ARRÊT DU
29 Mars 2024
N° 377/24
N° RG 21/01491 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T3L5
MLB/AL
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BETHUNE
en date du
15 Septembre 2021
(RG 21/00054 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 29 Mars 2024
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
S.A.R.L. HAINAUT Enseigne LORY
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Thierry DOUTRIAUX, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Alexis FLAMENT, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
Mme [H] [V]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Stéphane CAMPAGNE, avocat au barreau de BETHUNE
DÉBATS : à l'audience publique du 10 Janvier 2024
Tenue par [R] GUTIERREZ
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Annie LESIEUR
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Muriel LE BELLEC
: conseiller faisant fonction de
PRESIDENT DE CHAMBRE
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
Nathalie RICHEZ-SAULE
: CONSEILLER
Le prononcé de l'arrêt a été prorogé du 23 Février 2024 au 29 Mars 2024 pour plus ample délibéré
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mars 2024,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC, conseiller désigné pour exercer les fonctions de président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 20 Décembre 2023
EXPOSÉ DES FAITS
Mme [V], née le 28 mars 1980, a été embauchée par contrat de travail à durée indéterminée du 24 mars 2002 faisant suite à un contrat à durée déterminée du 24 septembre 2001 en qualité d'employée de magasin, employée de caisse, vendeuse, par la société [S] Lory, exploitant un magasin d'ameublement et de décoration.
La relation de travail était régie par la convention collective des commerces de détail non alimentaires.
Mme [V] est devenue responsable de secteur quelques mois après son embauche.
Son contrat de travail a été transféré à compter du 1er février 2005 à la société Hainaut, qui emploie de façon habituelle au moins onze salariés.
Mme [V] a été convoquée par lettre remise en main propre le 14 janvier 2000 à un entretien préalable à un éventuel licenciement le 21 janvier 2020, à l'issue duquel elle a été licenciée pour insuffisance professionnelle par lettre recommandée en date du 24 janvier 2000.
Par requête reçue le 13 avril 2021, Mme [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Béthune pour contester son licenciement et obtenir des dommages et intérêts pour absence de formation.
Par jugement en date du 15 septembre 2021 le conseil de prud'hommes a jugé que la société Hainaut ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'insuffisance professionnelle de Mme [V] alléguée aux termes de la lettre de licenciement, que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, que Mme [V] n'a jamais eu de formation et a condamné la société Hainaut à payer à Mme [V] :
- 36 411,39 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 5 000 euros à titre d'indemnité pour absence de formation
- 1 750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il a également ordonné l'exécution provisoire de la décision, dit qu'en application de l'article 1153-1 du code civil les sommes dues porteront intérêts à compter du jour de la demande avec capitalisation des intérêts dus pour une année entière et condamné la société Hainaut aux dépens.
Le 27 septembre 2021, la société Hainaut a interjeté appel de ce jugement.
Par ses conclusions reçues le 21 novembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Hainaut sollicite de la cour à titre principal qu'elle annule le jugement pour violation de l'obligation d'impartialité imposée notamment par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, à titre subsidiaire qu'elle réforme intégralement le jugement, en tout état de cause, statuant de nouveau, qu'elle juge que le licenciement pour insuffisance professionnelle est bien fondé et revêt une cause réelle et sérieuse et qu'elle a respecté son obligation de formation et de maintien de capacité du salarié à occuper un emploi à l'égard de Mme [V], qui ne justifie d'ailleurs d'aucun préjudice à ce titre et déboute en conséquence Mme [V] de l'intégralité de ses demandes, reconventionnellement qu'elle condamne Mme [V] à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile et celle de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses conclusions reçues le 22 février 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, Mme [V] sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement entrepris sauf sur le montant des indemnités allouées pour absence de formation et au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, statuant à nouveau de ces chefs, qu'elle condamne la société aux sommes de :
- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de formation
- 3 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance
- 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
La clôture de la procédure a été ordonnée le 20 décembre 2023.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la demande de nullité du jugement
Au soutien de sa demande, la société Hainaut fait valoir que le conseil de prud'hommes n'a fait que reprendre le contenu des conclusions de Mme [V], en ignorant les siennes, sans ajouter aucune motivation propre. Elle ajoute qu'il n'a tenu compte que des attestations produites par la salariée, ignorant les siennes sans motif valable.
Mme [V] répond que le conseil de prud'hommes se réfère à plusieurs reprises aux pièces communiquées par la société et a valablement jugé, en toute impartialité, que son licenciement pour insuffisance professionnelle notifié au terme de vingt ans d'ancienneté est sans cause réelle et sérieuse, en l'absence d'antécédent disciplinaire et de pièces corroborant les faits repris dans la lettre de licenciement.
Selon l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial.
Selon l'article 455 du code de procédure civile, tout jugement doit être motivé.
Il ressort de la lecture comparée du jugement et des conclusions de première instance de la salariée que la motivation des premiers juges consiste en grande partie en une reproduction quasi à l'identique des conclusions de Mme [V].
Ainsi, la salariée a conclu : « L'employeur verse aux débats une multitude de comptes rendus d'entretiens semestriels, censés démontrer les insuffisances professionnelles alléguées.
L'ensemble des prétendus manquements évoqués dans les entretiens d'évaluation n'a jamais été suivi de sanctions.
En guise de sanctions, l'employeur versait des primes qualifiées d'exceptionnelles.
Sont communiqués les entretiens d'évaluation de Madame [V], mais également divers comptes rendus d'entretien de collègues de travail, choisis par l'employeur, se plaignant du travail ou du comportement de la requérante.
Il n'échappera pas au Conseil que les commentaires repris aux termes des entretiens d'évaluation sont très généraux et ne sont jamais appuyés par des faits ou d'exemples concrets et vérifiables.
[']
Rien ne permet de démontrer que les commentaires inscrits dans les comptes rendus sont contemporains aux entretiens. Bien au contraire.
Le manque de précisions et d'exemples concrets laissent à croire que ces comptes rendus ont été complétés a posteriori et pour les besoins de l'instance.
Il sera d'ailleurs constaté que les entretiens d'évaluation des collègues de Madame [V] sont nettement moins renseignés.
[']
Les entretiens d'évaluation de Madame [V] donnaient systématiquement lieu à l'octroi d'une prime en récompense de la qualité du travail fourni par la salariée qui n'avait jamais accès au compte rendu d'entretien.
L'employeur ne craint pas de soutenir que l'entretien d'évaluation de Madame [V] étaient négatifs alors que, dans le même temps, il lui était versé des primes pouvant parfois atteindre près de 1 000 € en récompense de la qualité du travail fourni.
Madame [V] n'a pu prendre connaissance de ses comptes rendus d'évaluation qu'à réception des pièces de l'employeur, et à l'occasion de la contestation de son licenciement.
Les entretiens d'évaluation se tenaient en présence uniquement de la salariée évaluée, de Madame [S], gérante et de Madame [ZL], assistante de direction.
En fin d'entretien, l'employeur présentait à la signature du salarié la dernière page du compte rendu d'évaluation, vierge, ou dont le contenu était caché par une feuille superposée.
Le Conseil aura d'ailleurs noté que les comptes-rendus versés aux débats ne sont pas paraphés par le salarié.
Les commentaires sont renseignés uniquement par l'employeur.
Le Conseil se penchera sur l'attestation rédigée par Madame [I] [ZL], assistante de direction ainsi que sur les diverses grilles d'entretien d'évaluation communiquées par l'employeur pour se convaincre que celles-ci sont rédigées et complétées par l'assistante de direction et non par la salariée évaluée.
Le Conseil n'aura aucun doute sur la partialité de Madame [I] [ZL] qui communique une attestation longue de trois pages rédigées le 15 juillet 2020, sur son lieu de travail.
