ARRÊT DU
29 Mars 2024
N° 388/24
N° RG 21/01254 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TX5V
PN/VM
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LENS
en date du
01 Juillet 2021
(RG 20/00267 -section 3 )
GROSSE :
aux avocats
le 29 Mars 2024
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [B] [I]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Patrick KAZMIERCZAK, avocat au barreau de DOUAI
INTIMÉE :
S.A.S. CENTRE FIDUCIAIRE ET COMPTABLE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Julie PENET, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l'audience publique du 11 Janvier 2024
Tenue par Pierre NOUBEL
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Nadine BERLY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
Laure BERNARD
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mars 2024,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 21 Décembre 2023
EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES
M. [B] [I] a été engagé par la société CENTRE FIDUCIAIRE ET COMPTABLE suivant contrat à durée indéterminée en date du 27 janvier 2011 en qualité d'assistant confirmé.
La convention collective applicable est celle des experts comptables et commissaires aux comptes.
Suivant lettre recommandée avec accusé réception du 8 septembre 2017, M. [B] [I] a été convoqué à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, fixé au 18 septembre 2017.
L'entretien s'est déroulé le jour prévu.
Par lettre recommandée avec accusé réception en date du 27 septembre 2017, M. [B] [I] a été licencié pour cause réelle et sérieuse.
Le 14 janvier 2019, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Lens afin de contester son licenciement et d'obtenir réparation des conséquences financières de la rupture du contrat de travail.
Vu le jugement du conseil de prud'hommes du 1er juillet 2021, lequel a :
-débouté M. [B] [I] de l'ensemble de ses demandes,
-débouté la société CENTRE FIDUCIAIRE ET COMPTABLE de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
Vu l'appel formé par M. [B] [I] le 20 juillet 2021,
Vu l'article 455 du code de procédure civile,
Vu les conclusions de M. [B] [I] transmises au greffe par voie électronique le 07 mars 2023 et celles de la société CENTRE FIDUCIAIRE ET COMPTABLE transmises au greffe par voie électronique le 16 octobre 2023,
Vu l'ordonnance de clôture du 21 décembre 2023,
M. [B] [I] demande :
- d'infirmer le jugement entrepris,
A titre principal :
- de juger que son licenciement est nul comme étant consécutif d'agissements de harcèlement moral,
- de condamner la société CENTRE FIDUCIAIRE ET COMPTABLE à lui payer 30000 euros en réparation du préjudice né de la nullité de son licenciement,
A titre subsidiaire :
- de juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- de juger qu'il a été victime de harcèlement moral,
- de condamner la société CENTRE FIDUCIAIRE ET COMPTABLE à lui payer 30000 euros au titre des dommages-intérêts pour le préjudice né de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement,
En tout état de cause,
- de condamner la société CENTRE FIDUCIAIRE ET COMPTABLE à lui payer :
- 7000 euros au titre d'indemnités de harcèlement,
- 3500 euros au titre des frais irrépétibles,
- de débouter la société CENTRE FIDUCIAIRE ET COMPTABLE de ses demandes,
- de condamner la société CENTRE FIDUCIAIRE ET COMPTABLE aux dépens.
La société CENTRE FIDUCIAIRE ET COMPTABLE demande :
- de déclarer irrecevables les demandes de M. [B] [I] tendant à juger que son licenciement est nul comme étant constitutif d'agissements de harcèlement moral et tendant à lui payer 30000 euros en réparation du préjudice subi,
- de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner M. [B] [I] à lui payer 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance,
- de juger n'y avoir lieu à harcèlement moral,
- de débouter M. [B] [I] de sa demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral,
- de déclarer la demande au titre de la rupture du contrat de travail irrecevable comme étant prescrite,
- de juger en toute hypothèse que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,
- de débouter M. [B] [I] de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail et de toutes ses demandes plus amples ou contraires,
- de condamner M. [B] [I] à lui payer 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
SUR CE, LA COUR
Sur la recevabilité des demandes tirées de la nullité du licenciement
Attendu qu'aux termes de l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent ;
Que l'article 910-4 du même code prévoit qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; que l'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures ; que néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ;
Attendu que la société CENTRE FIDUCIAIRE ET COMPTABLE soutient d'une part que les demandes tirées de la nullité du licenciement sont nouvelles en cause d'appel, et d'autre part qu'elles n'ont pas été formulées dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910 du code de procédure civile, de sorte qu'elles sont irrecevables ;
Qu'en réplique, M. [B] [I] fait valoir la recevabilité de ses demandes, celles-ci ayant trait à la contestation de son licenciement formulées en première instance ; qu'elles ont en outre été formulées en réponse aux conclusions adverses, de sorte qu'elles sont recevables ;
Attendu qu'en l'espèce, les demandes formées par M. [B] [I] au titre d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, puis d'un licenciement nul, tendent à l'indemnisation des conséquences de son licenciement qu'il estime injustifié ;
Que ces demandes tendent par conséquent aux mêmes fins, comme l'appelant le souligne ;
Que néanmoins, les demandes tirées de la nullité du licenciement n'ont été formées pour la première fois que le 24 mars 2022, soit en dehors des délais fixés aux articles 905-2 et 908 à 910 du code de procédure civile ;
Que M. [B] [I] ne justifie pas que ses demandes constituent une réplique aux conclusions et pièces adverses, de sorte qu'il lui appartenait de concentrer ses prétentions conformément à l'article 910-4 précité, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;
Que dès lors, les demandes tirées de la nullité du licenciement et des préjudices en résultant sont irrecevables ;
Sur la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral
Attendu qu'aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
Qu'en application de l'article L.1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement ;
Qu'il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail ; que dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Attendu que M. [B] [I] soutient :
-qu'il a fait l'objet de pressions à compter de l'embauche de M. [J], son collègue, destinées à le contraindre à quitter ses fonctions ;
-que ces pressions résultent de l'absence de versement de la prime de bilan 2017, de l'absence de remboursement des frais de téléphone à compter de janvier 2017, de l'absence de versement de la prime d'apport de client, de l'absence de versement des jours de RTT acquis avant septembre 2016 ;
-que ces privations de rémunération ont donné lieu à plusieurs réclamations de sa part, à la suite desquelles sa situation s'est dégradée, allant de la privation de travail à la proposition de plusieurs ruptures conventionnelles, puis à son licenciement ;
-qu'il a été le seul salarié à ne pas bénéficier du versement de la prime de période fiscale 2017 alors qu'elle lui avait été payée pour les années 2014,2015 et 2016 ;
-qu'il a été mis à l'écart des réunions, en s'appuyant sur le témoignage de Mme [P] [R],
-que ses frais de téléphone n'ont plus été remboursés à compter de janvier 2017 ;
-que la prime d'apport de client n'a plus été payée, même après réclamation ;
-que deux ruptures conventionnelles lui ont été proposées ;
Attendu cependant que la matérialité de l'argument selon lequel il a subi des pressions de la part de M. [J] n'est établi par aucune pièce ;
Que la réalité de l'absence de versement de la prime de bilan et de la prime d'apport de client n'est étayée par aucun élément, pas plus que les réclamations que le salarié prétend avoir formées alors que le salarié pourrait rapporter la preuve de la matérialité de ces deux indices en produisant des éléments comparatifs, au regard des sommes reçues au titre des exercices précédents ;
Qu'il en est de même s'agissant de l'arrêt des remboursements téléphoniques à compter de janvier 2017, de l'absence de versement de jours RTT, des frais de téléphone, alors que l'appelant ne verse aux débats aucune pièce susceptible d'établir la réalité de l'obtention d'une prime ;
Que le témoignage de Mme [D] n'est pas suffisamment circonstancié pour démontrer la réalité de l'abstention de l'employeur à convier le salarié à des réunions de travail ;
Qu'enfin compte tenu du lien de parenté entre le salarié d'une part et d'autre part de M. [Y] [H] et de Mme [L] [H], susceptible d'influer sur l'objectivité des déclarations, les témoignage de ces derniers ne seront pas retenu ;
Que la proposition de deux conventions de rupture amiable n'est pas en soi un indice laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral ;
Attendu qu'au vu de l'ensemble ces éléments il y lieu de dire que M. [B] [I] ne rapporte pas la preuve de la matérialité d'indices laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral à son préjudice ;
Qu'il doit donc être débouté de sa demande à ce titre ;
Sur la prescription de l'action en contestation de la rupture du contrat de travail
Attendu que l'examen de la requête introductive d'instance présentée par M. [B] [I] par devant les premiers juges fait apparaître que la contestation visant à remettre en cause le bien-fondé de son licenciement repose sur deux éléments distincts à savoir :
-une contestation des griefs mentionnés sur le courrier de licenciement, portant sur l'absence de matérialité des griefs reprochés au salarié, pour lequel il conclut à l'absence de caractère réel et sérieux de la rupture de son contrat de travail,
-un développement relatif au harcèlement moral que le salarié prétend avoir subi ;
Que cette contestation et ce développement sont distincts et n'interfèrent pas ;
Qu'ils sont soumis respectivement soumis à la prescription de l'article L.1471-1 du code du travail d'une part et celle de l'article L.11345 du même code d'autre part ;
Attendu qu'en l'espèce, il s'est écoulé plus d'un an entre la date de notification du licenciement de M. [B] [I] et celle de la saisine du conseil de prud'hommes ;
Qu'il s'ensuit que s'agissant de la première contestation susvisée, l'action engagée par le salarié est prescrite ;
Que pour ce qui est de la seconde branche de la contestation, la cour dit que le harcèlement dont M. [B] [I] se prévaut n'est pas caractérisé, de sorte que l'action ne saurait aboutir sur ce fondement ;
Sur les demandes formées par les parties en application de l'article 700 du code de procédure civile
Attendu qu'à cet égard, les demandes formées par les parties seront rejetées ;
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement entrepris,
STATUANT à nouveau,
DECLARE l'action en contestation du licenciement repesant sur un moyen étranger au harcèlement moral irrecevable,
DEBOUTE M. [B] [I] du surplus de ses demandes,
CONDAMNE M. [B] [I] aux dépens,
DEBOUTE M. [B] [I] et la société CENTRE FIDUCIAIRE ET COMPTABLE de leurs demandes au titre de leurs irrépétibles.
LE GREFFIER
Serge LAWECKI
LE PRÉSIDENT
Pierre NOUBEL