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29/03/2024 | FRANCE | N°22/00424

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale e salle 4, 29 mars 2024, 22/00424


ARRÊT DU

29 Mars 2024







N° 278/24



N° RG 22/00424 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UFNZ



PL/VM

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Roubaix

en date du

28 Février 2022

(RG 21/00103 -section 4 )






































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GROSSE :



aux avocats



le 29 Mars 2024





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE [Localité 5]

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [I] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Florent MEREAU, avocat au barreau de LILLE





INTIMÉE :



Association LE CENTRE SOCIAL DE [Adresse 1]
...

ARRÊT DU

29 Mars 2024

N° 278/24

N° RG 22/00424 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UFNZ

PL/VM

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Roubaix

en date du

28 Février 2022

(RG 21/00103 -section 4 )

GROSSE :

aux avocats

le 29 Mars 2024

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE [Localité 5]

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [I] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Florent MEREAU, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

Association LE CENTRE SOCIAL DE [Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Gaëlle HEINTZ, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l'audience publique du 30 Janvier 2024

Tenue par Philippe LABREGERE

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Annie LESIEUR

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Philippe LABREGERE

: MAGISTRAT HONORAIRE

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mars 2024,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 09 Janvier 2024

EXPOSE DES FAITS

[I] [Z] a été embauché par contrat de travail à durée indéterminée en qualité de comptable gestionnaire à compter du 19 septembre 2001 par l'association CENTRE SOCIAL DE [Adresse 1].

En raison d'une leucémie myéloïde aigüe, il a été placé en arrêt de travail d'octobre 2013 à septembre 2015. Il a repris son travail dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique de septembre 2015 à juillet 2016. Il a fait l'objet d'un nouvel arrêt de travail pour maladie pour une durée de 4 mois. Il a repris son poste à partir du 27 avril 2017, avec maintien du mi-temps thérapeutique pendant une durée de 2 mois, puis à plein temps à compter de juillet 2017. Le 12 septembre 2018, il a fait l'objet d'un nouvel arrêt de travail jusqu'au 25 mars 2019.

Le 19 mars 2019, il a présenté une demande de reconnaissance de maladie professionnelle à laquelle la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 3]-[Localité 5] a opposé un refus de prise en charge, dont le Centre Social de [Adresse 1] a été informé par courrier en date du 14 novembre 2019.

Dans le cadre de la visite médicale de reprise organisée le 25 mars 2019, le médecin du travail a émis l'avis d'inaptitude suivant après une étude de poste : « Inaptitude confirmée au poste de gestionnaire comptable (Art.R4624-42 CT). L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi de l'entreprise actuelle ».

[I] [Z] a été convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 mars 2019 à un entretien le 8 avril 2019 en vue d'un éventuel licenciement. Cet entretien n'ayant pas eu lieu en raison de l'absence du salarié, son licenciement pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement lui a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 11 avril 2019.

A la date de la suspension de son contrat de travail pour maladie, il percevait une rémunération mensuelle brute moyenne de 3334, 15 euros et était assujetti à la convention collective nationale des acteurs du lien social et familial du 4 juin 1983.

Par requête reçue le 13 juin 2019, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Roubaix afin de faire constater la nullité de son licenciement et d'obtenir le versement d'indemnités de rupture et de dommages et intérêts.

 

Par jugement en date du 28 février 2022, le conseil de prud'hommes l'a débouté de sa demande et condamné à verser à l'association 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Le 17 mars 2022, [I] [Z] a interjeté appel de ce jugement.

La procédure a été clôturée par ordonnance et l'audience des plaidoiries a été fixée au 30 janvier 2024.

 

Selon ses conclusions récapitulatives et en réplique reçues au greffe de la cour le 25 mai 2022, [I] [Z] appelant, sollicite de la cour l'infirmation du jugement entrepris et la condamnation de l'association à lui verser :

-6668,30 euros au titre de l'indemnité égale à l'indemnité compensatrice de préavis

-3809,55 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement

-80000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la nullité du licenciement

-2500 euros au titre des dispositions de l'articles 700 du code de procédure civile.

L'appelant expose que le jugement du conseil de prud'hommes est dépourvu de motivation, qu'il se contente, pour motiver sa décision, de citer les articles L4624-7 et R4.624-45 du code du travail, que son licenciement est nul, qu'il a été victime de manière répétée, à compter de l'année 2017, du comportement particulièrement harcelant de [B] [U], directrice de l'association, qu'il verse aux débats les échanges de courriels avec elle, traduisant à la fois la défiance véhiculée par la direction et les tensions survenues, qu'une grande partie des tâches qu'il effectuait avant son arrêt de travail lui a été soustraite, que plus aucune convocation aux réunions d'encadrement ne lui est parvenue, que la présentation des comptes de l'association auprès du conseil d'administration ne lui a plus été attribuée, que par deux fois, le bénéfice de formations lui a été refusé, que sa demande de revalorisation de pesée formulée par écrit devant les membres du bureau est restée sans réponse, qu'il a été convoqué à quatre reprises devant le bureau de l'association, que la direction a tenté de le rendre responsable d'erreurs de paie réalisées par un sous-traitant, qu'il a essuyé de multiples critiques injustifiées sur son travail, qu'il produit plusieurs attestations, dont celle de l'ancienne présidente de l'association, révélant objectivement la réalité des agissements subis, qu'il a interpellé les délégués du personnel sur le comportement humiliant adopté par [B] [U] à son égard, que cette politique de harcèlement moral qui a atteint son paroxysme le 12 septembre 2018, l'a conduit à être placé en arrêt de travail, qu'il a formé un recours devant le Pôle social du tribunal judiciaire de [Localité 3], à la suite de la décision de refus de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie, qu'à aucun moment, dans le cadre de la relation de travail qui a duré plus de 17 années, l'employeur ne s'est plaint d'une insuffisance professionnelle de sa part et ne l'a sanctionnée, que son licenciement qui a été prononcé à raison de son inaptitude physique ayant pour origine un harcèlement moral doit être déclaré nul, que sa rémunération mensuelle brute moyenne s'élevait à 3334,15 euros, qu'il a été licencié à l'âge de 55 ans, qu'il lui sera difficile de retrouver un emploi en raison de cette situation et de la dégradation de son état de santé dû au harcèlement subi, que les dommages et intérêts dus ne sauraient être inférieurs à 24 mois de salaire.

Selon ses conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 20 juillet 2022, l'association CENTRE SOCIAL DE [Adresse 1] sollicite de la cour la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de l'appelant à lui verser 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée soutient que le conseil de prud'hommes a bien motivé sa décision de débouter l'appelant de ses demandes, que le licenciement pour inaptitude d'origine non professionnelle est bien fondé, que l'appelant a travaillé sous la subordination de [B] [U] pendant 17 années sans qu'aucune difficulté n'ait jamais été soulevée par lui, qu'il n'apporte aucun élément de fait précis laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, que les documents médicaux communiqués, qui font état de l'existence d'un syndrome anxiodépressif, sont inopérants pour prouver que ces difficultés avaient pour origine un harcèlement moral de la part de l'employeur, que l'appelant occupait, en plus de son temps complet au centre social de [Adresse 1], un emploi à temps partiel au sein d'un autre centre social, situé à Wattignies, qu'il n'a jamais fait état d'une situation de harcèlement moral auprès des délégués du personnel, sur sa charge de travail dans le cadre de son mi-temps thérapeutique, qu'il avait exprimé le souhait de pouvoir poursuivre partiellement sa mission à distance, que de septembre 2015 à septembre 2016, il travaillait du lundi au jeudi de 8h à 12h30, conformément aux préconisations du médecin du travail, qu'en outre sa charge de travail a été allégée, une partie étant sous-traitée par un cabinet extérieur, la société AIGA et une grande partie de ses missions étant conservée par la directrice, que cet aménagement a permis au médecin du travail de le déclarer parfaitement apte à une reprise à temps complet en juillet 2016, qu'un aménagement similaire a été mis en place durant la seconde période de mi-temps thérapeutique, d'avril à juin 2017, sur le désaccord de l'appelant relativement à la gestion de la provision des congés payés, qu'au mois d'avril 2018, le commissaire aux comptes a alerté la directrice du centre sur la considérable augmentation de la provision des congés payés par rapport aux exercices précédents, que l'appelant était à l'origine du calcul de cette provision, que pour la justifier il a prétendu que la direction avait supprimé injustement des congés payés conventionnels à l'ensemble des salariés, dont lui-même, que pourtant tous les jours de congés conventionnels dus aux salariés leur ont été attribués, qu'il n'a été procédé qu'à une modification sur la période de calcul des congés conventionnels afin de se conformer aux dispositions conventionnelles, que l'appelant s'est obstiné à ne pas vouloir accepter ces explications qui ont été fournies aux délégués du personnel, qu'il n'a pas hésité à critiquer, à plusieurs reprises, la position du centre et la qualité du travail réalisé par le commissaire aux comptes, sur le rappel des exigences du poste par la direction, qu'à la suite du constat du commissaire aux comptes au mois d'avril 2018, portant sur les nombreuses irrégularités dans les comptes, la direction du centre social a rappelé à l'appelant les exigences afférentes à son poste de comptable et les a reprises dans un document transmis ultérieurement à ce dernier, compte tenu notamment des enjeux extrêmement importants pour l'association, que la réunion n'avait pas pour objet de formuler des reproches à son encontre, qu'il s'est contenté de nier l'ensemble des points soulevés par le commissaire aux comptes, sur les tâches de l'appelant au moment de sa reprise à temps complet, qu'il a toujours assisté aux réunions de présentation des comptes auprès du conseil d'administration, que la seule mission qu'il n'a pas retrouvée à son retour à temps plein était relative à l'édition des fiches de paie, confiée à la société AIGA, qu'il a conservé l'ensemble des autres missions en matière de paie, sur la régularisation des congés payés en septembre 2018, qu'il a été convenu le 3 août 2018 que l'appelant intègrerait ces jours de congés supplémentaires au moment de sa prochaine prise de congés, que [B] [U] a immédiatement modifié le solde de ses congés sur sa fiche individuelle, que le 12 septembre 2018, après avoir été de nouveau interpellée sur ce sujet par l'appelant, elle lui a rappelé les termes de l'accord intervenu entre eux avant leur départ en congés, sur les autres allégations de l'appelant, qu'il n'apporte pas le moindre élément de preuve au soutien de ses affirmations, qu'il participait à toutes les réunions organisées au sein du centre et à l'élaboration du projet social, qu'il n'a formulé qu'une seule fois une demande de revalorisation de pesée par écrit, en septembre 2011, qu'une réponse favorable lui a été donnée, puisqu'en décembre 2011, il a bénéficié d'une augmentation de 21 points, que les demandes de formation émises par l'appelant lors de son entretien annuel d'évaluation en 2017 étaient en rapport avec l'élaboration de la paie dont la réalisation, selon le choix de l'association, était sous-traitée, que pour ce motif elles ont été refusées, qu'il n'a jamais été convoqué devant le bureau de l'association, que la direction n'a jamais tenté de le rendre responsable des erreurs de paie réalisées par un prestataire extérieur, sur l'absence de caractère professionnel de l'inaptitude, qu'elle n'a aucun lien avec une prétendue situation de harcèlement, que le refus de prise en charge au titre d'une maladie professionnelle émanant de la Caisse primaire d'assurance maladie est fondé sur le fait que la pathologie de l'appelant était dénuée de tout lien avec le travail, que la demande de dommages et intérêts sollicitée correspond à plus de deux années de salaire, que l'appelant se dispense de toute justification de recherches effectives d'emploi.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Attendu en application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties ; que le défaut de motivation d'un jugement entraîne sa nullité conformément à l'article 458 dudit code ; que ce chef de demande ne figurant pas dans le dispositif des conclusions de l'appelant, la cour n'en est pas saisie et par conséquent n'est pas tenue de statuer sur l'absence de motivation du jugement entrepris alléguée par l'appelant ;

Attendu en application des articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail, qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que, lorsque survient un litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Attendu qu'il résulte des écritures de l'appelant que celui-ci prétend avoir été victime, de manière répétée, et à compter de l'année 2017, du comportement particulièrement harcelant de sa directrice [B] [U] ; qu'il fait état de la sécheresse des échanges épistolaires avec elle, de la soustraction d'une grande partie des tâches qu'il effectuait avant son arrêt de travail, d'une absence de convocation aux réunions d'encadrement et d'information des activités du centre ou des nouveaux dossiers, d'accès au projet de centre, de réponse sur l'ensemble des bilans et appels à projet adressés à la direction, du retrait de la présentation des comptes de l'association auprès du conseil d'administration, du refus du bénéfice de formations, d'une absence de réponse à sa demande de revalorisation de pesée formulée par écrit devant les membres du bureau, d'une convocation à quatre reprises devant le Bureau de l'association, d'une tentative de lui imputer des erreurs de paie réalisées par un sous-traitant et de multiples critiques injustifiées sur son travail ; qu'à l'appui de ses affirmations, il produit une fiche de préparation à l'entretien d'évaluation pour l'année 2017 rempli de façon manuscrite par ses soins, dans lequel il mentionne ne pas avoir obtenu de réponse à sa demande de modification de la pesée, des courriels de [B] [U] des 2 et 6 avril 2018 portant sur la provision de congés payés sur lesquels apparaissent des phrases en gras et soulignées, deux procès-verbaux de réunion des délégués du personnel des 5 avril et 3 mai 2018 présidés par [B] [U] rapportant, le premier, les explications de la directrice à la suite des critiques émises par les salariés sur ses emportements qualifiés de disproportionnés, le second sur la simple prise d'acte par celle-ci du désaccord de l'appelant sur sa position sur un sujet salarié, sans recherche de compromis, un courriel de [B] [U] du 14 mai 2018 lui confirmant un rendez-vous avec la présidente et contenant la liste des observations émises par le commissaire aux comptes à la suite d'un audit sur lesquelles devait porter la réunion, une lettre adressée par la directrice à l'appelant le 23 juillet 2018 à la suite de celle-là, intitulée « exigences 2018 de la mission du poste de cadre comptabilité-gestion» et prenant la forme d'un ferme rappel à l'ordre, la réponse de l'appelant en date du 9 octobre 2018 réfutant les observations de la directrice qu'il assimilait à des accusations et lui rappelant son constat sur la diminution de ses responsabilités, un courriel du 11 septembre 2018, adressé à [B] [U] dans lequel il lui signale n'avoir toujours pas accès au projet de centre, une fiche en date du 7 janvier 2019 sur sa charge de travail contenant des réponses manuscrites aux question y figurant dans laquelle il mentionne rencontrer des difficultés avec sa directrice, se plaint d'un manque de reconnaissance de son travail, indique avoir informé le médecin du travail et les délégués du personnel de sa situation, et décrit les manifestations de sa souffrance au travail, le témoignage en date du 21 mars 2019 de [R] [M], présidente de l'association jusqu'en fin 2016 et administratrice de l'association, affirmant notamment qu'au retour de son arrêt de travail, il n'avait pas retrouvé les fonctions qu'il exerçait auparavant et en dresse la liste, et faisant état de l'instauration d'un dialogue de sourds avec la direction ainsi que d'une ambiance de travail détériorée, le témoignage de [S] [D], salarié de l'association, en date du 22 mars 2019, exposant son sentiment sur la situation de l'appelant au sein du centre social, assurant que celui-ci avait été convoqué à plusieurs reprises par le Bureau de ce dernier et estimant qu'il avait fait l'objet d'une mise à l'écart ; qu'il résulte de ces pièces que les éléments de fait présentés laissent bien supposer l'existence d'un harcèlement ;

Attendu que pour prouver que les agissements allégués n'étaient pas constitutifs d'un tel harcèlement, l'intimée prétend que la charge de travail de l'appelant avait été considérablement allégée pour tenir compte de son travail à mi-temps thérapeutique, que la paie avait été sous-traitée à un cabinet extérieur, que cette externalisation a été maintenue à son retour, que, sur le désaccord concernant la gestion de la provision des congés payés, il n'y avait eu ni modification ni suppression des congés payés supplémentaires à l'égard des salariés, que le rappel des exigences du poste par la Direction faisait suite au constat alarmant du Commissaire aux comptes au mois d'avril 2018, après la découverte de nombreuses irrégularités, que la direction n'avait pas l'objectif de sanctionner l'appelant, qu'elle ne lui avait supprimé aucune mission lorsqu'il avait recommencé à travailler à plein temps, que les congés payés en septembre 2018 avaient fait l'objet d'une régularisation, qu'il avait toujours été associé aux réunions d'encadrement concernant sa mission de comptabilité et avait participé à l'élaboration du projet social, qu'il n'avait jamais adressé de demande écrite de revalorisation de sa pesée, que ses demandes de formation concernaient l'élaboration de la paie qui avait fait l'objet d'une externalisation, qu'il n'avait jamais été convoqué devant le bureau ;

Attendu toutefois que l'appelant fait état d'agissements survenus à compter de l'année 2017 ; qu'après un mi-temps thérapeutique d'une durée de deux mois à compter de la fin avril, il devait retrouver un travail à plein temps à compter du mois de juillet 2017 ; que l'intimée produit le contrat d'externalisation des paies conclu le 16 octobre 2013 avec la société AIGA confiant à cette dernière l'élaboration des bulletins de paye, des états des charges sociales et fiscales de la déclaration annuelle des données sociales et des écritures comptables, soit une partie non négligeable des responsabilités du salarié ; que ce contrat conclu à l'époque du début de l'arrêt de travail pour maladie de l'appelant n'avait qu'une durée d'un mois mais, selon son article 6, était renouvelé mensuellement par tacite reconduction ; que les dernières notes d'honoraires de la société produites par l'intimée portent la date du 31 mai 2017 ; que cette situation qui n'apparaissait que provisoire conduit à conforter les affirmations de [R] [M] assurant que l'association n'avait pas honoré sa promesse de réattribuer à l'appelant les missions confiées à la société AIGA ; que dans son attestation, [B] [U] dresse la liste des nombreuses missions dévolues à l'appelant qui ont été réparties au sein de la direction durant l'arrêt de travail et qui ont continué de relever de la direction durant le mi-temps thérapeutique ; qu'elle ne fait nullement état d'une externalisation définitive des missions attribuées à la société AIGA ; que de même, il ne résulte pas de cette attestation que la gestion de la caisse, dont [R] [M] affirme qu'elle avait été retirée à l'appelant, continuait de relever de la compétence de ce dernier ; qu'il résulte du courriel de [N] [C], commissaire aux comptes, adressé le 23 avril 2018 à [B] [U] que cette dernière avait bien conservé des taches relevant de l'appelant et que cette situation générait une certaine confusion relevée en ces termes : «nous pouvons constater que l'ensemble de la comptabilité n'est pas maîtrisée par votre comptable. En effet ce n'est parfois plus votre interlocuteur. C'est par exemple vous qui le devenez pour le traitement des subventions' » ; que le constat dressé par le commissaire aux comptes conforte également les affirmations de [R] [M] qui relevait que l'appelant n'avait plus une vision d'ensemble de la gestion comptable du centre social et que son travail s'en trouvait entravé ; que la lettre du 23 juillet 2018 de [B] [U] intitulée «exigences 2018 de la mission du poste de cadre comptabilité-gestion», s'apparente à un rappel à l'ordre ; que les observations du commissaire aux comptes y étaient intégralement reprises ; que [B] [U] estimait bien qu'elle mettaient en cause l'activité de l'appelant puisqu'elle reprochait à ce dernier de ne pas admettre ses erreurs ; que par lettre recommandée du 9 octobre 2018, l'appelant avait tenu à réfuter ces observations qu'il considérait comme des accusations infondées à son égard et à apporter des clarifications ; que compte tenu de son investissement personnel au sein de l'association, rappelé par [R] [M] et [S] [D] et reconnu par l'association elle-même puisque sa présidente a rédigé en sa faveur une lettre de recommandation le 18 mars 2019 dans laquelle elle soulignait ses compétences et l'efficacité de son travail, l'appelant a pu légitimement ressentir une détresse particulière face aux reproches qui lui étaient adressés par sa directrice, dont les emportements avaient donné lieu à des observations des délégués du personnel ; que l'ensemble des agissements précédemment constatés qui ne sont pas justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ont bien entraîné une dégradation de l'état de santé de l'appelant et conduit à un arrêt de travail continu à compter du 12 septembre 2018 à la suite d'une dépression réactionnelle ; qu'en conséquence, l'existence d'un harcèlement moral est établie ;

