ARRÊT DU
29 Mars 2024
N° 355/24
N° RG 22/00515 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UGXW
CV/NB
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de ROUBAIX
en date du
28 Février 2022
(RG F 20/00202)
GROSSE :
aux avocats
le 29 Mars 2024
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
S.A.S. STANDARD INDUSTRIE INTERNATIONAL
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI assisté de Me Cédric RUMEAUX, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉ :
M. [U] [K]
[Adresse 2]
[Adresse 2] CANADA
représenté par Me Isabelle TARAUD, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE
DÉBATS : à l'audience publique du 06 Février 2024
Tenue par Clotilde VANHOVE
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Serge LAWECKI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie LE BRAS
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Patrick SENDRAL
: CONSEILLER
Clotilde VANHOVE
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mars 2024,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 16 janvier 2024
EXPOSE DU LITIGE
M. [K] a été embauché par la société Standard industrie international selon contrat à durée indéterminée du 16 octobre 2015 en qualité de responsable de la filiale Afrique du Sud, statut cadre, niveau II, coefficient 135.
Le 1er août 2017, M. [K] a été nommé directeur de la filiale américaine (USA et Canada). Il était salarié de droit français, détaché auprès de la filiale américaine.
La convention collective applicable est la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
Le 28 octobre 2019, M. [K] a été convoqué à un entretien en vue d'une rupture conventionnelle, prévu le 6 novembre suivant.
Le 7 novembre 2019, M. [K] a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire puis convoqué le lendemain à un second entretien en vue d'une rupture conventionnelle.
Le 29 novembre 2019, M. [K] a été convoqué à un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement, prévu le 9 décembre suivant.
Le 23 décembre 2019, M. [K] a été licencié pour insuffisance professionnelle.
M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Roubaix afin de voir annuler son licenciement, indemniser ses préjudices et rembourser diverses sommes au titre de ses droits à congés payés, de ses frais et du prélèvement d'impôts indu.
Par jugement contradictoire du 28 février 2022, cette juridiction a :
- dit et jugé que les faits de harcèlement moral sont avérés,
- dit et jugé que le licenciement de M. [K] est nul,
- condamné la société Standard industrie international à payer à M. [K] les sommes de :
* 65 000 euros nets en réparation de l'ensemble des préjudices professionnels, financiers et moraux subis dans le cadre de ce licenciement nul sur le fondement des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail,
* 1 361,59 euros bruts à titre de rappel de congés payés et de jours de RTT,
* 5 933,80 euros à titre de remboursement de frais professionnels,
* 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- précisé que les condamnations prononcées emportent intérêt au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter de la décision pour toute autre somme,
- rappelé qu'en vertu de l'article R.1454-28 du code du travail, la décision ordonnant le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées à l'article R.1454-14 dudit code est exécutoire de plein droit dans la limite de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois,
- condamné la société Standard industrie international aux dépende l'instance,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Par déclaration reçue au greffe le 6 avril 2022, la société Standard industrie international a relevé appel de cette décision, tendant à son annulation ou à sa réformation en toutes ses dispositions.
Dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 30 décembre 2022, la société Standard industrie international demande à la cour de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
- lui donner acte de ce qu'elle a réglé la somme de 1 398,67 euros bruts à titre de rappel de CP et de RTT et la somme de 942,54 euros nets à titre d'impôt sur le revenu indûment précompté,
- débouter M. [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- le condamner reconventionnellement au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 3 octobre 2022, M. [K] demande à la cour de :
- le juger recevable et bien fondé en son appel incident,
' à titre principal,
- confirmer le jugement, sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'indemnisation en réparation du préjudice découlant des agissements intervenus en amont de la rupture du contrat de travail, dans le cadre du harcèlement moral de la suppression des fonctions et de la violation de l'obligation de sécurité,
et statuant à nouveau,
- condamner la société Standard industrie international à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice,
- condamner la société Standard industrie international à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code procédure civile,
- la condamner aux dépens,
' à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour infirmait le jugement et ne retenait pas la nullité du licenciement,
- juger que le licenciement notifié par lettre datée du 23 décembre 2019 est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- juger que doit être écarté le plafonnement prévu par l'article L.1235-3 du code du travail, ce plafonnement portant une atteinte à son droit de recevoir une indemnisation adéquate de l'ensemble de ses préjudices en violation des dispositions des articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et de l'article 24 de la charte sociale européenne et constituant une discrimination en violation des articles 19 et 157 du droit de l'Union Européenne,
- condamner en conséquence la société Standard industrie international à lui verser la somme de 65 000 euros nets correspondant à la réparation adéquate de l'ensemble de ses préjudices professionnels, financiers et moraux subis dans le cadre de son licenciement,
' à titre infiniment subsidiaire, si la cour ne retenait ni la nullité du licenciement ni la nécessité d'écarter le plafonnement, condamner la société Standard industrie international à lui verser la somme de 33 393,55 euros nets correspondant à cinq mois de salaire à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L.1235-3 du code du travail,
' en tout état de cause et en toutes hypothèses, condamner la société Standard industrie international à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 janvier 2024.
MOTIVATION :
1) Sur la demande relative aux rappels de jours de RTT et de congés payés
Il résulte des pièces produites par les parties que face aux réclamations de M. [K] relatives à des jours de RTT et de congés payés qui lui auraient été décomptés postérieurement à sa mise à pied du 7 novembre 2019 alors que son employeur lui avait demandé de ne plus venir travailler, pour un montant total de 2 760,26 euros, la société Standard industrie international a procédé à un recalcul global, reconnaissant un « problème de communication d'information » avec le service paie pour les jours de congés enregistrés avant l'engagement de la procédure de licenciement portant sur la période postérieure. La société Standard industrie international après recalcul, a versé à M. [K] la somme de 1 398,67 euros estimant que le surplus correspond à des jours posés en décembre 2018 et janvier 2019 qui n'avaient pas été décomptés.
La cour constate cependant que les pièces produites par la société Standard industrie international, qui sont uniquement des copies d'écran de son logiciel de ressources humaines qui contiennent des données contradictoires (mention de RTT début janvier 2019 sur la pièce 65 qui n'apparaissent cependant pas sur la pièce 64) et un tableau qu'elle a elle-même établi, ne permettent pas de justifier de l'existence de jours de congés ou RTT pris par M. [K] en décembre 2018 et janvier 2019 et non décomptés.
