AU NOM DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
COUR D'APPEL DE DOUAI
JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT EN MATIÈRE
DE RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
minute n° 26/23
n° RG : 22/00035
A l'audience publique du 10 juillet 2023 tenue par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier, a été prononcée l'ordonnance suivante :
Sur la requête de :
M. [T] [M], né le [Date naissance 1] 1984 à [Localité 6]
élisant domicile au cabinet de son avocat
ayant pour avocat Me Alice COHEN-SABBAN, avocat au barreau de Lille, demeurant [Adresse 2]
Les débats ayant eu lieu à l'audience du 21 juin 2023 à 10 heures
L'audience était présidée par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier ;
En présence de :
MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRES LA COUR D'APPEL DE DOUAI,
représenté par M. Michel REGNIER, avocat général
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Direction des affaires juridiques
dont le siège est situé Sous Direction du Droit Privé
[Adresse 4]
[Localité 3]
ayant pour avocat Me Dimitri DEREGNAUCOURT, avocat au barreau de Douai
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Exposé de la cause
Par requête en date du 15 décembre 2022, reçue au greffe de la cour d'appel le même jour, M. [T] [M] a présenté une demande en indemnisation en raison d'une détention provisoire injustifiée.
M. [M] a été interpellé par les autorités belges le 23 décembre 2013 à la suite d'un mandat de recherche. Il a été remis aux autorités françaises le 1er avril 2016 dans le cadre d'un mandat d'arrêt pour assassinat puis placé en détention provisoire.
Par ordonnance du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Lille en date du 13 juin 2016, M. [M] a été libéré et placé sous contrôle judiciaire.
Par ordonnance de la même juridiction en date du 6 août 2019, il a été mis en accusation pour des faits de participation à un groupement formé en vue de la préparation d'un crime.
Par arrêt en date du 8 juin 2022, la cour d'assises du Nord a acquitté M. [M].
La détention de M. [M] a donc duré du 1er avril 2016 (date de son placement en détention provisoire) au 13 juin 2016 (date de son placement sous contrôle judiciaire), soit pendant 74 jours.
Pour cette détention injustifiée, il sollicite que lui soient allouées les sommes de :
- 8.250 € en réparation de son préjudice moral ;
- 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions, l'agent judiciaire de l'Etat soulève l'irrecevabilité de la requête en l'absence de production du certificat de non-appel.
A titre subsidiaire, il propose que le préjudice moral du requérant soit indemnisé à hauteur de 7.500€ et conclut à la minoration de l'indemnisation sollicitée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses écritures en date du 16 février 2023, le ministère public requiert qu'en l'état, et à défaut de la production d'un certificat de non-appel., la requête soit déclarée irrecevable en la forme.
Subsidiairement, s'il était justifié du caractère définitif de la décision d'acquittement, il propose d'indemniser le préjudice moral de M. [M] à hauteur de 6.000 € et de réduire à de plus justes proportions la réparation demandée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le conseil de M. [M] a été expressément autorisé à produire un certificat de non appel en cours de délibéré.
Au terme des débats tenus le 21 juin 2023, le premier président a indiqué qu'il mettait l'affaire en délibéré au 10 juillet 2023.
Et, après en avoir délibéré conformément à la loi,
vidant son délibéré à l'audience de ce jour,
SUR CE,
Sur la recevabilité :
Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
Cet article précise, toutefois, qu'aucune réparation n'est due lorsque la personne était, dans le même temps, détenue pour autre cause.
En application de l'article R. 26 du code de procédure pénale, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R. 27 du code de procédure pénale, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant
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que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit ainsi que des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.
En l'espèce, la requête a été reçue par le greffe de la cour d'appel de Douai le 15 décembre 2022, soit dans le délai de six mois suivant l'arrêt d'acquittement rendu par la cour d'assises du Nord le 8 juin 2022.
A été produit au cours du délibéré un certificat en date du 22 juin 2023 établi par le greffier de la cour d'assises du Nord attestant qu'aucun appel n'a été formé à l'encontre de cette décision.
En conséquence, la décision est définitive et la requête ayant été présentée dans le délai légal, il y a lieu de la déclarer recevable.
Sur le préjudice moral :
Le préjudice moral résultant d'une incarcération injustifiée constitue une évidence de principe.
La preuve de conditions exceptionnelles ou ayant entraîné des conséquences personnelles excédant les conséquences liées à toute privation de liberté en milieu carcéral peut justifier une indemnisation proportionnellement plus élevée. Par contre, la souffrance morale résultant du choc de l'incarcération se trouve minorée par le passé carcéral de la personne détenue.
En l'espèce, il convient de relever que le bulletin n° 1 du casier judiciaire français de M. [M] porte mention de neuf condamnations antérieures à son incarcération :
- le 1er octobre 2003, par le tribunal correctionnel de Lille, à 3 mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de vol en réunion ;
- sursis totalement révoqué de plein droit le 31 mars 2006 ;
- le 23 juin 2004, par la même juridiction, à 10 mois d'emprisonnement dont 5 mois avec sursis pour des faits de violence commise en réunion suivie d'incapacité n'excédant pas 8 jours et recel de bien provenant d'un vol ;
- sursis totalement révoqué de plein droit le 7 janvier 2006 ;
- le 14 décembre 2004, par la même juridiction, à 2 mois d'emprisonnement pour des faits de délit de fuite après un accident par conducteur de véhicule terrestre, refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter et rébellion ;
- le 14 février 2007, par la même juridiction, à 4 mois d'emprisonnement pour des faits de vol avec destruction (récidive de tentative) ;
- le même jour, par la même juridiction, à 150 heures de T.I.G. pour des faits de vol en réunion ;
- le même jour, par la même juridiction, à 2 mois d'emprisonnement pour des faits de menace de mort réitérée ;
- le 23 octobre 2007, par la même juridiction, à 300 € d'amende pour des faits de refus, par le conducteur d'un véhicule, d'obtempérer à une sommation de s'arrêter ;
- le 9 septembre 2009, par la même juridiction, à 3 mois d'emprisonnement avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve pendant 2 ans pour des faits de conduite d'un véhicule à moteur malgré injonction de restituer le permis de conduire résultant du retrait de la totalité des points et à 500 € d'amende pour des faits de prise du nom d'un tiers pouvant déterminer des poursuites pénales contre lui ;
- le 22 novembre 2012, par la même juridiction, à 10 mois d'emprisonnement avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve pendant 2 ans pour des faits de vol en réunion, falsification d'une attestation, escroquerie (en état de récidive), mise en danger d'autrui par violation manifestement délibérée d'une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence.
Il en résulte que plusieurs de ces condamnations ont donné lieu à une peine d'emprisonnement ferme mise à exécution, de sorte que lorsque M. [M] a été placé en détention le 1er avril 2016, il ne s'agissait pas d'une première incarcération en France.
Néanmoins, mis en examen pour complicité d'assassinat et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime, M. [M] n'avait jamais fait l'objet de condamnations de nature criminelle et n'avait jamais été condamné à une peine supérieure à 4 mois d'emprisonnement ferme. Par conséquent, sa détention n'a pu qu'être vécue difficilement en raison de l'angoisse subie au regard de la peine criminelle encourue.
Par ailleurs, le requérant fait valoir que son préjudice s'est trouvé aggravé par de mauvaises conditions de détention au sein de la maison d'arrêt de [Localité 5] et produit aux débats un extrait du rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté datant du mois de mars 2010. Cependant, ce rapport, antérieur de
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près de 6 ans à la période au cours de laquelle M. [M] s'est trouvé détenu au sein de cet établissement pénitentiaire, ne peut, dans ces conditions, utilement démontrer le caractère difficile de ses conditions de détention.
Le requérant produit également aux débats une ordonnance rendue par le tribunal administratif de Lille le 25 octobre 2016 faisant état d'une prolifération de rats en 2016 au sein de la maison d'arrêt de Lille-Loos-Sequedin. Il ressort de cette décision que l'administration pénitentiaire a émis un bon de commande le 1er février 2016 pour un traitement curatif, puis un second bon de commande le 13 octobre 2016, conduisant le juge à considérer que « les mesures précédemment mises en 'uvre n'ont pas permis de remédier de manière efficace à la situation ». Il s'en déduit que M. [M], incarcéré du 1er avril au 13 juin 2016, établit suffisamment avoir été détenu dans des conditions matérielles excédant les effets normalement liés à la détention, et qu'il s'agit d'un motif justifiant une indemnisation majorée.
M. [M] soutient qu'il n'a pu exercer aucune activité pendant sa détention sans cependant produire aux débats d'élément le démontrant.
Le requérant fait également valoir qu'il n'a pu bénéficier de parloirs avec sa famille mais ne justifie pas des circonstances ayant contrarié un droit de visite de la part de sa famille, de sorte que cette circonstance ne saurait être considérée comme majorant le préjudice.
M. [M] expose qu'il aurait subi une détention injustifiée en 2013 et que cette circonstance aurait eu pour effet de majorer son préjudice moral. Or, à supposer établie cette détention injustifiée survenue antérieurement, il n'est pas démontré que celle-ci soit en lien avec la présente affaire, de sorte qu'elle ne saurait être retenue dans l'évaluation du présent préjudice moral.
Le requérant considère également que son préjudice moral s'est trouvé majoré par sa difficulté à accéder au dossier d'instruction. Toutefois, l'intéressé n'apporte pas en l'espèce la démonstration du fait allégué d'un manquement dans la communication de son dossier, de sorte que ce moyen de fait doit être écarté.
Enfin, M. [M] soutient qu'il n'aurait pas pu intégrer le bâtiment A de la maison d'arrêt en raison du décès d'une des parties civiles, détenue dans le même établissement pénitentiaire. Il indique avoir dû changer de cellule à plusieurs reprises du fait de rumeurs relatives à son éventuelle implication dans cette disparition.
Toutefois, aucun élément susceptible de démontrer la matérialité des faits allégués n'est produit aux débats, de sorte qu'il convient d'écarter la demande de majoration du préjudice moral présentée à cette titre.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il sera alloué à M. [M] la somme de 8.250 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Il sera alloué à M. [M] la somme de mille euros (1.000 €) au titre des frais engagés pour la présente procédure.
Sur les dépens :
Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public.
PAR CES MOTIFS,
Après débats en audience publique,
statuant publiquement et contradictoirement,
DECLARONS recevable la requête de M. [T] [M] ;
ALLOUONS à M. [T] [M] la somme de huit mille deux cent cinquante euros (8.250 €) au titre de son préjudice moral ;
ALLOUONS à M. [T] [M] la somme de mille euros (1.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
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LAISSONS les dépens à la charge du Trésor Public.
Ainsi fait, jugé et prononcé par M. Jean SEITHER, premier président de la cour d'appel de DOUAI, le 10 juillet 2023,
en présence de M. Michel REGNIER, avocat général,
assisté de M. Christian BERQUET, greffier qui a signé la minute avec le premier président.
Le greffier Le premier président
C. BERQUET J. SEITHER