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11/07/2024 | FRANCE | N°21/01308

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 11 juillet 2024, 21/01308


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 11/07/2024





****





N° de MINUTE :

N° RG 21/01308 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TPR3



Jugement (N° 18/01535)

rendu le 13 janvier 2021 par le tribunal judiciaire d'Arras







APPELANT



Monsieur [T] [K]

né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 26]

[Adresse 2]

[Localité 14]



représenté pa

r Me Franck Gys, avocat au barreau de Dunkerque, avocat constitué



INTIMÉS



Monsieur [R] [X]

né le [Date naissance 5] 1978 à [Localité 23]

[Adresse 15]

[Localité 18]



Monsieur [F] [X]

né le [Date naissance 9] 1982 à [Localité...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 11/07/2024

****

N° de MINUTE :

N° RG 21/01308 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TPR3

Jugement (N° 18/01535)

rendu le 13 janvier 2021 par le tribunal judiciaire d'Arras

APPELANT

Monsieur [T] [K]

né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 26]

[Adresse 2]

[Localité 14]

représenté par Me Franck Gys, avocat au barreau de Dunkerque, avocat constitué

INTIMÉS

Monsieur [R] [X]

né le [Date naissance 5] 1978 à [Localité 23]

[Adresse 15]

[Localité 18]

Monsieur [F] [X]

né le [Date naissance 9] 1982 à [Localité 17]

[Adresse 7]

[Localité 17]

Madame [M] [X] épouse [N]

née le [Date naissance 8] 1987 à [Localité 27]

[Adresse 11]

[Localité 19]

représentés par Me Jean-Pierre Congos, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistés de Me Xavier Chantelot, avocat au barreau de Bonneville, avocat plaidant

Monsieur [I] [K]

né le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 26]

[Adresse 12]

[Localité 10]

défaillant, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 18 mai 2021 à personne

DÉBATS à l'audience publique du 11 décembre 2023, tenue par Samuel Vitse magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Bruno Poupet, président de chambre

Samuel Vitse, président de chambre

Céline Miller, conseiller

ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2024 après prorogation du délibéré en date du 14 mars 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 02 octobre 2023

****

Du mariage de M. [P] [K] et de Mme [O] [G] sont nés deux enfants : [T] et [I] [K].

Les époux ont divorcé et M. [P] [K] s'est remarié, sans contrat de mariage, avec Mme [A] [L], elle-même mère de trois enfants issus d'une précédente union : [R], [F] et [M] [X].

Mme [A] [L] et M. [P] [K] sont respectivement décédés les [Date décès 13] 2016 et [Date décès 6] 2017.

Par actes des 22 et 27 août 2018, M. [T] [K] a assigné M. [I] [K], Mme [M] [X] et MM. [R] et [F] [X] devant le tribunal de grande instance d'Arras aux fins, notamment, au visa des articles 815 et suivants du code civil et 1360 et suivants du code de procédure civile, de voir :

- ordonner l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de [P] [K] et de [A] [L], ainsi que de la communauté ayant existé entre eux ;

- ordonner la vente de l'immeuble situé [Adresse 16] à [Localité 22] (62) au prix de 144 000 euros, en l'étude du notaire et, à défaut de vente amiable dans un délai de six mois, à la barre du tribunal au même prix avec une faculté de baisse d'un quart ;

- condamner Mme [M] [X] à régler à la succession le prix de cession sur la valeur argus du quad au jour de la cession ;

- condamner M. [I] [K] à régler à la succession une indemnité de jouissance pour l'utilisation du véhicule Ford depuis le jour du décès sur la base de 700 euros par mois ou qu'il s'en fasse attribuer la jouissance sur la valeur argus au jour du décès ;

- dire que les contrats d'assurance-vie souscrits au profit de Mme [M] [X] et de MM. [R] et [F] [X], et au profit de chacun d'eux et de M. [I] [K] sont dénués d'aléas et s'analysent en des contrats de capitalisation devant être rapportés à la succession, à défaut ordonner la désignation d'un expert pour comparer l'écriture du défunt sur les contrats litigieux, et, en tout état de cause, ordonner le rapport à la succession des primes versées sur les contrats d'assurance-vie litigieux en raison de leur caractère manifestement exagéré ;

- juger que la prime versée sur le contrat d'assurance-vie souscrit au profit de M. [I] [K] est une donation rapportable en application de l'article 843 du code civil ;

- juger recevable l'action en réduction des contrats d'assurance-vie litigieux et fixer à un euro à parfaire le montant du retranchement ;

- dire que le notaire devra vérifier si les contrats d'assurance-vie souscrits au profit de Mme [M] [X] et de MM. [R] et [F] [X] portent atteinte ou non à la réserve héréditaire et le cas échéant appliquer la réduction en cas de dépassement de la quotité disponible.

