République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 04/04/2024
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N° de MINUTE :
N° RG 20/02973 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TEC5
Jugement (N° 18/06008)
rendu le 20 mai 2020 par le tribunal judiciaire de Lille
APPELANTE
La SCI Le Liberté
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Julien Haquette, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant
INTIMÉS
Madame [X] [Z]
née le 11 août 1941 à [Localité 12]
[Adresse 2]
[Localité 7]
Madame [E] [U] épouse [B]
née le 20 mars 1964 à [Localité 12]
[Adresse 6]
[Localité 10]
Madame [T] [U]
née le 29 janvier 1968 à [Localité 11]
[Adresse 9]
[Localité 8]
Assignées en reprise d'instance en qualités d'ayants droit de M. [H] [U].
représentées par Me Jean-Louis Capelle, avocat au barreau de Béthune, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 27 novembre 2023, tenue par Samuel Vitse magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
GREFFIER LORS DU PRONONCÉ : Anaïs Millescamps
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Samuel Vitse, président de chambre
Céline Miller, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 11 avril 2024 après prorogation du délibéré en date du 07 mars 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Anaïs Millescamps, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 06 novembre 2023
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Par acte sous seing privé du 15 novembre 2017, la société civile de construction vente Le Liberté (la société) a vendu à M. [H] [U] et à son épouse, Mme [X] [Z], (les époux [U]) un ensemble immobilier situé [Adresse 1] et [Adresse 3] à Lille, composé d'un appartement et d'un garage double, moyennant le prix de 730 000 euros.
Un tel acte comporte une clause pénale prévoyant le versement d'une somme de 73 000 euros à la charge de celle des parties qui manquera à ses obligations contractuelles, outre qu'il stipule, à titre de dépôt de garantie, le versement par les acquéreurs d'une somme de 36 500 euros entre les mains du notaire instrumentaire, constitué séquestre.
Se trouve également insérée à l'acte la clause suivante : Le vendeur s'engage à ce que les infiltrations constatées lors de la dernière visite dans le séjour et en sous-face de balcon côté Square Dutilleul soient réparées à la date de la vente.
La réitération sous forme authentique devait intervenir au plus tard le 15 février 2018.
Soutenant que le vendeur n'avait pas remédié aux infiltrations et que la réitération de la vente n'avait dès lors pu intervenir dans le délai convenu, les époux [U] ont, par acte du 31 juillet 2018, assigné la société devant le tribunal de grande instance de Lille aux fins, notamment, d'obtenir sa condamnation au paiement de l'indemnité prévue par la clause pénale et la restitution du dépôt de garantie.
Par jugement du 20 mai 2020, le tribunal judiciaire de Lille a ordonné la restitution du dépôt de garantie, condamné la société à payer aux époux [U] la somme de 73 000 euros au titre de la clause pénale avec intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 2018, condamné la même aux dépens et à payer aux époux [U] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les parties étant déboutées du surplus de leurs demandes.
La société a relevé appel de l'ensemble des chefs du jugement.
Aux termes de ses conclusions remises le 28 octobre 2020, la société demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, à titre principal, de condamner solidairement les intimés à lui payer la somme de 73 000 euros au titre de la clause pénale, à titre subsidiaire, de modérer le montant alloué à ce titre aux intimés, en tout état de cause, de condamner solidairement ceux-ci aux entiers dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 14 octobre 2021, le magistrat chargé de la mise en état a constaté l'interruption de l'instance à la suite de la notification du décès de M. [H] [U].
Par actes des 31 mars et 4 avril 2022, la société a assigné les ayants droit de [H] [U] en reprise d'instance.
Aux termes de leurs conclusions remises le 31 mai 2022, Mmes [X] [Z] veuve [U], [E] [U] épouse [B] et [T] [U] (les consorts [U]) demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris, de rejeter l'ensemble des demandes de la société et de condamner celle-ci aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour le détail de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il convient d'observer que, si la société a relevé appel du chef du jugement ayant ordonné la restitution du dépôt de garantie d'un montant de 36 500 euros, elle ne formule toutefois aucune prétention à cet égard dans le dispositif de ses écritures, de sorte que la décision entreprise sera nécessairement confirmée de ce chef.
Sur la clause pénale
Aux termes de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Selon l'article 1231-5 du même code, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
En l'espèce, les parties ont conclu une promesse synallagmatique de vente qui n'a pas été réitérée sous forme authentique. Si chacune d'entre elles a finalement renoncé à la vente, celle-ci demeure toutefois litigieuse en ce qu'elle stipule une clause pénale dont le bénéfice est invoqué par chacun des contractants.
Une telle clause pénale est rédigée comme suit :
Au cas où, toutes les conditions relatives à l'exécution des présentes étant remplies, l'une des parties, après avoir été mise en demeure, ne régulariserait pas l'acte authentique et ne satisferait pas ainsi aux obligations alors exigibles, elle devra verser à l'autre partie la somme de SOIXANTE-TREIZE MILLE EUROS (73 000 euros) à titre de clause pénale, conformément aux dispositions des articles 1152 et 1226 du Code civil, indépendamment de tous dommages-intérêts.
Il est ici précisé et convenu entre les parties que cette clause pénale a également pour objet de sanctionner le comportement de l'une des parties dans la mesure où il n'a pas permis de remplir toutes les conditions d'exécution de la vente.
La présente clause pénale ne peut priver, dans la même hypothèse, chacune des parties de la possibilité de poursuivre l'autre en exécution de la vente.
Au regard des infiltrations constatées lors d'une visite préalable à la conclusion de la promesse synallagmatique de vente, les parties sont convenues d'y ajouter la mention manuscrite suivante :
Le vendeur s'engage à ce que les infiltrations constatées lors de la dernière visite dans le séjour et en sous-face de balcon côté square Dutilleul soient réparées à la date de la vente.
Il n'est pas contesté par la société que de telles réparations n'avaient pas été effectuées à l'expiration du délai convenu pour la réitération de la vente sous forme authentique, soit au 15 février 2018.
Les intimées produisent en outre un procès-verbal de constat du 21 juin 2018 dont il résulte qu'à cette date, soit plus de quatre mois après l'échéance fixée pour la réitération, le bien objet de la vente présentait toujours des désordres liés aux infiltrations dans le séjour et sur le balcon côté square Dutilleul, l'huissier de justice ayant procédé aux constatations suivantes :
Séjour
Je constate côté square Dutilleul qu'il apparaît une trace de reprise de peinture blanche, sur laquelle sont visible des auréoles brunâtres. Sous cet emplacement sur le parquet chêne du sol, il apparaît un grisaillement.
En périphérie du conduit de cheminée, je constate que l'enduit est décollé, des traces
brunes apparaissent à cet emplacement.
Au niveau du sol, il apparaît des écaillages de plâtre provenant de cet emplacement du plafond.
En ce qui concerne le balcon côté square Dutilleul
Je constate qu'il apparaît à plusieurs endroits des écaillages de peinture, des traces brunâtres sont apparentes sur certains endroits de la casquette béton peinte. Il apparaît également des traces de rouille visible à travers les éclats du béton.
Sur un emplacement de cette sous-face de casquette, des stalactites apparaissent. Des coulées sont apparentes sur le garde-corps, ainsi que sur la terrasse.
Il apparaît un goutte-à-goutte à l'extrémité d'une stalactite.
La société ne justifie pas avoir ultérieurement procédé aux travaux de réparation convenus, de sorte qu'elle n'a pas permis de remplir toutes les conditions d'exécution de la vente au sens de la clause pénale précitée et encourt ainsi la sanction financière prévue par ladite clause.
C'est vainement qu'elle entend elle-même se prévaloir d'une telle clause à son bénéfice, en arguant du refus des époux [U] de réitérer la vente nonobstant une sommation délivrée le 31 juillet 2018. En effet, ceux-ci ont légitimement refusé de donner suite à une telle sommation, dès lors que les conditions d'exécution de la vente n'étaient pas réunies à cette date, ni non plus du reste au jour fixé dans la sommation pour la réitération, soit le 14 août 2018, étant à cet égard observé que, si le procès-verbal de carence dressé le même jour par le notaire mentionne l'existence de factures de travaux de réfection établies les 7 et 16 juillet 2018, celles-ci ne sont toutefois pas produites, de sorte qu'il est impossible d'en vérifier l'objet précis.
Si la clause pénale doit donc bénéficier aux seuls acquéreurs, son montant apparaît toutefois manifestement excessif au regard du préjudice qu'ils ont réellement subi, ainsi que le soutient de manière pertinente la société.
Un tel préjudice sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 30 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation, le jugement entrepris étant réformé de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
L'issue du litige justifie que soient confirmés les chefs du jugement relatifs aux dépens et frais irrépétibles et que la société soit condamnée aux dépens d'appel. L'équité commande de laisser à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il condamne la société Le Liberté à payer à M. [H] [U] et Mme [X] [Z] épouse [U] la somme de 73 000 euros au titre de la clause pénale, avec intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 2018 ;
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
Condamne la société Le Liberté à payer à Mmes [X] [Z] épouse [U], [E] [U] épouse [B] et [T] [U] la somme de 30 000 euros au titre de la clause pénale, avec intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 2018 ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles d'appel ;
Condamne la société Le Liberté aux dépens d'appel.
Le greffier
Anaïs Millescamps
Le président
Bruno Poupet