République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 06/07/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 20/04748 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TJL7
Jugement (N° 19/01724)
rendu le 10 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Lille
APPELANT
Monsieur le procureur général près la cour d'appel de Douai
représenté par Monsieur Olivier Declerck, substitut général
INTIMÉE
Madame [W] [U]
née le 13 avril 2000 à [Localité 3] (Maroc)
[Adresse 1]
[Localité 2]
bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 59178/0022021003103 du 23/03/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai
représenté par Me Emeline Lachal, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 05 janvier 2023 tenue par Camille Colonna magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 06 juillet 2023 après prorogation du délibéré en date du 06 avril 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 16 mai 2023
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EXPOSÉ DU LITIGE
Le 17 janvier 2018, [W] [U] a souscrit au tribunal d'instance d'Évreux une déclaration de nationalité française sur le fondement des dispositions de l'article 21-12 du code civil.
Le 22 janvier 2018, le directeur des services de greffe du tribunal a refusé d'enregistrer cette déclaration au motif que Mme [U] avait été recueillie en vertu d'un acte de kafala marocaine laquelle 'même homologuée, a une portée juridique moindre que la kafala juridique marocaine directement prononcée par un juge et seule susceptible de permettre à l'enfant mineur de se voir attribuer la nationalité française'.
Par acte d'huissier en date du 5 mars 2019, Mme [U] a fait assigner le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lille devant ledit tribunal aux fins de voir dire qu'elle a la nationalité française.
Par jugement du 10 novembre 2020, le tribunal (devenu 'tribunal judiciaire') a dit que [W] [U], née le 13 avril 2000 à [Localité 3] au Maroc, était de nationalité française en application des dispositions de l'article 21-12 du code civil, ordonné, en tant que de besoin, l'enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite auprès du directeur de greffe du tribunal d'instance d'Évreux, ordonné les mentions prévues à l'article 28 du code civil, condamné le Trésor public à supporter les dépens de l'instance et condamné le Trésor public à payer à Me Lachal, avocat de Mme [U], la somme de 1 800 euros dans les conditions prévues par l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Le procureur général près la cour d'appel de Douai a interjeté appel de ce jugement et, aux termes de ses conclusions notifiées le 18 février 2021, demande à la cour de :
- constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,
- infirmer le jugement de première instance et, statuant à nouveau,
- juger que Mme [U] n'est pas française,
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil,
- condamner Mme [U] aux dépens.
Il soutient, au visa de la circulaire du ministre français de la justice du 22 octobre 2014, principalement que le recueil de [W] [U] est fondée sur une kafala aboulaire (accordée par des abouls, notaires traditionnels chargés du statut personnel des musulmans, nommés par des magistrats pour servir de témoins dans les litiges et pour la rédaction des actes) qui ne vaut pas décision de justice, même lorsqu'elle est homologuée par un jugement, lequel lui confère seulement un caractère authentique (CE 22 février 2013, 9è et 10è SSR, 330211), que la kafala aboulaire dont il s'agit ayant été prise au vu de la circulaire n°45/95 du 7 février 1996, la nature de la kafala n'est pas modifiée quand bien même l'aptitude des futurs recueillants et la régularité formelle de la kafala a été vérifiée lors de l'homologation.
Mme [W] [U], aux termes de ses dernières conclusions remises le 19 mai 2021, demande à la cour au visa des articles 21-12, 26 et suivants et 26-5 du code civil, outre des demandes de 'constater' et de 'dire et juger' qui ne sont pas de véritables prétentions au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile, de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- reconnaître la recevabilité de sa déclaration de nationalité française sur le fondement de l'article 21-12 du code civil,
- faire droit à son action déclaratoire de nationalité française,
- dire qu'elle est française,
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil,
- ordonner l'enregistrement de sa déclaration de nationalité française,
- condamner l'État et le Trésor public aux dépens ainsi qu'à verser à son conseil, sous réserve qu'il renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle, la somme de 3 600 euros.
Elle fait essentiellement valoir qu'elle remplit l'ensemble des conditions de fond pour l'enregistrement de sa déclaration de nationalité française sur le fondement de l'article 21-12 du code civil, que si l'effet de l'homologation du 21 mars 2013 est considérée comme ne conférant qu'un caractère authentique à l'acte de kafala par la circulaire du ministre de la justice du 22 octobre 2014, le jugement d'homologation de kafala n° 3346 rendu le 13 mai 2013 par le tribunal de première instance d'[Localité 3] est une décision judiciaire, rendue à l'issue d'une procédure judiciaire par le juge chargé des affaires des mineurs près ce tribunal, après enquête du ministère public, convocation et comparution des parties à l'audience, vérification que la kafala ne contredit pas l'ordre public ni l'intérêt supérieur de l'enfant, et confère à la kafala la force exécutoire propre à cette décision de justice.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il résulte des dispositions de l'article 21-12 du code civil notamment que l'enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française peut, jusqu'à sa majorité, déclarer, dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants, qu'il réclame la qualité de Français, pourvu qu'à l'époque de sa déclaration, il réside en France.
C'est à la suite d'un examen minutieux des pièces produites par Mme [W] [U] et par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal judiciaire de Lille a retenu':
- qu'il ressortait clairement des dispositions du jugement du 13 mai 2013 que, saisi d'une demande de M. [M] [Z] et de Mme [V] [K] tendant à l'homologation d'une kafala et à se faire autoriser à emmener [W] [U] à l'extérieur du territoire national, le tribunal de première instance d'Oujda, ne se contentant pas d'une vérification formelle, s'était assuré que l'acte de recueil ne contredisait pas l'ordre public et était conforme à l'intérêt de l'enfant,
- que, le tribunal ayant fait droit à la requête, il était avéré que M. [M] [Z] et Mme [V] [K] avaient bien été judiciairement autorisés à recueillir et emmener chez eux en France la jeune [W] [U],
- qu'ainsi la condition de recueil sur décision de justice de l'article précité était remplie, quand bien même il ne s'agirait pas en l'espèce d'une kafala fondée sur les dispositions de la loi du 13 juin 2002 concernant les enfants abandonnés,
- qu'en produisant les documents relatifs à sa scolarisation en France, attestations et photographies, Mme [W] [U] justifiait avoir été effectivement recueillie en 2013 et élevée depuis lors de façon continue jusque 2018, soit plus de trois ans, par M. [M] [Z] et Mme [V] [K] dont il était justifié par ailleurs qu'ils étaient français et résidaient en France, précisément à [Localité 2].
Par conséquent, indépendamment de la valeur à accorder à l'homologation par mention sur l'acte de kafala du 19 mars 2013 et apposition de son sceau par le juge-notaire d'[Localité 3] le 21 mars 2013 - étant précisé que la circulaire d'interprétation dont se prévaut le ministère public est antérieure à la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant introduisant à l'article 21-12 du code civil l'exigence d'une décision de justice et modifiant les autres dispositions dans un sens favorable à la reconnaissance de la nationalité des enfants recueillis - c'est compte tenu du jugement n° 3346 du 13 mai 2013 rendu par le tribunal de première instance d'Oujda, juridiction de la famille, composé de trois juges, portant homologation de l'acte de kafala, signé du président du tribunal, du juge rapporteur et du secrétaire-greffier et pourvu du sceau du royaume du Maroc, et revêtant par conséquent la qualité de décision de justice, toutes les conditions posées par l'article précité étant remplies, que le tribunal judiciaire de Lille, par une exacte application des dispositions de l'article 21-12 du code civil, en a déduit que Mme [W] [U] était française, la décision entreprise devant être confirmée et les formalités subséquentes ordonnées.
En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile et de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle, le Ministère Public succombant, il y a lieu de condamner le Trésor Public aux dépens et à verser au conseil de Mme [W] [U] une indemnité au titre des frais irrépétibles, les chefs du jugement critiqué pris sur ces fondements devant être confirmés.
PAR CES MOTIFS
La cour
constate que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,
confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
condamne le Trésor public à payer à Me Emeline Lachal, conseil de Mme [W] [U], la somme de 1500 dans les conditions prévues à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,
le condamne aux dépens.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet