ARRÊT DU
30 Juin 2023
N° 1045/23
N° RG 20/02289 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TJNB
GG/VDO
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE
en date du
01 Octobre 2020
(RG 18/01224 -section 3)
GROSSE :
Aux avocats
le 30 Juin 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
S.A.R.L. EURO DEAL FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Stéphane BESSONNET, avocat au barreau de LILLE, assistée de Me Marion ROUYER, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
M. [L] [P]
[Adresse 1]
représenté par Me Dominique BIANCHI, avocat au barreau de LILLE
S.A.S.U. CREA PROD
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Jean CORNU, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Soleine HUNTER-FALCK
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
GREFFIER lors des débats : Angelique AZZOLINI
DÉBATS : à l'audience publique du 29 Mars 2023
Le prononcé de l'arrêt est prorogé du 26 mai 2023 au 30 juin 2023 pour plus ample délibéré
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Juin 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC, conseiller et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 08 mars 2023
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS CREA PROD exerce son activité dans le domaine de l'impression numérique et la sérigraphie, applique la convention collective nationale de l'industrie de sérigraphie et des procédés d'impression numérique connexes, et emploie habituellement plus de 11 salariés.
La SARL EURO DEAL FRANCE est une entreprise de travail temporaire. Elle applique la convention collective nationale des entreprises de travail temporaire, salariés intérimaires et permanents, et emploie habituellement plus de 11 salariés.
Elle a recruté M. [L] [P] né en 1976, par contrat de mission du 11/03/2013 en qualité de cariste, avec mise à disposition de la société CREA PROD.
La relation de travail s'est poursuivie au moyen de plusieurs contrats de mission jusqu'au 29/12/2017.
Estimant que la relation de travail devait être requalifiée pour une durée indéterminée, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Lille.
Le conseil de prud'hommes par jugement du 01/10/2020 a :
-débouté la société CREA PROD de sa demande liminaire au titre des pièces et motivations à écarter,
-requalifié la relation contractuelle à compter du 11 mars 2013 en un contrat de travail à durée indéterminée,
-condamné la société CREA PROD et la société EURO DEAL France au paiement in solidum des sommes suivantes :
-1.803,48 euros au titre de l'indemnité de requalification,
-3.606,97 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 360,70 euros au titre des congés payés afférents,
-2.141,63 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
-5.410,44 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-rappelé que les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale, à compter du prononcé de la présente décision pour les sommes de nature indemnitaire,
-rappelé l'exécution provisoire de droit dans la limite des dispositions de l'article R1454-28 du code du travail,
-fixé la moyenne des salaires des trois derniers mois à la somme de 1.803,48 €,
-débouté la partie défenderesse de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile et laissé les frais et dépens à sa charge,
-débouté les parties du surplus de leurs demandes,
-condamné les sociétés CREA PROD et EURO DEAL France in solidum aux entiers frais et dépens
Par déclaration reçue le 20/04/2020 la SARL EURO DEAL FRANCE a régulièrement interjeté appel de la décision précitée.
Par ordonnance du 29/04/2022 le conseiller de la mise en état a déclaré recevable la déclaration d'appel formée par la SARL Euro Deal France à l'encontre du jugement rendu le 01/10/2020 par le conseil de prud'hommes de Lille section activités diverses dans le litige l'opposant à M. [L] [P], sauf le droit de déférer la présente ordonnance à la cour par application de l'article 916 du code de procédure civile.
Selon ses conclusions reçues le 24/06/2022, la SARL EURO DEAL FRANCE demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris,
Statuant à nouveau :
A titre principal,
-dire et juger qu'elle n'a commis aucun manquement à ses obligations,
-dire et juger qu'aucun grief de requalification ne peut lui être opposé, et qu'elle ne peut être condamnée à ce titre y compris à titre solidaire,
En conséquence,
-débouter M. [P] de l'intégralité de sa demande de requalification de ses contrats de mission en CDI et de ses demandes subséquentes,
-condamner M. [P] à lui verser la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de l'instance,
A titre subsidiaire en cas de requalification et de reconnaissance de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-débouter M. [P] de sa demande au titre de l'indemnité de requalification,
-juger que le barème prévu par l'article L1235-3 du code du travail est pleinement applicable,
-ramener à un plus juste montant l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse sollicitée par M. [P] qui ne saurait en tout état de cause être supérieure à un montant de 5.410,44 euros.
