ARRÊT DU
30 Juin 2023
N° 999/23
N° RG 22/00118 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UCMM
AM/AL
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Tourcoing
en date du
08 Décembre 2021
(RG -section )
GROSSE :
aux avocats
le 30 Juin 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
Mme [Y] [Z]
[Adresse 3]
[Localité 1] / France
représentée par Me Alexandre PECQUEUR, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
S.A.S. CYRILLUS
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Noémie DUPUIS, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l'audience publique du 02 Mai 2023
Tenue par Alain MOUYSSET
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Valérie DOIZE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie LE BRAS
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Alain MOUYSSET
: CONSEILLER
Patrick SENDRAL
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Juin 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 11 Avril 2023
FAITS ET PROCEDURE
Suivant contrat de travail à durée indéterminée Mme [Y] [Z] a été embauchée à compter du 12 mars 2012 par la société CYRILLUS en qualité de modéliste agent de maîtrise, la convention collective de l'habillement étant applicable à la relation de travail.
A compter du 12 avril 2016 la salariée a été placée sous l'autorité d'une nouvelle manager Mme [D].
Elle a été mise en arrêt de travail à compter du 10 mai jusqu'au 8 juin 2016 puis à partir du 26 juillet 2016.
Le 10 octobre 2016 la salariée a alerté la société au sujet de sa situation se disant victime de souffrance au travail, étant précisé que des échanges entre les conseils des deux parties ont suivi l'envoi de ce courrier.
Au terme d'une première visite de reprise le médecin a préconisé un reclassement à prévoir en tant que modéliste au sein de l'enseigne VERBAUDET.
Lors de la seconde visite, le 21 décembre 2018, le médecin du travail a conclu '' capacités restantes : la salariée est médicalement en capacité d'être affectée à un autre service, en tant que modéliste , en ventes pour les boutiques, en tant que manager, avec une formation adaptée. Confirmation de l'inaptitude médicale au poste de modéliste à CYRILLUS ''.
Le 12 janvier 2019 la salariée a refusé les propositions de reclassement lui ayant été soumises le 7 janvier 2019 par la société, en s'étonnant par ailleurs de la référence à une inaptitude d'origine non professionnelle.
Après avoir informé le 22 janvier 2019 la salariée des motifs rendant impossible son reclassement, la société l'a convoquée le 24 janvier 2010 à un entretien préalable fixé au 4 février 2019, auquel la salariée ne s'est pas présentée, étant précisé que la lettre recommandée n'a été présentée que le 2 février 2019.
Le 8 février 2019 la société a notifié à la salariée son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 4 juin 2019 la caisse primaire d'assurance-maladie de [Localité 1] a informé la salariée de la prise en charge de sa maladie au titre de la législation professionnelle suite à l'avis favorable rendu par un CRRMP.
Le 20 décembre 2019 la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Tourcoing, lequel par jugement du 8 décembre 2021 s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande indemnitaire de la salariée en raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité en disant que cette demande doit être portée devant le pôle social du tribunal judiciaire de Lille.
Par cette même décision le conseil de prud'hommes a dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, et a débouté la salariée de ses demandes indemnitaires en laissant à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
Le 26 janvier 2022 la salariée a interjeté appel de ce jugement.
Vu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Vu les conclusions déposées le 24 avril 2022 par la salariée.
Vu les conclusions déposées le 21 juillet 2022 par la société.
Vu la clôture de la procédure au 11 avril 2023.
SUR CE
Il convient à titre liminaire de constater que la salariée n'a pas interjeté appel de la décision du conseil se déclarant incompétent quant à l'examen de cette demande en dommages-intérêts pour violation de l'obligation sécurité.
De la recevabilité de la demande en dommages préjudice moral résultant du harcèlement moral
Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention de tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
L'article 565 du même code dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux même fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.
Par ailleurs aux termes de l'article 566 du code de procédure civile les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l'espèce il convient de constater que le salarié n'a pas formulé par devant le conseil de prud'hommes de demande en dommages et intérêts pour préjudice moral résultant du harcèlement moral.
La société soutient que par voie de conséquence cette demande est irrecevable comme ne correspondant pas à l'une des exceptions édictées par l'article 564 du code de procédure civile, alors que la salariée n'a développé aucune argumentation de ce chef.
Il convient de constater tout d'abord que la salariée a présenté pardevant le conseil de prud'hommes une demande indemnitaire d'un quantum identique sur le fondement d'une violation de l'obligation de sécurité, au sujet de laquelle le conseil de prud'hommes s'est déclaré matériellement incompétent.
Elle n'a pas contesté sur ce point le jugement entrepris, et ne peut donc présenter une prétention tendant aux mêmes fins mais seulement une demande étant l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire aux prétentions soumises au premier juge.
Or un licenciement peut être déclaré nul lorque l'inaptitude d'un salarié est imputable à un manquement de l'employeur à ses obligations caractérisé par un harcèlement moral, comme l'invoque la salariée, de sorte que la demande en dommages et intérêts pour harcèlement moral constitue l'accessoire de la demande en nullité du licenciement qui repose sue l'existence d'un tel harcèlement.
Il y a lieu en conséquence de rejeter la demande de la société tendant à déclarer irrecevable la demande en dommages-intérêts pour harcèlement moral.
De la nullité du licenciement
En cas de litige, l'article L. 1154-1 du code du travail dispose que le salarié présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Il incombe à la partie adverse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Par ailleurs le licenciement pour inaptitude d'un salarié est nul si cette inaptitude trouve sa cause directe et certaine dans des actes de harcèlement moral commis par l'employeur.
En l'espèce la salariée ne présente pas des éléments qui pris dans leur ensembles sont de nature à faire présumer un harcèlement moral.
En effet dans sa lettre de dénonciation d'agissements de harcèlement moral adressée à son employeur mais aussi au CHSCT et à l'inspection du travail, la salariée indique clairement que l'auteur desdits agissements est sa nouvelle manager ayant pris ses fonctions à compter du 12 avril 2016.
Si la faible durée des relations de travail n'est pas exclusive d'une telle situation, pour autant il convient de constater qu'aucun des rares documents produits par la salariée ne concerne cette manager, les quelques mails communiqués étant antérieurs à la prise de fonction de cette dernière, étant précisé qu'ils se rapportent à une difficulté relationnelle entre la salariée et Mme [K] datant de 2014 et ayant été réglée par l'ancienne manager par un rapprochement des deux points de vues.
Par ailleurs Mme [Z] fait référence à des contacts avec des délégués du personnel, lesquels ne ressortent pas des pièces qu'elle communique mais des déclarations de la société, qui relate avoir été informée par le biais du service des ressources humaines de contacts initiés par la salariée auxquels aucune suite n'a été donnée, ce que corrobore l'absence de fourniture d'éléments permettant d'accréditer une prise de position de ces derniers ou du CHSCT.
En outre la salariée se prévaut d'un changement d'affectation au niveau de la collection, s'étant vu confier celle '' femme '', alors que son contrat de travail ne stipule pas de stipulation spécifique, et qu'en toutes hypothèses ce changement n'est pas le fait de sa nouvelle manager comme étant intervenu en 2014, sans que Mme [Z] ne justifie pas de la formulation de protestations de ce chef.
Il apparait en outre que la salariée a bénéficié de manière régulière de plusieurs formations durant la période ayant débuté en 2014 jusqu'à son placement de manière continue en arrêts de travail, étant précisé que sa demande de ce chef dans le cadre de son évaluation est antérieure à la période visée comme marquée par l'accomplissement d'actes allégués de harcèlement moral, sans qu'il ne soit justifié ni d'un renouvellement de ladite demande, ni d'un refus.
La salariée ne se prévaut donc que de la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie , et de la dégradation de son état de santé.
Outre le fait qu'une telle décision ne s'impose pas au juge prud'homal, un tel caractère pouvant être contesté dans la cadre de l'instance prud'homale, il convient de constater que la salariée n'invoque pas des éléments recueillis à la suite des investigations menées dans le cadre du litige de sécurité sociale, comme de déclarations, pour faire présumer un harcèlement moral.
La seule dégradation incontestable de l'état de santé de la salariée, et la nécessité d'envisager un reclassement en dehors de la société CYRILLUS, ne sont pas de nature à faire présumer un harcèlement moral, puisque la salariée ne peut pas se prévaloir d'autres faits, qui avec ces éléments, pris dans leur ensemble auraient permis de présumer d'un tel harcèlement moral.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande en reconnaissance d'une nullité du licenciement et de rejeter sa demande indemnitaire subséquente en dommages et intérêts pour harcèlement moral.
De l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement
La salariée soutient que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse au motif d'une part d'une consultation des délégués du personnel n'étant pas établie et à défaut incomplète, et d'autre part du caractère déloyal de la recherche de reclassement l'employeur sachant pertinemment qu'elle allait refuser les propositions effectuées.
Toutefois aucune forme n'est exigée quant à la consultation des délegués du personnel, qui peut être réalisée par voie de conférence téléphonique, ce qui est mentionné dans le procès verbal de consultation, lequel n'est pas signé ce qui au regard des modalités de consultation ne constitue pas un motif de remise en cause de sa validité, étant observé que la salariée se borne à contester son caractère probant sans soutenir qu'il s'agit d'un faux.
Par ailleurs la salariée procède par voie d'affirmation quant au nombre insuffisant de délégués du personnel consultés sans mentionner lesquels auraient été omis, et alors même que le procès-verbal fait référence à la consultation de trois délégués.
En ce qui concerne la recherche de reclassement, la salariée la qualifie de déloyale au motif que la société savait qu'elle ne pouvait pas accepter de telles offres, alors même qu'aucun élément de la procédure n'établit l'existence de desiderata limités de cette dernière quant à sa mobilité géographique, et que dans le courrier formalisant son refus celle-ci ne fait référence à aucun motif.
Par ailleurs les offres de la société respectent les préconisations du médecin du travail, et sont au nombre de 4, alors même qu'il est suffisant que l'employeur en formule une seule correspondant aux dites préconisations.
Il convient au regard de l'ensemble de ces éléments de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, et a débouté la salariée de l'ensemble de ces demandes indemnitaires en lien avec la reconnaissance d'une absence d'une telle cause.
De la demande en dommages-intérêts pour procédure de licenciement irrégulière
Si le délai de 5 jours ouvrables n'a pas été respecté au niveau de la convocation à un entretien préalable, pour autant ce n'est pas le fait de la société qui a subi un délai de traitement du courrier excessif de la part des services de la Poste, à l'égard de laquelle il lui appartient de s'adresser.
Il n'en demeure pas moins qu'il n'est pas établi que cette violation de la procédure ait causé un préjudice à la salariée, qui avait la possibilité de solliciter un report de la date d'entretien préalable au regard de la date de présentation de la lettre mais ne l'a pas fait.
Des demandes au titre de l'indemnité compensatrice équivalente à l'indemnité de préavis et à l'indemnité spéciale de licenciement
Il convient d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes en indemnité compensatrice et celle en complément d'indemnité de licenciement, dès lors que le conseil de prud'hommes a pris en compte la décision de prise en charge postérieure au licenciement pour exclure la connaissance de la société de cette origine professionnelle, alors qu'il est seulement nécessaire que celle-ci existe au moment du licenciement.
Or il résulte de la décision de prise en charge que la demande de la salariée est ancienne, son examen ayant été repris pour aboutir à la saisine d'un CCRMP, et la formulation d'un avis positif de ce comité s'imposant à la caisse.
Il convient de constater que la société, qui s'est acquittée des sommes sollicitées par la salariée à la suite de la décision de la caisse, ne soutient pas ne pas avoir eu connaissance de la demande en reconnaissance du caractère professionnel au moment du licenciement, en faisant valoir que '' Mme [Y] [Z] a été parfaitement remplie de ses droits à indemnité spéciale de licenciement et à indemnité compensatrice de préavis ''.
De même la société ne développe aucune argumentation de nature à remettre en cause l'origine professionnelle à tout le moins partielle de l'inaptitude, tout en concluant au rejet des demandes indemnitaires de ce chef de la part de la salariée et la confirmation du jugement entrepris, lequel a débouté la salariée après avoir indiqué dans les motifs de sa décision ses demandes irrecevables du fait du paiement intervenu.
Quoi qu'il en soit de ces motifs contradictoires, seul le dispositif du jugement devant être pris en compte, du positionnement ambiguë de la société, il convient de faire droit à la demande de la salariée dès lors que les conditions d'octroi sont remplies, sauf à préciser que la somme octroyée au titre de l'indemnité compensatrice est soumise au paiement des cotisations sociales, et que la société a versé à ce titre la somme de 4900 euros.
De l'application des dispositions de l'article 700 code de procédure civile
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Des dépens
Chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté Mme [Y] [Z] de sa demande en indemnité compensatrice et sa demande en complément d'indemnité spéciale de licenciement,
Statuant à nouveau, et ajoutant au jugement entrepris,
Déboute la société CYRILLUS de sa demande tendant à déclarer irrecevable la demande en dommages-intérêts pour harcèlement moral,
Condamne la société CYRILLUS à payer à Mme [Y] [Z] les sommes suivantes :
-4900 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice équivalente à l'indemnité de préavis
-3389,33 euros nets à titre de complément d'indemnité spéciale de licenciement
Déboute Mme [Y] [Z] de sa demande indemnitaire formulée au titre de harcèlement moral,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Valérie DOIZE Marie LE BRAS