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30/06/2023 | FRANCE | N°21/00273

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale c salle 1, 30 juin 2023, 21/00273


ARRÊT DU

30 Juin 2023







N° 954/23



N° RG 21/00273 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TOXJ



SHF/VM





























Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Boulogne-Sur-Mer

en date du

09 Février 2021

(RG 19/00081 -section )



































GROSSE :


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le 30 Juin 2023



République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



Mme [U] [N]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Audrey SART, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER





INTIMÉE :



Association MISSION LOCALE [Localité 3] COTE D'...

ARRÊT DU

30 Juin 2023

N° 954/23

N° RG 21/00273 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TOXJ

SHF/VM

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Boulogne-Sur-Mer

en date du

09 Février 2021

(RG 19/00081 -section )

GROSSE :

Aux avocats

le 30 Juin 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme [U] [N]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Audrey SART, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER

INTIMÉE :

Association MISSION LOCALE [Localité 3] COTE D'OPALE

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Me Hélène BERNARD, avocat au barreau de LILLE substituée par Me Mathilde DURAND-ROUSSEL, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Soleine HUNTER-FALCK

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

Gilles GUTIERREZ

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : Angélique AZZOLINI

DÉBATS : à l'audience publique du 29 Mars 2023

Le prononcé de l'arrêt a été prorogé du 26 mai 2023 au 30 juin 2023 pour plus ample délibéré

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Juin 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC, Conseiller et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 08 mars 2023

La Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale est soumise à la convention collective des missions locales et PAIO (7 à 20 salariés) ; elle comprend plus de 10 salariés.

Mme [U] [N], née en 1970, a été engagée par la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale du 16.11.2009 au 09.02.2011, par contrat unique d'insertion à durée déterminée à temps plein, en qualité de directrice, coefficient 606, cotation 16, afin de pallier l'absence d'un collaborateur en congé sabbatique.

Le 09.02.2011, la Mission Locale [Localité 3] Côte d'Opale a conclu avec Madame [N] un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de directrice coefficient 652 statut cadre, placée sous l'autorité du conseil d'administration et de son président, Monsieur [W], ce à temps complet.

La moyenne mensuelle des salaires de Mme [U] [N] s'établit à 3.154,16 €.

Le 29.03.2013, la sous Préfecture du Pas de Calais a mis en garde la présidente de la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale, Mme [V], en raison de négligences administratives mettant en péril le travail des agents ; une mission d'organisation fonctionnelle de l'entreprise a été mise en place et confiée à la Délégation départementale de la Côte d'Opale en mars 2013 ; Mme [V] ainsi que la trésorière ont démissionné de leurs fonctions le 19.04.2013.

Mme [U] [N] a été déclarée inapte temporaire par le médecin du travail le 01.08.2013 en raison d'un syndrome anxiodépressif.

Un arrêt de travail a été prescrit à Madame [N] à compter du 21.08.2015 pour syndrome dépressif après épuisement professionnel ; une demande de reconnaissance de maladie professionnelle en date du 08.10.2015 a été adressée par la salariée, et enregistré par la CPAM le 12.11.2015 pour 'état dépressif après épuisement professionnel burn out professionnel' ; l'arrêt de travail a été prolongé régulièrement.

Le 29.06.2016, le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles du Nord-Pas-de-Calais-Picardie (CRRMP) a reconnu le caractère professionnel de la maladie de Madame [N] ayant entraîné un taux d'IPP d'au moins 25%.

Le 12.07.2016, la CPAM 62 a reconnu le caractère professionnel de la maladie de Mme [U] [N].

Le 08.12.2017, le CRRMP de [Localité 4], désigné par le TASS de Boulogne sur Mer le 08.12.2017, a émis un avis favorable à la reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie de Mme [U] [N].

La maladie de Mme [U] [N] a été déclarée consolidée avec séquelles indemnisables le 18.02.2018 par la CPAM 62, un protocole de soins étant mis en place.

Mme [U] [N] a été déclarée inapte à son poste par deux visites les 20 et 27.06.2018 auprès de la médecine du travail, qui a précisé que tout maintien de la salariée à son poste serait gravement préjudiciable à sa santé et que, par ailleurs, celle ci était en capacité de bénéficier d'une formation la préparant à occuper un poste adapté.

Une demande temporaire d'inaptitude a été adressée à la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale par LRAR du 28.06.2018.

Mme [U] [N] a été convoquée par lettre du 09.07.2018 à un entretien préalable fixé le 26.07.2018, puis licenciée par son employeur le 30.07.2018 pour inaptitude et impossibilité de reclassement ; cette mesure a été contestée le 24.10.2018.

Par jugement en date du 24.08.2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Boulogne sur Mer a déclaré la décision de la CPAM Côte d'Opale de prise en charge de la maladie hors tableaux de type 'état dépressif après épuisement professionnel' en date du 12.11.2015 , inopposable en toutes ses conséquences financières à la Mission Locale [Localité 3] Côte d'Opale.

Mme [U] [N] a saisi le 09.01.2019 la CPAM 62 d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et d'indemnisation du préjudice subi ; un procès verbal de non conciliation a été établi le 13.03.2019 ; la salariée a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer du litige.

Le 07.05.2019, le conseil des prud'hommes de Boulogne sur Mer a été saisi par Mme [U] [N] en reconnaissance d'une situation de harcèlement moral, nullité du licenciement, indemnisation des préjudices matériel et moral subis et pour diverses demandes liées à l'exécution du contrat de travail.

Un appel a été interjeté régulièrement devant la cour d'appel de Douai le 26.02.2021 par Mme [U] [N] à l'encontre du jugement rendu le 09.02.2021 par le conseil de prud'hommes de Boulogne sur Mer section Encadrement, qui a débouté Mme [U] [N] de l'ensemble de ses demandes, sauf en ce qui concerne le solde l'indemnité compensatrice de préavis pour un montant de 2.790,24 € mis à la charge de l'employeur, lui même débouté de sa demande reconventionnelle ; les dépens de l'instance ont été mis à la charge de chacune des parties.

Par jugement rendu le 12.03.2021 devenu définitif, le tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer a dit que la maladie professionnelle de Mme [U] [N] du 21.08.2015 était due à une faute inexcusable de la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale, son employeur, et a fixé à son maximum la majoration de la rente qui lui était allouée, tout en ordonnant une expertise avant dire droit sur la liquidation des préjudices.

Vu les conclusions transmises par RPVA le 24.06.2022 par Mme [U] [N] qui demande à la cour de :

'Constater l'absence de consultation des délégués du personnel ;

'Constater que l'inaptitude de Madame [N] est la conséquence des agissements de harcèlement moral dont elle a été victime et des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité ;

En conséquence :

'Juger le licenciement nul ou, à défaut, sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence :

Condamner la Mission Locale Côte d'Opale au paiement des sommes suivantes :

- 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi lié à la rupture du contrat de travail ;

- 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi lié à une situation de harcèlement moral ;

- 3.773, 99 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement ;

- 11.154,00 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 2.935,16 euros au titre du salaire de juillet prélevé sur solde de tout compte ;

- 486,02 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel lié à la radiation d'office de la complémentaire santé ;

- 1.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral lié à la radiation d'office de la complémentaire santé ;

- 4.000 euros au titre de l'article 700 de code de procédure civile ;

Vu les conclusions transmises par RPVA le 01.07.2021 par la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale qui demande de :

CONFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne sur Mer en date du 9 février 2021 en ce qu'il a notamment :

-DÉBOUTE Madame [N] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la nullité du licenciement ;

-DÉBOUTE Madame [N] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

-DÉBOUTE Madame [N] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis ;

-DÉBOUTE Madame [N] de sa demande d'indemnité spéciale de licenciement ;

-DÉBOUTE Madame [N] de sa demande de rappel de salaire ;

-DÉBOUTE Madame [N] de ses demandes au titre de la radiation d'office de la complémentaire santé ;

-DÉBOUTE Madame [N] de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Y faisant droit,

1- SUR LA RÉGULARITÉ DU LICENCIEMENT

'JUGER que l'Association Mission Locale [Localité 3] Côte d'Opale n'a commis aucun manquement dans le cadre de la procédure de licenciement, notamment en matière de consultation des délégués du personnel ;

'JUGER le licenciement pour inaptitude de Madame [N] régulier ;

En conséquence :

'DÉBOUTER Madame [N] de sa demande de nullité du licenciement ainsi que de l'intégralité des demandes formulées de ce chef ;

2- SUR LE HARCÈLEMENT MORAL

A TITRE PRINCIPAL :

'JUGER que l'Association Mission Locale [Localité 3] Côte d'Opale n'a commis aucune faute de harcèlement moral à l'encontre de Madame [N] ;

'PRENDRE ACTE de la décision du Tribunal des affaires de sécurité sociale rendant inopposable la déclaration de maladie professionnelle à l'Association Mission Locale [Localité 3] Côte d'Opale ;

En conséquence :

'DÉBOUTER Madame [N] de sa demande de nullité du licenciement et de l'intégralité des demandes formulées à ce titre ;

A TITRE SUBSIDIAIRE :

' LIMITER le montant des dommages et intérêts à de plus justes proportions sans que la condamnation ne puisse excéder la somme de 3.154,16 euros soit 1 mois de salaire ;

3- SUR LA VIOLATION DE L'OBLIGATION DE SÉCURITÉ PAR L'EMPLOYEUR

A TITRE PRINCIPAL :

'CONSTATER l'absence de tout manquement de l'Association Mission Locale [Localité 3] Côte d'Opale au titre de son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés à l'égard de Madame [N] ;

En conséquence :

'DÉBOUTER Madame [N] de sa demande de nullité du licenciement ainsi que de l'intégralité des demandes de ce chef ;

A TITRE SUBSIDIAIRE :

'LIMITER le montant des dommages et intérêts à de plus justes proportions sans que la condamnation ne puisse excéder la somme de 3.154,16 euros soit 1 mois de salaire ;

4- SUR LES DEMANDES COMPLÉMENTAIRES

'PRENDRE ACTE de l'absence de contestation relative à l'indemnité compensatrice de préavis;

'PRENDRE ACTE de l'absence de contestation relative à l'indemnité compensatrice de congés payés ;

'JUGER que l'Association Mission Locale [Localité 3] Côte d'Opale n'a commis aucun manquement dans le cadre de la procédure de portabilité de la prévoyance ;

'CONSTATER le propre manquement de Madame [N] dans le cadre de la procédure de portabilité de la complémentaire santé ;

'JUGER qu'aucun préjudice moral ne peut valablement être reconnu à Madame [N] dans le cadre de la radiation de la complémentaire santé ;

En conséquence :

'DÉBOUTER Madame [N] de l'intégralité de ses demandes à ce titre ;

5- A TITRE RECONVENTIONNEL ET EN TOUT ETAT DE CAUSE :

'CONDAMNER Madame [N] au paiement d'une somme de 3.000 € à l'Association Mission Locale [Localité 3] Côte d'Opale

'CONDAMNER Madame [N] aux entiers dépens ainsi

Vu l'ordonnance de clôture en date du 08.03.2023 prise au visa de l'article 907 du code de procédure civile ;

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l'audience de plaidoirie.

A l'issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur l'exécution du contrat de travail :

Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il appartient au juge de se prononcer sur l'ensemble des éléments retenus afin de dire s'ils laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral. Le juge ne doit pas seulement examiner chaque fait invoqué par le salarié de façon isolée mais également les analyser dans leur ensemble, c'est-à-dire les apprécier dans leur globalité, puisque des éléments, qui isolément paraissent insignifiants, peuvent une fois réunis, constituer une situation de harcèlement.

Si la preuve est libre en matière prud'homale, le salarié qui s'estime victime de harcèlement moral est tenu d'établir la matérialité des éléments de faits précis et concordants qu'il présente au soutien de ses allégations afin de mettre en mesure la partie défenderesse de s'expliquer sur les agissements qui lui sont reprochés.

Mme [U] [N] invoque un harcèlement moral ; à l'appui de sa demande, elle fait valoir de nombreux agissements de la part de son employeur constituant une dégradation de ses conditions de travail depuis l'année 2013.

Elle relève avoir pris son poste sans formation préalable, et avoir à l'origine été assistée d'un adjoint, M. [R], responsable du secteur de [Localité 3], qui a bénéficié d'un arrêt maladie puis a cessé son activité avant de partir en retraite en juin 2011 sans être remplacé. Elle fait ainsi valoir une rapide surcharge de travail.

