 21 juin 2022 par le tribunal judiciaire de Dunkerque

APPELANTE

S.A.S. Mavan Amenageur

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Me Romain Bodelle, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer, avocat constitué

INTIMÉS

Monsieur [P] [N]

né le 24 décembre 1933 à [Localité 10]

et

Madame [H] [F] épouse [N]

née le 10 septembre 1939 à [Localité 10]

demeurant ensemble [Adresse 12]

[Adresse 12]

[Localité 4]

représentés par Me Christian Delbé, avocat au barreau de Lille, avocat constitué substitué par Me Emilie De Ruyffelaere, avocat au barreau de Lille

DÉBATS à l'audience publique du 25 mars 2024, tenue par Céline Miller magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Bruno Poupet, président de chambre

Samuel Vitse, président de chambre

Céline Miller, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2024 après prorogation du délibéré en date du 6 juin 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 4 mars 2024

****

Par acte authentique du 31 janvier 2012, M. [P] [N] et Mme [H] [F] épouse [N] ('les époux [N]') ont vendu à la SAS Mavan Aménageur ( 'la société Mavan') trois parcelles de terres à usage agricole situées à [Localité 10], découpées en deux articles, cadastrées section AC numéro [Cadastre 2] (article premier) et section AC numéros [Cadastre 9] et [Cadastre 3] (article second), moyennant un prix de vente de 20 080 euros pour le premier article et de 440 740 euros pour le second, dont le paiement était prévu comme suit : 40 740 euros au jour de la signature de l'acte et le solde en huit annuités de 50 000 euros payables entre le 31 janvier 2013 et le 31 janvier 2020.

Par courriers des 23 juin 2014 et 22 juin 2015, Me [G], notaire en charge de la vente, a sollicité de la société Mavan qu'elle s'acquitte des sommes dues au titre des échéances annuelles.

En 2017, la commune de [Localité 10] a révisé son plan local d'urbanisme et confirmé le caractère inconstructible des parcelles ayant fait l'objet du contrat de vente du 31 janvier 2012.

Par acte du 25 juin 2019, les époux [N] ont adressé un commandement de payer à la société Mavan, portant sur la somme restant due de 485 757,86 euros, puis ils ont diligenté plusieurs saisies-attributions courant 2019 et début 2020, lesquelles sont restées infructueuses.

Par acte d'huissier du 24 février 2021, la société Mavan a fait assigner les vendeurs devant le tribunal judiciaire de Dunkerque aux fins, notamment, d'obtenir la résolution judiciaire du contrat de vente conclu le 31 janvier 2012.

Par jugement du 21 juin 2022, le tribunal judiciaire de Dunkerque a :

- déclaré irrecevable la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes formulées par la société Mavan ;

- débouté cette dernière de ses demandes de prononcé de la résolution judiciaire du contrat de vente litigieux ;

- débouté les époux [N] de leur demande reconventionnelle de dommages et intérêts ;

- débouté la société Mavan de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- condamné cette dernière, outre aux dépens, dont distraction au profit de Me Delbe, à verser aux époux [N] la somme de 2 000 euros au titre dudit article 700 ;

- rappelé que la décision était exécutoire à titre provisoire.

Par déclaration du 26 juillet 2022, la société Mavan a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 29 août 2023, le conseiller de la mise en état a :

- débouté les époux [N] de leur demande de communication de pièces sous astreinte ;

- déclaré irrecevable devant lui la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la société Mavan, ainsi que la demande subséquente formulée par les époux [N].

Aux termes de ses dernières conclusions remises le 11 avril 2023, la société Mavan aménageur demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par les intimés, mais le réformer en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de résolution judiciaire du contrat et condamnée à payer aux intimés la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et, statuant à nouveau, de :

- prononcer la résolution du contrat de vente des parcelles cadastrées AC n°[Cadastre 9] et AC n°[Cadastre 3], à titre principal sur le fondement de la théorie de l'imprévision et, subsidiairement, sur le fondement des anciens articles 1134 et 1184 du code civil ;

- débouter les époux [N] de leur demande reconventionnelle de dommages et intérêts,

- les condamner solidairement, outre aux dépens, dont distraction au profit de Me Bodelle, à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de leurs dernières conclusions remises le 25 janvier 2023, les époux [N] demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable leur fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes formulées par la société appelante et les a déboutés de leur demande reconventionnelle de dommages et intérêts et, statuant à nouveau, de :

- déclarer recevable la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la société appelante et ainsi, déclarer prescrite l'action de cette dernière et, par conséquent, la débouter de l'ensemble de ses demandes relatives au contrat de vente du 31 janvier 2012 ;

- condamner la société appelante à leur verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral ;

en toutes hypothèses :

- condamner la société Mavan, outre aux dépens, à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est référé aux écritures susvisées des parties pour le détail de leur argumentation, en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture de la mise en état a été rendue le 4 mars 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

* Sur la recevabilité de la fin de non-recevoir

L'article 789 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 applicable aux instances introduites postérieurement au 1er janvier 2020, dispose que lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur (...) 6° les fins de non-recevoir ; que les parties ne sont plus recevables à soulever ces fins de non-recevoir au cours de la même instance à moins qu'elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état.

Aux termes de l'article 122 du même code, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L'article 123 dudit code précise que les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.

Il résulte de la combinaison du premier et du dernier de ces textes que la fin de non-recevoir tirée de la prescription qui n'a pas été soulevée devant le juge de la mise en état exclusivement compétent pour en connaître en première instance, est néanmoins recevable devant la cour d'appel, s'agissant d'une instance distincte de la première instance. Elle doit alors être présentée à la cour et non au conseiller de la mise en état, lequel n'est pas compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir qui, bien que n'ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé par le premier juge.

En l'espèce, c'est à juste titre que le premier juge a déclaré irrecevable la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par les époux [N] devant lui, alors qu'elle relevait de la compétence exclusive du juge de la mise en état.

Cependant, les époux [N] sont bien recevables à présenter cette fin de non-recevoir devant la cour, celle-ci pouvant être soulevée en tout état de cause dans le cadre de l'instance distincte que constitue l'instance d'appel, en application des articles 789 et 123 susvisés.

* Sur le bien-fondé de la fin de non-recevoir

Les époux [N] demandent à la cour de déclarer prescrite l'action de la SAS Mavan aux fins de résolution de la vente, faisant valoir que lorsqu'ils ont vendu les terrains litigieux, ceux-ci étaient déjà non constructibles, ainsi que cela ressort clairement de l'acte de vente, de sorte que le point de départ du délai pour agir par la société Mavan en résolution de la vente doit être fixé au jour de la vente intervenue le 31 janvier 2012.

La SAS Mavan aménageur, qui sollicite la résolution du contrat de vente conclu le 31 janvier 2012 entre les parties, invoque en premier lieu la théorie de l'imprévision, faisant valoir que l'exécution du contrat est devenue extrêmement onéreuse pour elle lorsque les terrains qu'elle avait acquis en vue de l'édification d'un lotissement ont été définitivement classés en zone humide remarquable lors de la révision du PLU de la commune de [Localité 10] en 2017, les rendant définitivement inconstructibles. A titre subsidiaire, elle se fonde sur les dispositions des articles 1134 et 1184 du code civil dans leur ancienne rédaction pour réclamer cette résolution, soutenant que la convention signée entre les parties était un contrat synallagmatique aux termes duquel, moyennant le paiement du prix et la réalisation de travaux de désenclavement par elle-même, les époux [N] acceptaient la vente de leurs terrains et la mise en place d'un paiement échelonné, dont ils ont accepté la suspension, le contrat étant devenu déséquilibré. Elle fait valoir qu'elle n'est plus en mesure d'exécuter la convention et qu'elle est contrainte de solliciter la résolution de la vente. Elle soutient que le point de départ de son délai pour agir doit être fixé en 2017, date à laquelle la révision du PLU a rendu les terrains non constructibles.

Ceci étant exposé, aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En l'espèce, l'acte de vente conclu entre les parties le 31 janvier 2012, portant sur trois parcelles de terre 'actuellement à usage agricole' situées à [Adresse 11], cadastrées section AC n°[Cadastre 9], [Cadastre 2], et [Cadastre 3], stipule que :

- p.8 : 'Impôt sur la mutation - Pour la perception des droits, le vendeur déclare : (...) que l'immeuble faisant l'objet des présentes ne doit pas être considéré comme un terrain à bâtir au sens de l'article 257 I 2 1° du code général des impôts ainsi qu'il résulte du certificat d'urbanisme demeuré ci-joint et annexé après mention ; (...)

Engagement de l'acquéreur : l'acquéreur prend l'engagement de continuer à louer lesdits biens en vertu d'un bail rural soumis à TVA, à un preneur qui affecte les biens à l'activité agricole, pendant le temps qui reste à courir jusqu'au commencement de la dix neuvième année qui suit la régularisation du bail rural [11 novembre 1995, comme indiqué plus haut dans l'acte].

