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13/06/2024 | FRANCE | N°22/00365

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 13 juin 2024, 22/00365


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 13/06/2024





****





N° de MINUTE :

N° RG 22/00365 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UCGC



Jugement (N° 19/07584)

rendu le 12 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Lille





APPELANT



Monsieur [C] [X]

né le 06 mars 1977 à [Localité 3] (Togo)

demeurant [Adresse 1]

[Localité 2]



représenté par M

e Kouamé Koffi, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué.



INTIMÉ



Monsieur le procureur général près la cour d'appel

représenté par Madame Dorothée Coudevylle, substitute générale



DÉBATS à l'audience publique du 08 av...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 13/06/2024

****

N° de MINUTE :

N° RG 22/00365 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UCGC

Jugement (N° 19/07584)

rendu le 12 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANT

Monsieur [C] [X]

né le 06 mars 1977 à [Localité 3] (Togo)

demeurant [Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Kouamé Koffi, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué.

INTIMÉ

Monsieur le procureur général près la cour d'appel

représenté par Madame Dorothée Coudevylle, substitute générale

DÉBATS à l'audience publique du 08 avril 2024, tenue par Céline Miller magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Bruno Poupet, président de chambre

Samuel Vitse, président de chambre

Céline Miller, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 13 juin 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 18 mars 2024

****

M. [C] [X], né le 6 mars 1977 à [Localité 3], au Togo, de nationalité togolaise, s'est marié le 6 septembre 2003 avec Mme [I] [Z].

Le 20 septembre 2005, il a souscrit une déclaration de nationalité française sur le fondement des dispositions de l'article 21-2 du code civil. Cette déclaration a été enregistrée le 25 septembre 2006.

Le divorce de M. [X] et de Mme [Z] a été prononcé par jugement du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance d'Arras du 22 mai 2007.

Puis, M. [X] s'est marié avec Mme [B] [U] [G], née le 11 septembre 1983 et de nationalité togolaise.

A la suite de la déclaration d'acquisition de nationalité française souscrite par Mme [B] [U] [G], Mme la procureure de la République près le tribunal de grande instance de Lille a fait assigner M. [X] devant ledit tribunal par acte du 22 janvier 2019 aux fins, notamment, de voir annuler l'enregistrement de sa déclaration de nationalité souscrite en 2005 et de constater l'extranéité de celui-ci.

Par jugement du 12 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Lille a :

- constaté que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile avait été délivré';

- rejeté l'exception de nullité de l'assignation soulevée par le défendeur ;

- déclaré l'assignation recevable ;

- dit que M. [X] n'était pas français ;

- ordonné en tant que de besoin les mentions prévues à l'article 28 du code civil ;

- condamné M. [X] à supporter les dépens de l'instance ;

- rejeté toutes demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires, des parties.

M. [X] a interjeté appel de ce jugement et, aux termes de ses dernières conclusions remises le 18 mars 2024, demande à la cour, au visa de l'article 56 du code de procédure civile, d'infirmer le jugement dont appel et, statuant à nouveau, de :

- à titre principal, constater l'absence de motivation de l'assignation et déclarer celle-ci nulle et non avenue ;

- à titre subsidiaire, débouter M. le procureur général de l'ensemble de ses demandes ;

- dire et juger ce que de droit quant aux dépens.

Aux termes de ses conclusions remises les 7 juin 2022 et 4 avril 2024, M. le procureur général près la cour d'appel demande à la cour de dire que le récépissé a été délivré conformément à l'article 1043 du code de procédure civile, confirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau :

- déclarer l'action du ministère public recevable ;

- annuler l'enregistrement de la déclaration souscrite ;

- juger que l'appelant n'est pas de nationalité française ;

- débouter celui-ci de l'ensemble de ses demandes ;

- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.

L'ordonnance de clôture de la mise en état a été rendue le 18 mars 2024.

Par messages transmis par le réseau privé virtuel des avocats les 28 et 29 mai 2024, la cour a demandé aux parties de lui transmettre l'assignation qui avait été délivrée en première instance par le ministère public à M. [X].

Les parties ont fait diligence.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité des conclusions déposées par le ministère public le 4 avril 2024

L'article 802 du code de procédure civile dispose qu'après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.

En l'espèce, les conclusions en réplique remises par le ministère public le 4 avril 2024, soit après la clôture de l'instruction du dossier ayant eu lieu le 18 mars 2024, sont irrecevables de sorte que seules les conclusions remises le 7 juin 2022 seront étudiées par la cour.

Sur la régularité de la procédure

La cour constate que les formalités prévues par l'article 1043 du code de procédure civile ont été réalisées.

Sur l'exception de procédure

Selon l'article 56 du code de procédure civile, l'assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice et celles énoncées à l'article 54 :

1° les lieu, jour et heure de l'audience à laquelle l'affaire sera appelée ;

2° un exposé des moyens en fait et en droit ;

3° La liste des pièces sur lesquelles la demande est fondée dans un bordereau qui lui est annexé ;

4° L'indication des modalités de comparution devant la juridiction et la précision que, faute pour le défendeur de comparaître, il s'expose à ce qu'un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire.

L'assignation précise également, le cas échéant, la chambre désignée.

Elle vaut conclusions.

En l'espèce, M. [X] demande à la cour de constater la nullité de l'assignation en ce que, d'une part, le ministère public n'a pas visé le texte de droit sur lequel il fondait sa demande d'annulation de l'enregistrement de sa déclaration de nationalité et de constatation de son extranéité et, d'autre part, il n'a pas motivé son assignation, celle-ci faisant référence à des conclusions jointes qui ne l'étaient pas.

Or, la cour constate, à l'instar du premier juge, que le ministère public a exposé, dans les conclusions jointes à son assignation, les motifs de fait et de droit le conduisant à considérer que les événements de vie de M. [X] étaient incompatibles avec une communauté de vie avec sa première épouse, au sens de l'article 21-2 du code civil, au moment de la souscription de sa déclaration de nationalité française, si bien qu'il y a lieu de confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a rejeté l'exception de procédure soulevée par M. [X].

Sur le fond

M. [X] soutient, d'une part, que le ministère public ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, d'une éventuelle fraude à l'obtention de sa nationalité française, caractérisée par un précédent mariage dissimulé et, d'autre part, qu'au moment de sa déclaration en vue d'obtenir la nationalité française, les conditions posées à l'article 21-2, à savoir une communauté de vie affective et matérielle avec Mme [Z], étaient remplies.

M. le procureur général soutient, pour sa part, qu'au regard de la chronologie des faits et du comportement de l'appelant, qui se trouvait dans une situation de bigamie de fait au moment de sa déclaration, ce dernier n'entretenait aucune communauté de vie réelle, ou du moins affective, avec Mme [Z], avec laquelle il n'avait nullement l'intention de vivre en union durable. Il ajoute que la requête en divorce déposée moins de neuf mois après l'enregistrement de la déclaration et la naissance la même année d'un enfant conçu avec l'épouse 'coutumière' de M. [X] confirme que l'exigence d'une communauté de vie affective, posée à l'article 21-2 du code civil, supposant notamment le respect de l'obligation de fidélité prévue à l'article 212 dudit code, n'a pas été respectée. Il conclut alors au caractère frauduleux de la déclaration souscrite par l'appelant le 20 septembre 2005.

Sur ce

Aux termes de l'article 21-2 alinéa 1er du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 26 novembre 2003 applicable aux circonstances de l'espèce, l'étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de deux ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration, la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux et que le conjoint français ait conservé sa nationalité.

Il est constant que la situation de bigamie d'un des époux à la date de la souscription de la déclaration prévue à l'article 21-2 du code civil, qui est exclusive de toute communauté de vie, fait obstacle à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger (Cass. 1ère civ., 10 février 2021, n°19.50-027, P ; Cass. civ. 1ère, 12 janv. 2022, n° 20-50.036). Par ailleurs, l'absence de communauté de vie

affective et matérielle entre époux, qui relève du pouvoir souverain d'appréciation du juge du fond, peut notamment se déduire de la circonstance que l'époux a eu, au cours du mariage, plusieurs enfants nés de ses relations avec un tiers (Cass. civ. 1ère, 14 janv. 2015, n° 13-27.138 ; Cass. civ. 1ère, 10 fév. 2021, n° 20-11.694).

L'article 30 du même code dispose que la charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause ; que toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants.

M. [X] étant titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants, la charge de la preuve incombe en principe au Ministère public.

Cependant, en vertu de l'article 26-4 du code civil, l'enregistrement peut être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte. La cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 constitue une présomption de fraude.

En l'espèce, l'enregistrement de la déclaration de nationalité française de l'intéressé, contesté par le ministère public dans le délai de deux ans de la découverte de la fraude alléguée, est intervenu le 25 septembre 2006, tandis que le divorce de M.'[X] et de Mme [Z] a été prononcé par jugement du 22 mai 2007, à la suite d'une requête en divorce déposée par les époux le 22 mars 2007, soit moins de neuf mois après l'enregistrement de la déclaration de nationalité de M.'[X].

Il existe donc une présomption de fraude qu'il appartient à M. [X] de renverser en rapportant la preuve de sa communauté de vie avec Mme [Z] au sens de l'article 21-2 du code civil, au moment de la souscription de sa déclaration de nationalité.

