ARRÊT DU
30 Juin 2023
N° 988/23
N° RG 20/01651 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TDPD
IF/CH
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LANNOY
en date du
03 Juillet 2020
(RG F 19/00046 -section )
GROSSE :
Aux avocats
le 30 Juin 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
S.A.R.L. LES GOURMANDISES DE SOPHIE
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Romain THIESSET, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
Mme [K] [H]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Ioannis KAPPOPOULOS, avocat au barreau de VALENCIENNES
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Olivier BECUWE
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Frédéric BURNIER
: CONSEILLER
Isabelle FACON
: CONSEILLER
GREFFIER lors des débats : Angelique AZZOLINI
DÉBATS : à l'audience publique du 30 Mai 2023
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Juin 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 22 novembre 2022
EXPOSÉ DU LITIGE
Par contrat de travail à durée déterminée du 1er septembre 2014, devenu à durée indéterminée le 1er décembre 2014, la société Les gourmandises de Sophie (la société) a engagé Madame [K] [H], en qualité d'agent de conditionnement.
Son salaire mensuel brut s'élevait en dernier lieu à la somme de 1706 euros.
Le 27 mars 2019, Madame [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Lannoy et formé une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, fondée sur un harcèlement discriminatoire en raison de son état de santé et de ses activités syndicales.
Par jugement du 2 juillet 2020, le conseil de prud'hommes de Lannoy a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail pour les motifs invoqués, produisant ainsi les effets d'un licenciement nul, ainsi que la condamnation de la société à payer à Madame [H] les sommes suivantes :
- 1 919,58 euros, à titre d'indemnité de licenciement
- 3 412,58 euros, à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 341,26 euros, au titre des congés payés afférents
- 10 237,74 euros, à titre d'indemnité pour licenciement nul
- 10 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral
- 5 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale
- 1 000 euros, au titre de l'indemnité de procédure
La société a fait appel de ce jugement par déclaration du 29 juillet 2020, en visant expressément les dispositions critiquées.
Aux termes de ses dernières conclusions, la société demande l'infirmation du jugement et la condamnation de la société à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'indemnité de procédure.
Aux termes de ses dernières conclusions, Madame [H], qui a formé appel incident, sollicite la confirmation du jugement, excepté sur le quantum des condamnations prononcées à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et pour la discrimination syndicale.
Elle demande la condamnation de la société à lui payer les sommes suivantes :
- 17 092,90 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la discrimination syndicale subie
- 2 000 euros au titre de l'indemnité de procédure.
Il est référé au jugement du conseil de prud'hommes, aux pièces régulièrement communiquées et aux conclusions des parties pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.
Appelée à l'audience du 23 décembre 2022, la cour a fait injonction aux parties de rencontrer un médiateur par décision du 27 janvier 2023.
Suite à l'échec du processus de médiation judiciaire, l'affaire a été rappelée à l'audience du 30 mai 2023 et mise en délibéré au 30 juin 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement pour les faits survenus jusqu'au 10 août 2016 ou présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement pour les faits survenus après le 10 août 2016.
Il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, Madame [H] invoque les faits suivants, imputable personnellement au dirigeant de l'entreprise, constitutifs, selon elle, de harcèlement discriminatoire fondé sur son état de santé ou sur ses activités syndicales :
A - un refus de congé en août 2018, en raison de son état de santé
B - un retard dans l'établissement de l'attestation de salaire pour la CPAM
C - des messages électroniques dénigrant son état de santé et comparant sa situation aux personnes porteuses de handicap travaillant en ESAT
D - un refus de congé formation économique, sociale et syndicale en octobre 2018, motivé par la mise en cause de ses arrêts maladie
E - de multiples remarques dénigrantes et désobligeantes à l'égard de ses activités syndicales
S'agissant des faits A, Madame [H] produit un courrier électronique du 19 juillet 2018 dans lequel elle acte le refus de sa demande de congé du 13 août 2018 au 3 septembre 2018. Il lui est demandé de reprendre le travail le 27 août 2018. Elle produit la réponse du dirigeant de l'entreprise à l'inspecteur du travail qui mentionne son arrêt maladie.
La matérialité des faits A est établie.
S'agissant des faits B, Madame [H] produit un courrier du 10 septembre 2018, adressé en recommandé à l'employeur, avec copie à l'inspection du travail réclamant l'attestation de salaire pour la CPAM, pour la période de mi-temps thérapeutique du 16 juillet 2018 au 3 juillet 2018, date d'un nouvel arrêt de travail. La réponse de l'employeur n'est cependant pas produite.
La matérialité des faits B n'est pas établie.
S'agissant des faits C, Madame [H] produit deux mels, l'un non daté et l'autre du 13 septembre 2018, émanant du dirigeant de l'entreprise, qui établissent la matérialité des faits.
