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29/03/2024 | FRANCE | N°21/00661

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale c salle 3, 29 mars 2024, 21/00661


ARRÊT DU

29 Mars 2024







N° 404/24



N° RG 21/00661 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TTPV



GG/VDO

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Valenciennes

en date du

20 Avril 2021

(RG 19/00363 -section )






































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GROSSE :



aux avocats



le 29 Mars 2024





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-



APPELANTE :



Mme [N] [I]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Anne sophie AUDEGOND-PRUD'HOMME, avocat au barreau de DOUAI





INTIMÉE :



Association ASSOCIATION FAMILIAL...

ARRÊT DU

29 Mars 2024

N° 404/24

N° RG 21/00661 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TTPV

GG/VDO

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Valenciennes

en date du

20 Avril 2021

(RG 19/00363 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 29 Mars 2024

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme [N] [I]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Anne sophie AUDEGOND-PRUD'HOMME, avocat au barreau de DOUAI

INTIMÉE :

Association ASSOCIATION FAMILIALE DES PAPILLONS BLANCS DE DENA IN ET ENVIRONS

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Antoine BIGHINATTI, avocat au barreau de VALENCIENNES substitué par Me Tiffany CYNKIEWICZ, avocat au barreau de VALENCIENNES

DÉBATS : à l'audience publique du 06 Décembre 2023

Tenue par Gilles GUTIERREZ

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Annie LESIEUR

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Muriel LE BELLEC

: conseiller faisant fonction de

PRESIDENT DE CHAMBRE

Gilles GUTIERREZ

: CONSEILLER

Nathalie RICHEZ-SAULE

: CONSEILLER

Le prononcé de l'arrêt a été prorogé du 26 janvier 2024 au 29 mars 2024 pour plus ample délibéré

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mars 2024,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC, conseiller désigné pour exercer les fonctions de président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 15 novembre 2023

EXPOSE DU LITIGE

L'association familiale les papillons blancs de Denain et environs a pour objet l'hébergement social de personnes souffrant de maladies et handicaps mentaux. Elle assure notamment un service ambulatoire de proximité (SESSAD) et un institut médico-éducatif (IME).

Elle applique la convention collective nationale nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

Elle a engagé par contrat indéterminée du 03/05/2010 à temps complet Mme [N] [I], née en 1982, en qualité d'assistante sociale.

Le contrat de travail prévoit que la salariée est affectée au sein de l'IME et du SESSAD, et qu'elle sera susceptible d'être affectée dans tout autre établissement et service de l'association.

Mme [I] a été arrêtée à compter du 10/11/2018 jusqu'au 17/11/2018, du 19/11/2018 au 24/11/2018, puis à compter du 15/12/2018 jusqu'à la rupture du contrat de travail.

Par lettre du 14/12/2018, elle a été exclusivement affectée sur l'IME.

Elle a saisi par requête reçue le 14/11/2019 le conseil de prud'hommes de Valenciennes d'une demande de résiliation du contrat de travail, produisant les effets d'un licenciement nul en raison de faits de harcèlement moral et d'un manquement à l'obligation de sécurité.

Par jugement du 20/04/2021, le conseil de prud'hommes a débouté Mme [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, débouté l'association familiale les papillons blancs de Denain et environs de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code du procédure civile, et dit que chaque partie conservera ses frais et dépens.

Mme [I] a interjeté appel par déclaration du 12/05/2021.

Par avis du 15/03/2022, le médecin du travail a constaté l'inaptitude de la salariée à son poste, son état de santé faisant obstacle à tout reclassement dans l'emploi.

Après convocation à un entretien préalable, Mme [I] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 04/04/2022.

Selon ses conclusions reçues le 24/01/2023, Mme [N] [I] demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant de nouveau de constater la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur, et de': -condamner l'association familiale les papillons blancs de Denain et environs au paiement des sommes suivantes :

-5.160 € au titre du préavis et 516 € au titre des congés payés afférents,

-6.127, 50 € au titre de l'indemnité de licenciement,

-92.880 € au titre du licenciement abusif,

-30.000 € au titre du préjudice moral,

-10.000 € au titre de la violation de l'obligation de résultat,

-5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-débouter l'association familiale les papillons blancs de Denain de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

L'association familiale les papillons blancs de Denain et environs, selon ses conclusions du 08/09/2023 demande à la cour de':

-confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [N] [I] de sa demande de résiliation judiciaire,

-infirmer le jugement qui l'a déboutée de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile et lui accorder la somme de 3.000 € à ce titre,

-débouter Mme [N] [I] de l'intégralité de ses demandes,

-y ajouter la condamnation de Mme [N] [I] au paiement de la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de l'appel, outre les dépens de première instance et d'appel.

La clôture de la procédure résulte d'une ordonnance du 15/11/2023.

Une injonction de médiation du 25/05/2022 est restée sans suite.

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère, en vertu de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l'audience de plaidoirie.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la demande de résiliation judiciaire

En application des articles 1224 du code civil et L1231-1 du code du travail, le salarié est fondé à obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas de manquement de l'employeur en rendant la poursuite impossible.

L'appelante fait valoir des agissements de harcèlement moral et un manquement à l'obligation de sécurité, griefs qui doivent être successivement examinés.

-Sur le harcèlement moral':

Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié présente des éléments de fait qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il appartient au juge de se prononcer sur l'ensemble des éléments retenus afin de dire s'ils laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral.

Le juge ne doit pas seulement examiner chaque fait invoqué par le salarié de façon isolée mais également les analyser dans leur ensemble, c'est-à-dire les apprécier dans leur globalité, puisque des éléments, qui isolément paraissent insignifiants, peuvent une fois réunis, constituer une situation de harcèlement.

Si la preuve est libre en matière prud'homale, le salarié qui s'estime victime de harcèlement moral est tenu d'établir la matérialité des éléments de faits précis et concordants qu'il présente au soutien de ses allégations afin de mettre en mesure la partie défenderesse de s'expliquer sur les agissements qui lui sont reprochés.

L'appelante fait valoir':

-le comportement dénigrant de Mme [K], et indique que le passage à une gestion écrite s'est faite dans un contexte délétère de pressions et de cris au travail, que l'employeur ne cessait de le relancer pour des tâches déjà effectuées, la nouvelle organisation ayant été mise en place sans concertation, que ses fonctions et lieu de travail ont été unilatéralement modifiés,

-des pressions au travail (réunion du 28 mars 2017),' que M. [A] gérait le classement de la liste d'attente, que les attestations de l'employeur traduisent un conflit de loyauté des témoins, que l'attestation de Mme [O] est circonstanciée,

-que s'agissant de la rencontre du 24/04/2017, les remarques de l'employeur excèdent le cadre hiérarchique et s'analysent comme un acharnement injustifié envers la salariée, que plusieurs personnes témoignent de son implication et de son sérieux,

-que son bureau a été changé, ses dossiers étant mis dans des cartons et posés dans un coin à la vue de tous,

-qu'elle a été évincée des réunions avec les partenaires,

-qu'un système de surveillance a été mise en place sans que l'employeur ne justifie des démarches nécessaires, que la salle de repos a été supprimée, la direction ne l'ayant pas avertie du nouveau lieu de pause,

-que s'agissant de l'entretien du 14 décembre 2018, son compte-rendu démontre le traitement dégradant qui lui a été réservé, que l'employeur lui a notifié un changement de fonctions et une limitation de son affectation par courrier recommandé du même jour, procédant d'une grande violence,

-que l'ancienneté des griefs n'est pas opérante pour déterminer si la résiliation judiciaire est fondée, ceux-ci ayant conduit à une inaptitude démontrant que la poursuite du contrat était impossible,

-que l'ensemble des documents médicaux convergent vers une dégradation de l'état de santé imputable aux agissements subis dans le cadre professionnel, qu'il s'agisse de l'expertise diligentée par la prévoyance ou le psychiatre.

L'appelante produit les éléments qui suivent':

-un courriel de la salariée du 29/05/2017 indiquant que Mme [K] (chef de service) lui a appris devant les collègues qu'elle ne ne pouvait plus participer aux sorties et/ou groupes éducatifs, ce qu'elle fait depuis 7 ans, ces sorties lui permettant de rencontrer les enfants dans un cadre moins formel et d'avoir une intervention plus cohérente auprès des familles, le directeur répondant que la priorité va aux tâches qui sont en retard,

-une lettre du directeur M. [A] du 23/03/2017 rappelant à la salariée avoir demandé le 7 mars de «'faire remonter à Mme [K] les travaux qui souffraient d'un retard (RDD du 4/10/2016, du 24/10/2016 et 22/11/2016), indiquant que les tâches ne sont pas effectuées ces points devant être mis dans les priorités le semaine prochaine dernier délai,

-une lettre du 02/05/2017 du directeur de synthèse des échanges à la suite d'une rencontre le 24/04/2017 avec Mme [K], et faisant état d'incomplétude du tableau «'des suivis sociaux'», du «'tableau des signatures DIPC'», rappelant qu'il faut utiliser le cahier de bord, que chaque rencontre avec une famille doit faire l'objet d'un courrier de RV pour la traçabilité des échanges, que les visites à domicile doivent faire l'objet d'un compte-rendu écrit, que le document «'accord famille'» pour le jeune [FO] n'est pas dans le dossier, le nécessaire devant être fait d'urgence, l'objectif de cette rencontre étant de «'trouver ensemble la bonne mesure entre la relation hiérarchique avec le directeur du Pôle enfance et les nécessaires comptes-rendus au chef du SESSAD, afin de caler une organisation fluide et efficace et tenter de réinstaurer une relation professionnelle de confiance'»,

-une note manuscrite du directeur lui demandant de retravailler la grille horaire (exemple': «'la présence entre 12h30 et 13h30 au SESSAD n'est pas justifiée. Merci de placer cette heure à un autre endroit(...)'»,

-un courrier du 26/10/2018 du directeur indiquant que depuis la rentrée quatre mails de rappel ou d'attente d'informations ont été adressées à Mme [I] (ex': bilan social de M. [T] à effectuer très rapidement le 19/09) et indiquant que la procrastination n'est pas de mise, que l'organisation du temps permet de répondre en temps et en heures aux demandes mais que si cela n'est pas le cas, Mme [I] est invitée à interpeller en direct les chefs de service,'; la réponse par mail de la salariée le 29/10/2018 indiquant que le courrier a été reçu au domicile pendant ses congés, que les tâches ont été effectuées, que son emploi du temps a été régulièrement modifié par [F] (Mme [K]) ce qui a été lourd,

-une lettre du 14/12/2018 du directeur affectant Mme [I] à compter du 17/12/2018 sur l'IME exclusivement, la priorité de sa mission étant liée à l'admission, les renouvellements des dossiers MDPH (trois jours), les deux autres jours étant organisés pour un soutien auprès du SAES en tant que relais'; le compte-rendu manuscrit de la salariée de l'entretien du même jour, indiquant que le directeur a menacé de la licencier, qu'elle a voulu sortir, qu'il lui a hurlé dessus en tapant du doigt sur la table'«'que l'on est pas chez les gilets jaunes'», «'on n'est pas là pour démolir le patronat'», qu'elle «'saute de son poste'» qu'elle occupe depuis 8 ans, que pour combler son mi-temps, il lui impose du «'renfort éducatif'» à 40 % alors qu'elle est assistante sociale, qu'elle pleure et n'a plus d'identité professionnelle,

-une convocation pour le 15/11/2018 reportée au 27/11/2018 (mail du 23/11/2018) en raison de son arrêt de travail, un avis de contre-visite du 23/11/2018 indiquant que l'arrêt de travail est justifié,

-une série de courriels de la salariée relatifs au dossier de [J] [U], de [X] [CF], du tableau des renouvellements MDPH, d'un appel au domicile de Mme [H],

-une attestation de Mme [V] (infirmière) indiquant qu'elle a démissionné de son poste de' référente «'bientraitance'» en juin 2018, que son rôle se limitait à valider les décisions du directeur sans discussions préalables, qu'ensuite elle a été mise à l'écart de projets, ce qu'elle a vécu comme une sanction'; et de M. [B] (psychologue) attestant de la qualité du travail de Mme [W] [O] (autre assistante sociale), indiquant qu'en réunion les décisions paraissaient déjà prises suite à la position du directeur, et faisant part d'un certain ressenti de dédain par rapport aux fonctions d'assistantes sociales,

-deux fiches de procédure (janvier 2017, avril 2019) montrant que l'assistante sociale est évincée des procédures d'admission,

-deux attestations (Mme [C] [P]), M. [D], sans pièces d'identité, faisant état des qualités professionnelles de la salariée'; les attestations de Mme [G] dans le même sens, de Mme [L] indiquant que la salariée lui a fait part de son mal-être au travail en raison de la pression de la hiérarchie, et de la dépossession de ses missions, -des photographies non datées de bureau,

-une expertise du Dr [R] indiquant que l'arrêt de travail est justifié, relevant une patiente altérée sur le plan général, décrivant une perte de l'élan vital qui avait organisé sa vie autour de ce travail qui lui tenait à c'ur'; un certificat manuscrit du Dr [Y]'; des avis d'arrêts de travail'; une notification de titre de pension d'invalidité de catégorie 2';

-une attestation de Mme [W] [O], sans pièce d'identité, indiquant avoir entendu Mme [K] reprocher à la salariée en réunion de n'avoir pas fait visiter l'IME à une famille, indiquant que le ton tenu par Mme [K] était froid, cassant et ne permettait pas Mme [M] (Mme [I]) de répondre, ,alors que la visite avait été réalisée'; lors d'un rendez-vous dans le bureau du directeur des cris sur la salariée de Mme [XX], chef de service pendant une demi-heure avec des phrases telles que «'non vous ne sortez pas du bureau'».

Il convient d'observer que certaines des attestations produites par Mme [I] (notamment Mme [O], Mme [V], M. [B]) ne respectent pas strictement les prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile qui ne sont toutefois pas prescrites à peine de nullité.

Compte-tenu des pièces produites, Mme [I] établit les faits suivants, sauf indications contraire explicitées plus bas':

-plusieurs relances lui ont été adressées par Mme [K] et par le directeur M. [A]. De plus, il est acquis que Mme [I] a été affectée exclusivement à l'IME, une tâche de «'soutien-relais'» lui étant demandée pendant deux jours. L'attestation de Mme [O] fait état d'une réunion «'admission'» dont les parties admettent qu'elle s'est déroulée le 28/03/2017 durant laquelle Mme [K] a effectivement fait des reproches à la salariée relativement à la liste d'attente admission. La circonstance que Mme [O] s'est prévalu en justice, sans succès, de faits de harcèlement moral est indifférente, ces documents étant soumis à la discussion contradictoire des parties. Cette attestation fait état de cris dans le bureau du directeur à une date certes non précisée, en présence de la chef de service paramédicale dans le cadre du CHSCT, ce fait étant établi.

-des remarques lui ont été faites durant la réunion du 24/04/2017 avec Mme [K], la synthèse des échanges faisant état de tableaux incomplets, de la nécessité d'utiliser le cahier de bords, de faire des comptes-rendus écrits de visites à domicile,

-sa chef de service s'est installée dans son bureau à la place de sa collègue,

-il lui été demandé le 29/05/2017 de ne plus participer aux sorties et/ou aux groupes éducatifs,

-s'agissant de la vidéosurveillance': Mme [I] n'apporte aucun élément, l'employeur admettant que deux caméras ont été installées à l'extérieur de l'établissement après autorisation par arrêté préfectoral, avec extension d'une caméra dans les locaux en raison de vols, la salariée en ayant été informée, tout comme les instances représentatives du personnel. Mme [I] n'apporte pas plus d'élément concernant la suppression de la salle de repos, étant précisé que l'employeur explique qu'il a été demandé aux salariés de ne plus prendre leur café dans la salle des comptables mais dans la salle des chauffeurs. Ces faits ne sont pas établis.

-s'agissant de la réunion du 14 décembre 2018, le compte-rendu manuscrit de la salariée établit un comportement inadapté du directeur,

-enfin, les éléments médicaux démontrent une dégradation de l'état de santé.

Il s'ensuit que la salarié présente des éléments qui examinés dans leur globalité permettent de présumer d'agissements de harcèlement moral. Il appartient donc à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'appelante explique que les relances n'ont pas été systématiques, la salariée étant tenue de rendre compte à sa chef de service ce qu'elle ne faisait pas, qu'elle n'avait donc d'autre choix que de la relancer, que s'agissant des sorties il lui a été proposé un temps sur l'IME qu'elle a refusé, qu'elle a interpellé le CHSCT, que l'affectation sur l'IME ne constitue pas une modification du contrat de travail, que la réunion du 28/03/2017 a fait apparaître de nombreuses difficultés concernant la gestion de la liste d'attente, que Mme [O] a été déboutée de ses demandes par arrêt confirmatif de la cour, que la rencontre du 24/04/2017 s'explique par le pouvoir de direction, et par le retard de la salariée dans l'exercice de ses missions, que le changement de bureau s'explique par la création d'une équipe de direction, les chefs de service étant rapprochées du bureau du directeur, la salariée n'ayant pas accepté de libérer son bureau, les cartons dans le couloir appartenant à Mme [Z], que depuis 2012 le salariés sont informés des réunions par un tableau de fonctionnement, que l'installation de la vidéosurveillance n'a pas finalité que de remédier à des vols, que la salle de pause a été déplacée en salle des chauffeurs à la demande du chef de service administratif et financier.

Sur quoi, au regard des pièces justificatives produites par l'intimée, l'employeur prouve que ses agissements procèdent de l'exercice de son pouvoir de direction en ce qui concerne les faits suivants':

-les lettres de relance ne sont pas systématiques comme le fait remarquer l'intimée (23/04/2017, 02/05/2017, 26/10/2018) et sont motivées par l'absence d'utilisation du cahier de bord, dans le cadre général d'une formalisation générale de l'écrit, ou encore par le retard dans l'élaboration de documents administratifs (exemple': trois semaines pour le bilan social d'un jeune usager, confer attestation de M. [T], examinée avec précaution),

-l'attestation de Mme [OC] indique qu'en ce qui concerne la liste d'attente, elle était renvoyée vers Mme [M] (Mme [I]), les familles obtenant des informations différentes considérant leur place sur la liste, ou encore un rendez-vous de préadmission qui n'était pas finalement pas réalisé.

-pour la réunion du 24/04/2017, la synthèse des échanges ne fait que traduire le pouvoir de l'employeur en l'espèce exercé sans abus, puisqu'il s'agit de formaliser par écrit les échanges avec les familles, afin d'en avoir une trace,

-s'agissant du bureau, Mme [Z] atteste s'être installée à la demande du directeur en juillet 2017 dans le bureau qui était partagé par Mme [I] et Mme [O], la salariée n'ayant pas souhaité déménager immédiatement dans un autre bureau qui était disponible depuis juin, dans le cadre d'un rapprochement des cadres du directeur,

-s'agissant de la vidéosurveillance, il a été vu que l'employeur justifie des causes objectives en justifiant installation s'agissant de la salle de pause, l'employeur verse l'attestation de Mme [E] indiquant que le chef de service administratif et financier a demandé que la pause café ne soit plus prise dans le bureau comptable mais dans la salle transport.

En revanche, l'attestation de Mme [S] et le relevé de décisions du 28/03/2017 ne constituent pas un compte-rendu de la réunion dans laquelle Mme [I] a été prise à partie par Mme [K] pour des raisons qui ne sont pas explicitées.

S'agissant de l'absence de participation aux sorties collectives le 29/05/2017, l'employeur indique qu'il a été proposé à la salariée de participer aux sorties de l'IME sur un temps dédié, ce qu'elle a refusé. Il n'en est toutefois pas justifié. De plus, la cour admet que les rappels de mars et avril 2017 pouvaient être justifiés par le retard d'élaboration du tableau des DIPC et le tableau des suivis sociaux. En revanche, l'intimée n'apporte aucun élément justificatif relativement aux engagements de la salariée qui ne seraient pas réalisés (mail de M. [A] le 01/06/2017), alors que la salariée lui indique que le tableau récapitulatif des données administratives doit être fait pour mi-juin, le dernier rendez-vous «'famille'» étant prévu le 14 juin 2017. De même, il n'est pas apporté d'explications au fait que cette diminution de fonction soit annoncée en réunion, ce qui peut apparaître comme une brimade.

Enfin, s'agissant de la réunion du 14/12/2018, il n'est apporté aucun élément en réponse au compte-rendu manuscrit établi par la salariée. L'intimée pouvait dans le cadre de l'exercice de son pouvoir de direction demander à la salariée de travailler exclusivement à l'IME. Toutefois, aucune justification n'est apportée sur les conditions de cet entretien, qui démontrent un usage abusif du pouvoir de direction, la salariée indiquant que le directeur lui «'hurle littéralement dessus'», et tient des propos inadaptés («'on n'est pas chez les gilets jaunes'»). La cour relève que la salariée lui demande en fin d'entretien s'il veut «'qu'elle se foute en l'air'», le directeur criant en réponse en disant «'pas de menaces'». Ces propos ne sont pas démentis ainsi que le relève l'appelante. Ce fait n'est pas justifié par des considérations objectives.

Dès lors, il apparaît que le harcèlement est constitué par le fait d'imposer sans justification à la salariée de ne plus participer aux sorties éducatives, par la mise en cause réitérée de la salariée lors de réunions professionnelles, et en raison d'un changement de poste imposé dans des circonstances de nature à dégrader sa santé, comme le démontrent les éléments médicaux produits par la salariée. Ces faits ont causé à la salariée un préjudice moral qui sera réparé par une indemnité de 2.000 € de dommages-intérêts, à la charge de l'intimée. Le jugement est infirmé.

-Sur le manquement à l'obligation de sécurité':

L'appelante invoque les conclusions de l'enquête menée par le CHSCT, dont les conclusions sont sidérantes du point de vue des risques psychosociaux, en particulier pour le secteur éducatif, qu'à l'exception de la mise en 'uvre de quelques réunions de coordination avec le directeur, aucun suivi adapté n'a été mise en 'uvre à son cas, alors que ses souffrances étaient connues.

L'appelante réplique que le CHSCT a été saisi par le directeur, et s'est réuni, qu'une psychologue du travail a été sollicitée, qu'une étude «'RPS'» à l'IME et au SESSAD qui n'a pas révélé de difficultés dans le lien managérial, la salariée ayant fait l'objet d'un suivi par l'association.

L'employeur prend, en application de l'article 4121-1 du code du travail, les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement de circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En conséquence la responsabilité de l'employeur est engagée sauf à prouver : la faute exclusive de la victime ou l'existence de circonstances relevant de la force majeure, imprévisibles, irrésistibles et extérieures.

Il suffit que l'employeur manque à l'une de ses obligations en matière de sécurité pour qu'il engage sa responsabilité civile même s'il n'en est résulté ni accident du travail ni maladie professionnelle. Pour satisfaire à son obligation de résultat l'employeur doit vérifier : les risques présentés par l'environnement de travail, les contraintes et dangers liés aux postes de travail, les effets de l'organisation du travail, la santé des salariés, les relations du travail.

La simple constatation du manquement à l'obligation de sécurité suffit à engager la responsabilité de l'employeur. Mais encore faut-il que la victime apporte la preuve de l'existence de deux éléments': la conscience du danger qu'avait ou aurait dû avoir l'employeur (ou son préposé substitué) auquel il exposait ses salariés'; l'absence de mesures de prévention et de protection.

Il ressort du courriel de la salariée du 29/05/2017 qu'elle invoque une dégradation de ses conditions de travail.

Le CHSCT s'est réuni à trois reprises (16 juin 2017, 29 septembre 2017 et 8 décembre 2017), pour évoquer notamment les difficultés relationnelles entre trois salariées et acter l'intervention d'une psychologue du travail (Mme [EN]).

Cette dernière a établi un rapport dans le cadre de rencontres, notamment avec Mme [I], soulignant le caractère professionnel atypique de «'l'AS, la secrétaire et la CSE'», comme n'appartenant pas à un groupe professionnel défini comme le groupe éducatif ou paramédical, thérapeutique, avec un statut particulier de l'assistante sociale rattachée hiérarchiquement au directeur. Elle formule des préconisations': restaurer les relations professionnelles, la communication, recréer du lien, et s'accorder sur les façons de travailler et les priorités d'un fonctionnement SESSAD dans un contexte en pleine évolution sont les objectifs prioritaires, avec un plan d'action. La synthèse d'évaluation du mois de juin 2018 relève, certes, des risques psychosociaux s'agissant des salariés de la catégorie accompagnement/éducative/paramédicale et la catégorie logistique, qui perçoivent leur travail comme fatigant et stressant et jugent leur travail mauvais pour la santé. Cette même étude indique que de façon générale, les salariés de l'lME et du SESSAD apprécient leur travail et sont plutôt satisfaits. Ces éléments et le rétro-planning des intervention prévues courant 2018 démontrent le respect par l'employeur de son obligation de sécurité. La demande est rejetée. Le jugement est confirmé.

Il s'ensuit que la salariée est fondée en sa demande concernant le harcèlement moral. Contrairement à ce que soutient l'intimée, la réunion du 14/12/2018 a conduit à un arrêt de travail qui a été reconduit jusqu'à la déclaration d'inaptitude, ce qui démontre que le grief est suffisamment grave pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail. En conséquence, la demande de résiliation judiciaire est fondée. Elle produit ses effets à la date du licenciement soit le 4 avril 2022.

Le jugement est donc infirmé.

Sur les conséquences indemnitaires de la résiliation judiciaire

L'appelante sollicite le paiement d'une indemnité de licenciement sans expliquer les raisons de cette demande, alors qu'il ressort des documents de fin de contrat et notamment du reçu pour solde de tout compte qu'une indemnité de licenciement de 10.418,69 € lui a été versée. La demande est rejetée. Le jugement est confirmé.

L'indemnité de préavis de deux mois s'établit, conformément à la demande de l'appelante, non sérieusement critiquée, à la somme de 5.160 € outre 516 € de congés payés afférents.

L'appelante sollicite une somme de 92.880 € au titre «'de l'indemnité du licenciement abusif'», sans toutefois apporter de précisions sur son préjudice. La cour n'est donc pas saisie de demandes tendant à faire produire à la résiliation les effets d'un licenciement nul.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée (2.580 €), de son âge (40 ans), de son ancienneté (12 et un mois), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, une somme de 12.900 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'association familiale les papillons blancs de Denain et environs sera condamnée au paiement de cette somme.

Sur les autres demandes

Succombant, l'association familiale les papillons blancs de Denain et environs supporte les dépens de première instance et d'appel.

Il est équitable d'allouer à Mme [I] une indemnité de 2.000 € pour ses frais irrépétibles par application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement en ce qu'il a débouté Mme [N] [I] de sa demande au titre de l'obligation de sécurité, au titre de l'indemnité de licenciement, et en ses dispositions sur les dépens,

Infirme le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau, y ajoutant,

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail au 04 avril 2022 et dit que la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne l'association familiale les papillons blancs de Denain et environs à payer à Mme [N] [I] les sommes qui suivent':

-2.000 € de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

-5.160 € d'indemnité compensatrice de préavis outre 516 € de congés payés afférents,

-12.900 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-2.000 € pour ses frais irrépétibles par application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne l'association familiale les papillons blancs de Denain et environs aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffier

Serge LAWECKI

Le conseiller désigné pour exercer

les fonctions de président de chambre

Muriel LE BELLEC


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale c salle 3
Numéro d'arrêt : 21/00661
Date de la décision : 29/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-29;21.00661 ?
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