Attendu en application de l'article L1152-3 du code du travail que l'inaptitude définitive de l'appelant faisant obstacle à tout reclassement du salarié dans l'entreprise trouve son origine dans le harcèlement moral subi ; qu'il s'ensuit que le licenciement est nul ;

Attendu que l'arrêt de travail de l'appelant prescrit le 12 octobre 2018 et continu jusqu'à la visite médicale de reprise n'est pas consécutif à une maladie professionnelle ; que sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle a été rejetée par la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 3]-[Localité 5] ; que les dispositions de l'article L1226-14 du code du travail n'ont donc pas vocation à s'appliquer à l'espèce ;

Attendu que l'appelant ne sollicite pas le versement d'une indemnité compensatrice de préavis en application de l'article 4 du chapitre 11 de la convention collective, en vertu duquel la durée du délai-congé est fixée, après la période d'essai, à trois mois, mais de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L1226-14 du code du travail dans le cadre d'une rupture du contrat de travail consécutive à une maladie professionnelle, dont les dispositions ne sont pas applicables à l'espèce ; qu'il ne peut davantage, pour les mêmes motifs, solliciter le versement d'une indemnité spéciale ;

 

Attendu en application de l'article L1135-3-1, alinéa 2, 2° du code du travail qu'à la date de son licenciement l'appelant était âgé de 55 ans et jouissait d'une ancienneté de plus de dix-sept années au sein de l'entreprise ; que son âge et son état de santé ont été de nature à rendre précaires des perspectives de retrouver un emploi ; qu'il convient en conséquence d'évaluer à la somme de 47000 euros l'indemnité due au titre de la nullité du licenciement ;

Attendu qu'il ne serait pas équitable de laisser à la charge de l'appelant les frais qu'il a dû exposer tant devant le conseil de Prud'hommes qu'en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu'il convient de lui allouer une somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

 

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

 

INFIRME le jugement déféré,

 

ET STATUANT A NOUVEAU,

DIT que le licenciement de [I] [Z] est nul,

CONDAMNE l'association CENTRE SOCIAL DE [Adresse 1] à verser à 47000 euros à [I] [Z] à titre d'indemnité pour nullité du licenciement,

DÉBOUTE [I] [Z] du surplus de sa demande,

CONDAMNE l'association CENTRE SOCIAL DE [Adresse 1] à verser à [I] [Z] 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

LA CONDAMNE aux dépens.

LE GREFFIER

S. LAWECKI

LE PRÉSIDENT

P. LABREGERE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale e salle 4
Numéro d'arrêt : 22/00424
Date de la décision : 29/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-29;22.00424 ?
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