République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 22/06/2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 20/05382 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TLM5
Jugement (N° 19/05004)
rendu le 1er décembre 2020 par le tribunal de grande instance de Lille
APPELANTES
Madame [F] [X] épouse [Z]
née le 16 novembre 1949 à [Localité 10]
demeurant [Adresse 2]
[Localité 8]
Madame [V] [A] veuve [X]
prise en sa qualité d'héritière de Monsieur [C] [X]
née le 22 août 1951 à [Localité 9]
demeurant [Adresse 1]
[Localité 6]
représentés par Me Pierre Delannoy, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
INTIMÉE
Madame [D] [X] épouse [U]
née le 25 janvier 1958 à [Localité 10]
demeurant [Adresse 3]
[Localité 7]
représentée par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Delphine Nowak, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant, substituée à l'audience par Me Victoria Stoop, avocat au barreau de Lille
DÉBATS à l'audience publique du 16 janvier 2023 tenue par Camille Colonna magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023 après prorogation du délibéré en date du 13 avril 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 13 juin 2022
****
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte notarié en date du 20 décembre 2007, Mme [L] [M], veuve de [C] [X], a acquis au prix de 400 000 euros un appartement, une cave et un box dans une résidence située [Adresse 5] à [Localité 6].
Elle est décédée le 26 septembre 2009, laissant pour lui succéder ses trois enfants : Mme [F] [X] épouse [Z] (ci-après Mme [Z]), M. [C] [X], décédé depuis et aux droits duquel vient son épouse, Mme [V] [A] veuve [X] (Mme [X]), et Mme [D] [X] épouse [U] (Mme [U]).
Par exploit d'huissier en date du 11 juin 2019, Mmes [Z] et [X] ont fait assigner Mme [U] devant le tribunal judiciaire de Lille aux fins principalement d'être autorisées à procéder à la vente du bien immobilier situé à [Localité 6], à remiser les meubles meublants au garde-meubles, ainsi qu'à procéder à la destruction du véhicule Toyota Yaris, immatriculé [Immatriculation 4], stationné sur le parking de la résidence aux frais de la succession et de voir la défenderesse condamnée au paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive.
Par jugement assorti de l'exécution provisoire en date du 1er décembre 2020, le tribunal judiciaire de Lille a ordonné l'enlèvement et la destruction du véhicule automobile litigieux aux frais de l'indivision successorale, débouté Mme [U] de sa demande tendant à la prise en charge des frais d'enlèvement et de destruction du véhicule par les seules demanderesses, débouté Mmes [Z] et [X] de leur demande tendant à être autorisées à vendre le bien immobilier situé à [Localité 6], autorisé ces dernières à déplacer ou à faire déplacer, aux frais de l'indivision successorale, l'ensemble des meubles meublants du bien immobilier situé à [Localité 6] dans un garde-meubles, les a déboutées de leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et condamnées in solidum aux entiers dépens, ainsi qu'à payer à Mme [U] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Mmes [Z] et [X] ont interjeté appel de ce jugement et, aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 8 juin 2022, demandent à la cour :
* de confirmer le jugement en ce qu'il :
a ordonné l'enlèvement et la destruction du véhicule litigieux et ce, aux frais de l'indivision successorale,
a débouté Mme [U] de sa demande tendant à la prise en charge des frais d'enlèvement et de destruction du véhicule par les seules demanderesses,
les a autorisées à déplacer ou à faire déplacer l'ensemble des meubles meublants du bien immobilier situé à [Localité 6] dans un garde-meubles, aux frais de l'indivision successorale,
* de l'infirmer en ce qu'il :
les a déboutées de leur demande tendant à être autorisées à vendre le bien immobilier situé à [Localité 6],
les a déboutées de leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,
les a condamnées aux entiers dépens,
les a condamnées in solidum à payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* par voie de conséquence, de les autoriser à procéder à la mise en vente dudit bien immobilier et à en faire consigner le prix de cession entre les mains de Me [R], notaire à [Localité 10], dans l'attente de la liquidation définitive de la succession et de condamner Mme [U], outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Delannoy, à leur verser :
- la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- 'solidairement', la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elles soutiennent que la vente de l'immeuble doit être ordonnée en application de l'article 815-5 du code civil comme étant nécessaire dès lors que l'immeuble n'est pas entretenu et ne peut être mis en location en l'absence de mobilisation et d'entente des co-indivisaires, l'intérêt commun étant en péril du fait de sa dégradation et de l'accumulation des charges au fil du temps, le refus opposé par Mme [U] étant injustifié dès lors qu'il a été statué sur la succession des grands-parents [X]-[K], qu'elle n'a jamais effectué la moindre démarche tendant à la mise en location du bien ou à l'entretien du bien, et que son obstruction délibérée et systématique caractérise un comportement fautif préjudiciable à l'indivision.
Sur l'appel incident soulevé par Mme [U], elles soutiennent que, en ce qui concerne les meubles, l'appartement ayant été squatté, leur remise en garde-meubles est justifiée et que, tout comme pour le véhicule Toyota Yaris, les frais relatifs à ces biens relèvent de l'indivision.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 10 juin 2022, Mme [U] demande à la cour de :
- débouter Mmes [Z] et [X] de leur appel,
- confirmer le jugement en ce qu'il les a déboutées de leur demande tendant à être autorisées à vendre le bien immobilier situé à [Localité 6] et de leur demande de condamnation à son encontre à leur payer des dommages et intérêts pour résistance abusive et une indemnité par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- la juger recevable et bien fondée en son appel incident et infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a jugé que l'enlèvement et la destruction du véhicule litigieux se feraient aux frais de l'indivision successorale et autorisé Mmes [Z] et [X] à déplacer ou à faire déplacer l'ensemble des meubles meublants aux frais de l'indivision successorale, et dire et juger que le déplacement des meubles meublants et l'enlèvement et la destruction du véhicule se feront aux frais exclusifs des appelantes.
- les condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient n'avoir jamais été entendue par ses coïndivisiaires en sa demande de mise en location de l'appartement de [Localité 6] alors que cette solution aurait, depuis de nombreuses années, permis de couvrir les charges apparaissant au compte de la succession qu'elle n'a donc pas à supporter, que si l'attente du règlement de la succession des grands-parents est désormais sans objet, son opposition à la vente est légitime dès lors que la perception de loyers bénéficierait à la succession, que l'article 815-5 du code civil n'a pas vocation à s'appliquer puisque la mise en péril de l'intérêt commun n'est caractérisée ni par l'opposition à la vente, le choix de vendre ou de louer étant subjectif, quand bien même la vente serait une opération utile ou avantageuse, ni par la prétendue dégradation du bien faisant l'objet d'estimations de plus en plus élevées et qu'une position divergente n'est pas pour autant fautive, aucun refus abusif de sa part n'étant démontré.
Concernant les frais de déplacement des meubles mis à la charge de l'indivision successorale, elle fait valoir que, l'appartement n'étant pas en vente, les meubles peuvent y demeurer sans perdre de valeur, rien ne justifiant qu'ils soient mis dans un garde-meubles dont le coût constituerait une charge supplémentaire. Elle ajoute que le coût de l'enlèvement du véhicule Toyota Yaris doit être mis à la charge exclusive des appelantes dès lors que son défunt frère, M.'[C] [X], s'était engagé à le déplacer et ne l'a pas fait.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'aliénation du bien immobilier
L'article 815 du code civil dispose que nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et que le partage peut toujours être provoqué, à moins qu'il n'y ait été sursis par jugement ou convention.
Il ressort de l'article 815-3 que le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l'exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que ceux consistants à vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l'indivision.
Selon l'article 815-5, un indivisaire peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le consentement d'un coïndivisaire serait nécessaire si le refus de celui-ci met en péril l'intérêt commun (...) ; l'acte passé dans les conditions fixées par l'autorisation de justice est opposable à l'indivisaire dont le consentement a fait défaut.
Le tribunal a rejeté la demande tendant à la vente du bien immobilier de [Localité 6] au motif qu'il n'était pas démontré que la vente refusée n'était pas simplement utile ou avantageuse mais résultait d'une nécessité contraignante dès lors que l'immeuble, bien qu'inoccupé et pas entretenu, ne perdait pas de valeur, l'intérêt commun des indivisaires n'étant pas mis en péril par le rafraîchissement et l'entretien de la terrasse et de la jardinière à prévoir et les charges inhérentes à tout bien immobilier.
En premier lieu, il est relevé que, depuis l'audience des plaidoiries en première instance, l'appartement vacant a fait l'objet d'une intrusion justifiant le changement du barillet de la porte d'entrée suivant mail du notaire en charge du règlement de la succession du 5 novembre 2020 et que, suivant procès-verbal de constat dressé par maître [Y], Huissier de Justice, le 24 février 2021, des taches de moisissures et de 'noircissures' et des points de rouilles sur divers équipements, ainsi que les traces d'une infiltration dans le séjour (fissure ou décollement de l'enduit du mur et trace d'infiltration au plafond) affectent désormais l'appartement en plus du défaut d'entretien du balcon (sol couvert de mousse, jardinières à l'abandon) déjà dénoncé par le syndic de l'immeuble en décembre 2016.
Bien que l'origine de ces désordres mineurs ne soit pas identifiée, les effets du temps sur cet appartement inoccupé sont par nature évolutifs dans le sens de sa dégradation progressive, étant précisé qu'il est vacant depuis plus de quinze ans et que le défaut d'entretien par les coïndivisiares n'est pas contesté.
En second lieu, Mme [U], s'opposant à la vente du bien et défendant l'option de sa mise en location afin de compenser les charges et de faire fructifier le patrimoine familial, ne justifie d'aucune démarche depuis le décès de la de cujus, le 26 septembre 2009, ni à cette fin, bien que le jugement entrepris précise que l'échec d'une mise en location rendrait nécessaire la cession immédiate du bien, ni en ce qui concerne l'entretien ou l'administration de l'immeuble en général. Le défaut de diligence et l'adoption de positions contradictoires, l'intimée n'entendant pas assumer les charges et reprochant à ses coïndivisaires de ne pas avoir bénéficié de loyers résultant d'une mise en location alors qu'elle-même n'effectue aucune démarche et veut conserver les meubles entreposés dans l'appartement et s'opposant à la vente du bien sans répondre des devoirs du propriétaire, cumulés à la mésentente entre les coïndivisaires, unanimement admise et faisant obstacle à l'administration d'un bien commun en location, aboutissent à une situation de blocage du fonctionnement de l'indivision et rendent la mise en location de l'immeuble impossible.
En troisième lieu, si la hausse de la valeur du bien depuis le décès de Mme [M] veuve [X] est certaine, les appelantes sollicitant la mise en vente de l'immeuble au prix de 500'000 euros alors qu'il était estimé 425 000 euros en 2011, au regard des désordres naissants et des charges de l'immeuble apparaissant sur le compte de la succession de l'ordre de près de 6500 euros par an, en l'absence de perspective de revenus locatifs, il ne peut être espéré aucun bénéfice à tirer d'une hypothétique future hausse supplémentaire de la valeur de l'immeuble.
Indépendamment de l'utilité ou de l'avantage qui pourrait dans l'absolu résulter de chaque option, dans le contexte de l'espèce, l'opposition de Mme [U] à la vente du bien, en l'absence d'alternative sérieuse quant à la conservation du bien commun, met en péril le bien indivis lui-même et par conséquent les comptes de l'indivision et l'intérêt commun des indivisaires.
Ainsi le risque d'atteinte aux intérêts des coïndivisaires, qui n'était pas apparent dans le cadre de la première instance, est désormais avéré et le jugement entrepris doit être infirmé de ce chef, les appelantes étant autorisées à vendre l'appartement dépendant de l'indivision successorale de leur mère dans les conditions précisées au dispositif.
Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive
Si c'est à raison que le jugement entrepris relève, pour rejeter la demande de Mmes [Z] et [X] à ce titre, que le refus de Mme [U] de vendre le bien immobilier n'est pas en lui-même constitutif d'une faute, son comportement, précédemment décrit, dans un contexte plus général de passivité face aux sollicitations justifiées dans le cadre de la liquidation de la succession, générant des contraintes pour l'administration successorale et ses coïndivisaires caractérise une résistance injustifiée et abusive, de sorte que la décision de première instance doit être infirmée et l'intimée condamnée à payer aux appelantes une somme de 1 000 euros à titre de réparation du préjudice qui en résulte pour elles.
Sur la remise des meubles en garde-meubles et les frais résultant de la gestion des biens mobiliers dépendant de la succession
Il ressort de l'article 815-3 du code civil que le ou les indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis peuvent notamment, à cette majorité, effectuer les actes d'administration relatifs aux biens indivis.
Tant la vente que la mise en location du bien justifient le déménagement des meubles afin de les protéger, eu égard à l'intrusion dans l'appartement fin 2021, de sorte que la décision entreprise doit être confirmée en ce qu'elle a autorisé leur déplacement dans un garde-meubles.
Les frais liés aux meubles et au véhicule relèvent comme ceux-ci de l'indivision successorale et aucun motif pertinent n'est avancé pour soustraire l'un des coïndivisaires aux obligations résultant à ce sujet d'une décision de justice exécutoire.
***
En application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, il appartient à l'intimée, partie perdante, de supporter, outre ses propres frais, la charge des dépens de première instance et d'appel et d'indemniser les appelantes des autres dépenses que ces dernières ont été contraintes d'exposer pour assurer la défense de leurs intérêts.
PAR CES MOTIFS
La cour
infirme le jugement entrepris en ce qu'il :
- a débouté Mmes [F] [X]-[Z] et [V] [A]-[X] de leur demande tendant à être autorisées à vendre le bien immobilier situé à [Localité 6],
- les a déboutées de leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- les a condamnées in solidum aux entiers dépens, ainsi qu'à payer à Mme [D] [X]-[U] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
et statuant à nouveau sur ces chefs,
autorise Mmes [F] [X]-[Z] et [V] [A]-[X] à procéder à la mise en vente de l'immeuble dépendant de la succession de Mme [L] [M] veuve [X] situé [Adresse 5] à [Localité 6], lots 112,131 et 137, à hauteur de 500 000 euros et à en faire consigner le prix de cession entre les mains de Me [R], notaire à [Localité 10], dans l'attente de la liquidation définitive de la succession,
condamne Mme [D] [X]-[U] à leur verser la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
confirme le jugement pour le surplus,
déboute Mme [U] de ses demandes d'indemnités pour frais irrépétibles présentées en première instance comme en cause d'appel,
la condamne aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me'Delannoy, et au paiement à Mmes [F] [X]-[Z] et [V] [A]-[X] d'une indemnité de 3 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet