ARRÊT DU
30 Juin 2023
N° 979/23
N° RG 21/01111 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TWF3
OB/VM
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE SUR MER
en date du
27 Mai 2021
(RG 20/00082 -section 2)
GROSSE :
aux avocats
le 30 Juin 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
Mme [F] [X]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Raphaël TACHON, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 59178/02/21/010283 du 19/10/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de DOUAI)
INTIMÉS :
S.A.R.L. CABE (EFFEA)
en liquidation judiciaire
S.E.L.A.R.L. RUFFIN MANDATAIRE ASSOCIES - RM&A liquidateur judiciaire de la SARL CABE (EFFEA)
INTERVENANT VOLONTAIRE
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Benoît CALLIEU, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER
CGEA D'[Localité 6] DÉLÉGATION RÉGIONALE UNEDIC AGS
[Adresse 1]
[Localité 6]
n'ayant pas constitué avocat - assigné le 21.03.22 à personne habilitée
DÉBATS : à l'audience publique du 06 Juin 2023
Tenue par Olivier BECUWE
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Serge LAWECKI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Olivier BECUWE
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Frédéric BURNIER
: CONSEILLER
Isabelle FACON
: CONSEILLER
ARRÊT : Réputée contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Juin 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 23 mai 2023
EXPOSE DU LITIGE :
Mme [X] a été engagée par la société Cabe, qui exploitait alors un centre d'amincissement, selon contrat de travail conclu à durée déterminée et à temps partiel à compter du 9 mai 2019 jusqu'au 8 novembre 2019 au motif d'un surcroît temporaire d'activité.
Par un premier avenant du 22 octobre 2019, le contrat est passé à temps complet.
Par un second avenant du 8 novembre 2019, le contrat a été prolongé pour un terme au 8 mai 2020.
A la suite de la crise sanitaire consécutive à l'épidémie de Covid-19, le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 a, dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, prescrit les mesures générales nécessaires pour y faire face.
En application de ce décret, ultérieurement modifié, il a été décidé de fermer l'ensemble des commerces accueillant du public et ce jusqu'au 11 mai 2020.
Par lettre du 30 mars 2020, la société Cabe a informé la salariée de la 'rupture anticipée de son CDD pour cas de force majeure'.
La date de rupture a été fixée au 3 avril 2020.
Le centre d'amincissement exploité par la société Cabe a rouvert le 11 mai 2020.
Contestant la rupture anticipée de son contrat de travail, Mme [X] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-sur-Mer de demandes au titre de son caractère abusif ainsi qu'en paiement de l'indemnité de fin de contrat et pour irrégularité de procédure.
Retenant pour l'essentiel l'existence d'un cas de force majeure, la juridiction prud'homale en a, par jugement du 27 mai 2021, débouté l'intéressée.
Par déclaration du 28 juin 2021, Mme [X] a fait appel.
Selon jugement du 3 février 2022, le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a placé la société Cabe en liquidation judiciaire et a désigné en qualité de liquidateur à cette procédure la société Ruffin mandataires & associés représentée par Mme [V].
L'association Unédic pour la garantie des créances des salariés, agissant par l'intermédiaire du centre de gestion et d'étude d'[Localité 6] (l'AGS-CGEA), a été assignée devant la cour d'appel selon acte d'huissier du 21 mars 2022 délivré à une personne habilitée pour le recevoir.
Dans ses conclusions récapitulatives, auxquelles il est référé pour l'exposé des moyens, l'appelante sollicite l'infirmation du jugement et réitère ses prétentions initiales.
Le liquidateur réclame quant à lui la confirmation du jugement s'en appropriant les motifs.
L'AGS-CGEA n'ayant pas constitué, l'arrêt sera réputé contradictoire en application de l'article 474 du code de procédure civile.
MOTIVATION :
1°/ Sur les dommages-intérêts au titre de l'article L.1243-4, alinéa 1er, du code du travail :
L'article L.1243-1, 1er alinéa, du code du travail permet, sur le fondement de la force majeure, la rupture avant terme d'un contrat à durée déterminée.
Si la force majeure invoquée n'est pas constituée, la rupture anticipée ouvre droit pour le salarié, aux termes de l'article L.1243-4, alinéa 1er, du code du travail, 'à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8.'
Selon le liquidateur, l'épidémie de Covid-19 caractérise un cas de force majeure au sens de ces textes tant dans sa survenance qu'au regard de ses conséquences, étant d'ailleurs ajouté qu'en matière sociale le fait du prince peut être assimilé à la force majeure, comme la Cour de cassation apparaît l'avoir déjà admis (Soc., 23 mai 2017, n° 15-27.175).
Mme [X] conteste ce raisonnement.
Les parties invoquent toutes deux l'article 1218 du code civil.
L'applicabilité de ce texte est pleine et entière en matière prud'homale.
Ce texte précise, en son alinéa 1er, que la force majeure qui autorise un employeur à s'exonérer de tout ou partie des obligations nées de la rupture d'un contrat de travail s'entend de la survenance d'un événement qui lui est extérieur 'en ce qu'il échappe à son contrôle', 'qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat de travail' et qui présente une certaine irrésistibilité dans l'exécution en ce que 'ses effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées'.
L'article 1218 prévoit expressément, en son second alinéa, que 'si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue'.
Pour conclure à l'infirmation du jugement déféré, l'appelante soutient, pour l'essentiel, que la fermeture de l'établissement était temporaire, que celui-ci a d'ailleurs rouvert en mai 2020, que le gouvernement français avait réformé le dispositif du chômage partiel afin de lutter contre les ruptures de contrat de travail pendant la suspension de leur exécution et que ce dispositif a permis la prise en charge des salaires par l'Etat.
Elle ajoute que la notion de force majeure, au sens des textes précités, est restrictive et qu'à cet égard la jurisprudence, dont elle cite de nombreuses décisions, l'a, par exemple, exclue en matière de fermeture administrative de l'établissement où travaillait un salarié (Soc., 28 juin 2005, n° 03-43.192), en matière d'épidémie de dengue ou encore en cas de propagation du virus chikungunya aux Antilles.
C'est toutefois à juste titre que le liquidateur conclut à la confirmation de la décision attaquée.
La jurisprudence citée n'apparaît, en effet, pas transposable.
A l'époque de ses premières vagues, et notamment lorsqu'il a conduit les autorités à décider d'un confinement en mars 2020, le virus de la Covid-19 présentait un caractère létal, mondial et inédit, sans vaccin ni traitement, alors que les épidémies de dengue et de chikungunya, localement circonscrites, connaissaient des antécédents et leurs effets sur la santé étaient déjà bien mieux appréhendés.
Comme le souligne à juste titre le liquidateur, l'événement de force majeure lié à l'épidémie de coronavirus s'est doublé d'un fait du prince en ce que des mesures restrictives ont été prises par les pouvoirs publics, le décret susvisé du 23 mars 2020 en étant une illustration puisqu'il a d'autorité contraint la société Cabe à fermer.
Il doit être souligné que la nouvelle définition de la force majeure apparaît plus souple que celle de l'ancien article 1148 du code civil, ce qui autorise à l'admettre plus volontiers.
En outre, si la suspension de l'exécution est possible comme le prévoit l'article 1218 du code civil en son second alinéa, encore faut-il que le retard pris ne rende pas inutile ou même caduque la prestation.
Or, en l'espèce, la fermeture administrative de l'établissement, fondée sur le décret précité du 23 mars 2020, lui-même justifié par la crise sanitaire d'une ampleur alors inédite, a été, en application des articles 8 et 9 de ce texte, immédiatement imposée à l'employeur, d'abord jusqu'au 15 avril 2020, puis, en application de l'arrêté complémentaire du 14 avril 2020 afférent au décret, jusqu'au 11 mai 2020, soit au-delà du terme du contrat de travail à durée déterminée.
En d'autres termes, la combinaison d'un cas de force majeure constitué par cette épidémie et d'un fait du prince ont permis à la société Cabe de mettre un terme, dès le 30 mars 2020 avec effet au 3 avril 2020, au contrat de Mme [X].
Il est certes exact qu'au jour de la rupture, la perspective d'une possible réouverture le 15 avril 2020, soit avant le terme du contrat de travail à durée déterminée, était envisageable.
Mais cette réouverture n'a pu, en toute hypothèse, avoir lieu avant le terme du contrat à durée déterminée.
La circonstance qu'il existait un dispositif renforcé d'activité partielle est, par ailleurs, indifférente puisque, dans les faits, la société Cabe ne fonctionnait plus et qu'elle n'allait plus avoir recours, dans le laps de temps restant, aux services de l'intéressée, ce qui a ainsi signé une situation d'empêchement définitif.
En d'autres termes, la suspension du contrat de travail résultant, conformément à l'article L.5122-1 du code du travail, de la mise en activité partielle n'est ici d'aucune utilité car l'empêchement s'est révélé définitif au regard de l'exécution du contrat qui n'était qu'à durée déterminée.
Le jugement qui rejette la demande sera confirmé.
2°/ Sur les dommages-intérêts au titre de l'article L.1243-4, second alinéa, du code du travail :
Aux termes de l'article L.1243-4, second alinéa, du code du travail, 'Toutefois, lorsque le contrat de travail est rompu avant l'échéance du terme en raison d'un sinistre relevant d'un cas de force majeure, le salarié a également droit à une indemnité compensatrice dont le montant est égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat. Cette indemnité est à la charge de l'employeur.'
Le jugement n'apparaît pas avoir statué sur cette demande alors même que l'appelante excipe de l'article L.1243-4 du code du travail pris en sa globalité et que le liquidateur consacre au second alinéa un bref développement.
La notion de 'sinistre relevant d'un cas de force majeure' au sens du texte susvisé s'entend, conformément au droit des assurances, comme la réalisation d'un risque contre lequel l'employeur aurait pu s'assurer.
La présente affaire interroge quant à la possibilité qu'avait la société Cabe de s'assurer contre le risque de fermeture administrative consécutive à une épidémie comme celle de l'espèce.
La technique de l'assurance repose sur une mutualisation de risques statistiquement maîtrisés ayant un caractère aléatoire.
La charge du risque doit pouvoir être supportée par l'ensemble des assurés.
Il s'ensuit que ceux qui sont de nature et d'ampleur exceptionnelles ne sont, en principe, pas assurables, sauf à être soutenus par l'Etat comme en matière d'assurance de catastrophes naturelles.
Mais les catastrophes naturelles se distinguent par leur intensité et ne concernent pas l'ensemble des assurés en même temps, contrairement à un épisode de pandémie.
La pandémie liée au coronavirus et la fermeture administrative d'une large partie de l'appareil productif en 2020, y compris dans d'autres pays, ont cumulé une intensité à la fois inédite et mondiale.
Ces caractéristiques rendaient, en conséquence, non assurable le risque tel qu'il s'est, en l'espèce, réalisé.
A titre d'illustration, la Cour de cassation a statué (Civ. 2ème, 1er décembre 2022, n° 21-15.392) sur une clause d'exclusion de la garantie de pertes d'exploitation liées à la propagation du virus de la Covid-19, le contrat prévoyant la garantie des pertes d'exploitation en cas de fermeture administrative consécutive à une épidémie.
La Cour de cassation a décidé qu'était formelle et limitée la clause excluant ces pertes de la garantie, lorsque, selon cette clause, 'à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique'.
C'est admettre que, par son intensité inédite, l'épidémie du coronavirus ne pouvait, en réalité, donner lieu à assurance.
Il s'en déduit qu'en l'espèce le sinistre, soit la fermeture administrative, ne pouvait, en raison de la force majeure née de la situation sanitaire et de ses conséquences, être garanti par un contrat d'assurance et répondre ainsi à ce qu'exige l'article L.1243-4, second alinéa, du code du travail.
La demande sera rejetée et il sera ajouté au jugement.
3°/ Sur l'indemnité de fin de contrat de l'article L.1243-8 du code du travail :
L'appelante se prévaut de l'article L.1243-4, alinéa 1er, du code du travail qui prévoit expressément le bénéfice de cette indemnité en cas de rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée à l'initiative de l'employeur.
Mais, comme le souligne judicieusement le liquidateur, c'est à la condition que la rupture anticipée soit en dehors des cas autorisés, soit la faute grave, la force majeure ou encore l'inaptitude constatée par le médecin du travail.
C'est le sens de l'article L.1243-4, alinéa 1er, du code du travail et, comme l'a par ailleurs retenu à juste titre le conseil de prud'hommes, cette règle est rappelée à l'article L.1243-10, 4°, du code du travail.
Le jugement sera confirmé.
4°/ Sur les dommages-intérêts au titre de l'irrégularité de la procédure :
Mme [X] se plaint de n'avoir pas été convoquée à un entretien préalable.
Si cette formalité s'impose en cas de rupture anticipée pour faute grave, aucun texte n'apparaît la prévoir en cas de force majeure, ce qui s'accorde d'ailleurs avec les circonstances qui rendent à la fois inutile un tel entretien et nécessaire et immédiat la rupture.
Il a d'ailleurs été déjà jugé, par analogie, et même si les données de l'espèce étaient différentes, qu'un employeur n'avait pas à suivre la procédure de licenciement pour motif économique en cas de force majeure (Crim., 4 janvier 1984, n° 83-90.022).
Le jugement qui rejette la demande sera confirmé.
5°/ Sur les frais irrépétibles d'appel :
Il serait inéquitable de condamner l'appelante, bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale et qui, ayant succombé en son appel, sera déboutée de sa demande de ce chef, à payer au liquidateur pris ès qualités une indemnité de frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS :
La cour d'appel statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi :
- confirme le jugement déféré ;
- y ajoutant, rejette l'ensemble des demandes ;
- condamne Mme [X] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridique.
LE GREFFIER
Valérie DOIZE
LE PRÉSIDENT
Olivier BECUWE