En conséquence, M. [K] justifiant de sommes indûment décomptées de ses fiches de paie pour la période postérieure à sa mise à pied, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Standard industrie international à payer à M. [K] la somme de 1 361,59 euros à ce titre.
2) Sur la demande de remboursement de frais
Les deux notes de frais dont M. [K] sollicite le remboursement pour un montant de 5 933,80 euros par la société Standard industrie international correspondent :
- à des frais relatifs à la prise en charge d'un retour en France en mai 2019 pour lui et son épouse à hauteur de 5 402,34 dollars,
- à des frais relatifs à la prise en charge de son déplacement en France à l'occasion de l'entretien préalable du 9 décembre 2019 à hauteur de 1 243,51 dollars.
M. [K] produit une copie d'écran des deux notes de frais qu'il a établies et dont les montants ne sont pas contestés par la société Standard industrie international, qui soutient néanmoins qu'elles ont été remboursées.
Pour justifier de ce remboursement, la société Standard industrie international produit une page de son grand livre comptable qui fait état de débits et crédits concernant les frais de M. [K], parmi lesquels des crédits correspondant aux montants des deux notes de frais et fait état d'un trop-perçu final par M. [K] de 2 103,43 euros.
L'examen de la page du grand livre comptable consacrée aux frais de M. [K] permet à la cour de constater qu'y figurent un débit de 4 600 dollars pour la caution de la maison, un débit de 17 958 dollars d'avance sur frais et divers petits débits 35 dollars intitulés « sittercity ». En crédit figurent la somme de 10 705 dollars pour l'installation aux USA en 2017, ainsi que d'autres sommes sans références particulières et le 31 décembre 2019 les sommes de 1 243,51 dollars et 5 402,34 dollars, qui correspondent aux notes de frais litigieuses.
Il résulte de ces éléments que la société Standard industrie international justifie qu'en versant une avance de frais en janvier 2019 de 17 958 dollars, qui était supérieure aux montants de frais de déménagement de M. [K] qui étaient retenus pour un montant de 10 705 dollars, montant que ne conteste pas ce dernier, elle était ensuite fondée à compenser le montant de cette avance avec les frais justifiés par M. [K], notamment pour ses déplacements en France tels que prévus par son contrat de travail qui font l'objet des notes de frais litigieuses.
Le jugement sera en conséquence réformé en ce qu'il a condamné la société Standard industrie international à payer à M. [K] la somme de 5 933,80 euros de ce chef et M. [K] sera débouté de cette demande.
3) Sur la demande de dommages et intérêts en raison du harcèlement moral
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il résulte des dispositions de l'article L.1154-1 du même code que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, pour dénoncer le harcèlement moral qu'il dit avoir subi en amont de la rupture de son contrat de travail, à compter de son refus en décembre 2018 de la proposition du président de la société, M. [D], de devenir actionnaire de l'entreprise, et qui serait la cause d'une dégradation de sa santé physique et mentale, M. [K] évoque dans ses conclusions :
- son éviction brutale de ses fonctions de directeur de filiale en amont de son licenciement,
- la chronologie de la rupture de son contrat de travail démontrant qu'en l'absence de tout motif valable de licenciement, la société Standard industrie international a exercé un chantage et des pressions pendant de longues semaines des deux derniers mois de 2019 pour qu'il accepte la rupture de son contrat de travail,
- les décisions de l'entreprise de ne pas rembourser les notes de frais, et de décompter illégalement des jours de RTT et de congés payés, l'accusation sans fondement d'avoir restitué un véhicule dans un état déplorable et la volonté de lui imposer un règlement de son solde de tout compte en cinq versements sans se soucier de ses propres difficultés financières.
Pour établir la matérialité des faits allégués, M. [K] produit notamment les éléments suivants :
- un courrier du 28 octobre 2019 qui lui est adressé par M. [D], ayant pour objet « convocation à un entretien préalable en vue d'une rupture conventionnelle » et qui le convie à un entretien « au cours duquel nous aborderons la possibilité d'une rupture conventionnelle de votre contrat de travail » devant se tenir le 6 novembre 2019 en vidéo-conférence ;
- un courriel du 29 octobre 2019 adressé par M. [K] à M. [H], directeur général de la société Standard industrie international, suite à une demande du même jour de celui-ci de transmission d'un tableau de facturation pour les semaines 45 à 52, par lequel il lui indique « Vous m'avez appelé hier matin avec [T] [D] pour m'annoncer que vous me licenciez [']. Je reviens vers toi dans la journée avec les chiffres de facturation espérés par semaine jusqu'à la fin de l'année pour anticiper atterrissage de 2019. Je pensais que tu avais pris le relais car tu as appelé directement les commerciaux hier pour faire le point avec eux sur les offres en cours. ['] Je pense qu'il serait bon de s'organiser ensemble pour ne pas déstabiliser les équipes localement dans ta démarche de prendre le relais sur mon travail » ;
- un courriel du 29 octobre 2019 adressé par M. [D] à M. [K] lui confirmant qu'il est autorisé à ne pas venir travailler dès à présent et jusqu'au 6 novembre à 14 heures, auquel M. [K] répond le même jour « j'entends bien votre offre, mais ça ne fait pas partie de mon ADN de ne pas venir travailler. Je continuerai donc à venir pour faire des avancer les choses autant que possible ici pour l'ensemble des projets qu'il convient de mener à bien » ;
- courriel du 7 novembre 2019 de M. [H] à M. [K] ainsi rédigé : « Merci de prendre acte de ta mise à pied conservatoire à compter de ce jour à réception de cet email (19h30 heures française ce vendredi 7 novembre 2019) et de quitter ton lieu de travail. Nous te demandons de ne pas te connecter à nos serveurs à compter de ce moment ni d'utiliser ta carte bleue société. Tu continues de bénéficier des équipements mis à ta disposition (téléphone ordinateur et véhicule) pour tes démarches administratives et pour communiquer avec le siège uniquement. Un courrier de confirmation sera envoyé demain », auquel M. [K] répond le 8 novembre « Je suis encore sous le choc de cet email et ma femme est en panique complète. Ai-je bien compris le sens de cet email : vous me demandez de quitter le territoire américain du jour au lendemain avec ma famille ''' (démission instantanée du travail de ma femme sans chômage, école de notre fille, logement encore sous contrat, voiture sous crédit...!!!) », suivi d'un courriel de M. [H] lui indiquant « il n'est pas question de ce que tu présentes dans ton mail ; cette décision de mise à pied est dans l'intérêt des deux parties. M. [D] t'avait déjà invité à rester chez toi le temps de discuter calmement de la situation ce que tu n'as pas respecté. La façon dont tu réagis nous confirme qu'il est important que tu puisses rester auprès de tes proches et que de notre côté nous garantissions la continuité de nos affaires dans le respect des équipes et de nos clients. Nous t'invitons à en reparler la semaine prochaine mardi après-midi dans un cadre apaisé » et enfin d'une réponse de M. [K] le même jour « je crois que tu ne mesures pas ce que signifie « mise à pied conservatoire ». Le fait de rester chez moi était une proposition faite par M. [D] pour me faciliter la tâche et non une demande explicite de rester loin du bureau. Je n'ai aucun problème à respecter une telle demande qui aurait pu être formalisée même par un coup de téléphone ou un mail me demandant de rester chez moi. Mais hier il s'agissait d'un courriel avec pour objet « mise à pied conservatoire » ce qui signifie tout autre chose et a complètement anéanti ma femme. Je n'ai aucun souci à respecter les demandes de la direction, mais les termes ont une importance considérable. M. [D], je reste ouvert pour discuter d'une rupture conventionnelle puisque les choses se présentent ainsi.
