République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 29/06/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 21/02159 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TSBI
Jugement (N° 19/00441)
rendu le 03 décembre 2020 par le tribunal judiciaire d'Arras
APPELANT
Monsieur [I] [W]
[Adresse 5]
[Localité 1]
représenté par Me Maxime Boulet, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
INTIMÉE
La SCI [K]
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Etienne Prud'Homme, avocat au barreau d'Arras, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 13 mars 2023 tenue par Bruno Poupet magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 29 juin 2023 après prorogation du délibéré en date du 08 juin 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 13 février 2023
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M. [I] [W] a interjeté appel d'un jugement du 3 décembre 2020 par lequel le tribunal judiciaire d'Arras a condamné la société [K] à lui payer les sommes de :
- 7 236 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 février 2019, date de l'assignation,
- 500 euros au titre de l'indemnité conventionnelle,
- 500 euros à titre de dommages et intérêts,
- 320 euros à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement,
- 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
et rejeté le surplus des demandes.
Par ses dernières conclusions remises le 11 avril 2022, il demande à la cour de confirmer ce jugement en ce qu'il est entré en voie de condamnation à l'encontre de la société [K] mais de le réformer en ce qu'il a limité le quantum des condamnations, sauf en ce qui concerne l'indemnité forfaitaire de recouvrement, et de condamner la société intimée à lui payer :
- 16 572 euros, avec les intérêts au taux appliqué par la Banque centrale européenne à son plan de refinancement la plus récente majorée de dix points, et ce à compter du 16 mars 2017, date d'échéance de la facture impayée la plus ancienne,
- 1 563,60 euros au titre de la clause pénale prévue par le contrat liant les parties,
- 1 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Il sollicite également la capitalisation des intérêts, le débouté de la société [K] de l'ensemble de ses demandes et la condamnation de celle-ci à lui payer, outre les dépens de l'instance d'appel, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions remises le 12 février 2023, la société [K] demande pour sa part à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de débouter M.'[W] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui verser 3'000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre les dépens et 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé de leur argumentation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; que, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Il est acquis aux débats :
- que le 14 mars 2015, la société civile immobilière [K], qui avait pour objet initial l'acquisition d'un immeuble situé à [Localité 4] et la location de celui-ci à la SARL La Cascade, constituée par les mêmes associés pour y exploiter un fonds de commerce de café-restaurant, a confié à M. [I] [W], expert-comptable, une lettre de mission portant sur le conseil à la gestion des comptes de la société, la tenue, la révision de la comptabilité générale et l'établissement des comptes annuels, l'analyse et le commentaire du bilan et des travaux d'ordre comptable et juridique, stipulant des modalités de fixation des honoraires correspondants,
- que le 25 avril 2017, elle l'a également mandaté pour la représenter lors d'opérations de contrôle diligentées par l'administration fiscale s'agissant de la TVA sur l'exercice 2016,
- que M. [W] a fourni des prestations en exécution de ces contrats.
L'appelant justifie donc d'un principe de créance à l'égard de la SCI [K].
Celle-ci, jugeant excessif le montant facturé au regard des prestations fournies, a refusé de le régler en totalité et a mis fin à la mission de son expert-comptable par courrier du 29 mai 2018, une tentative ultérieure de conciliation devant l'ordre des experts-comptables ayant échoué.
La lettre de mission stipule les honoraires ainsi qu'il suit :
- honoraires comptables :
* dans un premier temps, tarification moyenne au temps passé, d'un montant de 75 euros HT (90 euros TTC) de l'heure,
* établissement d'un avenant, une fois la société pleinement en activité, afin d'actualiser et de définir le travail de chaque partie, ainsi que de proposer une tarification précise des interventions,
- honoraires au titre du secrétariat juridique :
* 240 euros HT (288 euros TTC) à défaut de distribution de dividendes,
* 300 euros HT (360 euros TTC) en cas de distribution de dividendes,
- formalités de constitution de la société : honoraire forfaitaire de 925 euros HT (1110 euros TTC) hors frais d'immatriculation et de publicité.
M. [W] a établi le 30 juillet 2015 un «'dossier prévisionnel'» de l'activité de la SCI pour les trois exercices 2016, 2017, 2018, estimant, en considération de celle-ci, des honoraires comptables et juridiques à hauteur de 1 500 euros par an mais a par la suite facturé des sommes plus importantes.