Selon ses conclusions reçues le 16/11/2022, la SAS CREA PROD demande à la cour de réformer le jugement déféré,
en conséquence, statuant à nouveau :
-débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes et prétentions,
-condamner M. [P] à lui payer la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner M. [P] aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions reçues le 09/09/2022, M. [P] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, mais de l'infirmer en ce qu'il a condamné la société CREA PROD et la société EURO DEAL France au paiement in solidum d'une somme de 5.410,44 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant de nouveau sur ce point :
-condamner la société CREA PROD et la société EURO DEAL France au paiement in solidum d'une somme de 9.017,40 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En tout état de cause,
-condamner in solidum la société EURODEAL et la société CREA PROD au paiement d'une somme de 3.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile concernant les frais irrépétibles engagés en cause d'appel, outre les entiers frais et dépens de procédure.
La clôture de la procédure résulte d'une ordonnance du 08/03/2023.
Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère, en vertu de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l'audience de plaidoirie.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la demande de requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée
La société EURO DEAL FRANCE conteste que l'exécution de la relation de travail a eu pour effet de pouvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice, que le recours en ce cas ne peut être dirigé que contre l'entreprise utilisatrice qui seule peut justifier du motif de recours, en sorte qu'elle ne peut être condamnée solidairement avec la société CREA PROD, que s'agissant de la remise des contrats dans les 48 heures, la date figurant au contrat fait foi jusqu'à preuve du contraire, qu'un faisceau d'indices démontre qu'elle a les adressés au salarié dans le délai légal de 48 heures.
La société CREA PROD soutient que le recours aux contrats est justifié par plusieurs accroissements temporaires d'activité, que le salarié ne démontre pas que les contrats avaient pour objet de pourvoir à l'activité permanente de l'entreprise.
En réplique, M. [P] fait valoir qu'en cas d'irrégularité de forme, l'action peut être engagée à l'encontre de l'entreprise de travail temporaire, qui est tenue avec l'entreprise utilisatrice des conséquences de la requalification, qu'il a travaillé pour le compte de la société CREA PROD à hauteur d'une centaine de contrats successifs, entre le 11 mars 2013 et le 29 décembre 2017, que le délai de 48 heures pour la remise des contrats n'a pas été respecté.
Sur ce, en vertu de l'article L.1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
L'article L1242-2, 2°) du code du travail, dans sa version applicable au litige, sous réserve des dispositions de l'article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants : ['] accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise.
En cas de litige sur le motif du recours, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat à durée déterminée, en l'espèce de l'accroissement temporaire de l'activité allégué.
Enfin, lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.
En l'espèce, les contrats de travail à durée déterminée mentionnent tous comme motifs de recours un accroissement temporaire d'activité. Ils comportent certes des précisions telles que : « renfort de personnel suite à l'augmentation des commandes à préparer », « variation temporaire de l'activité liée à la réalisation simultanée des différentes commandes ne permettant pas à l'eu d'y faire face avec son effectif permanent », « renfort de personnel au service logistique », « renfort de personnel sur les commandes en cours », «retard pris dans l'expédition des commandes ».
Il apparaît cependant que le surcroît temporaire d'activité a correspondu le plus souvent au retard pris pour expédier des commandes en cours, ou encore à la suite de périodes estivales de congés, ou de périodes particulières (Pâques), ce qui correspond à l'activité habituelle de l'entreprise. Les mentions précitées sont en outre insuffisantes à elles seules à justifier des accroissements temporaires d'activité invoqués, aucun élément justificatif n'étant produit par la société CREA PROD, qui, contrairement à ce qu'elle soutient, doit rapporter la preuve du surcroît d'activité qu'elle allègue. De plus, la succession quasi ininterrompue de contrats du 11/03/2013 au 27/10/2017 montre que l'emploi confié à M. [P] relève de l'activité permanente de l'entreprise.
La relation de travail doit donc être requalifiée en contrat à durée indéterminée, ainsi que l'a retenu le premier juge. Le jugement est confirmé.
L'intimé sollicite également la requalification des contrats de travail à l'égard de l'entreprise de travail temporaire la société EURO DEAL France, en indiquant que les contrats de travail ne lui ont pas été transmis dans les 48 heures, mais systématiquement une semaine après avoir commencé la mission.
A cet égard, les dispositions de l'article L. 1251-40 du code du travail qui sanctionnent l'inobservation, par l'entreprise utilisatrice, des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35 du même code, n'excluent pas la possibilité, pour le salarié, d'agir contre l'entreprise de travail temporaire lorsque les conditions, à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d''uvre est interdite, n'ont pas été respectées.