Comme vous l'aurez compris, mon souci principal est un souci de visa car les conséquences sont beaucoup plus lourdes pour ma famille que de juste perdre mon emploi » ;
- un courriel du 8 novembre 2019 adressé par M. [H] à de nombreux contacts de l'entreprise les informant « que l'organisation de STANAM notre filiale Etats-Unis/Canada évolue à compter de ce jour. [I] [F] est nommée responsable de la filiale à la place de [U] [K] » ;
- un courrier adressé à M. [K] par M. [D] le 8 novembre 2019 avec pour objet « convocation à un second entretien préalable en vue d'une rupture conventionnelle » devant se tenir le 12 novembre 2019 en vidéo-conférence ;
- un courriel du 15 novembre 2019 adressé par M. [K] à M. [H] ainsi rédigé « suite à notre entretien d'hier avec [T] [D], [M] [X] et toi-même, j'ai bien pris note que la mise à pied conservatoire n'était pas justifiée. J'attends votre retour écrit de proposition sur l'une des différents options (rupture conventionnelle, licenciement économique ou démission) que vous me proposez. Je reviendrai vers vous lundi avec mes questions concernant le visa après mes recherches ce week-end » auquel M. [H] répond le même jour « la mise à pied était justifiée. Nous avons convenu que cela n'entraînera aucun effet sur ton salaire et le maintien de tes droits » ;
- un courrier du 29 novembre 2019 convoquant M. [K] à un entretien préalable en vue d'une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement devant intervenir le 6 décembre 2019 à [Localité 3], qui sera finalement décalé au 9 décembre 2019 ;
- un courriel du 30 novembre 2019 de M. [X], directeur administratif et financier de la société Standard industrie international, transmettant à M. [K] « le projet de protocole d'accord transactionnel ainsi que le projet de contrat sur STANAM pour que tu puisses en prendre connaissance et faire part de tes remarques éventuelles » ;
- le protocole transactionnel qui relate les étapes intervenues et précédemment reprises, indique que M. [K] a fait part lors des entretiens intervenus « du préjudice particulier à sa situation qui est la perte du visa de travail aux Etats-Unis dont il bénéficie par l'intermédiaire de Standard Industrie ainsi que celui sa compagne. En effet, faute de retrouver un visa dans les 60 jours de la fin de son contrat il sera contraint de quitter le territoire des Etats-Unis », et précise que les parties après discussions et concessions réciproques, ont décidé de convenir des conséquences de la rupture du contrat de travail de M. [K] de la façon suivante : « à la signature des présentes, la société Standard industrie international versera à M. [K] une indemnité forfaitaire transactionnelle et définitive de 25 000 euros sous forme de contrat de travail dans la filiale STANAM Industries USA. Ce contrat de travail sera donc rémunéré par cette indemnité sur une durée de 12 mois. En cas de départ de [U] [K] avant le 12ème mois Standard industrie international s'engage au titre de l'indemnité forfaitaire à verser le solde au prorata temporis à [U] [K]. [U] [K] bénéficiera également de la mise à disposition d'un véhicule de la société STANAM industries à la condition qu'il ne dépasse pas 10000 miles sur cette période. [U] [K] sera dispensé de travailler et la clause d'exclusivité est levée. Standard industrie international dénonce également la clause de non-concurrence, celle-ci est donc levée » ;
- un courriel de M. [K] à M. [X] du 8 décembre 2019 indiquant que le calcul des indemnités qui lui a été transmis lui permet de comprendre précisément la proposition de contrat reçue et précisant « j'ai vraiment un problème avec le licenciement proposé par HS la semaine dernière et lancé dans la foulée pour faute grave sans réelle justification au lieu de continuer les discussions de cette rupture conventionnelle que vous aviez initiée. De plus, cette proposition de contrat fictif avec STANAM me met vraiment mal à l'aise. J'espère que l'on pourra balayer les différentes questions demain » ;
- un compte-rendu de l'entretien du 9 décembre 2019 établi par M. [B], ayant accompagné M. [K] « [U] n'est pas d'accord pour être licencié pour faute grave. Pour lui, ce motif n'apporte que du négatif. Pour M. [D], elle permet de justifier la dispense de travail. [U] aurait préféré licenciement pour faute simple ou rupture conventionnelle. Au départ M. [D] pense aller jusqu'au licenciement pour faute simple. Il y a une négociation lors de l'entretien entre [U] et M. [D]. Négociation autour de deux possibilités de continuer la collaboration pour ne pas perdre carte verte : [U] demande un CDD français pendant 1 an, pour lui laisser le temps de rebondir, refusé par M. [D] puisque difficilement justifiable après un CDI, contrat américain ensuite proposé par M. [D]. Sur la seconde proposition, il s'agirait d'un emploi en tant que salarié STANAM avec véhicule et salaire fixe + primes. Il y a une négociation autour du contrat US de commercial commissionné à l'affaire. Objectif est de permettre à [U] de rebondir et surtout de garder sa carte verte. Apparemment il y a une incompréhension entre M. [D] et [U], qui se termine sans prendre de décision à la fin de l'entretien. » ;
- un courriel de M. [D] adressé le 19 décembre 2019 à M. [K] lui indiquant que faute d'avoir de ses nouvelles, il prendra sa décision le lendemain midi au plus tard, auquel M. [K] répond le même jour que, comme il l'a déjà expliqué le 9 décembre, il ne peut accepter la proposition de contrat arrangé avec la filiale américaine, qui n'est pas conforme à ses droits ni à la réalité mais était ouvert à la recherche d'autres solutions, n'ayant pas commis de faute ni voulu en arriver là, estimant ne pas mériter ce qui se déroule depuis deux mois ;
- la lettre de licenciement datée du 23 décembre 2019 qui informe M. [K] de son licenciement pour insuffisance professionnelle avec dispense de l'exécution du préavis et précise « comme nous vous l'avons largement commenté, nous ferons la déclaration de fin de mission sur le territoire américain auprès des autorités d'émigration en date du 31 décembre 2019 » ;
- un courriel de M. [K] adressé le 28 décembre 2019 à M. [D] lui demandant « expressément d'attendre pour informer les autorités américaines pour avoir le temps de tout clarifier en Floride [']. En effet, mon contrat de travail ne se termine qu'en fin de préavis dans 3 mois. Et en décidant de précipiter sans raison valable cette déclaration auprès des autorités (sous 3 jours) vous vous rendez inutilement responsable de préjudices excessivement lourds pour moi et ma famille, car auquel cas nous devrons quitter le territoire sous 48h après votre annonce aux autorités en abandonnant tout derrière nous et avec des factures considérables à payer » ;
- un courrier du 24 janvier 2020 de M. [D] à M. [K] lui indiquant, notamment, que c'est aux termes de son contrat de travail, c'est-à-dire aux termes du préavis, qu'il informera les services de l'immigration américaine, car cela fait partie de ses obligations légales.
Il ressort de ces différentes pièces que le 28 octobre 2019, la société Standard industrie international a convoqué M. [K] à un entretien pour discuter d'une éventuelle rupture conventionnelle de son contrat de travail. Dès le lendemain de cette convocation en vue d'entreprendre des négociations pour aboutir à une rupture conventionnelle, le directeur général de la société a contacté les commerciaux pour prendre le relais dans les relations avec eux à la place de M. [K]. Dès le lendemain également M. [D] l'autorisait à ne plus se présenter sur son lieu de travail, ce que refusait M. [K]. Il est également établi que suite au premier entretien au cours duquel ont été entamées des négociations en vue de la rupture conventionnelle, qui s'est tenu le 6 novembre 2019, M. [K] a fait l'objet le lendemain d'une mise à pied à titre conservatoire et que les salariés de la société se voyaient informés officiellement dès ce même jour de la nomination de l'assistante de M. [K] pour le remplacer.
L'éviction brutale de M. [K] de ses fonctions de directeur de la filiale américaine de la société Standard industrie international est ainsi matériellement établie, puisqu'intervenant en quelques jours alors même que ne sont en cours que de simples négociations en vue d'une rupture conventionnelle de son contrat de travail, qu'il est en conséquence toujours salarié de la société Standard industrie international et qu'à ce stade l'employeur n'évoque dans le courrier de convocation pour les entretiens aucune faute ni aucune insuffisance professionnelle du salarié.
Il est également matériellement établi par les pièces produites que M. [K] a subi à compter du 28 octobre 2019 et jusqu'à son licenciement le 23 décembre 2019, des pressions de la part de la société Standard industrie international pour qu'il soit mis fin à la relation de travail.
En effet, les pièces produites permettent d'établir qu'alors que la société Standard industrie international contacte M. [K] en vue de la mise en 'uvre de négociations pour une rupture conventionnelle, il est autorisé à ne plus venir travailler, ce qu'il refuse, et qu'il fait ensuite l'objet d'une mise à pied conservatoire le 7 novembre 2019, soit le lendemain du premier entretien de négociation, tout en prévoyant le maintien de son salaire. Se tient ensuite un second entretien organisé par l'employeur pour la suite des négociations relatives à une rupture conventionnelle. Il apparaît que, malgré la mise à pied conservatoire du 7 novembre 2019, ce n'est que le 29 novembre 2019 que l'employeur adresse à M. [K] une convocation à un entretien préalable en vue d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, la société Standard industrie international ayant en conséquence attendu un délai de 22 jours suite à la mise à pied conservatoire avant d'enclencher une procédure disciplinaire à l'encontre de M. [K] et lui indiquant que cet entretien se tiendra à [Localité 3], le contraignant ainsi à se rendre en France dans un bref délai pour assister à l'entretien. Dans le même temps, est transmis le lendemain de cette convocation un protocole transactionnel à M. [K]. Le compte-rendu de l'entretien du 9 décembre 2019 démontre en outre qu'il n'a été question au cours de cet entretien d'aucune faute de M. [K] ni d'insuffisance professionnelle de sa part mais uniquement des discussions en vue de trouver un accord sur les modalités par lesquelles il serait mis fin au contrat de travail de M. [K].
Cette chronologie des actions de l'employeur à l'égard de M. [K] pour aboutir à la rupture de son contrat de travail démontre la réalité de pressions exercées sur celui-ci pour qu'il donne son accord à une rupture du contrat de travail en transigeant avec la société Standard industrie international. Il apparaît en effet que dès la simple mise en route des négociations, la société Standard industrie international a clairement signifié à M. [K] qu'il ne pouvait plus se rendre dans l'entreprise, annonçant en outre son remplacement dès le 8 novembre 2019 dans ses fonctions de directeur de la filiale, ce qui constitue incontestablement des pressions pour qu'il accepte la fin de son contrat de travail, n'ayant plus sa place en tout état de cause au sein de la société. En outre, elle l'a mis à pied sans enclencher rapidement de procédure disciplinaire, pour finalement le convoquer à un entretien en vue d'une sanction disciplinaire tout en lui transmettant dans le même temps un protocole transactionnel, pour finalement aboutir à un licenciement pour insuffisance professionnelle.
Ces pressions sont d'autant plus établies qu'il ressort de nombreuses pièces que M. [K] expose clairement à son employeur la difficulté à laquelle il se trouve confronté, outre la perte de son emploi, qui est celle de sa présence sur le territoire américain liée à son contrat de travail, puisque son installation a généré d'importantes dépenses pour sa famille, que sa femme a un emploi et sa fille est scolarisée et que l'employeur, ayant connaissance de cette crainte de son salarié, l'a utilisée pour obtenir de lui la fin de son contrat de travail, lui proposant un contrat fictif avec la filiale américaine lui permettant de se maintenir une année sur le territoire américain.
Enfin, il est également démontré que dans la lettre de licenciement adressée à M. [K] le 23 décembre 2019, l'employeur lui a indiqué qu'il ferait la déclaration de fin de mission sur le territoire américain auprès des autorités d'émigration en date du 31 décembre 2019, alors même que le contrat de travail ne se terminait que trois mois plus tard à l'issue du préavis et que ce n'est que le 24 janvier 2020 que l'employeur informe M. [K] qu'en réalité il informera les services concernés aux termes du préavis.
Il est en conséquence parfaitement établi par la chronologie même des actions de l'employeur pendant les deux derniers mois de M. [K] en tant que salarié de l'existence de pressions subies par M. [K] pour le pousser au départ.
Ces éléments, pris dans leur ensemble, font présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'égard de M. [K], étant précisé que si M. [K] ne produit pas d'éléments médicaux justifiant de l'atteinte effective à sa santé physique ou mentale, le harcèlement moral n'est pas conditionné à la présentation de justificatifs médicaux, des faits susceptibles d'altérer la santé du salarié étant suffisants. Or, les faits tels qu'ils sont établis, sont nécessairement susceptibles d'altérer la santé physique ou mentale du salarié, qui se voit brusquement évincé de son poste de travail et subit des pressions pour accepter une rupture de son contrat de travail, d'autant plus dans un contexte d'expatriation avec les conséquences que la fin du contrat de travail entraîne sur la vie familiale, ce dont attestent les courriels de M. [K] dans lesquels sa panique à cet égard transparaît.
Il incombe dès lors à la société Standard industrie international de démontrer par des éléments objectifs que ces faits sont étrangers à toute situation de harcèlement.
Or, la cour constate que la société Standard industrie international se borne principalement à soutenir que le lien de causalité entre le licenciement et le harcèlement allégué n'est pas démontré par M. [K] et n'explique aucunement pour quelle raison objective étrangère à toute situation de harcèlement M. [K] a été brutalement évincé de son poste de travail alors qu'il n'était encore question que de négociations en vue d'une rupture conventionnelle du contrat de travail du salarié, pas plus que la raison pour laquelle elle a mis à pied M. [K] à titre conservatoire tout en lui maintenant son salaire, a ensuite poursuivi les négociations en vue d'une rupture conventionnelle et a attendu 22 jours après la mise à pied conservatoire pour convoquer M. [K] à un entretien disciplinaire, ni pour quelle raison elle lui a dans le même temps adressé un protocole transactionnel. Elle n'explique pas davantage pour quelles raisons l'entretien disciplinaire n'a donné lieu à aucune discussion sur une quelconque faute de M. [K], pas plus que n'a été abordée l'insuffisance professionnelle qu'elle a ensuite retenue dans la lettre de licenciement.
Quant à la dénonciation aux services de l'émigration mentionnée dans la lettre de licenciement à la date du 31 décembre 2019, alors que le contrat de travail prend fin trois mois plus tard à la date du préavis, la société Standard industrie international se contente d'indiquer qu'il s'agissait d'une obligation légale s'imposant à elle et que cela ne signifiait nullement qu'il devait quitter immédiatement le territoire américain. De telles explications ne constituent pas un élément objectif démontrant que cette affirmation dans la lettre de licenciement est étrangère à toute situation de harcèlement puisqu'il y est expressément mentionné une information des services concernés le 31 décembre 2019, soit quelques jours après l'envoi de la lettre, ce que la société Standard industrie international rectifiera un mois plus tard auprès de M. [K] en lui indiquant que cette information ne sera faite qu'à l'issue du préavis.
Il convient, compte tenu de ces éléments, de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu que le harcèlement moral allégué par M. [K] était établi.
C'est à bon droit que dans le cadre de son appel incident l'intimé fait grief aux premiers juges de l'avoir débouté de sa demande indemnitaire de ce chef au seul motif que l'indemnité versée au titre de la nullité du licenciement suffisait à réparer l'intégralité de son préjudice. En effet, le principe est celui de la réparation intégrale et le préjudice tiré de la perte injustifiée de son emploi est de nature distincte du préjudice causé par le harcèlement subi.
La preuve du préjudice moral allégué résulte de la nature même des faits de harcèlement moral retenu. En outre, les répercussions des agissements de la société Standard industrie international sur la santé mentale de M. [K] sont suffisamment démontrées par les pièces produites au dossier et notamment les courriels adressés par M. [K] évoquant sa détresse face à la situation. Compte tenu de ces éléments, ce dernier justifie d'un préjudice moral qu'il convient de réparer par l'octroi de 5 000 euros de dommages et intérêts. Le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef.
4) Sur la demande de nullité du licenciement pour cause de harcèlement moral et discrimination
M. [K] soutient que le licenciement dont il a fait l'objet est nul puisqu'il constitue une étape de plus dans le processus de harcèlement moral qu'il a subi et qu'il est sans cause réelle et sérieuse, aucune insuffisance professionnelle ne pouvant lui être reprochée. Il ajoute qu'il repose également sur une discrimination, la société Standard industrie international ayant construit sa stratégie d'éviction en le ciblant parce qu'il était vulnérable du fait de sa résidence familiale aux Etats-Unis.
La société Standard industrie international soutient pour sa part que le licenciement est fondé sur une insuffisance professionnelle et qu'aucun lien n'existe entre le harcèlement moral allégué par M. [K] et le licenciement. Elle souligne qu'en outre aucune discrimination n'est intervenue.
Aux termes de l'article L.1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
Il en résulte que toute rupture du contrat de travail encourt la nullité dès lors qu'elle trouverait son origine dans un comportement de harcèlement moral ou lui serait directement liée.
La cause réelle du licenciement est celle qui présente un caractère d'objectivité. Elle doit être existante et exacte. La cause sérieuse concerne la gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles.
La lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables. La datation dans cette lettre des faits n'est pas nécessaire.
Le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige doit être apprécié au vu des éléments fournis par les parties, étant précisé que, si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce.
Si la lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables, l'employeur est en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier ce motif.
