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29/03/2024 | FRANCE | N°21/00526

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale c salle 1, 29 mars 2024, 21/00526


ARRÊT DU

29 Mars 2024







N° 434/24



N° RG 21/00526 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TR4J



MLB / SL

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE

en date du

09 Mars 2021

(RG 19/00428 -section )











































GROSSE :



aux avocats



le 29 Mars 2024





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [R] [O]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Elodie HANNOIR, avocat au barreau de BETHUNE substitué par Me Florentin LELEU, avocat au barreau de BETHUNE





INTI...

ARRÊT DU

29 Mars 2024

N° 434/24

N° RG 21/00526 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TR4J

MLB / SL

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE

en date du

09 Mars 2021

(RG 19/00428 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 29 Mars 2024

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [R] [O]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Elodie HANNOIR, avocat au barreau de BETHUNE substitué par Me Florentin LELEU, avocat au barreau de BETHUNE

INTIMÉE :

S.A.S. FLIP

[Adresse 5]

[Localité 2]

représentée par Me Paul HENRY, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Manon BARTIER, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l'audience publique du 10 Janvier 2024

Tenue par Gilles GUTIERREZ

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Annie LESIEUR

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Muriel LE BELLEC

: conseiller faisant fonction de PRESIDENT DE CHAMBRE

Gilles GUTIERREZ

: CONSEILLER

Nathalie RICHEZ-SAULE

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mars 2024,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 20/12/2023

EXPOSÉ DES FAITS

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M. [O], né le 12 mars 1979, a été embauché par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 12 novembre 2013 en qualité de chargé d'affaires par la société Flip, spécialisée dans la conception et la fabrication de volets roulants et porte de garage, qui emploie de façon habituelle au moins onze salariés et applique la convention collective des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment.

Il exerçait ses activités de façon sédentaire sur le site de [Localité 2].

M. [O] a fait l'objet d'arrêts de travail du 25 au 27 janvier 2017, du 9 février au 5 juillet 2017 puis sans discontinuer à compter du 12 juillet 2017.

Le médecin du travail l'a déclaré inapte le 23 mai 2018 par un avis rédigé en ces termes':'«'Confirmation de l'inaptitude. Capacités restantes': éviction des irritants pulmonaires et ORL type formaldéhyde, poussières de métaux durs. Eviction du bureau et de l'atelier, par exemple poste en télétravail. Formation possible.'»

La caisse primaire d'assurance maladie a informé la société Flip par lettre datée du 22 juin 2018 de la déclaration de maladie professionnelle présentée par M. [O] au titre du tableau 43 des maladies professionnelles (affections provoquées par l'aldéhyde formique et ses polymères). Le caractère professionnel de la rhinite récidivante de M. [O] a été reconnu par jugement du 19 décembre 2022.

Le 12 juin 2018, la société Flip a proposé au salarié son reclassement sur trois postes de commercial itinérant respectivement en Pays de Loire, en Aquitaine et en Auvergne.

M. [O] a refusé ces propositions par lettre du 18 juin 2018 au motif qu'elles ne respectaient pas les préconisations du médecin du travail.

Il a été convoqué par lettre du 14 juin 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement le 22 juin 2018. Son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement lui a été notifié par lettre recommandée du 25 juin 2018.

Par requête reçue le 6 mai 2019, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Lille pour contester son licenciement et obtenir diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement en date du 9 mars 2021 le conseil de prud'hommes a dit que la société Flip n'a pas failli à son obligation de reclassement, débouté M. [O] de sa demande de requalifier son licenciement d'inaptitude en licenciement abusif, dit que le licenciement doit s'analyser en un licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle, fixé le salaire mensuel à 2'538,65 euros, condamné la société Flip à payer à M. [O]':

150 euros à titre de rappel de salaire

15 euros au titre des congés payés y afférents

5'077,30 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

3'308,97 euros à titre du doublement de l'indemnité légale de licenciement

12'589,44 euros à titre du paiement de la non-dénonciation de la clause de non-concurrence

1'258,94 euros au titre des congés payés y afférents

800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement a rappelé que les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter de la décision pour les sommes de nature indemnitaire. Il a ordonné à la société Flip de remettre à M. [O] son attestation Pôle Emploi, son certificat de travail et son dernier bulletin de salaire rectifiés selon le jugement sous astreinte de 50 euros par jour de retard pour l'intégralité des documents, au-delà du trentième jour passé le prononcé du jugement, en se réservant le droit de liquider l'astreinte. Il a ordonné l'exécution provisoire de l'intégralité du jugement en application de l'article 515 du code de procédure civile, débouté la société Flip de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les parties de leurs autres demandes.

Le 18 avril 2021, M. [O] a interjeté appel de ce jugement.

'

Par ses conclusions reçues le 14 décembre 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, M. [O] sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement en ses dispositions sur l'origine professionnelle de son inaptitude, le montant de son salaire, l'indemnité compensatrice de préavis, le doublement de l'indemnité légale de licenciement, la clause de non-concurrence, les frais irrépétibles, les intérêts au taux légal, la remise des documents rectifiés sous astreinte et l'exécution provisoire, qu'elle l'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau, qu'elle dise que la rupture de son contrat de travail est dépourvue de cause réelle et sérieuse et condamne la société Flip à lui payer les sommes de':

375 euros brut à titre de rappel de salaire

37,50 euros brut au titre des congés payés afférents

10'000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice d'anxiété

35'000 euros net au titre de l'indemnité prévue par l'article L.1226-15 du code du travail et subsidiairement à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail

3'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Il demande subsidiairement la condamnation de la société Flip au paiement de la somme de 268,94 euros net à titre de rappel d'indemnité de licenciement. Il demande également que l'intimée soit déboutée de l'intégralité de ses demandes.

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Par ses conclusions reçues le 8 décembre 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Flip sollicite de la cour qu'elle infirme le jugement en ses dispositions sur l'origine professionnelle de l'inaptitude du salarié et la fixation du montant du salaire mensuel à 2'538,65 euros, en ses dispositions la condamnant au paiement de sommes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, du doublement de l'indemnité légale de licenciement, de la clause de non-concurrence et de l'article 700 du code de procédure civile, en ses dispositions la condamnant au paiement d'un rappel de salaire de 1'500 euros et de congés payés de 150 euros, en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes, a déclaré recevable la prétention nouvelle présentée en cours d'instance par M. [O] au titre du préjudice d'anxiété, a ordonné la remise de documents de fin de contrat et l'a condamnée aux dépens. Elle demande la confirmation du jugement pour le surplus et sollicite en conséquence de la cour qu'elle juge que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, qu'elle n'a pas failli à son obligation de recherches de reclassement, qu'elle n'a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat, que l'inaptitude de M. [O] est d'origine non-professionnelle, que la procédure de licenciement est régulière, que la clause de non-concurrence a été régulièrement levée et qu'elle débouté M. [O] de l'intégralité de ses demandes. A titre subsidiaire, elle demande la réduction des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 7'230,60 euros (soit trois mois de rémunération conformément aux dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail), de l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 4'820,40 euros brut, outre 482 euros de congés payés afférents et de l'indemnité mensuelle compensatrice de non-concurrence à la somme de 335,50 euros brut, outre 33,55 euros de congés payés afférents. Elle demande en tout état de cause la condamnation de M. [O] à lui verser la somme de 3'700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

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La clôture de la procédure a été ordonnée le'20 décembre 2023.

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MOTIFS DE L'ARRET

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Sur'l'application des règles protectrices des victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle et ses conséquences

Les règles protectrices des victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée et invoquée, a au moins partiellement pour origine cet accident ou cette maladie, et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

Au soutien de son appel incident, la société Flip fait valoir qu'elle fabrique et installe des volets, persiennes et portes de garage en PVC ou en aluminium, qu'elle n'utilise aucune substance à base de formaldéhyde, que M. [O] n'a jamais été habituellement exposé au risque et qu'elle n'a eu connaissance du dossier de maladie professionnelle déposé par M. [O] que postérieurement à la notification du licenciement.

M. [O] répond que la société Flip a été informée de sa déclaration de maladie professionnelle avant le 7 mai 2018, que la société Flip avait constaté la récidive de sa maladie lors de son retour au bureau, que le caractère professionnel de sa maladie a été reconnu.

Le médecin du travail a écrit au médecin traitant de M. [O] le 26 avril 2018 qu'une demande de reconnaissance en maladie professionnelle au titre du tableau 43 était possible, une exposition au formaldéhyde émanant du nouveau mobilier de son lieu de travail étant possible.

Le médecin traitant a établi le 30 avril 2018 un certificat médical initial mentionnant une rhinite chronique et un asthme récidivant et visant le tableau 43 des maladies professionnelles. Ce document précise que la date de première constatation médicale de la maladie professionnelle est le 7 février 2017 et prescrit des soins sans arrêt de travail jusqu'au 31 août 2018.

Il résulte des mails échangés par les parties le 7 mai 2018 que l'employeur a été mis en possession de ce document.

M. [O] a formé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle sur la base de ce certificat médical.

Le médecin du travail a déclaré le salarié inapte le 23 mai 2018 en visant au titre des capacités restantes'les travaux évitant les irritants pulmonaires et ORL type formaldéhyde, poussières de métaux durs, le bureau et l'atelier.

Le 22 juin 2018, à la suite de l'entretien préalable au licenciement, M. [O] a adressé à son employeur un mail réitérant son point de vue selon lequel les indemnités de rupture devraient tenir compte de l'origine professionnelle de son inaptitude.

La lettre de licenciement du 25 juin 2018 vise l'article L.1226-10 du code du travail applicable à l'inaptitude consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle.

M. [O] produit la déclaration environnementale du constructeur du mobilier dont il n'est pas contesté qu'il est celui présent dans les locaux de la société Flip. Ce document mentionne la présence de formaldéhyde conformément aux normes EN 120 et EN 717-1. Le salarié produit également la fiche de sécurité de la mixture dont il n'est pas contesté qu'elle était utilisée par la société Flip pour la fabrication de cales en mousse. Ce document mentionne au titre des composants du produit le formaldéhyde. Il ressort des témoignages de Mme [V] et de Mme [Z] que la machine servant à fabriquer les cales en mousse se trouvait à l'entrée de l'atelier, près des bureaux, et que les émanations de l'atelier entraient dans les bureaux lors des allers et venues des salariés.

Ces documents ne sont pas contredits par le rapport du Pôle santé travail du 23 septembre 2016 sur l'exposition aux poussières

Par jugement du 19 décembre 2022, le tribunal judiciaire d'Arras a reconnu le caractère professionnel de la rhinite récidivante déclarée par M. [O], après avis favorable du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

Il ressort des éléments ci-dessus que l'inaptitude de M. [O] a au moins partiellement pour origine une maladie professionnelle et que, même si la lettre par laquelle la caisse primaire d'assurance maladie a informé l'employeur de la déclaration de maladie professionnelle de M. [O] ne lui est parvenue que le 27 juin 2018, la société Flip avait déjà connaissance au moment du licenciement, notamment en raison de la transmission du certificat médical initial, de cette origine professionnelle.

Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a retenu que s'appliquaient les règles protectrices des victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.

En application de l'article L.1226-14 du code du travail, l'employeur est redevable de l'indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L.1234-5, ainsi que de l'indemnité spéciale de licenciement égale au double de l'indemnité prévue par l'article L.1234-9.

Les parties conviennent qu'il convient d'évaluer le salaire de référence sur la base de la moyenne, plus favorable au salarié, des douze mois de l'année 2016, qui précède son arrêt de travail. Leur divergence a trait au montant des indemnités de congés payés, évalué par l'employeur à la somme de 2'200 euros selon les bulletins de salaire de mars, août et décembre 2016. Or, M. [O] justifie par l'attestation de paiement de la caisse congés intempéries du BTP que les indemnités de congé versées pour l'année fiscale 2016 se sont élevées à la somme de 3'741,43 euros brut. La société Flip ne fait pas d'observation sur ce point. Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a fixé le salaire mensuel à 2'538,65 euros et accordé au salarié la somme de 5'077,30 euros à titre d'indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 3'308,97 euros au titre du reliquat d'indemnité spéciale de licenciement.

Sur la demande au titre de la reprise du salaire

En application de l'article L.1226-11 du code du travail, à la suite de l'examen médical du 23 mai 2018 qui concluait à l'inaptitude de M. [O], il incombait à la société Flip de reprendre, dès l'expiration du délai d'un mois, le versement du salaire au salarié qui n'avait été ni reclassé ni licencié. '

L'article 642 du code de procédure civile, qui figure dans le titre XVII livre premier du code de procédure civile sur les délais, actes d'huissier de justice et notifications, a trait à la matière contentieuse. Il ne s'applique pas au délai d'un mois pour reclasser ou licencier le salarié.

De plus, le licenciement a pris effet à la date de présentation de la lettre de licenciement, soit le 28 juin 2018, comme il résulte du bulletin de salaire de juin 2018 et de l'attestation Pôle Emploi. Au contraire de ce qu'il soutient, l'employeur était donc redevable du salaire pour la période du 24 au 28 juin 2018. Or, le bulletin de salaire de juin 2018 mentionne que le salarié était en absence non rémunérée du 8 au 28 juin 2018.

Sur la base d'un salaire mensuel brut de 2'250 euros mentionné sur ce bulletin de salaire, la société Flip est en conséquence redevable de la somme de 375 euros brut de rappel de salaire et de la somme de 37,50 euros au titre des congés payés y afférents. Le jugement qui a limité la période de reprise du salaire à deux jours, sans tenir compte de la date de présentation de la lettre de licenciement et de sortie des effectifs de M. [O], sera infirmé.

Sur la demande au titre du préjudice d'anxiété

La société Flip soutient en premier lieu que cette demande, formée par M. [O] non pas dans le cadre de sa requête introductive d'instance mais dans le cadre de ses conclusions récapitulatives et responsives de première instance, est irrecevable pour ne pas se rattacher aux prétentions originaires, qui ne visaient que la rupture du contrat de travail, par un lien suffisant.

Selon l'article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

M. [O] répond à juste titre que sa contestation du licenciement est notamment motivée par la faute de son employeur qui, en l'exposant à des substances toxiques, serait selon lui à l'origine de son inaptitude. Sa demande d'indemnisation du préjudice d'anxiété consécutif à son exposition à ces mêmes substances toxiques se rattache en conséquence aux prétentions originaires par un lien suffisant.

Au soutien de sa demande indemnitaire pour préjudice d'anxiété, M. [O] fait valoir qu'il a été exposé à des substances cancérigènes pendant son activité au service de la société Flip, notamment au formaldéhyde, au diisocyanate de diphénylméthane et autres poussières de bois, PVC, métaux, briques et poudres de laquage. Il ajoute qu'il vit dans la crainte de développer des maladies graves en raison de cette exposition.

La société Flip répond que M. [O] ne justifie pas d'une exposition habituelle à une substance présentant un risque élevé de développer une pathologie grave et qu'il ne justifie pas davantage du préjudice d'anxiété qu'il affirme personnellement subir.

En application des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le salarié ayant exercé une activité sur un site non inscrit sur la liste prévue par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, qui justifie d'une exposition à l'amiante ou à une autre substance toxique ou nocive générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'un tel risque, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.

Il résulte de ce qui précède que M. [O] a été exposé au formaldéhyde par le biais du mobilier de l'entreprise et du mélange Instapak utilisé pour la fabrication des blocs de mousse. Le tableau 43 des maladies professionnelles désigne au titre des affections provoquées par ce produit les dermatites, lésions eczématiformes, rhinite récidivante et asthme. La fiche de données de sécurité du produit Instapak mentionne qu'il est composé de formaldéhyde et de diisocyanate de diphénylméthane, qu'il est irritant pour les yeux, les voies respiratoires et la peau. Elle fait état d'un «'effet cancérigène suspecté ' preuves insuffisantes'». L'absence de démonstration d'un lien avéré entre le formaldéhyde et le diisocyanate de diphénylméthane et la survenue de maladies graves résulte, outre la rédaction du tableau 43 des maladies professionnelles, de la fiche de l'INRS sur le diisocyanate de diphénylméthane et du dossier paru dans la revue Travail et Sécurité sur le formaldéhyde. L'exposition de M. [O] aux autres substances citées n'est pas établie. Ainsi que le salarié l'a indiqué dans son mail du 13 février 2017, les prélèvements de l'air effectués par Pôle santé travail le 23 septembre 2016 ne permettent pas de définir les produits qui s'y trouvaient.

Il ne peut être retenu dans ces conditions que M. [O] rapporte la preuve de son exposition à une substance toxique ou nocive générant un risque élevé de développer une pathologie grave. De plus, M. [O] ne démontre pas l'existence d'un préjudice d'anxiété personnel qui résulterait d'un tel risque, l'attestation de M. [X] décrivant uniquement le souci permanent de M. [O] d'éviter les allergènes déclenchant ses difficultés respiratoires et l'état de stress lié à cette situation. C'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes l'a débouté de sa demande.

Sur la contestation du licenciement

Au soutien de son appel, M. [O] fait valoir à titre principal un manquement de l'employeur à son obligation de reclassement. Il invoque le non-respect de la procédure de consultation des délégués du personnel, l'absence de communication du livre d'entrées et de sortie du personnel, l'absence d'organigramme du groupe, l'absence de recherche loyale de reclassement.

La société Flip répond qu'elle a respecté ses obligations, qu'elle fait partie d'un groupe de deux sociétés, qu'elle a valablement consulté les délégués du personnel et a proposé tous les postes disponibles.

Selon l'article L.1226-10 du code du travail, lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Selon l'article L.1226-12 du code du travail, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.

L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.

L'avis d'inaptitude du 23 mai 2018 mentionne au titre des capacités restantes': «'Eviction des irritants pulmonaires et ORL type formaldéhyde, poussières de métaux durs. Eviction du bureau et de l'atelier, par exemple poste en télétravail. Formation possible.'»

La société Flip a établi une fiche de recherche de reclassement recensant les postes ouverts au recrutement': commercial itinérant, opérateur de laquage, technicien méthodes et maintenance.

Elle justifie de la consultation des délégués du personnel par le compte rendu de la réunion du 12 juin 2018. Elle produit en outre l'attestation de Mme [C], déléguée du personnel titulaire. Si cette attestation est dactylographiée, elle comporte la mention que son auteur connait les sansctions pénales encourues en cas de faux témoignage et est accompagnée de la carte d'identité de Mme [C]. Il en ressort que les délégués du personnel ont fait part de leur avis en étant informés des termes de l'avis d'inaptitude et des postes recensés comme ouverts au recrutement.

Ils se sont majoritairement prononcés favorablement pour le poste de commercial itinérant et ont unanimement émis un avis défavorable pour le poste d'opérateur de laquage poudre et liquide et le poste technicien méthodes et maintenance.

Il ressort des pièces produites de part et d'autre que le groupe de reclassement se limitait à la société Flip et à la holding GT Management et qu'il n'existait pas de poste disponible au sein de la holding.

La société Flip a proposé au salarié trois postes de commercial itinérant dans trois régions différentes. M. [O] a refusé ces propositions comme ne correspondant pas aux préconisations du médecin du travail puisque le poste impliquait une réunion commerciale trimestrielle au siège de la société et des formations dans l'atelier.

Le médecin du travail, interrogé par l'employeur, a exclu le 8 juin 2018 le reclassement de M. [O] sur les postes d'opérateur de laquage poudre et liquide et indiqué que le poste technicien méthodes et maintenance n'apparaissait pas pouvoir être proposé au salarié comme comportant un risque d'exposition aux irritants pulmonaires et ORL.

Il a estimé que le poste de commercial itinérant pouvait être proposé au salarié sous réserve de s'assurer de l'absence d'exposition aux irritants pulmonaires et ORL chez les clients. Cependant, comme l'observe justement le salarié, le médecin s'est prononcé au vu d'une fiche de reclassement qui évoque la réunion trimestrielle au siège de la société mais omet l'existence de formations au sein de l'atelier. Il ne peut donc pas être considéré que l'obligation de reclassement a été satisfaite par la proposition à M. [O] d'un tel poste.

Le document produit par la société comme étant le registre des entrées du personnel consiste en une liste de seize salariés, classés par ordre alphabétique, entrés dans l'entreprise entre le 3 janvier 2018 et le 16 juillet 2018. M. [O] souligne qu'une embauche a eu lieu le 18 juin 2018 sur un poste de technico-commercial sédentaire à [Localité 4], qui ne lui a pas été proposé. Il ajoute que la possibilité du télétravail n'a pas été étudiée.

La société Flip répond que M. [O] ne pouvait pas exiger la création d'un poste de commercial sédentaire en télétravail et qu'elle était dans l'impossibilité de lui proposer l'exécution de ses fonctions dans le cadre du télétravail. Elle ajoute qu'elle ne pouvait lui proposer le poste de technico-commercial sédentaire à [Localité 4] puisqu'il s'agissait du même emploi que celui précédemment occupé pour lequel il avait été déclaré inapte.

M. [O] réplique qu'il n'occupait pas un poste de technico-commercial mais de chargé d'affaires.

Les pièces produites ne permettent pas de déterminer si les postes de chargé d'affaires et de technico-commercial, sous des libellés distincts, étaient ou non identiques. Toujours est-il que le poste de technico-commercial, disponible au cours de la période de recherche de reclassement, n'a pas été recensé dans la fiche de recherche de reclassement au titre des postes ouverts et n'a pas été soumis à l'avis des délégués du personnel et du médecin du travail.

La fiche de reclassement fait référence s'agissant du poste de technico-commercial sédentaire à l'avis du comité d'entreprise réuni le 11 mai 2018 concluant à l'impossibilité d'occuper ce poste en télétravail.

Le compte rendu de la réunion du comité d'entreprise indique qu'une étude a été effectuée sur la possibilité du télétravail pour les postes de technico-commerciaux sédentaires, comptabilité et BE, que les conclusions sont négatives, que l'organisation mise en place nécessite en effet des contacts physiques à de nombreux moments de la journée (Popp 5, réunion de services, échanges interservices) et que les liaisons informatiques externes, dépendant des opérateurs, ne permettent pas un débit suffisant afin d'assurer la productivité et la qualité de service attendue.

M. [O] produit l'attestation de Mme [T], chargée d'affaires sédentaire. Elle affirme que le télétravail est possible puisque que les commerciaux itinérants travaillaient en home office et que certains collègues d'autres services (marketing') télétravaillent ponctuellement. L'appelant justifie par ailleurs que son domicile était équipé de la fibre.

La société Flip, qui y était invitée par les termes de l'avis d'inaptitude, n'a pas concrètement recherché si, au-delà de l'avis du comité d'entreprise qui portait sur une application généralisée du télétravail pour les postes de technico-commerciaux sédentaires, comptabilité et BE, la mise en 'uvre d'une telle modalité de travail n'était pas envisageable pour M. [O], notamment au regard de la liaison informatique entre son domicile et l'entreprise.

Ainsi, la société Flip ne justifie pas avoir satisfait à son obligation de reclassement, qui lui imposait d'évaluer la possibilité de mettre en 'uvre des mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

En application de l'article L.1226-15 du code du travail, M. [O] a droit au paiement d'une indemnité dont le montant est fixé conformément aux dispositions de l'article L.1235-3-1 du code du travail et qui, en considération de son ancienneté, de sa rémunération brute mensuelle, de son âge et de sa capacité à retrouver un nouvel emploi, sera évaluée à la somme de 16'000 euros, M. [O] ayant retrouvé un emploi dès octobre 2018 mais pour une brève durée de trois mois.

Sur la demande au titre de la procédure de licenciement

Il convient de constater que tout en demandant à la cour d'infirmer le jugement «'pour le surplus'» et donc en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, M. [O] ne formule pas en cause d'appel de demande indemnitaire à ce titre. Le jugement est donc confirmé de ce chef.

Sur la clause de non-concurrence

La clause de non-concurrence insérée au contrat de travail de M. [O] stipulait que la société se réservait la possibilité de réduire sa durée d'application (deux ans) ou de renoncer à son bénéfice en informant le salarié par lettre recommandée avec accusé de réception au plus tard huit jours après son dernier jour de travail.

La lettre de licenciement ne fait aucune référence à la clause de non-concurrence.

Plusieurs mails ont été échangés par les parties le 24 juillet 2018': M. [O] a invité son employeur, compte tenu de l'absence de renonciation à la clause de non-concurrence, à lui verser la contrepartie financière correspondante. Le président de la société lui a aussitôt répondu qu'il confirmait la levée de la clause de non-concurrence. M. [O] a répliqué que cette décision tardive était sans effet.

Par mail du lendemain, la société Flip a indiqué au salarié que la lettre de renonciation à la clause de non-concurrence avait été envoyée le 25 juin 2018 en recommandé, en même temps que le courrier de licenciement, ce que M. [O] a contesté en retour.

La société Flip produit une lettre datée du 25 juin 2018 par laquelle elle informe M. [O] qu'elle renonce à la clause de non-concurrence. Ce courrier, contrairement à la lettre de licenciement, ne comporte pas de numéro de recommandé. La preuve que ce courrier accompagnait la lettre de licenciement n'est pas rapportée.

En définitive, la société Flip ne rapporte pas la preuve qu'elle a envoyé ce courrier à M. [O] et qu'elle l'a délié de son interdiction de concurrence dans le délai prévu par la clause de non-concurrence. Elle est donc débitrice de la contrepartie financière stipulée au contrat de travail, soit une indemnité mensuelle égale à 3/10 de la rémunération mensuelle nette calculée sur la base de la moyenne des douze derniers mois précédant la rupture du contrat.

Contrairement à ce que la société Flip soutient, la période d'arrêt de travail doit être neutralisée et il convient de tenir compte de la moyenne des douze derniers mois précédant l'arrêt de travail. Le jugement est confirmé en ce qu'il a évalué les sommes dues au titre de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence à la somme de 12'589,44 euros, outre les congés payés afférents.

Sur les demandes accessoires

Le jugement est confirmé en ce qu'il a ordonné à la société Flip de remettre à M. [O] son attestation Pôle Emploi, désormais France Travail, son certificat de travail et son dernier bulletin de salaire rectifiés, sans qu'il soit nécessaire toutefois de prévoir une astreinte.

Il est également confirmé en ses dispositions relatives aux intérêts de retard et à l'article 700 du code de procédure civile.

Il convient de condamner la société Flip à payer à M. [O] la somme complémentaire de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.

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PAR CES MOTIFS

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La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

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Infirme le jugement déféré sur le montant du rappel de salaire, en ce qu'il a dit que la société Flip n'a pas failli à son obligation de reclassement et débouté M. [O] de sa contestation du bien-fondé du licenciement et en ce qu'il a assorti d'une astreinte l'obligation faite à la société Flip de remettre à M. [O] son attestation Pôle Emploi, son certificat de travail et son dernier bulletin de salaire rectifiés selon le jugement.

Statuant à nouveau de ces chefs':

Dit que le licenciement a été prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte.

Condamne la société Flip à verser à M. [O]':

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375 euros brut à titre de rappel de salaire

37,50 euros au titre des congés payés y afférents

16'000 euros à titre d'indemnité en application de l'article L.1226-15 du code du travail.

Dit n'y avoir lieu à assortir d'une astreinte l'obligation faite à la société Flip de remettre à M. [O] un bulletin de salaire et des documents de rupture rectifiés.

Confirme pour le surplus le jugement entrepris.

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Condamne la société Flip à verser à M. [O] la somme complémentaire de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

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Condamne'la société Flip aux dépens.

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LE GREFFIER

Serge LAWECKI

LE CONSEILLER

faisant fonction de président de chambre

Muriel LE BELLEC


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale c salle 1
Numéro d'arrêt : 21/00526
Date de la décision : 29/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-29;21.00526 ?
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