Selon l'article L1251-17 du code du travail, le contrat de mission est transmis au salarié au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant sa mise à disposition.
Si M. [P] verse l'ensemble des contrats de travail non signés, la société EURO DEAL France verse les mêmes contrats revêtus de la signature du salarié. Les dates de signatures n'ont pas été modifiées. Les contrats sont de plus corrélés par les bulletins de paie correspondant versés par le salarié. Il s'ensuit qu'en produisant son exemplaire des contrats signés par M. [P], la société EURO DEAL France démontre les avoir transmis dans le délai de 48 heures.
La requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée à l'égard de la société EURO DEAL France ne peut donc pas être prononcée à son égard.
Il s'ensuit que seule la société CREA PROD supporte les conséquences de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, le jugement étant infirmé sur ce point.
En vertu de l'article L1251-41 du code du travail, la société CREA PROD est tenue au paiement d'une indemnité de requalification qui sera fixée à la somme de 1.803,48 €.
Sur la rupture du contrat de travail
L'appelante considère que le barème de l'article L1235-3 est applicable.
La société CREA PROD fait valoir que la rupture du contrat repose sur une faute grave, que la mission d'interim n'a pas été renouvelée, que très subsidiairement il y a lieu de réduire l'indemnisation demandée.
L'intimée indique que le courrier de rupture a été adressé à la société EURO DEAL, qu'il a pu être antidaté.
Il est de principe que le juge qui requalifie la relation contractuelle en un contrat de travail à durée indéterminée doit rechercher si la lettre de rupture des relations contractuelles vaut lettre de licenciement et si les motifs de rupture énoncés constituent des griefs matériellement vérifiables permettant de décider si le licenciement a une cause réelle et sérieuse.
La société CREA PROD produit une lettre du 02/01/2018 indiquant à la société EURO DEAL que la mission d'intérim n'est pas renouvelée et invoquant divers griefs à l'encontre de M. [P] (non respect des horaires, exécution partielle des tâches confiées, nonchalance, insubordination et agressivité) .
Toutefois ces manquements ne sont pas établis, et en toute hypothèse, cette lettre de rupture, dont la sincérité n'est pas discutable, n'en a pas moins été adressée, non au salarié, mais à la société EURO DEAL. Il s'ensuit qu'en l'absence de toute procédure de rupture, celle-ci procède d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les montants alloués par le premier juge au titre de :
-l'indemnité légale de licenciement de 2.141,63 €,
-l'indemnité compensatrice de préavis de deux mois de 3.606,97 € et les congés payés de 360,70 €, ne sont pas critiquables, et sont à la charge de la SAS CREA PROD.
Compte-tenu de l'ancienneté du salarié de 4 ans, du salaire moyen de 1.803,40 €, de la persistance d'une situation de chômage justifiée en cause d'appel, M. [P] ayant perçu successivement l'allocation d'aide au retour à l'emploi et l'allocation de solidarité spécifique, ainsi que le revenu de solidarité active, et du fait que s'il reconnaît s'être inscrit comme agent immobilier indépendant, la déclaration trimestrielle de chiffre d'affaire du premier semestre 2022 ne fait apparaître aucun chiffre d'affaire, il convient de fixer l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 9.017,40 € ainsi que le sollicite l'intimé, la société CREA PROD étant condamnée au paiement de cette somme.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les dispositions de première instance sont infirmées. Il convient d'allouer une indemnité globale de 2.000 € à M. [P] pour ses frais exposés en première instance et en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Succombant, la société CREA PROD supporte les dépens de première instance et d'appel.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société EURO DEAL France, sa demande étant rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré, en ce qu'il a requalifié la relation contractuelle à compter du 11 mars 2013 en un contrat de travail à durée indéterminée, et en ses dispositions sur les intérêts au taux légal,
Infirme le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau, y ajoutant,
Condamne la SAS CREA PROD à payer à M. [L] [P] les sommes qui suivent :
-1.803,48 € d'indemnité de requalification,
-2.141,63 € d'indemnité légale de licenciement,
-3.606,97 € d'indemnité compensatrice de préavis et 360,70 € de congés payés afférents,
-9.017,40 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Déboute M. [L] [P] de sa demande de condamnation in solidum à l'encontre de la SARL EURO DEAL France,
Condamne la SAS CREA PROD à payer à M. [L] [P] une indemnité de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SARL EURO DEAL de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAS CREA PROD aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER
Valérie DOIZE
P/ LE PRESIDENT EMPÊCHÉ
Muriel LE BELLEC, conseiller