Par jugement du 13 janvier 2021, le tribunal judiciaire d'Arras a essentiellement :

- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des successions de [P] [K] et de [A] [L], et de la communauté ayant existé entre eux ;

- désigné Maître [V] [U], notaire, pour y procéder ;

- dit que M. [I] [K] pourra se faire attribuer le véhicule Ford immatriculé [Immatriculation 24], acquis par son père le 16 juin 2017, et qu'il sera tenu compte de la valeur du véhicule selon sa cote argus à la date du décès de [P] [K] ;

- débouté les parties de leurs demandes relatives au quad, à la vente de l'immeuble situé à [Localité 22], aux contrats d'assurance-vie souscrits les 17 février 2017 et 13 juillet 2017, ainsi qu'aux rapports et réductions.

M. [T] [K] a interjeté appel de l'ensemble des chefs du jugement, sauf en ce qu'il a :

- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des successions de [P] [K] et de [A] [L], et de la communauté ayant existé entre eux ;

- désigné Maître [V] [U], notaire, pour y procéder ;

- dit que M. [I] [K] pourra se faire attribuer le véhicule Ford immatriculé [Immatriculation 24], acquis par son père le 16 juin 2017, et qu'il sera tenu compte de la valeur du véhicule selon sa cote argus à la date du décès de [P] [K].

Aux termes de ses conclusions remises le 27 mai 2021, M. [T] [K] demande à la cour, au visa des articles 815 et suivants du code civil, des articles 1360 et suivants du code de procédure civile et de l'article L. 132-13 du code des assurances, de :

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande de condamnation à payer le quad, à celles relatives à la vente de l'immeuble litigieux, aux nullités, rapports et/ou réductions des contrats d'assurance-vie souscrits les 17 février et 13 juillet 2017, aux demandes de rapport et de réduction, et en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, dit que chacune des parties conservera la charge de ses frais irrépétibles et dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage judiciaire, avec application de l'article 699 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

- débouter les intimés de l'ensemble de leurs demandes ;

- ordonner la vente de l'immeuble litigieux au prix de 144 000 euros en l'étude Me [U], notaire, pour une durée de six mois et, à défaut de vente amiable, ordonner sa vente à la barre du tribunal judiciaire d'Arras sur la mise à prix de 144 000 euros avec faculté de baisse du quart à défaut d'enchérisseur ;

- dire que le coïndivisaire le plus diligent pourra engager la vente aux enchères et que les frais de mise en vente aux enchères seront repris au titre des frais privilégiés de l'indivision ;

Sur le quad,

- condamner Mme [M] [X] à régler à la succession de [P] [K] le prix de cession sur la valeur argus du véhicule au jour de la cession ;

Sur les contrats d'assurances-vie,

- dire que les contrats des 17 février 2017 et 13 juillet 2017 n'ont pas été signés par le défunt ; - dire que les bénéficiaires seront en conséquence tenus de rapporter aux opérations de liquidation et partage de la succession l'ensemble des sommes perçues à ce titre ;

- condamner au besoin les bénéficiaires à remettre entre les mains du notaire désigné l'ensemble des sommes perçues, y compris les intérêts, au titre des contrats précités ;

- désigner, à défaut, un expert en écriture afin de comparer l'écriture du défunt avec celle figurant sur les contrat litigieux ;

- dire, à titre subsidiaire, que les contrats litigieux ne présentent aucun aléa et doivent être requalifiés en contrats de capitalisation rapportables à la succession de [P] [K] ;

- dire que les bénéficiaires seront en conséquence tenus de rapporter aux opérations de liquidation et partage de la succession l'ensemble des sommes perçues, et, au besoin, les condamner à remettre entre les mains du notaire désigné l'ensemble des sommes perçues, y compris les intérêts, au titre des contrats précités ;

- dire, à titre infiniment subsidiaire, que les primes versées au titre des contrats litigieux sont manifestement exagérées au sens de l'article L. 132-13 du code des assurances ;

- dire, en conséquence, que la prime versée sur le contrat n° 3100/7008002-3 du 17 juillet 2017 pour un montant de 125 000 euros au profit de M. [I] [K] constitue une donation rapportable à la succession de [P] [K] au sens de l'article 843 du code civil ;

- dire recevable l'action en réduction des contrats d'assurance-vie litigieux ;

- fixer à un euro à parfaire le montant du retranchement à opérer sur les contrats d'assurance-vie ;

- dire que le notaire devra vérifier si les contrats d'assurance-vie souscrits au bénéfice des consorts [X] portent atteinte ou non à la réserve et ne dépassent pas la quotité disponible et, dans l'affirmative, réduire les contrats d'assurance-vie en tant que de besoin ;

- dire que le notaire procédera immédiatement à la réduction des assurances-vie en cas de constatation du dépassement de la quotité disponible ;

- condamner tout succombant à lui verser la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction au profit de Maître Franck Gys, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 24 janvier 2023, rectifié le 4 avril suivant, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions de Mme [M] [X] et de MM. [R] et [F] [X].

M. [I] [K], auquel ont été signifiées la déclaration d'appel et les conclusions de l'appelant, n'a pas constitué avocat.

A la demande du président, l'appelant a été autorisé à déposer une note en délibéré afin de préciser le sort de l'immeuble indivis.

Par note en délibéré remise le 12 décembre 2023, M. [T] [K] a justifié de la vente de l'immeuble indivis intervenue par acte du 21 mars 2023 et précisé renoncer à toute demande ce chef.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il convient de rappeler qu'aux termes du dernier alinéa de l'article 954 du code de procédure civile, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs.

Sur la vente de l'immeuble indivis

Dans ses conclusions, M. [T] [K] demande à la cour d'ordonner la vente de l'immeuble indivis situé [Adresse 16] à [Localité 22].

Par note en délibéré, il a toutefois justifié de la vente de ce bien par acte du 21 mars 2023, de sorte que sa demande est devenue sans objet.

Sur le paiement du quad

M. [T] [K] demande à la cour de condamner Mme [M] [X] à régler à la succession le prix de cession d'un quad de marque TGB immatriculé [Immatriculation 4], soutenant que [P] [K] l'a cédé sans prix à l'intéressée.

Il ressort des pièces produites que [P] [K] a renseigné une déclaration de cession du véhicule litigieux à Mme [M] [X] le 28 mai 2016, sans que soit établi le paiement d'un prix.

Il résulte toutefois d'une carte de voeux du 15 juin 2016, adressée par Mme [M] [X] à [P] [K], que celle-ci lui dit merci [...] pour le quad.

Si, comme l'expose l'appelant, un tel remerciement n'est pas en soi synonyme de donation, il le devient éclairé par l'attestation de Mme [D] [S], citée par l'appelant lui-même dans ses écritures, dont il résulte que le défunt lui avait fait part de son désir de donner le quad à Mme [M] [X], la prise en charge corrélative des cotisations d'assurance du véhicule confortant une telle intention libérale.

Nonobstant l'existence formelle d'une déclaration de cession, il y a donc lieu de considérer que [P] [K] a entendu faire donation du quad litigieux à sa belle-fille, étant observé qu'au regard de la qualité de cette dernière, le montant d'une telle libéralité ne devra pas être rapporté à la succession mais réuni à la masse des biens prévue à l'article 922 du code civil, à fin d'éventuelle réduction.

Sera donc rejetée la demande tendant à condamner Mme [M] [X] à payer à la succession la valeur argus du véhicule au jour sa cession, le jugement étant confirmé de ce chef.

