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07/03/2024 | FRANCE | N°20/04208

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 07 mars 2024, 20/04208


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 07/03/2024



****





N° de MINUTE :

N° RG 20/04208 - N° Portalis DBVT-V-B7E-THXH



Jugement (N° 17/01279)

rendu le 02 septembre 2020 par le tribunal judiciaire d'Arras







APPELANTES



La SCA Natur'coop ancinennement dénommée Société Coopérative Agricole France Endive

prise en la personne de ses représentants légauxr>
ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 3]



La SA France Nord Fruits et Légumes

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 3]



représentées pa...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 07/03/2024

****

N° de MINUTE :

N° RG 20/04208 - N° Portalis DBVT-V-B7E-THXH

Jugement (N° 17/01279)

rendu le 02 septembre 2020 par le tribunal judiciaire d'Arras

APPELANTES

La SCA Natur'coop ancinennement dénommée Société Coopérative Agricole France Endive

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 3]

La SA France Nord Fruits et Légumes

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 3]

représentées par Me Philippe Meillier, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué

assistées de Me Valérie Bittoun, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

INTIMÉES

La SCA Perle Union

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 4]

La SAS Groupe Perle du Nord

prise en la personne de ses représentants Légaux

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 4]

représentées par Me Bernard Franchi, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistées de Me Damien Laugier, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Bruno Poupet, président de chambre

Céline Miller, conseiller

Camille Colonna, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

DÉBATS à l'audience publique du 22 mai 2023, après rapport oral de l'affaire par Bruno Poupet.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 7 mars 2024 après prorogation du délibéré en date du 21 septembre 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président, et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 11 mai 2023

****

En 1991, le Comité économique agricole des légumes et fruits du Nord de la France (CELFNORD) a déposé différentes marques d'endives et de carmines sous le nom « Perle du Nord'» dont l'exploitation a été tacitement concédée à six sociétés coopératives agricoles dont la société France Endive.

En juillet 2004, toutes ces sociétés ont fondé la société par actions simplifiées Perle du Nord, devenue ensuite la SAS Groupe Perle du Nord, ayant pour objet la fourniture de prestations de services en matière de marketing, d'image, d'amélioration et de qualité, et en 2005, celle-ci a acquis du CELFNORD la propriété des marques collectives «'Perle du Nord'».

En 2009, la société Groupe Perle du Nord a fondé la SASU Perle du Nord dont l'objet social était l'acquisition de la production d'endives et de carmines des organisations de producteurs membres de la société et sa commercialisation pour le compte de cette dernière.

Par actes sous seing privé de 2009 et 2011, reconduits en 2014, la société anonyme France Nord Fruits et Légumes, filiale de la société France Endive, a conclu avec la société Perle du Nord un contrat de commissionnaire à la vente aux termes duquel elle s'engageait à commercialiser la production d'endives et carmines mise à sa disposition par son contractant et un contrat de commissionnaire à l'achat aux termes duquel elle s'engageait à céder à sa co-contractante toute production d'endives ou carmines acquise auprès de tiers.

Le 28 septembre 2011, le conseil d'administration de la société Groupe Perle du Nord a décidé du changement de statut de la marque 'Perle du Nord' en une marque d'entreprise dont l'exploitation devait être accordée par licence aux sociétés coopératives associées de la société Groupe Perle du Nord.

En juin 2012, les six sociétés coopératives agricoles composant la société Groupe Perle du Nord ont fondé l'union des sociétés coopératives agricoles (UCA) Perle Union dont l'objet social est l'acquisition, la collecte et la commercialisation des produits de ses associées, celles-ci ayant l'obligation de lui livrer l'intégralité de leurs productions d'endives et de carmines. En parallèle, l'UCA Perle Union est venue aux droits de la société Perle du Nord par acquisition de son fonds de commerce incluant notamment les contrats de commissionnaires.