Pour sa part, le salarié n'a aucun espace rédiger ses propres commentaires, comme il est d'usage. »
Le jugement comporte la motivation suivante :
« Que l'employeur verse au débat les compte-rendu d'entretien d'évaluation qu'il a lui-même renseigné, compte-rendu semestriels censés démontrer les insuffisances professionnelles.
Le Conseil constate que l'ensemble de ces manquements évoqués dans les entretiens d'évaluation n'a jamais été suivi de sanctions disciplinaires.
Qu'au contraire, l'employeur verse des primes qualifiées d'exceptionnelles.
Que les commentaires repris aux termes des entretiens d'évaluation sont très généraux et ne sont jamais appuyés par des faits ou d'exemples concrets et vérifiables, de même dans les attestations versaient aux débats de ses anciens collègues de travail.
Ce manque de précisions et d'exemples concrets laissent à croire que ces comptes rendus ont été complétés à posteriori pour les besoins de l'instance.
Le conseil constate également que les entretiens d'évaluation de ses anciens collègues sont nettement moins renseignés.
Les entretiens d'évaluation de Madame [H] [V] donnaient systématiquement lieu à l'octroi d'une prime en récompense de la qualité du travail fourni par la salariée qui n'avait jamais accès au compte-rendu d'entretien.
Les primes versées pouvant parfois atteindre près de 1 000 € en récompense de la qualité du travail fourni.
Attendu que la salariée n'a pu prendre connaissance de ses comptes rendus d'évaluation qu'à réception des pièces de l'employeur, et à l'occasion de la contestation de son licenciement.
Que les entretiens d'évaluation se tenait en présence uniquement de la salariée évaluée, de Madame [S] la gérante et de Madame [ZL] assistante de direction.
Qu'en fin d'entretien l'employeur présentait à la signature du salarié la page du compte rendu d'évaluation dont le contenu était caché par une feuille superposée.
Que les comptes-rendus versés aux débats ne sont pas paraphés par le salarié et que les commentaires sont renseignés uniquement par l'employeur.
Que l'attestation de Madame [I] [ZL] communiquée longue de 3 pages rédigée le 15 juillet 2020 sur son lieu de travail.
Que la salariée n'a aucun espace pour rédiger ses propres commentaires comme il est d'usage. »
En statuant ainsi, par une apparence de motivation pouvant faire peser un doute légitime sur leur impartialité, les premiers juges ont violé les textes susvisés. Le jugement doit être annulé.
La cour étant saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, il sera statué sur le litige en application de l'article 562 du code de procédure civile.
Sur le licenciement
La lettre de licenciement est motivée par l'insuffisance professionnelle de la salariée caractérisée selon l'employeur par l'état des secteurs placés sous sa responsabilité, souvent mal rangés, mal approvisionnés, sales et encombrés, des erreurs fréquentes et des retards quant à l'affichage des prix, l'absence de prise en compte du meilleur emplacement pour les produits, entrainant des conséquences négatives sur la rentabilité de ses secteurs, l'absence d'anticipation de l'écoulement des produits et l'oubli de passer commandes de produits en fin de stock, à l'origine de ruptures préjudiciables, des erreurs de commande entrainant des produits en surnombre, l'absence de déplacements réguliers au dépôt engendrant un retard important dans la mise en place des nouveautés en rayon, son manque d'implication dans son rôle de manager, ses équipes étant livrées à elles-mêmes sans qu'elle se soucie de les former, de planifier et de contrôler leur travail, son attitude parfois désagréable avec ses collaborateurs et les clients, son manque d'échanges avec sa direction et les autres responsables de secteur, nuisant à la bonne organisation du magasin, le contrôle insuffisant des retours et la reprise de produits cassés, en dépit des mises au point et demandes d'amélioration faites au cours de chaque entretien annuel.
En application des articles L.1232-1 et L.1235-1 du code du travail, pour constituer une cause réelle et sérieuse l'insuffisance professionnelle doit reposer sur des faits précis, objectifs, matériellement vérifiables et imputables au salarié révélant son inaptitude à exercer ses fonctions conformément à ce que l'employeur est en droit d'attendre de lui. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La société Hainaut fait valoir en substance que Mme [V] a été formée aux fonctions de responsable de secteur en interne, qu'elle était expérimentée et a d'ailleurs correctement assumé ses tâches jusqu'en 2015, avant que la qualité de son travail ne se dégrade durablement malgré plusieurs mises au point et mesures d'accompagnement. Elle conteste les allégations de la salariée selon lesquelles les comptes rendus d'entretien d'évaluation auraient été complétés a posteriori et conteste de même toute pression sur les collègues de Mme [V] pour obtenir leurs témoignages. Elle ajoute que Mme [V] ne justifie pas du préjudice qu'elle allègue.
Mme [V] soutient pour sa part que le personnel était en nombre insuffisant, que la désorganisation alléguée est imputable à l'employeur, qu'elle devait assumer de multiples tâches au détriment de toute fonction managériale, que face à une concurrence accrue la société Hainaut a cherché à faire l'économie d'un salaire, que les griefs sont imprécis, que la société Hainaut s'appuie sur des comptes rendus d'évaluation qu'il a lui-même complétés, des attestations établies sous la pression, des photographies non datées, qu'elle n'avait pas de formation commerciale et en gestion des stocks, n'avait pas les moyens de déterminer informatiquement le nombre d'articles présents en magasin, que l'employeur l'a licenciée sans l'avoir jamais sanctionnée ni avoir mis en 'uvre d'actions correctives et/ou de formation pour pallier les carences professionnelles alléguées. Elle ajoute qu'elle a été choquée par la perte de son emploi après vingt ans d'ancienneté et n'a retrouvé que des emplois précaires à partir de juillet 2021.
Aucune fiche de poste n'est versée aux débats. Il résulte des explications concordantes des parties que Mme [V] devait notamment, en sa qualité de responsable de secteur, passer les commandes d'articles à réapprovisionner, réceptionner les livraisons, procéder à l'implantation des nouveaux produits en rayons, éditer et afficher les prix, organiser le travail des employés, planifier et vérifier leur travail.
En vue de caractériser les griefs relatifs au rangement des rayons, à l'affichage des prix, à l'implantation des produits en rayon, à la gestion des stocks et la commande des produits et aux retours clients, la société Hainaut produits les entretiens d'évaluation de Mme [V], les témoignages de Mmes [TT], [K], [ZL], [B], [D], de M. [P], ainsi que plusieurs fichiers informatiques, des photographies et des commentaires clients.
Plusieurs clients ont salué en ligne, postérieurement au licenciement de Mme [V], l'aspect attrayant du magasin et la qualité de l'accueil. Certains commentaires sont cependant négatifs : « les pots sont empilés sur palette et mélangé », « moins bien qu'avant », « amabilité perfectible du personnel en caisse ». De plus, Mme [V] produit de son côté plusieurs commentaires postérieurs à son licenciement qualifiant le magasin de « pas très rangé », « toujours aussi bordélique » et se plaignant du manque d'amabilité du personnel. Ces commentaires sont donc non probants.
Les comptes rendus des entretiens semestriels d'évaluation de Mme [V] sont produits jusqu'en décembre 2018. Les comptes rendus pour 2019 ne sont pas produits. La saleté ou le désordre des rayons est noté en décembre 2015, juin 2016, juin 2017, juin 2018, les erreurs dans l'affichage des prix en décembre 2013, juin 2014, juin 2015, les problèmes de mise en place des produits et notamment des nouveautés en décembre 2013, juin 2014, décembre 2015, décembre 2017, juin 2018, décembre 2018, le contrôle insuffisant des retours et la reprise de produits cassés en décembre 2013 et juin 2018, l'absence d'anticipation de l'écoulement des produits et les oublis de commandes en fin de stocks et inversement les commandes en surnombre en juin 2014, juin 2016, décembre 2015, juin 2017, décembre 2017, juin 2018 et décembre 2018.
Mme [V] répond qu'elle a perçu des primes exceptionnelles contredisant la teneur des compte rendu produits. Toutefois, ses primes exceptionnelles ont été largement réduites, passant de l'ordre de 1 700 euros en 2013 et 2014 à des sommes qui variaient entre 53 euros (en 2018) et 912 euros (en 2016).
Elle ajoute que la signature des comptes rendus d'entretien ne vaut pas acquiescement des commentaires de l'employeur. Elle soutient à cet égard que l'employeur lui faisait signer les comptes rendus sans les lui montrer. Elle produit pour conforter cette allégation le témoignage de Mme [X], employée en contrat à durée déterminée jusqu'en septembre 2017, qui indique qu'elle devait signer les comptes rendus d'entretien à l'aveugle, sans les lire. Toutefois, l'employeur produit les témoignages en sens inverse de plusieurs vendeuses (Mmes [A], [L], [C], [TT], [N]), responsables de secteur (Mmes [K], [B], [U] [D]) et de Mme [ZL], assistante de direction, qui menait les entretiens avec Mme [S], dirigeante de la société. Ces dernières indiquent qu'elles avaient toute possibilité de relire les comptes rendus avant de les signer.
Il ne peut en conséquence être retenu que Mme [V] n'a pas été informée régulièrement par son employeur des critiques sur la qualité de son travail. Mme [K] atteste au demeurant que Mme [V] est souvent sortie énervée des entretiens avec la direction en indiquant que « de toute façon, elle était nulle ».
La société Hainaut se prévaut de procès-verbaux et d'une condamnation pour des problèmes d'étiquetage, sans justifier pour autant que ces infractions, liées non pas à l'affichage des prix mais à l'absence sur les produits des mentions d'avertissements nécessaires à leur utilisation, de mentions en langue française ou de marquage « CE », soient imputables à Mme [V].
L'appelante n'explique pas dans ses conclusions en quoi les documents « gestion fichiers article » révèleraient l'absence d'actualisation par Mme [V] de l'état des stocks de chaque produit. De même, le grand livre fournisseurs ne permet pas en lui-même de mettre en lumière les manquements imputés à Mme [V]. Les listings de commandes de plusieurs produits montrent certes des ruptures dans le rythme des commandes. Ainsi, pour reprendre l'un des exemples cités par la société Hainaut, il n'y a pas eu de commande de lingettes « Huggies Wipes » entre novembre 2018 et avril 2019, alors que les commandes de ce produit étaient habituellement mensuelles. Si l'employeur ne confronte pas les différents documents qu'il produit en vue de démontrer l'incidence de l'absence de commandes sur la disponibilité à la vente de tel ou tel produit sur une période donnée, les attestations versées aux débats témoignent des difficultés de Mme [V] dans la gestion des commandes et des stocks.
De même, si les diverses photographies produites de rayons aux étagères sales, mal rangés, partiellement vides ou encombrés de cartons ne permettent pas de déterminer si elles ont été prises pendant les heures d'ouverture du magasin au public, les attestations produites par la société Hainaut confortent le fait qu'elles illustrent l'état récurrent des rayons sous la responsabilité de Mme [V].
Ainsi, M. [G], commercial, témoigne que le réapprovisionnement du rayon de Mme [V] était défaillant avec trop de ruptures et que le chiffre d'affaires est reparti à la hausse depuis le remplacement de Mme [V].
Mme [TT], employée commerciale, atteste que les rayons gérés par Mme [V] étaient négligés et mal réapprovisionnés comparés aux autres, que la réserve était mal organisée et les références mélangées.
Mme [K], chef de secteur, atteste que Mme [V] ne faisait jamais de retours et faisait souvent des remboursements pour ne pas être embêtée, que ses rayons étaient toujours sales, pas rangés, que Mme [S] leur faisait parfois commander des produits du secteur de Mme [V] parce qu'elle avait oublié de le faire, que Mme [S] et Mme [ZL] devaient mettre ses nouveautés, sinon elles trainaient, qu'elle devait souvent refaire des prix manquants dans son secteur.