En outre, si l'employeur est juge des aptitudes professionnelles de son salarié et de son adaptation à l'emploi, pour constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, l'insuffisance professionnelle doit être caractérisée par des faits objectifs et matériellement vérifiables. Si la preuve est partagée en matière de licenciement pour cause réelle et sérieuse, il incombe à l'employeur d'apporter au juge des éléments objectifs à l'appui des faits qu'il invoque comme propres, selon lui, à caractériser l'insuffisance professionnelle dont il se prévaut.
L'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité objective, non fautive et durable, d'un salarié à accomplir correctement la prestation de travail pour laquelle il est employé, c'est-à-dire conformément à ce qu'on est fondé à attendre d'un salarié moyen ou ordinaire, employé pour le même type d'emploi et dans la même situation.
En l'espèce, il résulte de la lettre de licenciement que M. [K] a été licencié pour les motifs suivants :
« de nombreux manquements dans l'exercice de votre fonction ont généré des conséquences graves tant pour nos clients que pour notre organisation interne. Le chiffre d'affaires qui devait progresser n'a depuis votre prise de poste cessé de se dégrader constamment passant de 1,6M€ en 2017 à 1,5M€ en 2018 pour arriver à 1,3M€ en prévisionnel 2019.
Ayant passé l'année 2019 à vous accompagner pour redresser la situation, malgré cela nous relevons toujours à ce jour
' absences répétées de suivi et de réponses aux sollicitations de la direction générale
' non respect de la consigne mise en place par la direction générale malgré votre approbation datée du 8 octobre 2018, vous n'avez jamais ou quasiment respecté cette consigne malgré les nombreux rappels du contrôleur de gestion
' manque de suivi de l'équipe commerciale ; pas d'analyse hebdomadaire des commerciaux comme demandé par le PdG le 7 janvier 2019
' en date du 19 mars 2019 le PdG vous a adressé un ultimatum sur l'obligation de suivre les méthodes de travail que le groupe a largement rodées et appliquées sur les équipes commerciales. Vous semblez vous moquer de ces instructions et n'en faites qu'à votre tête, car à ce jour, rien n'a changé.
' En date du 27 août 2019, le PDG vous demandait pour la 3ème ou 4ème fois d'aller chercher auprès du garage qui a repris le véhicule de votre prédécesseur copie de l'acte de rachat. Comme à chaque fois vous avez confirmé le faire mais vous avez apporté aucune suite encore une fois et ceci depuis 4 mois.
' Absence de reporting fiable, la direction et le contrôle de gestion devant intervenir directement auprès des commerciaux sur le terrain
' aucun retour sur les actions demandées de mettre en place par la direction générale suite à la visite de la filiale en juillet 2019 pour
- sécuriser le prévisionnel 2019
- challenger les prises de commandes de l'équipe commerciale
- rattraper financièrement la commande décalée des 230m de liftube chez HOLCIM ref00490007 (approvisionné à votre demande pour un montant de 125 247€ sans avoir sécurisé le financement de cette option, augmentant ainsi anormalement et inutilement nos stocks)
- lancer rapidement des actions « coup de poing » pour booster les ventes de la filiale à l'image de ce qui est fait au siège à [Localité 3]
- accompagner vos équipes sur le terrain et muscler votre planning personnel de visites clients majeurs étant aussi en charge d'une zone commerciale en propre dont vous ne vous occupez pas.
' Nous n'avons par ailleurs pas reçu de propositions ou d'initiatives de votre part pour permettre au groupe d'aborder T4-2019 sereinement comme le nécessite votre fonction. Le compte de résultat sur lequel vous vous étiez engagé montrant le rebond en chiffre d'affaires sur le second semestre n'est pas du tout aligné avec les résultats à date
' durant votre mandat, un très faible niveau d'accompagnement sur site client a été fait pour vous assurer de la sécurité et des bonnes conditions de travail de vos équipes itinérantes, mission capitale quand on connaît l'importance cruciale de ces aspects pour nos clients et auprès des équipes qui ont besoin d'un chef sur le terrain.
['] Finalement tous ces éléments ont conduit à ce que le 20 octobre 2019, un récapitulatif circonstancié de la part de la direction générale vous a été adressé sans aucune réaction efficace de votre part.
Compte tenu de vos fonctions, vous vous deviez de prévoir et de gérer toutes difficultés liées à la bonne marche et à la santé sociale économique et financière de votre filiale pour laquelle vous étiez en responsabilité.
Force est de constater, après 2 ans d'exercice dans vos fonctions que l'ambiance dans l'équipe s'est fortement dégradée et que le déficit de votre structure s'est creusé et impacte désormais significativement les résultats du groupe qui doit compenser un manque à gagner très conséquent. Il ressort par ailleurs au regard de l'ensemble des rappels susvisés que vous n'avez mis en place aucune mesure corrective pour redresser la situation malgré nos nombreux rappels à l'ordre.
Pour ces motifs, nous avons décidé de vous licencier pour cause réelle et sérieuse ».
La société Standard industrie international résume ainsi dans ses conclusions les éléments caractérisant selon elle l'insuffisance professionnelle qu'elle reproche à M. [K] : une chute des résultats de la filiale en lien avec un manque d'investissement personnel dans le suivi des clients, prospects et des collaborateurs.
La société Standard industrie international produit un graphique du chiffre d'affaires de la filiale américaine pour les années 2017 à 2019 qui retient un chiffre d'affaires facturé de 1 624 134 euros pour 2017, 1 499 794 euros pour 2018 et 1 409 768 euros pour 2019.
M. [K] avance des chiffres différents exprimés en dollars qui font état d'une croissance : 1,34 millions de dollars en 2017, 1,59 millions de dollars en 2018 et 1,8 millions de dollars en 2019. Ces données ne sont cependant étayées par la production d'aucune pièce.
La cour constate que les chiffres précités repris par la société Standard industrie international dans le graphique qu'elle a établi ne correspondent pas exactement à ceux qui figurent dans les bilans qu'elle produit, le chiffre d'affaires apparaissant sur ces documents d'un montant de 1 617 135 euros fin 2017, 1 590 011 euros fin 2018 et 1 424 557 euros en 2019.
Si ces données témoignent de la baisse des résultats de la filiale américaine de la société Standard industrie international au cours des années 2017, 2018 et 2019, la cour constate qu'ainsi que le soulève M. [K], la société Standard industrie international ne produit aucune donnée relative aux années précédentes permettant une comparaison et une appréciation de la baisse observée par rapport aux années précédentes.
En outre, le simple constat d'une baisse des résultats de la filiale ne saurait être constitutif d'une insuffisance professionnelle de son directeur si ne sont démontrées des défaillances professionnelles de sa part à l'origine de cette baisse, qui peut être subie en raison d'éléments objectifs extérieurs à la capacité professionnelle du dirigeant.
La société Standard industrie international impute cette baisse au manque d'investissement de M. [K] dans le suivi des clients, prospects et des collaborateurs, tel que détaillé dans la lettre de licenciement alors qu'elle met en avant un accompagnement au cours de l'année 2019 et des alertes formelles.
La cour observe en premier lieu que M. [K] démontre l'existence des difficultés non liées à son travail auxquelles il s'est trouvé confronté, qui ont entraîné la baisse des résultats :
- une politique de surfacturation interne des produits importés du siège de [Localité 3] vers la filiale américaine lors de l'optimisation des stocks dont il démontre avoir fait part à M. [H] à l'arrivée de celui-ci en juin 2019, ce qui a nécessairement un impact sur les résultats,
- des délais d'approvisionnement des pièces produites qui entraînait des refus de certains clients de passer commande,
- le problème de la composition de l'équipe commerciale, qui était passée de 6 commerciaux à 2 à l'arrivée de M. [K] et les difficultés de recrutement de commerciaux, notamment eu égard aux conditions proposées inadaptées, qui sont attestées par les échanges de courriels, notamment entre M. [K] et M. [D], entre M. [K] et Mme [M], responsable marketing et communication.
Face à ces difficultés avérées avancées par M. [K] ayant nécessairement un impact sur les résultats de la filiale, la cour constate que la société Standard industrie international échoue à démontrer la réalité des manquements qu'elle reproche à M. [K] et leur lien avec la baisse des résultats.
En effet, s'agissant d'abord du grief de non suivi général des demandes de la direction générale de l'entreprise et en particulier celles du contrôleur de gestion, la société Standard industrie international produit de nombreux rappels adressés par courriels en 2018 et 2019 à M. [K] par M. [N], contrôleur de gestion, relatifs à la transmission chaque semaine à la demande de M. [D], des fiches d'évaluation des commerciaux sur le terrain. La société Standard industrie international justifie également d'un avertissement adressé à M. [K] sur ce point le 2 octobre 2018.
La cour constate cependant d'une part que ce manquement ne peut être suffisamment établi par les courriels produits et l'avertissement adressé, alors que M. [K] invoque des difficultés informatiques connues de la direction expliquant le défaut de remplissage des tableaux Excel concernant deux commerciaux, le logiciel CRM de la société rendant impossible l'enregistrement de leurs visites et précise qu'en novembre 2019, après son éviction, M. [D] a choisi un nouveau logiciel CRM et signé un contrat pour sa mise en place pour pallier la difficulté. Si M. [K] ne produit aucun élément justifiant de ses dires, ce qui résulte de son éviction et du fait qu'il ne peut en conséquence rapporter des preuves qu'il ne détient pas, la société Standard industrie international ne fournit aucune explication sur ce point ni ne conteste cet élément.
D'autre part, quand bien même serait établi le fait que M. [K] n'aurait pas procédé chaque semaine à la remontée au siège de la société des données relatives aux tournées et aux rapports des commerciaux sur le terrain, la société Standard industrie international n'explique aucunement en quoi un tel manquement serait à l'origine de la baisse de résultats de la filiale, en présence d'un seul défaut de remontée au siège social des informations, n'impliquant pas que le suivi de l'activité des commerciaux sur le terrain n'ait pas été réalisé.
S'agissant ensuite du manque de suivi commercial invoqué par la société Standard industrie international, elle produit un courriel de M. [D] adressé à M. [K] le 19 mars 2019 qui fait état d'un manque de chiffre d'affaires constaté à cette date par rapport à l'objectif, et précise « pour la dernière fois, je rappelle que tu dois faire respecter mes méthodes de travail. Ceux qui s'y opposent, doivent quitter l'entreprise. Notamment : PRESENCE EN CLIENTELE, PRISE DE RENDEZ-VOUS. Je demande à [G] de m'adresser pour chacun d'entre vous la présence en clientèle depuis le 1er janvier de cette année. Si rien n'a évolué depuis mon dernier contrôle, je serai amené à sanctionner. L'avenir de la filiale passe OBLIGATOIREMENT par une meilleure présence en clientèle ». C'est de façon erronée que la société Standard industrie international interprète ce courriel comme demandant à M. [K] d'être plus présent sur le terrain. Il s'agit en réalité pour M. [D] de solliciter de M. [K] qu'il insiste de façon générale sur une meilleure présence en clientèle de toute l'équipe de la filiale. N'y est aucunement visée en particulier une défaillance du seul M. [K] à cet égard. Et il n'est pas justifié par des éléments objectifs extérieurs à ce courriel qu'il existait au sein de la filiale américaine un problème d'investissement des équipes auprès de la clientèle auquel M. [K] n'aurait, en sa qualité de directeur de la filiale, pas réagi.
Il ne peut en outre être tiré de conséquences des attestations de Mme [F], ancienne assistante de M. [K] ayant été nommée à sa place, et de l'époux de celle-ci travaillant également au sein de la société, faisant état de ce que M. [K] n'était que peu présent au sein de la société et ne voulait en outre pas se déplacer chez les clients, compte tenu de leurs liens très étroits avec la direction de la société Standard industrie international et de l'absence de tout élément extérieur corroborant leurs dires. En outre, il ne peut davantage être déduit de l'attestation de M. [J], responsable de la filiale canadienne de la société, dépendant directement de M. [K], que M. [K] n'aurait pas effectué de rendez-vous en clientèle, cette attestation faisant simplement état de ce que les visites au Canada de M. [K] étaient peu fréquentes, ce qui peut notamment s'expliquer ainsi que le fait M. [K] par la distance entre les sites et l'existence d'un responsable sur place pour effectuer le suivi commercial direct.
La société Standard industrie international ne peut valablement reprocher à M. [K] un manque de suivi commercial en invoquant le fait qu'il n'ait facturé à son employeur que peu de déplacements par mois alors même que ne sont aucunement démontrés les déplacements qui étaient effectués par les commerciaux de la filiale pour apprécier globalement l'investissement commercial de l'équipe pouvant justifier que M. [K], en tant que directeur de la filiale, n'effectue pas lui-même un nombre important de déplacements.
Le manque de suivi commercial reproché à M. [K] n'est en conséquence pas démontré.