A partir de 2014, des différends se sont élevés entre les sociétés France Endive et France Nord Fruits et Légumes d'une part, les sociétés Groupe Perle du Nord et Perle Union d'autre part, en raison notamment :

- de l'opposition de France Endive au projet exposé par la société Perle Union d'acquérir les sociétés commerciales Prymex et Endelis, spécialisées dans la commercialisation des fruits et légumes en gros, dans le but de réorganiser le réseau de commercialisation, projet que France Endive considérait comme exorbitant et inopportun,

- de la négociation par France Endive d'un partenariat avec la société Fruidor Terroir dont Perle Union mettait en doute la compatibilité avec leurs engagements réciproques, les contrats de commissionnaires étant des contrats exclusifs et Fruidor Terroir étant l'un de ses concurrents,

- de l'élaboration par la société Groupe Perle du Nord, courant 2015, d'un contrat de licence exclusive de la marque «'Perle du Nord'» à l'UCA Perle Union et de contrats de sous-licence de cette marque par la société Perle Union à ses associées ainsi qu'à des tiers non associés.

Le 25 février 2015, l'assemblée générale ordinaire de l'UCA Perle Union n'a pas renouvelé le mandat de la société France Endive au conseil d'administration.

Par lettre recommandée en date du 24 décembre 2015, la société France Endive a fait connaître à la société Perle Union son intention de ne pas renouveler son adhésion à l'issue de son engagement, courant jusqu'au 31 août 2016.

Par lettre recommandée en date du 22 mars 2016, la société Perle Union a fait connaître à la société France Nord Fruits et Légumes la résiliation, le 31 août 2016, des contrats de commissionnaire les liant en raison du retrait de la société France Endive.

Parallèlement, par lettre recommandée en date du 7 janvier 2016, la société Perle Union a proposé à la société France Endive de souscrire une sous-licence des marques «'Perle du Nord'» en sa qualité d'associée.

Par courriers en date des 30 mai et 11 juillet 2016, la société France Endive a fait connaître aux sociétés Groupe Perle du Nord et Perle Union son refus de conclure un contrat de sous-licence et a sollicité l'octroi d'un contrat de licence par la société Groupe Perle du Nord.

Dans le même temps, la société France Nord Fruits et Légumes a fait connaître aux deux sociétés sus-mentionnées sa volonté, tout comme celle de France Endive, de continuer à utiliser les marques «'Perle du Nord'» après la cessation de leurs engagements contractuels, considérant qu'elles étaient toujours détenues collectivement par les producteurs.

Aux termes de différents courriers recommandés de 2016, la société Perle Union a exposé à la société France Endive et à sa filiale que l'attribution d'une licence d'exploitation des marques « Perle du Nord'» était impossible dès lors que celle qu'elle détenait de la société Groupe Perle du Nord était exclusive et a proposé d'octroyer à la société France Endive, à l'issue de l'engagement en son sein, une sous-licence comme tiers non-associé.

Le 24 janvier 2017, l'assemblée générale extraordinaire de la société Groupe Perle du Nord, à laquelle la société France Endive, convoquée par courrier en date du 6 janvier 2017, n'a pas assisté, a décidé de l'exclusion statutaire de « plein droit de celle-ci en raison de la perte à son initiative de la qualité d'associé coopérateur'».

Par actes d'huissier en date du 24 juillet 2017, la société France Endive et sa filiale ont fait assigner les sociétés Groupe Perle du Nord et Perle Union devant le tribunal de grande instance d'Arras aux fins d'obtenir l'indemnisation des préjudices qu'elles disaient résulter pour elles de la rupture de leurs relations sociales aux torts des défenderesses.

Par actes du 31 mai 2018, elles ont de nouveau fait assigner la société Perle Union, cette fois-ci seule, devant le tribunal de grande instance d'Arras afin d'obtenir, notamment, le paiement du prix ou du complément de prix des ventes de produits agricoles qu'elles lui avaient cédés entre 2012 et 2017.

Les deux instances ont été jointes.

Par jugement assorti de l'exécution provisoire en date du 2 septembre 2020, le tribunal judiciaire d'Arras :

- a rejeté l'exception, soulevée par les sociétés Groupe Perle du Nord et Perle Union, de nullité des assignations délivrées à leur encontre le 24 juillet 2017,

- a débouté la société France Endive et sa filiale de l'intégralité de leurs demandes indemnitaires dirigées contre les sociétés Groupe Perle du Nord et Perle Union,