Sur les contrats d'assurance-vie

A titre liminaire, il convient d'indiquer que [P] [K] a souscrit les contrats d'assurance-vie suivants entre 2002 et 2017 :

' contrat [20] souscrit le 27 avril 2002 pour un montant initial de 15 000 euros, la clause bénéficiaire désignant le conjoint du souscripteur à la date du décès, à défaut ses enfants vivants ou représentés, à défaut ses héritiers ;

' contrat [21] souscrit le 30 novembre 2012 pour un montant initial de 1 000 euros, présentant au décès du souscripteur un montant de 36 628 euros, la clause bénéficiaire désignant son conjoint ;

' contrat [25] souscrit le 24 janvier 2017 pour un montant initial de 101 000 euros, les bénéficiaires devant être désignés par voie de dispositions testamentaires reçues par notaire, les héritiers de l'assuré en étant les bénéficiaires à défaut de telles dispositions ;

' contrat [21] souscrit le 17 février 2017 pour un montant initial de 50 000 euros et une durée de 25 ans, la clause bénéficiaire désignant à parts égales MM. [R] et [F] [X] ainsi que Mme [M] [X] ;

' contrat [21] n° 3100/7007954-6 souscrit le 13 juillet 2017 pour un montant initial de 125 000 euros et une durée de 8 ans, la clause bénéficiaire désignant Mme [M] [X] ;

' contrat [21] n° 3100/7007978-5 souscrit le 13 juillet 2017 pour un montant initial de 125 000 euros et une durée de 8 ans, la clause bénéficiaire désignant M. [R] [X] ;

' contrat [21] n° 3100/7007982-7 souscrit le 13 juillet 2017 pour un montant initial de 125 000 euros et une durée de 8 ans, la clause bénéficiaire désignant M. [F] [X] ;

' contrat [21] n° 3100/7008002-3 souscrit le 13 juillet 2017 pour un montant initial de 125 000 euros et une durée de 8 ans, la clause bénéficiaire désignant M. [I] [K].

Le litige porte uniquement sur les cinq contrats d'assurance-vie souscrits les 17 février et 13 juillet 2017.

L'appelant conteste la signature apposée sur ces contrats ('), soutient l'absence d'aléa accompagnant leur souscription (') et invoque le caractère manifestement exagéré des primes versées (').

') Sur la contestation de signature

Aux termes de l'article 287 du code de procédure civile, si l'une des parties dénie l'écriture qui lui est attribuée ou déclare ne pas reconnaître celle qui est attribuée à son auteur, le juge vérifie l'écrit contesté à moins qu'il ne puisse statuer sans en tenir compte.

Selon l'article 288 du même code, il appartient au juge de procéder à la vérification d'écriture au vu des éléments dont il dispose après avoir, s'il y a lieu, enjoint aux parties de produire tous documents à lui comparer et fait composer, sous sa dictée, des échantillons d'écriture. Dans la détermination des pièces de comparaison, le juge peut retenir tous documents utiles provenant de l'une des parties, qu'ils aient été émis ou non à l'occasion de l'acte litigieux.

En l'espèce, M. [T] [K] conteste les signatures apposées sur les contrats d'assurance-vie litigieux. Il soutient que celles-ci ne sont pas l'oeuvre de [P] [K] et sollicite une mesure d'expertise pour le vérifier.

Il est exact que les signatures apposées sur les contrats d'assurance-vie souscrits les 17 février et 13 juillet 2017 diffèrent sensiblement.

Pour autant, les signatures du défunt figurant sur les autres documents non litigieux produits par l'appelant ne présentent pas davantage d'unité graphique (contrats d'assurance-vie des 27 avril 2002, 30 novembre 2012 et 24 janvier 2017 ; certificat de cession du 28 mai 2016 ; actes de vente des 8 septembre 2015 et 8 mars 2017 ; acte de cession de parts sociales du 11 février 2017).

Il apparaît que la signature de [P] [K] ne présente en réalité aucune constance, une telle signature variant parfois de manière significative au sein d'un même document, le certificat de cession précité du 28 mai 2016, qui comporte la signature du défunt en double exemplaire sur la même page, étant à cet égard significatif.

Une telle instabilité graphique a du reste pu être favorisée par la pathologie de [P] [K], qui souffrait d'un myélome à l'origine d'importants tremblements, ainsi qu'il résulte d'un compte rendu d'hospitalisation du 24 avril 2017.

Les variations de signature sur les contrats d'assurance-vie litigieux ne sont donc pas suspectes et ne justifient pas d'accueillir la demande d'expertise formée par l'appelant, le jugement étant confirmé de ce chef.

') Sur l'absence d'aléa

Aux termes de l'article 1108 du code civil, le contrat est aléatoire lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d'un événement incertain.