S'agissant des faits D, Madame [H] produit la demande de congé formation et la réponse de refus du dirigeant de l'entreprise, le 19 septembre 2018 qui fait état du temps d'absence, du coût de la maladie professionnelle, de mensonge dans les déclarations pour alourdir la responsabilité de l'entreprise quant au caractère professionnel de la maladie.
Les faits D sont établis
S'agissant des faits E, Madame [H] s'appuie sur trois mels des 28 mai, 11 juillet, 19 septembre 2018.
Le premier lui fait le reproche d'avoir participé à une manifestation syndicale le 25 mai 2018, pendant son arrêt maladie. Le dernier lui reproche ce comportement à la suite du refus du congé formation sollicité.
Les faits E sont établis.
En conséquence, les faits A, C, D et E, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral.
Il appartient alors à l'employeur de démontrer que ces agissements sont justifiés par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement.
S'agissant des faits A, la société indique avoir répondu à l'inspecteur du travail et avoir agi dans le cadre de son pouvoir de direction, s'agissant de l'octroi des congés estivaux. Le dirigeant de l'entreprise rappelle que Madame [H] n'avait pas formulé de demande de congés payés avant sa reprise à mi-temps thérapeutique le 16 juillet 2018 et qu'il a du organiser les congés des salariés, en pensant qu'elle serait encore en arrêt.
Les faits A sont justifiés.
S'agissant des faits C, la société expose que Monsieur [E] s'est trouvé légitimement lassé de recevoir un énième courrier de Madame [H], selon lui, dans le seul but de se constituer un dossier contre son employeur et a relativisé la maladie de la salariée, car il travaillait au quotidien avec des travailleurs handicapés, sans insulte, ni grossièreté.
La cour relève cependant que si les écrits du dirigeant de l'entreprise ne comportent effectivement aucune grossièreté, il utilise, de manière éminemment déplacée, une comparaison qui vise à l'ironie, pour dévaloriser la situation de santé de Madame [H] et laisser entendre, sans aucun doute possible, qu'elle manque de courage, par rapport aux travailleurs en ESAT. Et il a confirmé ce propos, en le réitérant et le poussant plus loin.
Ces faits, réitérés, ont porté atteinte à la dignité de Madame [H].
Les faits C ne sont pas justifiés.
S'agissant des faits D, la société indique avoir refusé les dates de congé formation, avec l'accord du délégué personnel, en raison de la période de haute activité.
Sur le fond du refus d'accorder le congé formation, Monsieur [E] justifie qu'il se trouvait parfaitement dans l'exercice de son pouvoir de direction. Mais les agissements reprochés comportent une autre dimension, qui se situe dans les motifs exposés par le dirigeant de l'entreprise dans sa réponse.
Ce dernier estime avoir procédé par des constats objectifs, sans caractère injurieux, grossier ou insultant.
Là encore, la réponse de l'employeur du 19 septembre 2018 ne contient pas de propos d'un niveau de langage grossier ou insultant. Pour autant, au lieu de se contenter d'exposer le motif de refus lié à la période d'intense activité, le dirigeant de l'entreprise liste des reproches, dans un dénigrement identique au précédent, accusant la salariée de provocation, de mauvaise foi relative à son état de santé, de se faire passer pour une personne harcelée par simple opportunité financière et par un procédé rhétorique utilisant le constat, en lui reprochant le coût de sa maladie professionnelle, selon la CPAM.
De tels propos ne sont pas justifiés par l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur et portent atteinte à la dignité de la salariée.
Les faits D ne sont pas justifiés.
S'agissant des faits E relatifs à l'activité syndicale de Madame [H], le dirigeant de l'entreprise procède de la même défense au fond, s'attachant à démontrer que chacune des phrases ne relève pas de la discrimination syndicale et indiquant que la salariée ne démontre pas que l'expression de ses convictions personnelles ait eu des conséquences sur sa santé ou sa carrière.
Pour autant, rien ne justifie que l'employeur fasse le reproche à sa salariée de s'être rendue à une manifestation syndicale pendant son arrêt maladie, dès lors qu'il ne justifie pas qu'il s'agissait d'un temps non couvert par une autorisation de sortie, ni que, quelques mois plus tard, cette action syndicale soit reprise dans la liste des comportements que Monsieur [E] lui reproche, après lui avoir refusé un congé formation.
Les faits E ne sont pas justifiés.
Madame [H] indique que les faits reprochés ont porté atteinte à sa santé et ont provoqué un nouvel arrêt maladie en août 2018 en raison d'un trouble anxiodépressif réactionnel. Faute d'éléments sur les raisons de cet arrêt maladie, le critère de l'altération de la santé comme conséquence du harcèlement ne sera pas retenu.