- les a condamnées in solidum à verser à ces dernières, prises ensemble, outre les entiers dépens de l'instance, la somme de 10 000 euros en indemnisation des frais exposés et non compris dans les dépens, et les a déboutées de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés Natur'coop (anciennement France Endive) et France Nord Fruits et Légumes ont interjeté appel de cette décision et, aux termes de leurs dernières conclusions remises le 5 avril 2023, demandent à la cour, au visa des anciens articles 1134 et 1147 et suivants du code civil, d'infirmer ledit jugement, sauf en ce qu'il a rejeté l'exception aux fins d'annulation de l'assignation soutenue par les sociétés Groupe Perle du Nord et Perle Union, et, statuant à nouveau, de condamner ces dernières à payer :

- à la société France Endive, les sommes de 1 294 454,73 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice financier et de 100 000 euros au titre du préjudice moral,

- la société France Nord Fruits et Légumes, les sommes de 66 476,05 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice financier et de 50 000 euros au titre du préjudice moral,

- à chacune d'elles, outre les dépens dont distraction au profit de la SCP Meillier-Thuilliez en application de l'article 699 du code de procédure civile, 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de leurs dernières conclusions en date du 28 avril 2022, les sociétés Groupe Perle du Nord et Perle Union demandent à la cour, au visa des anciens articles 1134 et 1147 du code civil, de l'article 2052 du même code et des articles 9, 15, 122, 696 et suivants et 700 du code de procédure civile, de confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, dire et juger irrecevables et mal fondées les demandes formulées par les sociétés appelantes, débouter celles-ci de l'ensemble de leurs demandes et les condamner au paiement de la somme de 50 000 euros à chacune d'elles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit pour la SCP Processuel de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé de leur argumentation.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour observe que les intimées, tout en lui demandant de déclarer les prétentions des appelantes « irrecevables'» et mal fondées, ne soulèvent aucune fin de non-recevoir et que la recevabilité des demandes des appelantes n'est donc, en réalité, pas discutée.

***

Les prétentions de la société Natur'coop, que l'on désignera ultérieurement et par commodité par le nom de « France Endive'» qu'elle portait à l'époque du litige objet de la présente procédure, et la société France Nord Fruits et Légumes, présentées au visa des articles 1134 et 1147 du code civil, sont fondées expressément sur la responsabilité contractuelle.

Cependant, elles sont formées indistinctement par les deux sociétés appelantes contre les deux sociétés intimées. Or, si les intérêts de Natur'coop et de France Nord sont intimement liés et si ces dernières semblent imputer aux sociétés Groupe Perle du Nord et Perle Union un même manquement à l'obligation de loyauté comme ayant agi de manière concertée, les liens juridiques unissant ces diverses sociétés ne sont pas identiques et doivent être identifiés individuellement pour l'appréciation de leur bien-fondé qui suppose un lien contractuel.

Ainsi que le rappelle à juste titre la société Natur'coop, il est constant que les sociétés coopératives, que la loi du 10 septembre 1947 définit comme des sociétés constituées par plusieurs personnes volontairement réunies en vue de satisfaire à leurs besoins économiques ou sociaux par leur effort commun et la mise en place des moyens nécessaires, forment, ainsi que leurs unions, une catégorie spéciale de sociétés, distinctes, par l'esprit dont elles procèdent, des sociétés civiles et des sociétés commerciales, et que l'adhérent à une coopérative agricole, à la différence de l'associé d'une société « classique'», est uni à celle-ci par un contrat sui generis, le contrat de coopération ou d'apport, définissant des services et prestations que les parties s'engagent à se fournir mutuellement et exclusivement.

La société Natur'coop peut donc rechercher la responsabilité contractuelle de l'UCA Perle Union en arguant de manquements de celle-ci à ses obligations.

En revanche, si elle est associée de la société par actions simplifiée Groupe Perle du Nord, elle n'est pas, avec celle-ci, dans une relation contractuelle et ses demandes dirigées contre ladite société, en ce qu'elles sont fondées sur la responsabilité contractuelle, ne peuvent prospérer.

La société France Nord Fruits et Légumes, quoique demandant expressément, par le dispositif de ses conclusions, la condamnation des deux intimées à lui payer certaines sommes, admet, en page 30 de ses conclusions, qu'elle n'était pas liée à la société Groupe Perle du Nord, ajoutant même que « le contraire n'était pas et n'est pas allégué'», et que ses demandes visent la seule société Perle Union, à laquelle l'unissaient les contrats de commissionnaires susvisés, ce dont la cour prend acte.

Par conséquent, seule l'éventuelle responsabilité contractuelle de l'UCA Perle Union à l'égard de chacune des deux sociétés appelantes est à examiner.

***

L'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016, applicable au présent litige, dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise ; qu'elles doivent être exécutées de bonne foi.

C'est sur ce dernier point que les appelantes fondent essentiellement leur argumentation en alléguant un manque de loyauté de l'intimée, caractérisé par un ensemble de faits énumérés page 34 de leurs conclusions et explicités par la suite.

Elles soutiennent ainsi qu'à la suite de l'opposition de France Endive à son projet d'achat des sociétés Prymex et Endelis au mois de novembre 2014, Perle Union, en concertation avec Groupe Perle du Nord, a fait preuve à son égard d'un « ostracisme désinhibé'» et multiplié les man'uvres afin de « se débarrasser'» d'elle, aboutissant à son «'exclusion de fait'», et ce par son exclusion illicite du conseil d'administration, des attaques contre sa coopération commerciale naissante avec Fruidor, sa mise en cause injustifiée et diffamatoire dans la presse spécialisée, une tentative d'exclusion au mépris des dispositions réglementaires et statutaires, une modification soudaine des conditions d'utilisation de la marque Perle du Nord, la décision abusive de limitation de la clientèle de France Nord Fruits et Légumes, la résiliation de contrats de commissionnaire.

Perle Union se défend de l'intention qui lui est ainsi prêtée et conteste les irrégularités qui lui sont reprochées, soutenant avoir au contraire toujours tenté de trouver des solutions amiables à une divergence de vues exprimée de plus en plus catégoriquement par France Endive et attribuant à l'obstination et à la propre déloyauté de cette dernière la responsabilité de ce qui, en tout état de cause, n'est pas une «'exclusion'» mais un retrait volontaire de l'union.

SUR CE

Il convient de souligner d'emblée que c'est effectivement la société France Endive qui a notifié le 24 décembre 2015 à Perle Union sa décision de ne pas renouveler son adhésion à l'union au terme de celle-ci fixé au 31 août 2016 et l'a donc quittée de son propre chef.

Il ressort des différents procès-verbaux de réunions du conseil d'administration de l'UCA Perle Union et de courriers échangés à l'occasion du projet d'achat des sociétés Prymex et Endelis par celle-ci à la fin de l'année 2014 que, si France Endive y était opposée (comme la société Sipema dans un premier temps, qui s'y est ralliée ensuite) et que M.'[B], son président, a exprimé fermement cette opposition mais aussi dénoncé des irrégularités affectant selon lui le procès-verbal du conseil d'administration du 5 novembre 2014, Perle Union a en définitive décidé, compte tenu de l'opposition de France Endive, de faire concrétiser le projet par une structure distincte, constituée par ceux de ses membres qui y étaient favorables. Il est probable que cette circonstance a écorné l'esprit d'union et de coopération existant entre les membres de l'UCA Perle Union mais cette dernière ne s'étend nullement sur l'existence de conséquences sérieusement dommageables qui auraient pu résulter pour elle de la solution adoptée et générer de sa part une ranc'ur à l'égard de France Endive et, à ce stade, une volonté de se séparer d'elle.

Le 21 janvier 2015, M. [B] a informé Perle Union d'une prochaine coopération entre France Endive et Fruidor Terroir.

Le lendemain, 22 janvier 2015, ces deux dernières sociétés ont fait paraître un communiqué de presse révélant qu'elles avaient signé une lettre d'intention en vue d'une collaboration mutuelle, présentant les objectifs et les ambitions de celle-ci, parmi lesquels « la construction d'un aval commun'».

Il ressort des différentes pièces versées aux débats à ce sujet (lettres recommandées et PV de conseil d'administration des mois de février et mars 2015) que ce que les appelantes présentent comme des « attaques'» de ce projet par l'intimée sont en réalité des demandes d'explication et de précision sur les modalités juridiques et concrètes de la collaboration annoncée, certes insistantes mais compréhensibles au regard du risque de violation des engagements des appelantes à l'égard de l'union tels qu'ils résultent de l'article 8 des statuts et des contrats de commissionnaires et de ce que Fruidor, compte tenu de sa notoriété et de l'ampleur de ses débouchés, était un concurrent sérieux, même si les endives ne représentaient jusque là qu'une part modeste de sa commercialisation.

Rien ne permet d'attribuer à Perle Union, même s'il y est fait état d'informations fournies par l'un des coopérateurs de l'union (étant rappelé qu'ils étaient six) qui n'engage pas pour autant celle-ci, l'initiative de la parution d'un article publié le 25 février 2015 dans le magazine FLD, présentant une nouvelle orientation de France Endive avec des informations que celle-ci considère comme erronées et qui ont justifié de sa part l'exercice de son droit de réponse le 4 mars suivant, ni, à sa lecture, de le considérer comme «'diffamatoire'» ainsi que le présentent les appelantes, c'est à dire portant atteinte à son honneur et à sa considération.

Lors de l'assemblée générale de l'UCA du 25 février 2015, le mandat d'administrateur de France Endive n'a pas été renouvelé.

Cette dernière soutient qu'il s'agit d'une décision illicite car contraire à l'article 20-1°,'§2, des statuts, ainsi rédigé : « afin d'assurer la représentativité des associés coopérateurs, la composition du conseil d'administration est organisée selon les modalités suivantes : au moins un mandataire par associé coopérateur personne morale membre de l'union'».

Cependant, le paragraphe 1 de cet article 20-1° stipule que l'union est administrée par un conseil composé de 2 à 8 membres élus par l'assemblée générale parmi les associés coopérateurs à la majorité des suffrages exprimés.

Ceci est conforme à l'article R 524-1, alinéa 3, du code rural selon lequel « les administrateurs, choisis parmi les associés coopérateurs, sont élus par l'assemblée générale à la majorité des suffrages exprimés'».

L'article 21 des statuts stipule pour sa part que tout associé coopérateur élu membre du conseil d'administration de l'union est représenté au sein de ce conseil par un ou plusieurs mandataires personnes physiques dudit associé et désignée par son organe d'administration.

Comme le font valoir les intimées, la stipulation dont se prévaut France Endive, qui revient à faire de chaque coopérateur un membre de droit du conseil d'administration, est en contradiction évidente avec la phrase précédente selon laquelle l'union est administrée par un conseil de 2 à 8 membres et avec la règle à la fois statuaire et réglementaire de l'élection de ces membres choisis parmi les associés coopérateurs.

France Endive ne peut dès lors valablement soutenir que le non-renouvellement de son mandat d'administrateur, et non son exclusion du conseil d'administration, est manifestement «'illicite'».

Dans ces conditions, le fait que l'assemblée générale ait, peu après, modifié les articles susvisés des statuts ne saurait davantage être considéré comme étant l'aveu de l'irrégularité de l'exclusion de France Endive et une tentative de régulariser celle-ci a posteriori mais plutôt comme destiné à rendre leur cohérence auxdits articles à la faveur de la mise en évidence, par le litige qui en est résulté, de la contradiction qu'ils contenaient.

Au demeurant, France Endive n'a pas estimé devoir agir en annulation de la décision de l'assemblée générale, ce qui peut faire douter de sa conviction, et la perte de son mandat n'était pas définitive puisqu'il lui était loisible, en vertu des statuts, de se porter à nouveau candidate une autre année, de sorte qu'elle n'était pas privée à jamais de toute possibilité de participer à la gestion et à la politique de l'union.

Il est exact que Perle Union a engagé au mois de mars 2015 une procédure d'exclusion de France Endive au visa de l'article 12.1 des statuts qui le permettent, notamment, à l'encontre d'un associé qui a nui ou tenté de nuire sérieusement à l'union par des actes injustifiés, et a évoqué à ce titre, dans la lettre de convocation de M. [B] au conseil d'administration du 25 mars 2015 destiné à l'examen de cette question, le refus de France Endive d'apporter des explications documentées sur son projet de collaboration avec Fruidor. Cette initiative de l'union n'était donc pas dépourvue de tout fondement et méritait à tout le moins un débat qui était offert à «'l'accusée'». Le conseil a d'ailleurs sursis à statuer en raison de l'absence, ce jour-là, de M.'[B], empêché, et de la lettre que celui-ci lui avait fait parvenir avec copie à ses co-associés coopérateurs et à diverses autorités, et la procédure en est restée là.

Les appelantes, enfin, ne peuvent raisonnablement soutenir que Groupe Perle du Nord et Perle Union ont élaboré une ultime man'uvre afin de les priver de l'usage de la marque Perle du Nord par une modification soudaine du statut de la marque collective, devenue marque d'entreprise, et des conditions d'usage de celle-ci prévoyant la concession par Groupe Perle du Nord à Perle Union d'une licence d'exploitation de la marque et possibilité pour cette dernière d'accorder des sous-licences, et par la proposition qui aurait été faite perfidement à France Endive, à une date où la fin prochaine de son adhésion était acquise, d'une sous-licence supposant la qualité d'adhérent, alors qu'il est établi, d'une part, que lors d'un conseil d'administration de Groupe Perle du Nord du 28 septembre 2011,auquel participait M. [B], il a été décidé «'le changement du statut de la marque Perle du Nord qui devient marque d'entreprise et la mise en place d'un contrat de licence entre la SAS Groupe Perle du Nord et les utilisateurs actuels de la marque'», étant observé que l'UCA Perle Union n'existait pas encore et que le double degré licence/sous-licence ne pouvait encore être envisagé, d'autre part qu'il a été proposé à France Endive une sous-licence « adhérent'» puis, compte tenu de la décision de cette dernière, notifiée en décembre 2015, de ne pas renouveler son adhésion à l'expiration de celle-ci le 31 août 2016, une sous-licence en qualité de « tiers non associé'». Les premiers juges ont relevé avec exactitude que les appelantes ne s'expliquaient pas sur le refus opposé aux offres reçues en dehors d'une critique générale et non motivée du nouveau système juridique d'exploitation de la marque adoptée par les associées de la société Perle Union.

Il n'y a pas lieu d'évoquer l'exclusion de France Endive, critiquée par celle-ci, de Groupe Perle du Nord dès lors qu'elle n'est pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle, seul fondement de son action, de cette dernière.

Ce qui est certain, c'est l'apparition dès 2014 de divergences de points de vue et de stratégies entre France Endive et Perle Union. Un article du 3 juin 2016 relatif à la collaboration entre France Endive et Fruidor Terroir sur le point d'être mise en 'uvre rapporte le propos de M.'[U] [T] [directeur général de France Endive et France Nord Fruits et Légumes] selon lequel « les divergences avec Perle Union étaient devenues trop grandes pour que nous puissions continuer'». M. [B] évoque lui-même dans une lettre du 25 mars 2015 une perte de «'l'affectio societatis'», tout cela étant différent d'une sorte de persécution de la part de Perle Union.

Le même article évoque un épisode survenu dans l'organisation économique de la filière légume du Nord-Pas-de-Calais en janvier 2014 et rapporte un autre propos de M.'[T] à ce sujet, à savoir, « A partir de là, nous avons cherché un nouveau partenaire, d'envergure régionale ou nationale, pour ne pas rester seuls. L'amont est quelque chose que nous maîtrisons mais il nous fallait un partenaire pour améliorer l'aval'». Il en résulte que cette recherche, qui l'a conduite à Fruidor Terroirs, a été menée dans le courant de 2014 et Perle Union fait valoir de manière convaincante que la publication le 21 janvier 2015 d'une lettre d'intention que les deux sociétés, France Endive et Fruidor, avaient déjà conçue et fait valider par leurs conseils d'administration respectifs permet de penser que le début des négociations ne datait pas de quelque jours, ce que conforte le refus de communiquer la lettre d'intention en question. La cour n'est pas en mesure d'apprécier dans quelle mesure une telle collaboration était compatible avec le respect parallèle des engagements réciproques de France Endive et Perle Union, ce que cette dernière paraît ne pas exclure puisqu'elle n'a pas condamné d'emblée le projet mais exigé à juste titre des précisions, mais le refus de France Endive d'apporter ces précisions au prétexte que l'opération était tout juste naissante a pu légitimement contrarier Perle Union.

Ces éléments, comme l'évocation par les intimées d'une opposition systématique de France Endive et d'une certaine « lassitude'» de Perle Union de devoir y répondre, expliquent sans doute le non-renouvellement du mandat d'administrateur de France Endive, dans des conditions régulières, et l'engagement d'une procédure d'exclusion non menée à son terme. Ceci ne permet pas pour autant de taxer Perle Union de déloyauté, le tribunal ayant relevé pertinemment que pour établir la mauvaise foi de la société Perle Union et de la société Groupe Perle du Nord, les demanderesses s'appuyaient exclusivement sur leur propre interprétation des décisions prises par ces sociétés mais qu'aucune pièce ne permettait de tenir pour acquis que celles-ci auraient dès l'année 2014 projeté de rompre leurs relations avec la société France Endive et fait usage de mauvaise foi des dispositions statutaires pour y parvenir, le rapport du Haut Conseil de la coopération agricole, saisi par France Endive, n'ayant d'ailleurs pas relevé de discrimination à l'égard de celle-ci ni, plus généralement, d'inégalités de traitements au sein de l'union.

La limitation de clientèle notifiée par Perle Union à France Nord Fruits et Légumes le 2 septembre 2015, si elle peut susciter un débat dès lors que l'article 1 du contrat de commissionnaire confère à cette dernière le droit de vendre « sans limitation géographique ni de clientèle'» mais « dans les conditions ci-après précisées'» et que l'article 2.1 stipule que le commissionnaire ne pourra utiliser la marque Perle du Nord que « conformément aux instructions du commettant'», ne peut à elle seule, dans ce contexte, caractériser la déloyauté dont les appelantes taxent Perle Union et a fortiori permettre de considérer celle-ci comme suffisante pour justifier sa décision de quitter l'union.

Dans ces conditions, c'est encore à juste titre que le tribunal a relevé en substance qu'à la date du 24 décembre 2015, à laquelle la société France Endive avait formalisé cette décision, elle avait seulement perdu le droit d'être représentée au conseil d'administration de la société Perle Union, ce dont elle dit que le tribunal a minimisé l'importance mais dont il a été vu que cela n'était pas nécessairement définitif et lui est en tout cas en partie imputable, que, contrairement à ce qu'elle affirme, elle n'était pas menacée par la perte de l'usage des marques Perle du Nord, l'octroi d'une sous-licence d'exploitation étant de droit pour les sociétés coopératives associées de l'union, qu'à cette date en revanche, elle avait déjà noué des relations avancées avec la société Fruidor, comme en témoigne le dépôt le 28 juillet 2015 d'une nouvelle marque commerciale qu'elles ont exploitée dès le 1er septembre 2016, sans jamais chercher à en faire bénéficier ses autres associées de l'union coopérative et en se refusant même à leur garantir toute absence de concurrence, que cette situation apparaissait beaucoup plus vraisemblablement comme le motif de son opposition au projet d'achat des sociétés Prymex et Endelis, qui avait pourtant également, selon Perle Union, le but «'d'améliorer l'aval'» évoqué par France Endive, et surtout de sa décision de quitter l'union, qu'il pouvait dès lors légitimement être douté de la complète bonne foi des demanderesses lorsqu'elles affirmaient que ce nouveau partenariat commercial avait dû être développé en urgence pour pallier les pertes consécutives à la fin de l'exploitation des marques Perle du Nord, bien postérieure, ou lorsqu'elles réclamaient l'indemnisation de frais de conseil, de marketing et de propriété intellectuelle engagés plusieurs mois avant que son retrait ne fût décidé et qu'elles auraient de toute évidence supportés quoi qu'il en fût.

Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que la preuve d'une déloyauté de la société Perle Union, constitutive d'un manquement à ses obligations contractuelles, et a fortiori d'une déloyauté ayant acculé France Endive à quitter Perle Union et entraînant les préjudices dont elle-même et sa filiale demandent réparation, n'est pas apportée, de sorte qu'il y a lieu de confirmer le jugement.

Il appartient aux appelantes, parties perdantes, de supporter la charge des dépens conformément à l'article 696 du code de procédure civile et il est équitable qu'en application de l'article 700 du même code, elles indemnisent les intimées des autres frais qu'elles ont été contraintes d'exposer.

PAR CES MOTIFS

La cour

confirme le jugement entrepris,

déboute les sociétés Natur'coop et France Nord Fruits et Légumes de leurs demandes d'indemnités pour frais irrépétibles,

les condamne, chacune pour moitié, à payer à la société Perle Union et à la société Groupe Perle du Nord une indemnité de 10'000 euros chacune par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier

Delphine Verhaeghe

Le président

Bruno Poupet


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 20/04208
Date de la décision : 07/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-07;20.04208 ?
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