Ce document ayant été établi, comme son nom l'indique, à titre « prévisionnel'», sur la base des éléments fournis par les consorts [K], et précisant dans son introduction que «'s'agissant de prévisions présentant par nature un caractère incertain, les réalisations différeront, parfois de manière significatives, des informations prévisionnelles présentées'», ce qui pouvait naturellement influer sur les honoraires, c'est à tort que le premier juge a considéré que M. [W] était lié par ce document, ce qui ne résultait pas de la lettre de mission qui prévoyait clairement une rémunération au temps passé, et a limité à 4 500 euros la condamnation de la SCI à ce titre, oubliant de surcroît la TVA. La lettre de mission précisait d'ailleurs bien que compte tenu de la phase de démarrage de la SCI, il était impossible d'indiquer une fourchette d'honoraires, d'où la prévision d'une facturation au temps passé.
M. [W] fonde sa demande en paiement de la somme de 16'572 euros sur trois factures d'acomptes des 16 mars 2017 (2 400 euros), 19 septembre 2017 (1 800 euros) et 22 janvier 2018 (600 euros) et cinq factures visant des prestations dont une seule (celle du 6 juillet 2017 de 10'200 euros) mentionne le nombre d'heures facturées (136 heures au taux de 75 euros) mais il produit également un historique détaillé des éléments de facturation (date, nature de la prestation, temps, montant).
Si l'intimée soutient que ces éléments établis unilatéralement sont inexploitables et invérifiables, elle a accepté expressément une facturation au temps passé, et non forfaitaire, étant ici rappelé comme le fait l'appelant que le temps passé sur une prestation est une variable qui ne peut être définie que par le professionnel, et ne démontre ni l'inexistence de prestations visées ni une surévaluation manifeste du temps compté dont elle n'explique pas comment M.'[W] pourrait justifier plus précisément.
Il y a donc lieu de faire droit, après infirmation du jugement sur ce point, à la demande de l'appelant, concernant ses honoraires, dont il est suffisamment justifié du bien-fondé.
L'intimée affirme qu'elle a réglé à titre d'acomptes une somme de 7 062 euros TTC mais vise à ce sujet sa pièce n° 6 qui n'est qu'un décompte, non un justificatif de paiement. En l'absence d'observations de l'appelant sur ce point, il convient de prononcer une condamnation en deniers en quittances.
Si M. [W] reproche au tribunal d'avoir assorti la condamnation qu'il a prononcée au titre de ses honoraires des intérêts au taux légal à compter de l'assignation valant mise en demeure et non des pénalités de retard prévues par l'article L 441-10 (L 441-6 à la date du contrat) du code de commerce, il est constant que lesdites pénalités, aux termes mêmes de ce texte, s'appliquent aux relations entre, d'un côté, tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur, de l'autre, tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui contracte pour son activité professionnelle, ce qui peut être le cas d'une SCI. Mais en l'espèce, l'activité de location d'un immeuble exercée par l'intimée n'est pas une activité professionnelle et la prétention de l'appelant ne saurait prospérer. Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qui concerne les intérêts.
La capitalisation des intérêts envisagée par l'article 1343-2 du code civil est de droit lorsqu'elle est demandée.
Le tribunal a fait application de la clause pénale figurant dans le contrat en estimant à juste titre qu'il n'était pas démontré qu'elle fût excessive, de sorte qu'il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point, le montant de la condamnation à ce titre devant néanmoins être augmenté, compte tenu de la réévaluation de la créance de l'appelant, conformément au calcul exact et non contesté de ce dernier, et assorti des intérêts au taux légal à compter de l'assignation.
En revanche, il est exact, comme le relève l'intimée, que M. [W] n'a pas établi l'avenant prévu par la lettre de mission une fois l'activité de la société mieux connue, permettant une meilleure prévisibilité des honoraires, ni ne justifie avoir fourni au fur et à mesure à sa cocontractante des informations et explications sur une facturation nettement supérieure à ce que celle-ci pouvait imaginer à partir du « prévisionnel'» susvisé, ce qui atténue le caractère fautif de la résistance de la SCI [K] et exclut que les dommages et intérêts que le tribunal a mis à la charge de cette dernière soient majorés comme il le demande.
Les considérations qui précèdent justifient le rejet de la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par l'intimée.
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour
infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SCI [K] à payer à M. [I] [W] les sommes de 7 236 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 février 2019, et 500 euros au titre de l'indemnité conventionnelle,
statuant à nouveau sur ces chefs, condamne la SCI [K] à payer en deniers ou quittances à M. [I] [W] les sommes de 16 572 euros, au titre des honoraires, et 1 563,60 euros au titre de la clause pénale, avec intérêts au taux légal à compter du 25 février 2019 et capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
confirme le jugement en ses autres dispositions,
déboute la SCI [K] de ses demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'indemnité pour frais irrépétibles,
la condamne aux dépens et au paiement à M. [I] [W] d'une indemnité de 1 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet