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07/03/2024 | FRANCE | N°21/04459

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 07 mars 2024, 21/04459


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 07/03/2024



****





N° de MINUTE :

N° RG 21/04459 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TZQQ



Jugement (N° 19/01738)

rendu le 06 juillet 2021 le tribunal judiciaire d'Avesnes-sur-Helpe







APPELANTS



Madame [F] [V]

née le [Date naissance 3] 1959 à [Localité 21]

[Adresse 12]

[Localité 13]



Monsieur [T] [

A]

né le [Date naissance 4] 1948 à [Localité 21]

[Adresse 2]

[Localité 15]



représentés par Me Jean-Pierre Congos, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistés de Me Philippe Ego, avocat au barreau d'Avesnes-sur-...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 07/03/2024

****

N° de MINUTE :

N° RG 21/04459 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TZQQ

Jugement (N° 19/01738)

rendu le 06 juillet 2021 le tribunal judiciaire d'Avesnes-sur-Helpe

APPELANTS

Madame [F] [V]

née le [Date naissance 3] 1959 à [Localité 21]

[Adresse 12]

[Localité 13]

Monsieur [T] [A]

né le [Date naissance 4] 1948 à [Localité 21]

[Adresse 2]

[Localité 15]

représentés par Me Jean-Pierre Congos, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistés de Me Philippe Ego, avocat au barreau d'Avesnes-sur-Helpe, avocat plaidant

INTIMÉS

Madame [K] [P]

née le [Date naissance 6] 1968 à [Localité 21]

[Adresse 9]

[Localité 11]

représentée par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Véronique Pioux, avocat au barreau d'Orléans, avocat plaidant

Monsieur [N] [A]

né le [Date naissance 7] 1950 à [Localité 21]

[Adresse 10]

[Localité 14]

représenté par Me Emile-Paul Cogniot, avocat au barreau d'Avesnes-sur-Helpe, avocat constitué

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Bruno Poupet, président de chambre

Céline Miller, conseiller

Camille Colonna, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

DÉBATS à l'audience publique du 19 juin 2023.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 07 mars 2024 après prorogation du délibéré en date du 19 octobre 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président, et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 30 mai 2023

****

[C] [A] et [Y] [E] se sont mariés sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts le [Date mariage 8] 1946 à [Localité 21] et de leur union sont nés quatre enfants :

- [T] [A], le 11 février 1948,

- [N] [A], le 21 août 1950,

- [F] [A] (épouse [V]), le 11 décembre 1959,

- [K] [A] (épouse [P]), le 20 juin 1968.

[C] [A] est décédé le [Date décès 5] 2012 à [Localité 21] et a laissé pour lui succéder son conjoint survivant et leurs quatre enfants.

[Y] [E] veuve [A] est décédée le [Date décès 16] 2017 à [Localité 21], laissant pour lui succéder ses quatre enfants à hauteur d'un quart chacun. Maître [Z] [R], notaire à [Localité 21], a été désigné afin de procéder au règlement amiable de la succession.

L'actif de la succession est principalement constitué :

- de la somme de 42 000 euros, prix de vente de l'immeuble situé [Adresse 17] à [Localité 21], réalisée selon acte du 8 juillet 2020,

- d'un compte bancaire commun n° [XXXXXXXXXX01], ouvert au nom de M. ou Mme [C] [A] auprès de la banque [18].

Par ailleurs, le 7 décembre 2017, M. [N] [A] et Mme [K] [P] ont perçu le montant de l'ensemble des quotités attribuées en exécution du contrat d'assurance-vie de [Y] [A], n°518 492411 07, souscrit par l'intermédiaire de la [19] auprès de la société [20].

Par actes des 20 et 26 novembre 2019, M. [T] [A] et Mme [F] [V] ont fait assigner Mme [K] [P] et M. [N] [A] devant le tribunal de grande instance d'Avesnes-sur-Helpe.

Par jugement contradictoire assorti de l'exécution provisoire du 6 juillet 2021, le tribunal judiciaire d'Avesnes-sur-Helpe a notamment :

- déclaré recevable et bien fondée l'action en partage engagée par les requérants,

- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l'indivision résultant de la communauté ayant existé entre [C] [A] et [Y] [E] et des successions de chacun d'eux,

- commis Me [Z] [R], notaire associé à 1'Office notarial des arts-notaires à [Localité 21], pour y procéder et rappelé la mission de celui-ci,

- dit que Me [R] répartirait les fruits de la vente du bien indivis entre M. [T] [A], Mme [F] [V], M. [N] [A] et Mme [K] [P] selon leurs parts et droits,

- débouté M. [T] [A] et Mme [F] [V] de leurs demandes de rapport à la succession de la somme de 35 270, 99 euros par Mme [K] [P] et M. [N] [A] et de condamnation in solidum de ces derniers à leur payer la somme de 17 635,50 euros,

- constaté comme étant sans objet la demande de M. [T] [A] et Mme [F] [V] visant à ordonner à Mme [K] [P] de rendre compte de sa gestion au titre de la procuration bancaire,

- débouté M. [T] [A] et Mme [F] [V] de leur demande de condamnation in solidum de Mme [K] [P] et M. [N] [A] au paiement de la somme de 11 100 euros à titre d'indemnité d'occupation pour la période du 6 juin 2017 au 8 juillet 2020,

- dit que chaque partie conserverait la charge de ses frais irrépétibles et débouté les parties de leurs demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté toute demande plus ample ou contraire des parties,

- dit que les dépens de l'instance seraient employés en frais généraux et privilégiés de partage.

M. [T] [A] et Mme [F] [V] ont interjeté appel de ce jugement et, aux termes de leurs conclusions notifiées le 3 novembre 2021, demandent à la cour, au visa des articles 912 et 1364 du code civil, L.132 du code des assurances, 815 et suivants du code de procédure civile, de :

- confirmer la décision en ce qu'elle a ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l'indivision résultant des successions de [C] [A] d'une part, [Y] [E] veuve [A] d'autre part et de la communauté ayant existé entre eux et en ce qu'elle a désigné Me [Z] [R], notaire associé, pour y procéder,

- infirmer le jugement précité en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes suivantes :

Tout en ordonnant le rapport à la succession de la somme de 35 270,99 euros, compte tenu des droits de chacun dans la succession, condamner in solidum Mme [K] [P] et M. [N] [A] à la somme de 17 635,50 euros,

Ordonner à Mme [P] de produire la procuration bancaire et de rendre compte de la gestion des intérêts de feu Mme [Y] [E],

Condamner de même in solidum les intimés au paiement de la somme de 11 000 euros au titre de l'indemnité d'occupation due sur la période du 6 juin 2017 au 8 juillet 2020 ;

Et dire et juger que le don manuel des 03 et 04 avril 2020, d'un montant de 11 000 euros devra faire l'objet d'un retour à succession,

- condamner de même solidairement les intimés, sur le fondement de l' article 700 du code de de procédure civile à un montant de 2 500 euros HT, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Jean-Pierre Congos.

Ils soutiennent et font valoir :

- que M. [N] [A] et Mme [K] [P] ont manifestement incité leur mère, vulnérable, à doubler la prime d'assurance-vie après les avoir institués seuls bénéficiaires de ce contrat par avenant du 6 novembre 2012, ce contrat ne présentant pour la souscriptrice aucune utilité économique et les primes versées étant manifestement excessives par rapport à sa retraite et à la valeur de sa maison.

- que Mme [P] ne verse pas aux débats le mandat de procuration sur le compte bancaire de leur mère et qu'il est insuffisant de se retrancher derrière la notion de présent d'usage pour tenter de justifier certains frais incohérents au regard du train de vie de la titulaire du compte,

- que seuls les intimés étaient détenteurs d'une clé de l'immeuble de [Localité 21] qu'ils ont occupé depuis le décès de leur mère jusqu'à la vente du bien, peu important qu'ils ne s'y soient rendus que par intermittence dès lors qu'eux-mêmes n'y avaient pas accès,

- que les deux chèques des 4 et 5 avril 2010 figurant aux comptes produits aux débats laissent présumer un don manuel au bénéfice des intimés d'un montant total de 11 000 euros dont ils doivent rapport à la succession.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 31 mars 2023, Mme [K] [P] demande pour sa part à la cour, au visa des articles 912 et 1364 du code civil, L.132-13 du code des assurances, 566 et 815 et suivants du code de procédure civile, de :

- déclarer mal fondé l'appel de Mme [F] [V] et de M. [T] [A] et les en débouter,

- confirmer le jugement entrepris, excepté en ce qui concerne les dispositions de fin de jugement,

- les débouter de leur demande de rapport à succession d'un montant de 11 000 euros au titre d'un don manuel,

- les débouter de toutes leurs demandes plus amples ou contraires à ses conclusions,

- les condamner solidairement au paiement de la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens de première instance et d'appel.

Elle expose et fait valoir :

- qu'elle n'était pas seule à détenir les clés du bien immobilier où elle se rendait ponctuellement afin de procéder à son entretien en vue de la vente, ayant son domicile personnel dans la région Centre,

- qu'au décès de son époux en 2012, Mme [Y] [A] a conservé le contrat d'assurance-vie ouvert en 2005 et y a placé la somme de 26 564,04 euros provenant d'un compte chèque non productif d'intérêts, les plafonds de placement sur ses autres comptes épargne étant atteints et ses ressources étant par ailleurs adaptées à ses charges et que le choix des bénéficiaires lui appartenait,

- qu'elle produit les procurations qu'elle avait, comme son frère [N], sur les comptes de leur mère et des relevés de comptes annotés par ses soins, accompagnés de factures justificatives, les dépenses de Mme [A] à son profit étant justifiées (présents d'usage, prise en charge partielle des frais de véhicule permettant de lui rendre visite, prise en charge de l'installation d'un vélux dans la chambre où sa mère séjournait lorsqu'elle venait chez elle),

- que la demande de rapport à la succession du don manuel des 3 et 4 avril 2010 est irrecevable dès lors qu'il s'agit d'une demande nouvelle devant la cour.

Enfin, par conclusions notifiées le 5 juin 2022, M. [N] [A] demande à la cour, au visa des articles 912 et 1364 du code civil, L.132-13 du code des assurances, 815 et suivants du code de procédure civile, de confirmer la décision entreprise excepté en ce qui concerne les dispositions de fin de jugement, de déclarer irrecevable et mal fondée la demande de Mme [F] [V] et de M. [T] [A] de qualification en don manuel et de retour à la succession des chèques des 3 et 4 avril 2010 d'un montant total de 11 000 euros, de les condamner in solidum à lui payer la somme de 2 500 euros H.T. au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Il fait valoir :

- que les appelants ne démontrent pas le caractère manifestement excessif des primes versées par leur mère sur le contrat d'assurance-vie, ni l'inutilité économique de l'opération, s'agissant du meilleur placement envisageable à l'époque, le choix des bénéficiaires ne dépendant que de la souscriptrice,

- que les suspicions des appelants relatives à l'exercice du mandat donné par leur mère à sa soeur, [K] [P], sont infondées, outre qu'il n'est pas démontré que ses parents n'étaient pas restés en pleine possession de leur facultés intellectuelles jusqu'à la fin de leur vie,

- qu'il ne passait qu'occasionnellement au domicile de feue Mme [Y] [A], pour l'entretien et qu'il n'est pas démontré une utilisation du bien indivis exclusive de celle des appelants,

- qu'il n'est pas justifié de la réalité des versements des 3 et 4 avril 2010, la demande de rapport étant irrecevable dès lors qu'elle n'a pas été évoquée en première instance.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il convient de préciser à titre liminaire que si Mme [F] [V] et M. [T] [A] ont formé appel de tous les chefs du jugement entrepris, ils sollicitent, au terme de leurs écritures, la confirmation des chefs relatifs à l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des indivisions résultant de la communauté ayant existé entre [C] [A] et [Y] [E] et des successions de ceux-ci et à la commission de Me [Z] [R] pour y procéder, Mme'[K] [P] et M. [N] [A], intimés, sollicitant également la confirmation de ces chefs.

Malgré une formulation assez confuse du dispositif concernant les chefs critiqués, il se comprend des conclusions des appelants qu'ils sollicitent l'infirmation du jugement en ce qu'il les a déboutés de leurs prétentions concernant lesquelles, statuant à nouveau, ils demandent à la cour d'ordonner le rapport à la succession de la somme de 35 270,99 euros et de condamner in solidum Mme [K] [P] et M. [N] [A] à leur payer la somme de 17 635,50 euros, d'ordonner à Mme [P] de produire la procuration bancaire et de rendre compte de la gestion des intérêts de feu Mme [Y] [E] et de condamner in solidum les intimés au paiement de la somme de 11 000 euros au titre de l'indemnité d'occupation due sur la période du 6 juin 2017 au 8 juillet 2020 ; qu'y ajoutant, ils demandent le rapport à la succession des dons manuels des 3 et 4 avril 2010, d'un montant de 11 000 euros.

Sur la demande de rapport à l'actif de la succession des primes du contrat d'assurance-vie

Aux termes de l'article 912 code civil, la réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s'ils sont appelés à la succession et s'ils l'acceptent ; la quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n'est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités.

L'article L.132-13 code des assurances dispose que le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant ; que ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

Le caractère manifestement excessif des primes s'apprécie au moment du versement, en fonction de l'âge ainsi que de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur et de l'utilité du contrat pour ce dernier.

Enfin, en application des dispositions de l'article 1353 du code civil, la charge de la preuve du caractère manifestement excessif des primes pèse sur l'héritier qui demande la réduction.

En l'espèce, [Y] [E] a souscrit le 18 janvier 2005 un contrat n° 518 492411 07 auprès de la [19], le bénéficiaire en cas de décès étant M. [C] [A], son époux. Celui-ci est décédé le [Date décès 5] 2012 et par avenant du 5 novembre 2012, la clause « bénéficiaire'» a été modifiée au bénéfice de Mme [K] [P] et de M. [N] [A] à parts égales, un versement ayant porté la valeur du contrat de 16 005,37 euros à 33 304,83 euros au 31 décembre 2012.

Aucun autre versement n'est intervenu jusqu'au décès de Mme [A] à la date duquel la valeur du contrat s'élevait à 35 270,99 euros par l'effet des valorisations. Le 7 décembre 2017, Mme [K] [P] et M. [N] [A] ont reçu paiement chacun de la moitié des fonds.

Suivant correspondance de la société [18], l'épargne détenue par Mme [A] au 11 avril 2012 s'élevait à 8 063,02 euros (LEP), 6 222,95 euros (LDD) et 15 868,54 euros (Livret A). Le compte chèque était créditeur de 26 564,04 euros au 30 juin 2012 (36 964,65 euros au 11 avril 2012).

Mme [A] était propriétaire de son domicile, vendu au prix de 42 000 euros le 8 juillet 2020, aucune estimation de la valeur du bien en 2012, lors du versement de la prime, n'étant produite aux débats.

Elle percevait des droits à la retraite à hauteur de 1259 euros (CPAM: 934 euros et ARRCO: 325 euros), outre l'aide personnalisée à l'autonomie à titre de prise en charge partielle des frais d'aide à domicile, lui laissant un « reste à charge'» mensuel de 114 euros en 2012 (212 euros en 2013).

Par conséquent, les primes versées en 2012 ne s'avèrent pas excessives eu égard aux ressources et à la totalité du patrimoine de la souscriptrice, l'utilité économique de ce placement étant manifeste en ce qu'il permettait de faire fructifier des sommes conséquentes, improductives sur un compte chèque, étant précisé qu'il est justifié de ce que ces sommes demeuraient à la libre disposition de Mme [A] en l'absence d'acceptation de la clause « bénéficiaire'» par lesdits bénéficiaires et que des versements ont d'abord été effectués jusqu'au plafond des autres supports productifs d'intérêts détenus par Mme[A] (LDD et livret A).

Si celle-ci était âgée de 84 ans en 2012 et connaissait une perte de mobilité, l'altération de son discernement à cette date n'est pas démontrée et le versement effectué était cohérent avec la stratégie de placement globale menée auparavant par les époux, déjà en euros, de sorte que les appelants ne démontrent pas que les intimés, notamment Mme [P] résidant à plusieurs centaines de kilomètres, aient, par ce versement, 'uvré à son détriment compte tenu de sa vulnérabilité.

C'est donc à bon droit que les premiers juges ont débouté les consorts [V]-[A] de leurs demandes de rapport des primes payées par Mme [A] au titre du contrat d'assurance-vie, de leur inclusion dans la masse de calcul de la quotité disponible et de condamnation de M. [N] [A] et Mme [K] [P] à leur verser 17 635,50 euros en restitution de ces sommes.

Sur la demande de rapport à la succession d'un don manuel des 3 et 4 avril 2010

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

L'article 565 du même code précise que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

Il est constant qu'en matière de partage de succession, les parties étant respectivement demanderesses et défenderesses quant à l'établissement de l'actif et du passif, toute demande doit être considérée comme une défense à une prétention adverse.

Par conséquent, la demande de Mme [F] [V] et de M. [T] [A] tendant au rapport à la succession de dons manuels qui auraient été effectués les 3 et 4 avril 2010 par leur mère au profit des intimés, d'un montant de 11 000 euros, est recevable quand bien même elle a été formée pour la première fois en cause d'appel.

L'article 843 alinéa 1 du code civil dispose que tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; qu'il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.

Les appelants produisent les copies de deux chèques des 3 et 4 avril 2010, chacun pour un montant de 5 500 euros, signés de Mme [A], l'un à l'ordre de M. [N] [A], l'autre à celui de Mme [P].

Les intimés ne contestant pas avoir encaissé ces sommes, l'appauvrissement du donateur et l'enrichissement réciproque des donataires est démontré et, faute d'explication sur leur cause et de contestation par ces derniers, à la lecture de leurs conclusions, de l'intention libérale de la donatrice, ces pièces attestent deux dons manuels constituant des libéralités dont les héritiers bénéficiaires doivent le rapport à la succession.

Il sera donc fait droit à la demande des appelants sur ce point.

Sur la demande de reddition du compte bancaire

L'article 1993 du code civil dispose que tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion et de faire raison au mandant de tout ce qu'il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu'il aurait reçu n'eût point été dû au mandant.

M. [T] [A] et Mme [F] [V] sollicitent la reddition de l'utilisation du compte bancaire n°[XXXXXXXXXX01], ouvert au nom de M. ou Mme [C] [A] auprès de la banque [18] dénonçant des opérations suspectes alors que Mme [K] [P] gérait les affaires de leur mère.

Cependant, ainsi que cela a été relevé en première instance, ils ne spécifient pas les opérations qu'ils jugent suspectes (dates et numéros des chèques).

Mme [P] produit la procuration générale signée le 25 avril 2012 par laquelle sa mère lui donne pouvoir pour faire fonctionner les comptes ouverts à son nom ainsi que, correspondant aux annotations qu'elle a portées sur les relevés de compte, des factures, des courriers personnels qui lui ont été adressés lors d'événements familiaux et des copies de formules de chèque signées par Mme [A]. Si toutes les opérations bancaires ne sont pas recensées, ces pièces attestent un suivi des comptes, le paiement régulier de charges, certaines pour des montants significatifs (factures de portage des repas, impôts, achats d'équipement, courses), des sommes remises pour des occasions particulières permettant d'en déduire la nature de présents d'usage. Elles attestent également un fonctionnement d'avance/remboursement de certains frais entre Mme [P] et sa mère, ayant antérieurement existé aussi avec les époux [V].

S'agissant des dépenses de Mme [A] effectuées au profit de Mme [P] (paiement de frais relatifs aux trajets ou à l'entretien du véhicule, paiement de l'installation d'un velux au domicile de Mme [P]), dans un contexte de suivi à distance quotidien et de soins apportés à Mme [A] par sa fille, de visites régulières impliquant des trajets importants, d'accueil à son propre domicile impliquant des aménagements de confort dont bénéficiait Mme [A], ce qui n'est pas réellement contesté par les appelants, en l'absence d'élément laissant supposer une altération du discernement, ces frais s'apparentent à des participations volontaires au soutien prodigué par Mme [P].

Dès lors, considérant la durée du mandat et les demandeurs ne remettant pas en cause le solde des comptes objet de la procuration, ni ne formulant de demande de rapport à l'actif de la succession de ces sommes, il a été pertinemment jugé, pour les débouter de leur demande de reddition du compte bancaire, qu'au regard des justificatifs produits par Mme [K] [P] dans le cadre de la procédure, il y avait lieu de considérer qu'elle avait rendu compte de sa gestion au titre de la procuration dont elle disposait sur le compte de Mme [A] et que les soupçons exprimés par les demandeurs étaient insuffisants pour justifier la mission d'investigation qu'ils voulaient voir confier au notaire liquidateur.

Sur la demande de paiement d'une indemnité d'occupation

Selon l'article 815-9 code civil, chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l'effet des actes régulièrement passés au cours de l'indivision. A défaut d'accord entre les intéressés, l'exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal. L'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité.

Cette indemnité n'est due, même en l'absence d'occupation effective des lieux, que si l'usage que fait un indivisaire de l'immeuble exclut un usage de celui-ci par ses co-indivisaires.

En l'espèce, il est établi que Mme [P] a son domicile et le centre de ses intérêts personnels et professionnels à plusieurs centaines de kilomètres de [Localité 21]. Il ressort des attestations produites qu'après le décès de sa mère, elle ne s'y est rendue qu'occasionnellement pour entretenir le bien, M. [N] [A] reconnaissant avoir également pris part à cet entretien comme résidant à proximité. Si ces derniers détenaient des clés de l'immeuble, cette situation n'implique pas que les appelants n'en aient pas possédé et ces derniers ne démontrent pas avoir demandé et/ou avoir été empêchés d'accéder à l'immeuble, notamment en utilisant le jeu de clé remis à l'agence immobilière.

Le transfert du contrat de fourniture d'électricité de l'immeuble de [Localité 21] au nom de Mme [P] à la suite du décès de Mme [A] correspond à une démarche de gestion, insuffisante pour démontrer une occupation effective ou exclusive du bien.

C'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu que Mme [F] [V] et M.'[T] [A] ne démontraient pas que M. [N] [A] et Mme [K] [P] aient usé ou joui du bien indivis au mépris de leurs droits concurrents sur le bien et les ont déboutés de leur demande à ce titre, de sorte qu'il y lieu de confirmer le jugement sur ce point.

Sur les demandes accessoires

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, chaque partie succombant partiellement en ses demandes, il convient de dire que les dépens de l'instance seront employés en frais généraux et privilégiés de partage et que chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles, les dispositions du jugement entrepris sur les mêmes fondements étant confirmées.

PAR CES MOTIFS

La cour

confirme le jugement entrepris,

y ajoutant,

déclare recevable la demande de Mme [F] [V] et M. [T] [A] de rapport à la succession de la somme de 11 000 euros au titre de dons effectués les 3 et 4 avril 2010,

dit que Mme [K] [P] et M. [N] [A] doivent rapporter à la succession de [Y] [E] la somme de 5 500 euros chacun à ce titre,

déboute les parties de leurs demandes fondées sur les articles 696 et 700 du code de procédure civile,

dit que les dépens de l'instance seront employés en frais généraux et privilégiés de partage.

Le greffier

Delphine Verhaeghe

Le président

Bruno Poupet


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 21/04459
Date de la décision : 07/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-07;21.04459 ?
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