Mme [ZL] explique que les rayons de Mme [V] étaient très mal gérés : produits manquants en permanence, erreurs de commande, rayons sales, nouveautés mises sans goût, commandes excessives ou au contraire rayonnages pouvant rester vides des jours ou des semaines. Elle précise que Mme [S] ou elle-même était souvent contraintes de refaire le travail derrière la salariée.
Mme [M], chef de secteur, témoigne que Mme [V] lui a toujours semblé perdue pour effectuer son travail, surtout les dernières années : déballage et mise en place des nouveautés selon la place disponible sans repenser le rayon ni changer les têtes de gondole, affichage de prix erronés ou incomplets (absence des prix au litre), rayons mal achalandés avec des références non commandées, réserve non rangée entrainant des commandes pour des produits en stocks, retours clients non gérés avec des marchandises cassées ou défectueuses laissés en caisse. Elle précise que cette situation entrainait une surcharge de travail pour les collègues de Mme [V], qui faisaient le travail à sa place.
Mme [D] indique qu'elle est devenue chef de secteur en décembre 2019 pour renforcer l'équipe de Mme [V] et lui permettre d'avoir plus de temps à consacrer à ses rayons, ce qui n'a pas changé grand-chose. Elle ajoute avoir repris les rayons de Mme [V] suite à son licenciement et avoir constaté qu'ils étaient sales, mal organisés, vides, que la réserve était mal rangée avec des produits en réserve non installés en rayon et des produits manquants dans le stock.
Mme [A], caissière vendeuse, témoigne que les autres chefs de secteur en avaient marre de faire le travail à la place de Mme [V], que Mme [S] et Mme [ZL] étaient souvent dans son secteur pour la mise en rayon et la mise en place des nouveautés, qu'au contraire des autres responsables de secteur, Mme [V] faisait des remboursements au lieu d'établir des avoirs en expliquant ne pas avoir envie « d'en prendre plein la tête par les clients ».
En réponse aux observations de Mme [V], Mmes [M], [D], [TT] attestent qu'elles n'ont pas subi de pression en vue de témoigner en faveur de la société Hainaut. Mme [L] indique pour sa part avoir refusé de faire une attestation, sans aucune conséquence.
Si Mmes [GP], [D], [J] et [TT] ont adressé des messages de sympathie à Mme [V] suite à son licenciement, Mme [TT] précise qu'elle fait la part des choses entre la personne « hors travail » et « au travail » et qu'elle ne peut que constater qu'il y avait un souci avec le travail de Mme [V] lorsqu'elle voit l'organisation, le rangement et la propreté des rayons aujourd'hui.
Les griefs relatifs au rangement des rayons, à l'affichage des prix, à l'implantation des produits, à la gestion des stocks et des commandes et aux retours clients sont donc établis.
S'agissant des griefs relatifs aux qualités de manager attendues de Mme [V], la société Hainaut se prévaut des comptes rendus d'entretiens. Ces documents montrent que Mme [V] a été invitée à plusieurs reprises à mieux suivre le travail des « filles » et à leur dire quand ça ne va pas (juin 2013), à revoir la formation des nouvelles (décembre 2013). Ils critiquent l'absence de suivi des filles et de contrôle de leur travail (juin et décembre 2015, juin 2017, décembre 2017) et soulignent qu'elles sont livrées à elles-mêmes (juin 2018).
Ces observations sont confortées par les témoignages notamment de Mme [A] et de Mme [J], caissières vendeuses, qui indiquent que Mme [V] venait rarement les voir, qu'elle les laissait faire, qu'elles étaient livrées à elles-mêmes, que leur travail n'était pas contrôlé et qu'elles voient une différence importante au niveau de la qualité du travail depuis que les rayons de Mme [V] ont été repris par Mme [D].
Mme [V] produit en sens inverse les témoignages de Mme [X], qui a travaillé au sein de la société Hainaut dans le cadre de contrat à durée déterminée entre septembre 2013 et septembre 2017, de Mme [S] qui a travaillé au sein de l'entreprise pendant deux ans, de Mme [Z], dont la période d'emploi est indéterminée et de Mme [W], employée d'octobre 2017 à novembre 2019. Toutes décrivent une responsable qui leur expliquait correctement le travail, donnait des consignes claires, les conseillait, les aidait et se montrait indulgente.
Il en ressort à tout le moins que les difficultés de Mme [V] à encadrer le travail des vendeuses n'étaient pas unanimement perçues.
S'agissant des griefs relatifs à la communication de la salariée, la société Hainaut produit les comptes rendus des entretiens de Mme [V], qui critiquent en juin et décembre 2015, en juin 2016, en juin et décembre 2017, en juin et décembre 2018 son attitude désagréable avec ses collaborateurs et les clients et, en juin 2016, juin et décembre 2017 et décembre 2018, son manque d'échanges avec la direction et les autres responsables de secteur. Ces critiques sont confortées par les attestations de Mmes [A], [TT], [K], [ZL], [D] et [J] qui font état de sa mauvaise humeur, de son mauvais caractère et, pour Mmes [A] et [J], de leur appréhension à aller lui parler. Mme [A] précise qu'elle s'est ouverte de cette difficulté à plusieurs reprises pendant ses entretiens individuels et que Mme [V] en était furieuse puisqu'elle est sortie de son propre entretien en disant : « je vous remercie les filles d'avoir dégueulé sur moi. »
La société Hainaut produit plusieurs comptes rendus des entretiens avec les vendeuses et les autres responsables de secteur. Selon ces documents, Mmes [E], [Y], [GP], [O], [C], [L], [A] se sont plaintes du comportement désagréable de Mme [V] et Mmes [K] et [M] ont fait part de leur difficulté à collaborer avec elle. Mme [V] conteste le caractère probant de ces documents. Elle souligne que les seuls commentaires des salariées figurant sur ces documents ont curieusement trait à sa personne, ce qui est exact, les cases réservées aux commentaires sur les items autres que le « relationnel » étant vierges de toute observation. Elle produit le témoignage de Mmes [X], [Z] et [W], qui la qualifient d'agréable et respectueuse, de Mme [S], qui loue sa bonne humeur et de Mme [Y], qui réfute avoir dit de Mme [V] : « [H] pas agréable tous les jours, c'est compliqué de travailler avec » et soutient que cette mention sur son compte rendu d'entretien de juin 2014 a été ajoutée après qu'elle a signé le compte-rendu. La société Hainaut fournit les attestations de Mmes [GP], [C], [J], [A], [K] et [M] qui confirment au contraire que les comptes rendus produits sont conformes à ce qu'elles ont signé, même si Mme [C], Mme [K] et Mme [M] affirment curieusement avoir parafé chaque feuille des comptes rendus, ce qui est inexact.
Il ressort à tout le moins de ces éléments que Mme [V] pouvait se montrer peu agréable avec ses collègues, même si, là encore, cette attitude n'était pas ressentie par toutes et que les manifestations de ce comportement ne sont pas décrites avec précision.
En définitive, il apparaît que les difficultés de Mme [V] dans l'exercice de ses fonctions étaient réelles. La cour observe toutefois que l'employeur s'en est toujours plus ou moins accommodé. L'affirmation par l'employeur que ces insuffisances sont apparues à partir de 2015 est contredite par les comptes rendus d'entretien antérieurs et par le témoignage de Mme [M], entrée dans l'entreprise en même temps que Mme [V] et qui indique que la salariée lui a toujours semblé « perdue » pour effectuer son travail, qu'elle se « noyait dans un verre d'eau », était « débordée pour des choses futiles ».
Il ressort du dossier que la société Hainaut a promu Mme [V] au poste de responsable de secteur peu de temps après son embauche sans lui apporter d'autre formation à ce poste qu'une formation par compagnonnage. Mme [M] précise qu'elles ont été formées à ce poste par Mme [T] et Mme [F]. Mme [K] fait également état d'une formation au poste de responsable de secteur par les « anciennes chefs ».
Mme [T], désignée comme ayant formé Mme [V], atteste pour sa part que lorsqu'elle-même a été nommée chef de secteur elle n'a reçu aucune formation, que ce soit en informatique, en gestion des stocks ou en management, et que lorsque Mme [V] a été nommée chef de secteur, cette dernière n'a pas non plus reçu de formation.
La formation reçue par Mme [V] s'est donc limitée à une formation sur le tas. En dépit des difficultés de Mme [V] à exercer son travail conformément à ses attentes, la société Hainaut ne lui a pas proposé de bénéficier d'une formation professionnelle à la gestion des stocks, la tenue des rayonnages, le management d'une équipe de caissiers et vendeurs. Elle n'a pas donné à Mme [V] toutes les chances de développer ses compétences, de répondre à ses attentes et de conserver son emploi. Dans ces conditions, les difficultés de Mme [V] ne constituent pas une cause sérieuse de licenciement.
En considération de l'ancienneté de la salariée, de sa rémunération brute mensuelle de 2 583,06 euros sur la moyenne des trois derniers mois, de son âge et du fait qu'elle n'a retrouvé que des emplois précaires depuis juillet 2011, il convient de lui accorder la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L.1235-3 du code du travail.
Les conditions de l'article L.1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d'ordonner le remboursement par la société Hainaut des indemnités de chômage versées à Mme [V] à hauteur de six mois d'indemnités.
Sur la demande de dommages et intérêts pour absence de formation
La société Hainaut fait valoir que Mme [V] a bénéficié d'une formation continue, d'un suivi régulier et d'entretiens trimestriels, qu'elle n'a jamais réclamé une formation qui lui aurait été refusée, qu'elle a bénéficié de formations en matière de sécurité en 2014 et 2018 et qu'elle ne justifie d'aucun préjudice.
Mme [V] fait justement observer que les seules actions de formation justifiées ont trait à la sécurité (sauveteur secouriste du travail et agent de sécurité incendie), ce qui ne suffit pas à démontrer que l'employeur a satisfait à son obligation d'assurer l'adaptation de Mme [V] à son poste de travail et de veiller au maintien de sa capacité à occuper un emploi compte tenu de l'évolution des technologies, des organisations et des emplois, prévue par l'article L.6321-1 du code du travail.
Les emplois précaires que Mme [V] a pu occuper après son licenciement sont des emplois de vendeuse. Le préjudice causé à Mme [V], qui ne peut se prévaloir de formations en rapport avec le poste de responsable de secteur qu'elle a occupé, sera indemnisé par l'octroi de la somme de 5 000 euros.
Sur les autres demandes
Il résulte de ce qui précède que l'action en justice de Mme [V] ne présente pas de caractère abusif, ce qui justifie de débouter la société Hainaut de sa demande de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.
Il ne serait pas équitable de laisser à la charge de Mme [V] les frais qu'elle a dû exposer en première instance et en appel et qui ne sont pas compris dans les dépens. La société Hainaut sera condamnée à lui payer la somme de 3 500 euros de ce chef.
Les sommes allouées portent intérêts de retard au taux légal à compter de l'arrêt. Les intérêts dus pour une année entière se capitalisent en application de l'article 1343-2 du code civil.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Annule le jugement entrepris et statuant à nouveau :
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Dit que le licenciement de Mme [V] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Condamne la société Hainaut à payer à Mme [V] :
- 35 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 5 000 euros à titre d'indemnité pour manquement à l'obligation de formation.
Ordonne le remboursement par la société Hainaut au profit de France travail des indemnités de chômage versées à Mme [V] du jour de la rupture du contrat de travail au jour du présent arrêt à hauteur de six mois d'indemnités.
Déboute la société Hainaut de ses demandes.
Condamne la société Hainaut à verser à Mme [V] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dit que les sommes allouées portent intérêts de retard au taux légal à compter de l'arrêt.
Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.
Condamne la société Hainaut aux dépens de première instance et d'appel.
le greffier
Serge LAWECKI
le conseiller désigné pour exercer
les fonctions de président de chambre
Muriel LE BELLEC