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30/06/2023 | FRANCE | N°22/00190

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale c salle 1, 30 juin 2023, 22/00190


ARRÊT DU

30 Juin 2023







N° 908/23



N° RG 22/00190 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UDNJ



SHF/VDO*PB































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCIENNES

en date du

25 Janvier 2022

(RG 20/00135 -section )



































GROSSE :
>

Aux avocats



le 30 Juin 2023



République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



SAS FONDERIE ET ACIERIE DE [Localité 8]

[Adresse 1]

[Localité 8]

représentée par Me LAURENT, avocat au barreau de Douai, assistée de Me BOSSUOT-QUIN, avocat au barreau de...

ARRÊT DU

30 Juin 2023

N° 908/23

N° RG 22/00190 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UDNJ

SHF/VDO*PB

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCIENNES

en date du

25 Janvier 2022

(RG 20/00135 -section )

GROSSE :

Aux avocats

le 30 Juin 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

SAS FONDERIE ET ACIERIE DE [Localité 8]

[Adresse 1]

[Localité 8]

représentée par Me LAURENT, avocat au barreau de Douai, assistée de Me BOSSUOT-QUIN, avocat au barreau de Lyon

INTIMÉS :

M. [S] [J]

[Adresse 6]

[Localité 4]

représenté par Me AVELINE, avocat au barreau de Paris

SAS FIVES

[Adresse 2]

[Localité 7]

représentée par Me LAFORCE, avocat au barreau de Douai, assisté de Me POTIER, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Soleine HUNTER-FALCK

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

Gilles GUTIERREZ

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : Angélique AZZOLINI

DÉBATS : à l'audience publique du 5 avril 2023

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Juin 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC, Conseillère et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 4 avril 2023

Monsieur [J] [S] a été successivement le salarié de la société Fives Lille Cail devenue société Fives Cail Babcock, elle-même devenue FCB, du01.04.1981 au 31.08.1985, usine de Denain, puis salarié de la société Fonderies Ateliers de Marquise du 01.09.1985 au 31.08.1988, usine de Denain, et enfin de la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8], appartenant au groupe CIF, du 01.09.1988 au 14.03.2013.

Il occupait au dernier état les fonctions de mouleur.

Le 30.05.2013 le conseil des prud'hommes de Valenciennes a été saisi par Monsieur [J] [S] ainsi que par 27 autres de ses collègues de travail notamment en indemnisation d'un préjudice d'anxiété et d'un préjudice lié à du bouleversement subi dans ses conditions d'existence. L'affaire a fait l'objet d'une radiation puis d'un retrait du rôle avant d'être plaidée devant la formation de jugement puis de départage le 08.01.2021.

Le Ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation Professionnelle et du Dialogue Social a été saisi, le 14.10.2015, d'une demande d'inscription de l'établissement Fonderie et Aciéries de [Localité 8] sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA.

L'administration a d'abord rendu une décision de rejet implicite, puis elle a notifié le 06.06.2016 une décision de rejet expresse.

Cette décision a été contestée par devant le tribunal administratif de Lille qui, le 31.01.2018, a débouté les cinq requérants de leur demande.

Un appel a été interjeté régulièrement devant la cour d'appel de Douai le 11.02.2022 par la SAS Fonderie et Aciéries de [Localité 8] à l'encontre du jugement rendu le 25.01.2022 par le conseil de prud'hommes de Valenciennes section Industrie en formation de départage, notifié le 31.01.2022, qui a :

Dit n'y avoir lieu à mise hors de cause des sociétés Fonderie et Aciéries de [Localité 8] et Fives,

Condamné la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] à payer à Monsieur [J] [S] la somme de huit'mille'euros (8.000'euros) à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété,

Débouté Monsieur [J] [S] et la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] de leurs demandes à l'encontre de la société SAS Fives,

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

Dit n'y avoir lieu à consignation,

Condamné la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] à payer à Monsieur [J] [S] la somme de cinq'cents'euros (500'euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] aux dépens.

Vu les conclusions transmises par RPVA le 20.12.2022 par la SAS Fonderie et Aciéries de [Localité 8] qui demande de :

INFIRMER le jugement entrepris, rendu par le conseil de prud'hommes de Valenciennes, section départage, le 25 janvier 2022, des chefs du dispositif suivants :

'DIT n'y avoir lieu à mise hors de cause des sociétés Fonderie et Aciéries de [Localité 8] et FIVES

CONDAMNE la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] à payer à Monsieur [J] [S] la somme de 8.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété,

DEBOUTE la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] de ses demandes à l'encontre de la société FIVES,

CONDAMNE la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] à payer à Monsieur [J] [S] la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] aux dépens'

Par conséquent, statuant à nouveau :

A titre principal, si par extraordinaire la cour estimait la demande de Monsieur [J] [S] recevable

PRONONCER la mise hors de cause de la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] et DEBOUTER Monsieur [J] [S] de ses demandes, fins et prétentions,

A titre subsidiaire,

DEBOUTER Monsieur [J] [S] de sa demande formée en réparation d'un préjudice lié au manquement à l'obligation de sécurité de son employeur,

A titre plus subsidiaire,

- REDUIRE notablement la demande indemnitaire formulée par Monsieur [J] [S] en réparation d'un préjudice lié au manquement à l'obligation de sécurité de son employeur,

- REDUIRE à de plus justes proportions la condamnation prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Y ajoutant,

REDUIRE notablement la demande formulée, à hauteur d'appel, par Monsieur [J] [S] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En tout état de cause,

CONDAMNER la société Fives à la relever et la garantir de toutes les condamnations, le cas échéant prononcées à son encontre,

CONDAMNER tout succombant aux dépens ;

Vu les conclusions transmises par RPVA le 14.03.2023 par la société SAS Fives qui demande à la cour de :

A titre principal :

Il est demandé à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Condamné la Société Fonderie Aciérie de [Localité 8] à payer à Monsieur [J] [S] la somme de 8000euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété,

- Condamné la Société Fonderie Aciérie de [Localité 8] à payer à Monsieur [J] [S] la somme de 500euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile,

En conséquence :

- Débouter Monsieur [J] [S] et la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] de toutes leurs demandes formulées à l'encontre de la Société Fives.

A titre subsidiaire :

Si la Cour devait considérer que la Société Fives doit répondre en tout ou partie des conséquences financières d'un manquement à son obligation de sécurité à l'égard de Monsieur [J] [S], il est demandé à la cour de :

- DECLARER que Monsieur [J] [S] ne rapporte pas la preuve, à titre individuel, d'un manquement de son employeur à son obligation de sécurité ;

- DECLARER que Monsieur [J] [S] ne rapporte pas la preuve, à titre individuel, d'un dommage avéré à l'origine d'un préjudice personnel, actuel et certain.

En conséquence :

- DEBOUTER Monsieur [J] [S] de sa demande indemnitaire formulée à l'encontre de la Société Fives au titre du manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité ;

- DEBOUTER Monsieur [J] [S] de sa demande formulée à l'encontre de la Société Fives au titre de l'article 700 CPC ;

Plus subsidiairement,

- REDUIRE l'indemnisation allouée du préjudice d'anxiété à de plus justes proportions ;

- REDUIRE la demande de Monsieur [J] [S] au titre de l'article 700 code de procédure civile à de plus justes proportions ;

- DEBOUTER Monsieur [J] [S] de sa demande de condamnation solidaire des sociétés Fives et FAD au versement de la somme allouée en réparation du préjudice d'anxiété;

- ORDONNER le partage entre les sociétés Fives et FAD des sommes allouées au titre du préjudice d'anxiété au prorata des périodes d'exposition au risque au sein de chacune d'entre elles ;

En tout état de cause,

- DECLARER mal fondée la demande de la Société FAD de condamnation de la société Fives SAS à la relever et à la garantir de toutes les condamnations prononcées à son encontre.

- DEBOUTER la Société FAD de sa demande de garantie par la Société Fives de toutes les condamnations prononcées à son encontre.

- CONDAMNER la société FAD à payer à la société Fives la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du CPC

- CONDAMNER la société FAD aux dépens ;

Vu les conclusions transmises par RPVA le 19.07.2022 par Monsieur [J] [S] qui demande à la cour de :

A titre principal,

De confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a :

Déclaré Monsieur [J] [S] recevable en son action,

Dit n'y avoir lieu à mise hors de cause des sociétés Fonderies et Aciéries de [Localité 8] et Fives ;

Condamné la société Fonderie et aciérie de [Localité 8] à payer à Monsieur [J] [S] la somme de HUIT MILLE EUROS (8.000 euros) à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété, Condamné la société Fonderie et Aciérie de [Localité 8] à payer à Monsieur [J] [S] la somme de CINQ CENTS EUROS (500 euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné la société Fonderie et Aciérie de [Localité 8] aux dépens.

A titre subsidiaire, si la cour devait considérer que la société Fives doit répondre, en tout ou partie, du manquement commis à l'encontre du concluant, il serait demandé à la cour de :

Condamner solidairement la société Fonderie et Aciérie de [Localité 8] et la société Fives à payer à Monsieur [J] [S] la somme de 8.000 euros en réparation de son préjudice d'anxiété

En tout état de cause,

Condamner solidairement la ou les sociétés succombantes à verser au concluant la somme de 2.000 Euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux dépens ;

Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant fait injonction aux parties de rencontrer un médiateur, décision restée sans suite ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 04.04.2023 prise au visa de l'article 907 du code de procédure civile ;

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l'audience de plaidoirie.

A l'issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DECISION :

EN LA FORME :

Sur la mise hors de cause de la société Fonderie et Aciérie de [Localité 8] :

Pour se soustraire aux obligations mises à sa charge par le premier juge et les voir transférer à la société SAS Fives, la société Fonderie et Aciérie de [Localité 8] justifie de la succession des sociétés intervenues sur le site de Denain depuis le 31.08.1985 :

- la société Fives Cail Babcock a exploité le fonds de commerce du site de [Localité 8] jusqu'au 31.08.1985, avant de conclure un contrat de location gérance avec la société Aciéries Fonderies Ateliers de Marquise pour la période allant du 01.09.1985 au 31.08.1988 ;

- une partie du fonds de commerce a été rachetée en 1988 par la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] ainsi qu'il résulte de la facture communiquée (P. 6) qui précise qu'ont été cédés : les éléments incorporels clientèle, achalandage, plan, devis, savoir-faire ainsi que les éléments corporels machines d'ateliers, outillages et matériels de bureaux ; certains bâtiments l'ont été par acte notarié du 20.12.1991.

Par ailleurs,

- la société Fives Cail Babcock a opéré le 22.04.1988 un transfert de siège social de [Localité 7] ([Adresse 5]) à [Localité 9] ([Adresse 3]) ainsi qu'il ressort de l'extrait du RCS de Paris du 09.09.1988 (P 7bis) avec enregistrement au RCS de Bobigny (P 7ter) le 10.06.1988 puis radiation du RCS de Paris le 09.09.1988 (P7bis) ;

- lors de l'assemblée générale de la SA Fives Cail Babcock du 15.06.1990, une nouvelle dénomination sociale lui a été donnée soit 'FCB' (P7quinquies).

De son côté,

- la société SA Compagnie de Fives Lille a procédé à la fusion absorption de la société FCP par traité d'apport fusion en date du 23.07.1993 (P7 et extrait Kbis 7ter) ;

- cette société a lors de l'assemblée générale du 20.06.2007 (P7quater) pris la dénomination de 'Fives'.

La société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] en déduit à juste titre que c'est bien la société SAS Fives qui vient aux droits de la société FCB, antérieurement Fives Cail Babcock, qui a été radiée du RCS de Bobigny le 27.10.1993 ainsi qu'il y est mentionné.

Elle rappelle que, s'il y a eu cession partielle du fonds de commerce et d'éléments d'actifs à son profit, cette cession ne comprenait pas le passif de la société Fives Cail Babcock qui a ainsi été transféré à la société SAS Fives en raison de la fusion absorption intervenue le 23.07.1993 au profit de la SA Compagnie de Fives Lille devenue par la suite société Fives.

Elle considère que l'exposition à l'amiante alléguée, antérieure au rachat d'une simple partie des éléments d'actifs, ne ressortirait que de la responsabilité du cédant, à savoir FCB devenue Fives.

Néanmoins, il n'est pas contesté que le salarié a poursuivi son activité sur le site de Denain pour le compte de la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] après le rachat partiel dont elle a bénéficié dès lors qu'il est resté salarié de cette société 01.09.1988 au 14.03.2013.

En conséquence, la société appelante ne peut pas contester sa qualité d'employeur en opposant la succession d'entités juridiques étant intervenues sur le site de [Localité 8].

Il convient de rejeter la demande de mise hors de cause de la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] dans son principe, et de confirmer le jugement rendu.

AU FOND :

Sur le manquement à l'obligation de sécurité et le préjudice d'anxiété :

a) Au préalable, la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] déclare que les attestations produites en défense font état d'une exposition à l'inhalation de poussières d'amiante antérieure à l'année 1988 et au rachat d'actifs dont elle a bénéficié. L'administration a refusé la demande d'inscription sur la liste des établissements ouvrant droit à la cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante émanant de salariés, et donc l'application des dispositions de l'article 41 de la loi du 23.12.1998, ainsi qu'il ressort de la décision du Ministre du Travail du 08.06.2016 prise au vu notamment du rapport rédigé par la CARSAT le 04.12.2015, qui rappelle que l'activité de calorifugeage a nécessité l'utilisation de plaques d'amiante de 1976 au moins jusqu'à 1985, tout en précisant que, pour les fours de traitement thermique, les éléments fournis par l'entreprise après le rachat n'indiquent pas la présence d'amiante ou le traitement des réfections des fours par les salariés. Le tribunal administratif de Lille a confirmé cette décision par un jugement rendu le 31.01.2018.

En ce qui concerne Monsieur [J] [S], la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] fait valoir que le préjudice d'anxiété a pour fait générateur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, accessoire à l'exécution du contrat de travail, et qu'il résulte d'une exposition au risque créé par l'amiante ; compte tenu de la période d'exposition, c'est la société SAS Fives qui est l'employeur responsable du manquement. A titre subsidiaire, l'appelante sollicite la garantie de cette société, sur le fondement de l'article L.1224-1 du code du travail.

La société SAS Fives estime de son côté que la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] est seule débitrice de la créance née du préjudice d'anxiété, puisqu'elle n'a jamais été elle-même l'employeur'; elle conteste venir aux droits de la société Fives Cail Babcock et déclare que la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] ne démontre pas qu'elle n'aurait pas repris le passif de la société Fives Cail Babcock en 1988'; elle doit donc répondre de l'ensemble de la carrière du salarié, ce qui est le cas pour une faute inexcusable'; le contrat de travail lui a été transféré'; en l'absence de classement du site, le préjudice d'anxiété naît à compter de la date à laquelle les salariés ont eu connaissance du risque de développer une pathologie grave après une exposition aux poussières d'amiante, ce qui était nécessairement postérieur à la date du transfert en 1988.

Or le droit à réparation du préjudice d'anxiété résulte d'une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, et ce préjudice, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par les salariés.

C'est donc le moment de cette connaissance qui permet de dater la naissance du droit à réparation, et fait courir une éventuelle prescription, la date étant déterminé en fonction des données de fait de chaque espèce.

En l'espèce, le salarié ne donne aucun élément permettant de déterminer à quelle date il a eu connaissance du risque auquel il était exposé dans son travail en raison de la présence d'amiante dans son environnement professionnel.

Il a saisi le conseil des prud'hommes de Valenciennes le 30.05.2013, alors qu'il avait été embauché le 01.04.1981.

En dépit du fait que certains textes ont imposé des mesures de prévention dès 1893, qui ont été complétés par le décret du 13.12.1948, puis par le décret n° 77-949 du 17.08.1977, il est constant qu'une réglementation efficiente en matière d'amiante a été extrêmement tardive. C'est le décret n°96-1133 du 24.12.1996 qui a interdit l'emploi de l'amiante et des produits en contenant, qui a été suivi du décret n° 2011-629 du 03.06.2011 relatif à la protection de la population contre les risques sanitaires liés à une exposition à l'amiante dans les immeubles bâtis et du décret n° 2012-639 du 4 mai 2012 relatif aux risques d'exposition à l'amiante.

De notoriété publique, différents rapports relativement récents ont permis de dégager objectivement les principes du risque en matière d'exposition à l'amiante : les rapports de l'Inserm notamment celui de 1997, les rapports du professeur Got (Rapport sur la gestion du risque des problèmes de santé publique posée par l'amiante en France remis en 1998) ou encore du Sénat (Rapport Sénat, n°37, 2005-2006), même si, dès les années 1960, les connaissances scientifiques établissaient les risques liés à l'amiante mais sans qu'aucune conséquence en soit véritablement tirée en termes de conditions de travail.

La cour dans ces conditions décide que, jusqu'au 01.09.1988, le salarié n'était pas en mesure d'être suffisamment informé sur les risques auxquels il était exposé dans sa vie professionnelle pour en avoir une conscience libre et éclairée sur le sujet et donc de saisir la juridiction prud'homale d'une action en réparation d'un préjudice d'anxiété à l'encontre de son employeur, préjudice spécifique qui n'a été reconnu que plus tardivement par la jurisprudence.

Par suite, le droit à réparation dont bénéficie Monsieur [J] [S] est postérieur au dernier changement d'employeur.

b) En application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée.

A ce titre, il appartient aux salariés de justifier d'une exposition à l'amiante'; si l'exposition du salarié à l'amiante est avérée, l'employeur peut justifier avoir pris toutes les mesures prévues à l'article L.4121-1 du code du travail et à l'article L.4121-2 du code du travail, qui visent les mesures de prévention qui lui incombent.

En outre, le salarié doit justifier d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'un tel risque. Ce préjudice d'anxiété, qui ne saurait résulter de la seule exposition au risque créé par une substance nocive ou toxique, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave par le salarié.

A l'appui de ses prétentions Monsieur [J] [S] produit les témoignages de MM. [M] [T], [F] [G] et [E] [A], ses anciens collègues permettant d'établir':

1) qu'il travaillait avec des protections en amiante (guêtres, gants, veste) sur des plaques d'amiante et en respirant de la poussière d'amiante ;

2) qu'il était dans l'ignorance de la dangerosité des produits utilisés pour sa santé à défaut d'en avoir été informé.

Le Dr [U] a établi un certificat médical le 17.09.2019 indiquant que l'état de santé de son patient nécessitait une prise en charge médicale pour souffrance morale avec administration d'anxiolytique et antidépresseur'; ce certificat présente les garanties d'impartialité exigée par le code de la santé publique puisqu'il se borne à formuler des constatations médicales individualisées.

Monsieur [J] [S] produit enfin le témoignage de M.[H] [N] ainsi que celui de Mme [W] [D], ses amis, concordants sur le fait que l'intéressé est très anxieux de peur d'être atteint d'une maladie liée à son exposition à l'amiante, à l'image de plusieurs de ses anciens collègues de travail décédés d'une telle maladie.

La société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] déclare ainsi à tort que le salarié, dont il n'est pas contesté qu'il a exercé le métier de mouleur, procède par voie d'affirmations, puisque les témoignages précisent suffisamment les conditions d'exposition au risque de celui-ci'; les témoignages, convergents, peuvent se répéter dès lors qu'ils constatent les même faits tout en conservant leur valeur probante.

L'exposition individuelle à l'inhalation aux poussières d'amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave est démontrée, de même que le trouble psychologique engendré personnellement par la connaissance du risque élevé de développer cette pathologie grave, caractérise le manquement à l'obligation de sécurité reproché à l'employeur.

En ce qui concerne la réparation du préjudice subi par Monsieur [J] [S] du fait de cette exposition fautive et du défaut d'information de l'employeur, distincts d'un préjudice de contamination, il sera justement fixé, au vu des éléments produits mais également de l'âge de la victime née en 1957 et de la durée de son exposition au risque, à la somme de 8.000 euros et le jugement rendu sera confirmé.

Sur l'appel en garantie formé par la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] à l'encontre de la société SAS Fives :

A titre subsidiaire, la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] sollicite la garantie de la société SAS Fives pour les condamnations prononcées à son encontre, en application des dispositions de l'article L 1224-2 du code du travail et en l'absence de convention spécifique au moment du transfert, la créance litigieuse résultant d'un manquement de la société Fives Cail Babcock.

La société Fives doit être tenue du passif de la société Fives Cail Babcock, qui devenue la société SAS Fives, peu important le libellé du certificat de travail produit.

La société SAS Fives estime que la créance étant postérieure à la date du transfert du contrat de travail au vu des dispositions de l'article L.1224-2, la demande en garantie doit être rejetée.

L'article L.122-12 du code du travail devenu L.1224-1 dans sa version applicable au litige prévoyait que s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

Et l'article L.122-12-1 devenue L.1224-2, dans sa version applicable, précisait que, à moins que la modification visée au deuxième alinéa de l'article L.122-12 n'intervienne dans le cadre d'une procédure de sauvegarde ou de redressement ou liquidation judiciaires, ou d'une substitution d'employeurs intervenue sans qu'il y ait eu de convention entre ceux-ci, le nouvel employeur est en outre tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, des obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de cette modification.

Tout en précisant que le premier employeur est tenu de rembourser les sommes acquittées par le nouvel employeur en application de l'alinéa précédent, sauf s'il a été tenu compte de la charge résultant de ces obligations dans la convention intervenue entre eux.

Dès lors l'article L.1224-2 du code du travail (anciennement l'article L.122-12-1) n'emporte pas substitution mais adjonction de débiteurs en vue d'offrir une garantie supplémentaire aux salariés transférés. Il en résulte que, pour les dettes antérieures au transfert, le salarié peut agir indifféremment contre le nouvel employeur ou contre l'ancien, les deux employeurs étant tenus in solidum pour les conséquences des manquements du cédant aux obligations résultant du contrat de travail, et le salarié peut ne mettre en cause que le nouvel employeur, même si la créance invoquée est la conséquence d'un manquement du cédant aux obligations résultant du contrat de travail. Mais le nouvel employeur peut se faire rembourser par ce dernier la fraction des sommes correspondant à la période antérieure au transfert représentant le temps pendant lequel le salarié était au service de l'ancien employeur.

Il ressort :

- du courrier de la DIRECCTE du 05.02.2016 adressé au Ministre du travail et concernant le rapport d'enquête en vue d'une inscription de la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] sur la liste fabrication des entreprises ouvrant droit à la CAATA, qui a été rédigé au vu du rapport d'enquête de la CARSAT du 07.10.2015, que l'amiante a été utilisée sous différentes forme dans l'entreprise de Denain pendant la période 1977 à 1991, et que la substitution de l'amiante était entamée en 1996 au niveau des briques de coffrage de moule, qu' «'aucun élément ne permet en l'état de justifier de l'utilisation de l'amiante dans les process de l'entreprise après 1991'» dont l'activité était la fonderie/aciérie'; il a été précisé que pour réaliser du calorifugeage, des châssis de tôles ont été protégés par les salariés par des plaques d'amiante de 1976 à 1985 soit 0,25'% de l'activité de l'entreprise'; en ce qui concerne le calorifugeage des poches de coulées, cette activité s'est prolongée au moins jusqu'en 1990 et représentait à l'époque 0,38'% de l'activité de l'entreprise ; il faut également prendre en compte le travail réalisé sur les fours de traitement thermique, pendant les années 1990, cette activité représentant moins de 0,01'% de l'activité de l'entreprise ainsi que la mise en place joints pour les portes de fours (0,03'%)'; le rapport a enfin inclus 0,13'% pour des opérations complémentaires';

- du jugement rendu par le tribunal administratif de Lille le 31.01.2018, que, s'il a été décidé que les opérations de calorifugeage à l'amiante sur le site de Denain ne rentraient pas dans le champ d'application de l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23.12.1998, néanmoins il est justifié 'par de nombreuses attestations' de ce que 'ces activités exposaient personnellement et de manière particulièrement intense les opérateurs à l'inhalation de fibres d'amiante''; le jugement relève au surplus que les activités accessoires de garnissage de poches de coulées, de protection de ces poches et des châssis de tôle ou de pose de tôle d'amiante sur les noyaux 'relevaient du calorifugeage et exposaient directement les salariés à l'amiante'.

Il s'ensuit que la part de responsabilité de la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8], au vu de la durée d'utilisation fautive de l'amiante la concernant, doit être limitée à 10'%, le surplus étant mis à la charge de la société SAS Fives. Cette société devra garantir la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] des condamnations prononcées à son encontre à concurrence de 90'%.

Il serait inéquitable que Monsieur [J] [S] supporte l'intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la SAS Fonderie et Aciéries de [Localité 8] et la société SAS Fives qui succombent doivent en être déboutées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement contradictoirement :

Déclare l'appel recevable ;

Confirme le jugement rendu le 25.01.2022 par le conseil de prud'hommes de Valenciennes section Industrie en formation de départage en ce qu'il a rejeté la demande de mise hors de cause de la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] et de la société SAS Fives, en ce qu'il a condamné la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] au paiement au salarié de la somme de 8.000'euros en réparation du préjudice d'anxiété et au paiement de la somme de 500'euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ;

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de leur demande ;

Reçoit la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] en son appel en garantie à l'encontre de la société SAS Fives ;

Dit que la société SAS Fives devra garantir la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 90'% et l'y condamne en tant que de besoin ;

Rejette les autres demandes ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum la SAS Fonderie et Aciéries de [Localité 8] et la société SAS Fives à payer à Monsieur [J] [S] la somme de 600'euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Condamne in solidum la SAS Fonderie et Aciéries de [Localité 8] et la société SAS Fives la société Fonderie et Aciéries de [Localité 8] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER

Valérie DOIZE

POUR LE PRESIDENT EMPECHÉ

Muriel LE BELLEC,

Conseillère


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale c salle 1
Numéro d'arrêt : 22/00190
Date de la décision : 30/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-30;22.00190 ?
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