Au final, il résulte de l'analyse des faits C, D et E qu'entre le mois de mai et de septembre 2018, Madame [H] a subi, de façon répétée, en l'espèce à l'occasion de trois mels rédigés en réponse par le dirigeant de la société à des demandes qu'elle était en droit de formuler, des agissements qui ont porté atteinte à sa dignité.
En conséquence, la société a manqué à son obligation de sécurité en ne prévenant pas et en ne mettant pas fin à cette situation de harcèlement moral directement provoquée par le dirigeant de la société.
Le jugement sera confirmé.
Exposant que les agissements de dénigrement et de déstabilisations ont dégradé les relations professionnelles et ses conditions de travail, Madame [H] fait état en substance d'un préjudice moral qui sera indemnisé à hauteur de 3000 euros.
Le jugement sera infirmé.
Sur la résiliation judiciaire
En application de l'article 1224 du code civil, le manquement de l'employeur qui a laissé commettre un harcèlement moral au préjudice de Madame [H], manquant ainsi à son obligation de sécurité, est suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
En conséquence, le contrat de travail sera résilié à la date du présent arrêt.
Sur le fondement de l'article L1135-3-1 du code du travail, la résiliation produira les effets d'un licenciement nul.
En application de l'article L 1235-3-1 du code du travail, en cas de licenciement nul, la salariée peut prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire.
Compte-tenu de l'ancienneté de quatre années de Madame [H], de sa rémunération dont le montant n'est pas contesté, de son âge et de son niveau de qualification, de sa capacité à retrouver un emploi et en l'absence d'information sur sa situation actuelle, l'indemnité à même de réparer le préjudice de perte d'emploi doit être évaluée à la somme de 10 237.74 euros.
Le jugement sera confirmé.
Les demandes formulées au titre de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents ne sont pas contestées, le conseil en a exactement apprécié le montant.
Le jugement sera confirmé.
Sur la discrimination syndicale
Aux termes de l'article 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de ses activités syndicales ou mutualistes.
Par ailleurs, aux termes de l'article 2141-5 du même code, il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.
L'art 1134-1 du code du travail impose une méthodologie précise quant au mode de preuve. Ainsi, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Il incombe ensuite à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Madame [H] a démontré avoir subi un harcèlement notamment fondé sur ses activités syndicales. Qualifiant ces agissements de discrimination syndicale, elle en demande la réparation.
En l'espèce, il apparaît que l'appartenance syndicale de Madame [H] a été évoquée dans un message refusant l'octroi d'un congé formation, ce qui pourrait constituer indirectement une discrimination.
Pour autant, la société répond que le mel du 19 septembre 2019 en cause indique que la décision de refus de formation a été prise pour un motif directement lié à l'organisation du travail et à la période d'activité haute.
La mention de la participation à une manifestation syndicale se trouve effectivement au sein d'une litanie de nombreux reproches, dans un procédé récurrent du dirigeant d'entreprise, qui caractérise le harcèlement moral décrit précédemment.
La cour en déduit que la participation à l'action syndicale a causé, de façon indirecte et parmi de nombreux autres faits reprochés, la décision de refus du congé formation sollicité, ce qui caractérise la discrimination syndicale.
Mais Madame [H] n'explicite pas son préjudice, en particulier elle n'expose aucunement en quoi l'impossibilité de bénéficier de la formation sollicitée au mois d'octobre 2018 lui a causé un préjudice.
En conséquence, la demande de réparation de ce chef sera rejetée.
Le jugement sera infirmé.
Sur les dépens et l'indemnité pour frais de procédure
En application de l'article 696 du code de procédure civile, la société, partie perdante, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel.
Le jugement sera infirmé sur les dépens, ainsi que sur l'indemnité de procédure qui en découle.
Compte tenu des éléments soumis aux débats, il est équitable de condamner la société à payer à Madame [H] la somme de 1000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré, excepté en ce qui concerne :
- le montant des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour harcèlement moral
- la demande de réparation d'un préjudice subi pour discrimination syndicale
Infirme le jugement sur ces seuls points,
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant :
Condamne la société Les gourmandises de Sophie à payer à Madame [K] [H] la somme de 3000 euros en réparation du préjudice subi pour harcèlement moral,
Déboute Madame [K] [H] de sa demande de réparation d'un préjudice subi pour discrimination syndicale,
Condamne la société aux dépens d'appel,
Condamne la société Les gourmandises de Sophie à payer à Madame [K] [H] la somme de 1000 euros au titre de l'indemnité pour frais de procédure.
LE GREFFIER
Valérie DOIZE
LE PRESIDENT
Olivier BECUWE