- p. 9 : 'Il est ici précisé que la présente mutation n'entre pas dans le champ d'application de l'article 1529 du code général des impôts. En effet, bien que l'immeuble en faisant l'objet soit situé sur le territoire d'une commune ayant institué une taxe forfaitaire sur la cession à titre onéreux de terrains nus rendus constructibles du fait de leur classement par un plan local d'urbanisme dans une zone urbaine ou dans une zone à urbaniser ouverte à l'urbanisation ou par une carte communale dans une zone constructible, il s'agit d'un terrain non constructible ainsi qu'il apparaît sur le document délivré par la mairie et demeuré ci-annexé.'

(...) Il est ici précisé que la présente mutation n'entre pas dans le champ d'application de l'article 1605 nonies du code général des impôts. En effet, l'immeuble en faisant l'objet est non constructible, ainsi qu'il apparaît sur le document délivré par la mairie et demeuré ci-annexé.'

(Passages soulignés par la cour)

Cependant, il résulte par ailleurs de l'acte de vente (p.4) que l'acquéreur concède une servitude réelle et perpétuelle de raccordement aux réseaux et une servitude de passage, notamment sur les 'parcelles à usage de voirie du lotissement à réaliser sur les parcelles AC n°s [Cadastre 9], [Cadastre 2] et [Cadastre 3], objets de la vente', au profit des parcelles cadastrées AC n°s [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 8] appartenant aux époux [N].

Il résulte ainsi de l'économie du contrat que les terrains vendus étaient destinés à recevoir la voirie du lotissement devant être construit sur des parcelles voisines.

Or, si le plan local d'urbanisme en vigueur lors de la vente classait les terrains objets de la vente en terres agricoles, ce n'est que lors de la modification de ce plan en décembre 2017 que la société Mavan a été informée de ce que ces terres ne pourraient être classées en zone constructible.

C'est donc à compter de cette date que la société Mavan a pris connaissance des faits lui permettant d'exercer son action en résolution et qu'a commencé à courir son délai quinquennal pour agir.

La SAS Mavan ayant assigné ses vendeurs en résolution de la vente par acte d'huissier délivré le 24 février 2021, son action n'est pas prescrite.

Sur la demande de résolution de la vente

La SAS Mavan sollicite la résolution de la vente à titre principal sur le fondement de la théorie de l'imprévision (') et, à titre subsidiaire, sur le fondement des articles 1134 et 1184 anciens du code civil (').

') Sur la théorie de l'imprévision

Aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable au litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

La société Mavan invoque, au soutien de sa demande de résolution de la vente, l'article 1195 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance précitée, lequel dispose que si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant ; qu'elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation ; qu'en cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation ; qu'à défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe.

Cependant, ce texte n'ayant vocation à s'appliquer qu'aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, il n'est pas applicable au contrat de vente litigieux.

Pour les contrats conclus antérieurement à l'ordonnance précitée, il résulte d'une jurisprudence ancienne et établie que la règle énoncée par l'ancien 1134 du code civil est générale et absolue et qu'il n'appartient pas aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants (Cass. civ., 6 mars 1876, Canal de Craponne).

Il convient donc de rejeter la demande en résolution de la vente sur le fondement de la théorie de l'imprévision.

') Sur le manquement des vendeurs à leur obligation de bonne foi contractuelle

La société Mavan aménageur soutient que le schéma de financement lié à la vente de 2012 avait pour but de faire économiser aux intimés des sommes substantielles en impôts, en application des articles 1529 et 1605 du code général des impôts, par la vente d'un terrain non constructible avant qu'il ne devienne constructible ; qu'il était prévu à sa charge la constitution de servitudes de raccordement et de passage au profit du fond conservé par les époux [N] ; que par le déclassement du terrain survenu de façon imprévisible bien après la vente, elle se retrouve dans l'obligation d'exécuter des travaux sans pour autant pouvoir les réaliser ; que les époux [N], qui ont accepté la suspension de la convention et des paiements du prix d'achat du terrain à compter de juin 2014, sont de mauvaise foi à en exiger désormais l'exécution.

Les époux [N] s'opposent à la résolution du contrat et soutiennent qu'ils sont d'une parfaite bonne foi dans l'exécution de celui-ci dès lors qu'il résulte très clairement du contrat de vente que les parcelles étaient inconstructibles, que la construction d'un lotissement ou autre était hypothétique et que la servitude était consentie uniquement si les parcelles devenaient constructibles.

Sur ce

Vu l'article 1134 du code civil précité, dans son ancienne rédaction,

Aux termes de l'article 1184 du code civil, dans son ancienne rédaction applicable au litige, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

Il résulte du contrat de vente que celle-ci portait sur des terrains non constructibles en l'état, qu'il était prévu des modalités d'exécution spécifiques au cas où les parcelles en question deviendraient constructibles, en l'occurrence l'exigibilité immédiate du solde du prix autrement stipulé payable par annuités, et que la servitude de passage et de raccordement consentie l'était ' à titre gratuit pour permettre le désenclavement du fonds dominant en cas de lotissement ou de construction sur celui-ci' et qu'elle s'exercerait 'au gré de M. et Mme [N]-[F] (...) lorsqu'il sera possible de lotir ou de construire sur le fond dominant.'