En outre, elle a subi des pressions de la part de la présidente de la Mission, Mme [V], et de dénigrements répétés de sa part comme le révèlent les articles de presse parus en mai 2013, ce qui est confirmé par M. [W], président par intérim, lors de son audition au cours de l'enquête de la CPAM 62 AT/MP ; elle s'est heurtée également à l'opposition de Mme [B], la trésorière, et de M. [E], assistant financier ; dans son courrier du 11.01.2013, Mme [V] a reconnu explicitement la charge de travail qu'elle avait assumée dans l'année. Un audit a été mené en vue d'une réorganisation fonctionnelle de la Mission en février 2013 et a été réalisé à charge par la Délégation Départementale Côte d'Opale qui a mis en avant les carences de la directrice, ce qui a été contesté par les salariées auditionnées lors de l'enquête de la CPAM : Mmes [C] et [I], [D], [H], [I] et [Z], conseillères en insertion ; le rapport d'enquête du 25.03.2015 confirme les conflits ayant existé depuis 2013 entre la directrice et la présidente, et une pétition en faveur de la directrice et critiquant les termes du rapport de la mission d'audit a été signée par 6 salariées ; le sous Préfet, intervenant dans l'association, a mis en cause la gestion de la présidente dans son courrier du 29.03.2013, celle ci a démissionné le 29 avril suivant ; cependant la situation ne s'est pas améliorée ; du fait du placement en arrêt maladie de M. [E] et d'autres salariées, le médecin du travail a préconisé pour Mme [U] [N] le 01.08.2013 une inaptitude temporaire, ce qui établit que l'employeur était informé de la dégradation de son état de santé, alors même que la salariée n'était pas secondée. La salariée a dénoncé ses conditions de travail à plusieurs reprises en 2014/2015 devant le conseil d'administration dont certains membres étaient proches de Mme [V]. Le sous Préfet de l'arrondissement de [Localité 3], M. [A], a rédigé une attestation en sa faveur en relevant toutes les difficultés auxquelles elle avait été confrontées dans l'exercice de ses fonctions, ainsi que les conséquences sur ses conditions de travail, en dépit de ses compétences et de sa disponibilité.

Ces éléments précis et concordants sont matériellement établis et laissent présumer, pris dans leur ensemble, l'existence d'un harcèlement moral.

En réponse, la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale sollicite la confirmation de la décision rendue par les premiers juges ; elle invoque les relations conflictuelles ayant existé entre la directrice et la présidente de la Mission, ainsi qu'avec d'autres salariés ayant quitté la Mission, et elle rappelle qu'elle n'a eu connaissance de l'état anxiodépressif de la salariée que fin 2015 ou courant 2016 ; elle ne remet pas en cause la qualité du travail fourni par Mme [U] [N]. L'employeur fait valoir la large autonomie dont a bénéficié la salariée qui ne démontre pas la surcharge de travail invoquée alors qu'il s'agit de sa part d'une mauvaise gestion de son temps, ce qui ressort des auditions devant la CPAM qui font état d'un défaut de délégation ; l'attestation de M. [A] ne révèle que des ressentis de sa part.

Néanmoins il convient de se référer notamment au jugement, devenu définitif, rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer le 12.03.2021, qui établit la faute inexcusable de l'employeur en relevant que : le directeur adjoint n'a pas été remplacé alors que lui seul pouvait se voir déléguer l'essentiel des tâches confiées à Mme [U] [N] et non pas les autres salariés, celle ci a exercé ses fonctions dans un climat délétère notamment sous la présidence de Mme [V] ce qui ressort de l'attestation délivrée par M. [A] qui est explicite, précise, et suffisamment circonstanciée, l'entreprise a été avertie par le médecin du travail dès le mois d'août 2013 de la dégradation de l'état de santé de la salariée, ce qui n'a pas été suivi d'effets, la surcharge de travail est attestée par les témoignages produits et résulte notamment de l'absentéisme chronique d'une partie du personnel, ce qui n'a pas été pris en compte par le conseil d'administration ni la présidence. Les autres éléments du dossier qui sont mentionnées viennent conforter cette analyse.

La dégradation de l'état de santé de la salariée est suffisamment démontrée.

Le harcèlement moral est ainsi justifié ; le jugement sera infirmé et Mme [U] [N] sera condamnée au paiement de 15.000 € en réparation du préjudice subi.

Sur la nullité et les conséquences du licenciement :

Au préalable sur la régularité de la procédure de licenciement, c'est à bon droit que Mme [U] [N] oppose l'autorité définitive de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle, et la procédure qui y a conduit, et qu'elle vise le certificat médical établi par le médecin du travail le 21.08.2015, la notification de prise en charge du 12.07.2016, l'avis d'inaptitude du 20.06.2018 confirmé le 27 juin suivant, la demande d'allocation temporaire signée du médecin du travail et adressée en LRAR à l'employeur le 28.06.2018.

Dès lors la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale était informée dès avant le début de la procédure de licenciement, le 09.07.2018, de la situation de la salariée, peu important le litige en cours avec la CPAM 62 qui n'avait pour objet que de voir déclarer inopposable la prise en charge par l'employeur qui ne contestait que la régularité de cette procédure et non pas le caractère professionnel de la maladie. Il est ainsi établi que la procédure de rupture du contrat de travail n'a pas été respectée puisqu'elle n'a pas tenu compte du caractère professionnel de la maladie qui résultait des manquements de l'employeur à ses obligations contractuelles.

C'est également à juste titre que Mme [U] [N] invoque les dispositions des articles L1226-2 et L1226-10 du code du travail puisque les institutions représentatives du personnel n'ont pas été consultées, s'agissant d'une entreprise comptant plus de 10 salariés.

Par suite le licenciement de Mme [U] [N] doit être déclaré nul tant en raison du non respect de l'article L 1226-15 que de l'existence d'un harcèlement moral ; le jugement sera infirmé.

En conséquence, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée, de l'âge de Mme [U] [N], de son ancienneté dans l'entreprise, de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces communiquées et des explications fournies à la cour, la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale sera condamnée à verser au salarié à titre de dommages intérêts la somme de 30.000 € ; cette somme à caractère indemnitaire est nette de tous prélèvements sociaux ; ce, outre les indemnités de rupture comprenant l'indemnité compensatrice de préavis ainsi qu'il est précisé au dispositif.

Par suite, Mme [U] [N] devait se voir verser une indemnité spéciale de licenciement eu égard à l'existence d'une maladie professionnelle.

Sur les autres demandes :

L'employeur ne conteste pas la demande formée au titre des indemnités compensatrices de congés payés.

Sur le salaire de juillet 2018 qui a été prélevé sur le solde de tout compte, au vu des justificatifs produits, il convient de condamner la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale à reverser à Mme [U] [N] la somme de 2.935,16 € ce qui ne fait pas l'objet d'une contestation. Le jugement sera infirmé.

Enfin sur la mise en oeuvre de la portabilité, il est justifié par le courrier du 02.10.2018 de la radiation de Mme [U] [N] opérée par la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale auprès de Humanis le 30.07.2018 ; cette date est celle de la lettre de licenciement qui mentionne néanmoins que la salariée pourrait conserver le bénéfice du régime de prévoyance dans les conditions contractuelles ; la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale n'a transmis à Mme [U] [N] le formulaire de portabilité que le 25.01.2019. Mme [U] [N] justifie ainsi d'un préjudice matériel résultant des frais de santé non pris en charge, des frais d'adhésion à une mutuelle complémentaire, et d'un préjudice moral qui seront réparés par l'octroi de la somme de 1.000 €. Le jugement sera infirmé.

Les condamnations seront prononcées en deniers ou quittances dès lors que dans ses écritures, Mme [U] [N] rappelle avoir reçu le 27.12.2018 la somme de 7.209,05 € nets sans explications.

Il est fait droit à la demande de remise des documents sociaux sans que l'astreinte soit nécessaire.

Il serait inéquitable que Mme [U] [N] supporte l'intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale qui succombe doit en être déboutée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement contradictoirement :

Déclare l'appel recevable ;

Infirme le jugement rendu le 09.02.2021 par le conseil de prud'hommes de Boulogne sur Mer section Encadrement ;

Statuant à nouveau,

Dit que Mme [U] [N] a subi un harcèlement moral ;

Dit que licenciement de Mme [U] [N] par la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale est nul ;

Condamne en conséquence la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale à payer à Mme [U] [N] en deniers ou quittances les sommes de :

- 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi lié à une situation de harcèlement moral ;

- 30.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi lié à la rupture du contrat de travail ;

- 3.773, 99 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement ;

- 11.154,00 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 2.935,16 euros au titre du salaire de juillet prélevé sur solde de tout compte ;

- 1.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudices matériel et moral liés à la radiation d'office de la complémentaire santé ;

Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de leur demande, et les sommes à caractère indemnitaire, à compter du présent arrêt ;

Dit que la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale devra transmettre à Mme [U] [N] dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision un certificat de travail et une attestation Assedic/Pôle emploi conformes ainsi qu'un bulletin de salaire récapitulatif ;

Rejette les autres demandes ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale à payer à Mme [U] [N] la somme de 2.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Condamne la Mission locale [Localité 3] Côte d'Opale aux entiers dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER

Valérie DOIZE

POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ

Muriel LE BELLEC, Conseiller


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale c salle 1
Numéro d'arrêt : 21/00273
Date de la décision : 30/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-30;21.00273 ?
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