Il est constant que le contrat d'assurance dont les effets dépendent de la vie humaine comporte un aléa et constitue un contrat d'assurance-vie (Ch. mixte, 23 novembre 2004, pourvoi n° 01-13.592, publié). L'aléa tenant à la durée de la vie humaine doit toutefois être réel, sous peine de faire du contrat souscrit, non une opération d'assurance, mais de capitalisation. Il en est ainsi lorsque le bénéfice personnel de l'opération est illusoire au regard de la faible espérance de vie du souscripteur (1re Civ., 4 juillet 2007, pourvoi n° 05-10.254, publié) ou de la durée importante du contrat.

Selon l'article L. 132-12 du codes des assurances, le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l'assuré. Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l'assuré.

L'article L. 132-13 du même code précise pour sa part que le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

En l'espèce, il convient d'examiner successivement le contrat d'assurance-vie souscrit le 17 février 2017, puis ceux souscrits le 13 juillet 2017.

' Sur le contrat souscrit le 17 février 2017

Ainsi qu'indiqué précédemment, ce contrat a été souscrit pour un montant initial de 50 000 euros et une durée de 25 ans, la clause bénéficiaire désignant à parts égales MM. [R] et [F] [X] ainsi que Mme [M] [X].

Lors de sa souscription, [P] [K] était âgé de 68 ans. Il aurait donc eu 93 ans au terme du contrat, ce qui compromettait largement ses chances d'en bénéficier à titre personnel, d'autant plus sûrement que, sans être désespérée au jour de la souscription, sa santé était précaire, ainsi qu'il sera dit ci-après.

C'est à tort que les premiers juges ont déduit l'existence d'un aléa d'une prétendue caution de bonne fin évoquée dans la Demande de dérogation des droits d'entrée annexée au contrat, le conseiller y mentionnant que le souscripteur sollicite une caution de bonne fin de 50 000 euros afin de garantir l'acquéreur de sa société, sans toutefois qu'une telle garantie soit formalisée dans l'acte, de sorte qu'elle demeure virtuelle et impropre à caractériser l'existence d'un aléa constitué par l'éventuelle mise en oeuvre de cette garantie.

Faute d'aléa, le contrat litigieux constitue un contrat de capitalisation, exclusif des dispositions des articles L. 132-12 et L. 132-13 du code des assurances. La prime versée par le défunt s'analyse donc en une libéralité qui ne saurait porter atteinte à la réserve héréditaire.

Il s'ensuit qu'en vue de procéder aux opérations de liquidation de la succession de [P] [K], il y a lieu de dire que les sommes perçues par MM. [R] et [F] [X] ainsi que Mme [M] [X] au titre du contrat [21] souscrit le 17 février 2017 devront être réunies à la masse des biens prévue à l'article 922 du code civil à fin d'éventuelle réduction.

' Sur les contrats souscrits le 13 juillet 2017

Ainsi qu'indiqué précédemment, chacun de ces contrats a été souscrit pour un montant initial de 125 000 euros et une durée de 8 ans, MM. [R] et [F] [X], Mme [M] [X] et M. [I] [K] en étant respectivement les bénéficiaires.

La durée de ces contrats n'interdisait pas à [P] [K] d'espérer en bénéficier personnellement à leur terme, soit à l'âge de 76 ans, nonobstant son état de santé précaire.

En effet, s'il résulte des pièces produites que l'intéressé était atteint d'un myélome multiple diagnostiqué en juillet 2009, les comptes rendus médicaux établis entre avril et octobre 2017 font principalement état de difficultés respiratoires liées à des épisodes de surinfection bronchique et d'une chimiothérapie d'entretien destinée à traiter le myélome. L'état général du patient est qualifié de globalement satisfaisant dans une synthèse du 10 juillet 2017, tandis qu'un bilan du 26 octobre 2017 mentionne l'absence d'un nouvel épisode infectieux, même s'il évoque des comorbidités cardiorespiratoires associées.

Il n'est donc pas établi que [P] [K] était dans un état désespéré lors de la souscription des contrats litigieux, ni non plus que son espérance de vie était très limitée, même si son décès est survenu quelques mois plus tard, dans des circonstances au demeurant non précisées.

Le jugement entrepris est donc confirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'un aléa au titre de ces contrats, dont il convient désormais d'apprécier l'importance des primes versées lors de leur souscription.