La société Standard industrie international reproche encore à M. [K] une défaillance professionnelle en ce qu'il ne suivait pas les demandes du directeur général. Contrairement à ce qu'affirme la société Standard industrie international les échanges de courriels dont elle se prévaut à ce titre ne reflètent aucunement un recadrage de M. [K] ni un défaut de suivi par celui-ci des demandes du directeur général. Il s'agit en réalité d'échanges entre M. [H] et M. [K] sur l'établissement du business plan face aux difficultés rencontrées par la filiale et d'une discussion en rapport avec la mutuelle. Aucun grief n'est fait à M. [K] par rapport au fait que les objectifs de la filiale ne sont pas atteints, aucune alerte ni aucun avertissement à cet égard, M. [H] indiquant d'ailleurs à M. [K] dans un courriel du 27 août 2019 « vu avec le patron et comme mentionné dans mon dernier message ton BP donne un très bon signal avec un redressement sur S2 et pour 2020 ».
Si le 21 octobre 2019 M. [H] adresse un courriel à M. [K] lui faisant part de sa grande inquiétude face aux résultats et lui dit n'avoir aucun retour les actions qu'il lui avait demandé de mettre en place (et qui sont listées de façon identique à la lettre de licenciement en ses 7ème et 8ème point), une telle demande ne peut être considérée comme un avertissement valable, étant adressée à M. [K] 7 jours avant qu'il ne soit appelé par M. [D] pour lui indiquer qu'il souhaitait se séparer de lui et invité à ne plus se présenter dans l'entreprise, de sorte qu'aucun délai ne lui a été laissé pour réagir face aux demandes formulées qui n'apparaissent aucunement lui avoir été adressées dès le mois de juillet. Il apparaît en outre que M. [K] a répondu dès le 23 octobre 2023 point par point à ce courriel.
Il n'apparaît aucunement nécessaire d'évoquer le grief lié au problème du véhicule du prédécesseur de M. [K], la cour ne pouvant que constater d'une part que les reproches faits à M. [K] de ce chef ne sont aucunement établis et d'autre part qu'aucune insuffisance professionnelle ne pourrait être déduite s'agissant d'un fait anecdotique sans aucun lien avec les résultats de la filiale mais qui apparaît néanmoins instructif sur la façon dont M. [D] se comporte à l'égard d'un ancien directeur de filiale qualifié de « crétin », indiquant à M. [K] qu'il peut « inventer n'importe quelle histoire mais c'est à toi d'intervenir », précisant qu'il ne lâchera pas et qu'il faut « faire mordre la poussière au maximum » à ce « type » qui est « un fou et en plus un malhonnête ».
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que si les résultats de la filiale américaine ont baissé entre 2017 et 2019, il n'est pas établi que cette baisse serait consécutive à des défaillances professionnelles de M. [K] mais elle s'explique par les éléments extérieurs qu'il démontre. L'insuffisance professionnelle n'est en conséquence nullement établie.
Le licenciement de M. [K] étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, les faits de harcèlement moral qu'il a subi en amont de ce licenciement pour l'amener à accepter la rupture de son contrat de travail démontrent que le licenciement était en réalité la dernière étape du harcèlement moral subi et que ce licenciement faisait partie du processus de harcèlement, le rendant en conséquence nul.
Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du licenciement de M. [K].
5) Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement nul
Conformément aux dispositions de l'article L.1235-3-1 du code du travail, M. [K] est bien fondé à solliciter des dommages et intérêts pour licenciement nul, ce texte prévoyant que le salarié qui ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou dont la réintégration est impossible bénéficie d'une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
M. [K] était âgé de 45 ans au jour de son licenciement. Il démontre qu'il a fait face à de nombreuses difficultés qui ont suivi la perte de son emploi puisqu'il a dû quitter les Etats-Unis en mars 2020 en pleine situation de crise sanitaire mondiale, s'est réinstallé au Canada où l'employeur de son épouse a accepté de relocaliser son emploi, a engagé d'importants frais de déménagement et s'est trouvé en difficulté pour trouver un nouvel emploi. Il justifie n'avoir dans un premier temps retrouvé qu'un emploi précaire de trois mois du 25 mai au 9 août 2020 pour un poste de directeur des opérations dans une PME située à 200 kilomètres de Toronto engendrant en conséquence des frais de déplacements importants outre une baisse de revenus puis un emploi plus pérenne à compter du 30 novembre 2020 engendrant néanmoins également une baisse de ses revenus. Il démontre également travailler en France depuis le 24 juin 2022 en tant que directeur régional dans le cadre d'un CDI, bénéficiant à ce moment d'un salaire net 4 332,59 euros. Il démontre ainsi qu'il lui a fallu plus de deux ans pour stabiliser à nouveau sa situation suite à la perte injustifiée de son emploi au sein de la société Standard industrie international.
Compte tenu de ces éléments, les premiers juges ont parfaitement évalué le préjudice résultant pour M. [K] de la perte injustifiée de son emploi du fait de l'annulation de son licenciement, qui doit être réparé par l'allocation de la somme de 65 000 euros qu'il sollicite. Le jugement sera confirmé de ce chef.
6) Sur les prétentions annexes
Les conditions de l'article L.1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d'ordonner d'office le remboursement par la société Standard industrie international aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont versées à M. [K] dans la limite de six mois.
Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
La société Standard industrie international, qui succombe, sera également condamnée aux dépens d'appel et, en équité, à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile correspondant aux frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Réforme le jugement entrepris, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Standard industrie international à payer à M. [K] la somme de 5 933,80 euros en remboursement des frais professionnels et en ce qu'il a débouté M. [K] de sa demande de dommages et intérêts pour le préjudice découlant du harcèlement moral qu'il a subi ;
Le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau sur les chefs réformés et y ajoutant,
Déboute M. [K] de sa demande de remboursement des frais professionnels à hauteur de 5 933,80 euros ;
Condamne la société Standard industrie international à payer à M. [K] la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral ;
Condamne la société Standard industrie international sur le fondement de l'article L.1235-4 du code du travail, à rembourser à Pôle emploi, dans la limite de six mois, les indemnités de chômage perçues par M. [K] ;
Condamne la société Standard industrie international aux dépens d'appel ;
Condamne la société Standard industrie international à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros le fondement de l'article 700 du code de procédure civile concernant la procédure d'appel.
LE GREFFIER
Serge LAWECKI
LE PRESIDENT
Marie LE BRAS