Or, la cour constate en premier lieu à la lecture de l'acte de naissance de la fille aînée de M.'[X], [N], et des rapports de la préfecture versés aux débats par le ministère public, que l'appelant avait contracté le 19 juillet 2002 un mariage coutumier avec Mme [B] [G], ce qu'il ne conteste pas.

Ce mariage, généralement défini comme une démarche traditionnelle et solennelle préalable au mariage qui traduit le consentement des futurs époux à celui-ci, est appelé 'dot' dans la tradition togolaise. Si le mariage célébré devant l'officier d'état civil est certes le seul à produire des effets légaux aux termes des articles 73 et 74 du code des personnes et de la famille togolais, ainsi que le souligne l'appelant dans ses écritures, il n'en demeure pas moins que la dot, définie et encadrée aux articles 56 et 57 du même code, figure dans la section relative aux conditions de forme du mariage, qui se situe elle-même dans le chapitre correspondant au lien matrimonial. Par conséquent, il y a lieu de retenir que M. [X] était déjà engagé dans un processus matrimonial avec celle qui allait finalement devenir sa seconde épouse, lorsqu'il s'est marié avec Mme [Z].

En second lieu, ainsi que l'a justement relevé le juge de première instance, il ressort des pièces figurant au dossier que M. [X] a eu deux enfants avec Mme [G] nés ou conçus durant son mariage avec Mme [Z] : [N], née le 2 décembre 2003, soit moins de trois mois après ce mariage, et [T], née le 3 septembre 2007, soit quatre mois seulement après le divorce. Si [N] a été manifestement conçue avant le mariage célébré avec Mme [Z], il est frappant de constater à la lecture de son acte de naissance, qu'elle a été déclarée à l'état civil par le père de M. [X], tandis que la soeur de celui-ci et la mère de l'enfant attestent qu'elle a ensuite vécu avec ses grands-parents paternels, ce qui témoigne de la volonté de M. [X] d'assumer ses responsabilités paternelles et familiales. Il est par ailleurs manifeste que [T] a été conçue en décembre 2006, lorsque M. [X] est retourné au Togo visiter sa famille, ainsi que le certifient Mme [O] [X], soeur de l'appelant, et Mme [G] dans leurs attestations des 1er et 25 décembre 2021. Or, il doit être souligné qu'à ce moment-là, M.'[X] était encore marié à Mme [Z], de sorte qu'il lui devait notamment fidélité en vertu de l'article 212 du code civil.

Si l'infidélité est indéniablement constitutive d'une violation grave des devoirs de l'époux, elle n'est pas pour autant exclusive de plein droit d'une communauté de vie affective et matérielle, laquelle doit s'apprécier in concreto à la date de la souscription de la déclaration de nationalité française par M. [X]. Or, force est de constater, au vu des éléments énoncés ci-dessus, que M. [X] a maintenu une relation affective, durable et suivie avec Mme [G], avec laquelle il s'est marié le 17 juillet 2008, soit un peu plus d'un an après le prononcé de son divorce avec Mme [Z], a eu trois enfants, dont deux nés ou conçus pendant son mariage avec Mme [Z], et qu'il a construit un second foyer au Togo dès 2002 comme le constate le ministère public dans ses écritures.

Cette relation extra-conjugale peut ainsi être assimilée à une bigamie de fait, exclusive de toute communauté de vie affective et faisant obstacle, à la date de souscription de la déclaration, à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger.

M. [X] n'apporte pour sa part aucun élément de preuve de la réalité et de la persistance de sa communauté de vie tant matérielle qu'affective avec Mme [Z] au moment de la souscription de sa déclaration de nationalité.

C'est donc à juste titre que le juge de première instance, retenant que M. [X] a entretenu des relations intimes continues depuis 2002 avec Mme [G], avec laquelle il a eu trois enfants, dont deux nés ou conçus durant son mariage avec Mme [Z], et la troisième, [M], née le 5 août 2013 (Cass. civ. 1ère, 14 janv. 2015, n° 13-27.138 ; Cass. civ. 1ère, 10 fév. 2021, n° 20-11.694), ses relations s'étant maintenues après le divorce avec Mme [Z], et que ces relations suffisaient à prouver l'absence d'une communauté de vie des époux au sens de l'article 21-2 du code civil au moment de la déclaration de nationalité souscrite par M. [X], a considéré que la preuve du caractère frauduleux de cette déclaration était rapportée.

La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a dit que M. [X] n'était pas français et ordonné la mention prévue à l'article 28 du code civil.

Sur les dépens

Le sort des dépens a été exactement réglé par le premier juge.

Succombant en cause d'appel, M. [X] sera tenu aux entiers dépens de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne M. [C] [X] aux entiers dépens de la procédure d'appel.

Le greffier

Delphine Verhaeghe

Le président

Bruno Poupet


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 22/00365
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;22.00365 ?
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