') Sur le caractère manifestement exagéré des primes versées

Si les contrats souscrits le 13 juillet 2017 peuvent être qualifiés d'aléatoires, encore faut-il, pour qu'ils soient éligibles aux dispositions des articles L. 132-12 et L. 132-13 du code des assurances, que les primes versées par le contractant n'aient pas été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

Il est constant que le caractère manifestement exagéré des primes, dont la preuve incombe à celui qui s'en prévaut, s'apprécie au moment de leur versement, au regard de leur utilité, de l'âge ainsi que de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur (Ch. mixte, 23 novembre 2004, précité).

Ainsi qu'il a été dit, [P] [K] était âgé de 68 ans lors de la souscription des quatre contrats d'assurance-vie litigieux, lesquels désignent l'ensemble de ses enfants et beaux-enfants en qualité de bénéficiaires, à l'exception de son fils [T].

Avant une telle souscription, d'un montant total de 500 000 euros, [P] [K] disposait d'un patrimoine mobilier et immobilier de 896 000 euros, en ce compris les produits d'assurance-vie précédemment souscrits pour un montant de 202 000 euros. Il percevait un revenu mensuel moyen de 1 500 euros et assumait les charges de la vie courante.

Il s'en déduit que les primes versées pour souscrire les contrats d'assurance-vie du 13 juillet 2017 représentaient 55 % de son patrimoine et près de huit fois les liquidités à sa disposition (65 000 euros), soit un montant qui apparaît manifestement exagéré, d'autant plus sûrement que l'utilité personnelle d'une telle opération était loin de s'imposer au regard de sa santé qui, sans être désespérée, était précaire, outre qu'elle venait s'ajouter à la souscription de précédents contrats d'assurance-vie, la globalité de ceux-ci représentant 78 % du patrimoine du défunt.

Les contrats souscrits le 13 juillet 2017 s'analysent donc en des libéralités qui ne sauraient porter atteinte à la réserve héréditaire.

Aussi y a-t-il lieu de dire qu'en vue de procéder aux opérations de liquidation de la succession de [P] [K], M. [I] [K] devra, en application de l'article 843 du code civil, rapporter à la succession la prime versée à son profit par le défunt, tandis que les sommes perçues par MM. [R] et [F] [X] ainsi que Mme [M] [X] au titre des contrats [21] souscrits le 13 juillet 2017 devront être réunies à la masse des biens prévue

à l'article 922 du code civil à fin d'éventuelle réduction.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de partage. La nature familiale du litige commande de laisser à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant dans les limites de l'appel,

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes relatives à la vente de l'immeuble situé à [Localité 22], aux contrats d'assurance-vie souscrits les 17 février 2017 et 13 juillet 2017 et aux demandes de rapports et réductions ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit qu'à la suite de la vente de l'immeuble situé à [Localité 22] par acte du 21 mars 2023, la demande tendant à voir ordonner la vente de ce bien est devenue sans objet ;

Dit que le contrat [21] souscrit le 17 février 2017 par [P] [K] doit être qualifié de contrat de capitalisation ;

Dit que les primes versées au titre des contrats [21] souscrits le 13 juillet 2017 par [P] [K] sont manifestement exagérées ;

Dit, en conséquence, que les sommes versées au titre des contrats [21] souscrits les 17 février 2017 et 13 juillet 2017 s'analysent en des libéralités ;

Dit qu'il appartiendra à M. [I] [K] de rapporter à la succession de [P] [K] la somme de 125 000 euros perçue au titre du contrat [21] n° 3100/7008002-3 souscrit le 13 juillet 2017 ;

Dit que la somme de 50 000 euros perçue par MM. [R] et [F] [X] ainsi que Mme [M] [X] au titre du contrat [21] souscrit le 17 février 2017 et celle de 125 000 euros perçue par chacun d'eux au titre des contrats [21] n° 3100/7007978-5, n° 3100/7007982-7 et n° 3100/7007954-6 souscrits le 13 juillet 2017 devront être réunies à la masse des biens prévue à l'article 922 du code civil à fin d'éventuelle réduction ;

Dit qu'il reviendra au notaire désigné de déterminer les droits de chacune des parties au regard de ce qui précède ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles d'appel ;

Dit que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de partage.

Le greffier

Delphine Verhaeghe

Le président

Bruno Poupet


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 21/01308
Date de la décision : 11/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-11;21.01308 ?
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