Il s'ensuit d'une part que l'absence de modification du plan local d'urbanisme en 2017 et de reclassement des parcelles en terrains constructibles ne peut s'analyser comme un changement de circonstances imprévisibles lors du contrat dès lors que cette possibilité était manifestement envisagée.

D'autre part, il doit être observé que le passage des parcelles en zone constructible n'a pas été conçu comme une condition de la vente litigieuse, alors que les parties auraient pu l'ériger en condition résolutoire de celle-ci.

Enfin, la société Mavan ne démontre pas que l'exécution des obligations contractuelles mises à sa charge lui est devenue insurmontable, alors que son obligation d'exécuter les travaux nécessaires à la mise en place de la servitude était conditionnée à la possibilité de lotir et de construire sur le fond dominant et qu'elle n'y est dès lors plus tenue. Elle ne démontre pas plus que les époux [N] auraient accepté la suspension du contrat au regard des circonstances et qu'ils sont dès lors de mauvaise foi à en refuser la résolution.

Il convient en conséquence de débouter la société Mavan de sa demande de résolution du contrat pour exécution de mauvaise foi de celui-ci par les époux [N].

La décision entreprise sera donc confirmée.

Sur la demande d'indemnisation des époux [N]

Il résulte des articles 1240 du code civil et 32-1 du code de procédure civile, qu'une partie ne peut engager sa responsabilité pour avoir exercé une action en justice ou s'être défendue que si l'exercice de son droit a dégénéré en abus. L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'étant pas, en soi, constitutive d'une faute, l'abus ne peut se déduire du seul rejet des prétentions par le tribunal.

En l'espèce, si la seule appréciation inexacte de ses droits par l'appelante n'est pas suffisante à caractériser l'existence d'un abus au sens des dispositions susvisées, il résulte des éléments versés aux débats qu'alors qu'elle s'était engagée à payer le prix de la vente à hauteur de 20 980 euros et 40 740 euros le jour de la signature de l'acte notarié, suivi de huit annuités de 50 000 euros payables à compter du 31 janvier 2013, la société Mavan ne s'est pas acquittée de son obligation malgré les relances des époux [N] qui ont dû entreprendre une action devant le juge de l'exécution pour faire valoir leurs droits, et a même cru devoir entreprendre plusieurs procédures judiciaires à l'encontre des vendeurs, dont l'issue était hasardeuse compte tenu du fondement juridique choisi et alors que le contrat ne comportait ni condition résolutoire ni clause de renégociation, afin d'échapper à ses obligations.

Elle engage en conséquence sa responsabilité à l'égard des époux [N] et doit être condamnée à les indemniser du préjudice moral qu'ils ont subi et qu'il convient d'évaluer, compte de leur âge (respectivement 89 et 83 ans), à la somme de 3 000 euros, la décision du premier juge étant infirmée sur ce point.

Sur les demandes accessoires

Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et frais irrépétibles.

La société Mavan, succombant en son appel, sera tenue aux entiers dépens de celui-ci et condamnée à payer aux époux [N] la somme de 5 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles d'appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle sera par ailleurs déboutée de sa demande sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour

* Sur la fin de non-recevoir

Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré irrecevable la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes formulées par la SAS Mavan Aménageur ;

Y ajoutant,

Déclare recevable devant la cour la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes formulées par la SAS Mavan Aménageur ;

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes formulées par la SAS Mavan Aménageur ;

Dit en conséquence que l'action aux fins de résolution de la vente engagée par la SAS Mavan Aménageur est recevable ;

* Sur le fond

Confirme la décision entreprise, sauf en ce qu'elle a débouté M. [P] [N] et Mme [H] [F] épouse [N] de leur demande reconventionnelle de dommages et intérêts';

Statuant à nouveau sur le chef infirmé,

Condamne la SAS Mavan Aménageur à payer à M. [P] [N] et Mme [H] [F] épouse [N], ensemble, la somme de 3 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;

Y ajoutant,

Condamne la SAS Mavan Aménageur aux entiers dépens d'appel ;

La condamne à payer à M. [P] [N] et Mme [H] [F] épouse [N], ensemble, la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

La déboute de sa demande formée sur le même fondement.

Le greffier Le président

Delphine Verhaeghe Bruno Poupet


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 22/03654
Date de la décision : 11/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-11;22.03654 ?
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