République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 01/06/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 20/04738 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TJK2
Jugement (N° 19/00586) rendu le 25 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Saint-Omer
APPELANTE
Madame [X] [M]
née le 1er juin 1967 à [Localité 9]
[Adresse 5]
[Localité 7]
bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 59178/002/20/09808 du 01/12/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai
représentée par Me Fabien Fusillier, avocat au barreau de Saint-Omer, avocat constitué
INTIMÉS
Monsieur [B] [M]
né le 20 septembre 1963 à [Localité 8]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Monsieur [K] [M]
né le 31 mars 1966 à [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentés par Me Jean-Sébastien Delozière, avocat au barreau de Saint-Omer, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 05 janvier 2023 tenue par Camille Colonna magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 1er juin 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 16 mai 2022
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M. [L] [M] et Mme [E] [Z] étaient mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts aux termes d'un contrat de mariage établi le 27 octobre 1962. A la suite du décès de son époux le 15 février 2009, Mme [E] [Z] avait opté pour l'usufruit de la totalité des biens dépendant de la succession de son mari. Mme [Z] est décédée 29 septembre 2012.
Ils ont laissé pour leur succéder leurs trois enfants : Mme [X] [M] et MM. [B] et [K] [M].
La communauté ayant existé entre les époux était constituée des biens suivants :
- une maison d'habitation située à [Localité 7] et évaluée, le 20 août 2009, à la somme de 135000 euros ;
- des avoirs bancaires auprès de la Banque postale et du Crédit du Nord ;
- un véhicule automobile Peugeot de type 306.
Mme [X] [M] occupe la maison d'habitation située à [Localité 7] depuis le décès de sa mère, laquelle a laissé un testament olographe du 31 mars 2011 rédigé en ces termes :
' Si au jour du décès, ma fille [X] vit toujours à son domicile et n'a pas retrouvé de travail ou bénéficie d'un simple contrat de travail à durée déterminée, je demande à mes enfants d'établir une convention d'indivision aux termes de laquelle ma fille [X] aura la jouissance de la maison située à [Localité 7] (6 contour de l'église-impasse des tourterelles) pour une période à déterminer selon les possibilités légales, à charge pour elle, pendant cette période, d'acquitter seule les contributions, charges d'abonnements et assurances y afférents et de pourvoir aux dépenses d'entretien courant et aux réparations qui pourraient s'avérer nécessaires pendant cette période.
Je demande à mes fils de concéder ce droit précaire à leur soeur, moyennant une indemnité qui soit en rapport avec la situation financière de celle-ci.
A son terme, je demande à mes fils de laisser la priorité à leur soeur pour racheter leurs droits indivis dans cette maison, si cela lui est possible...'
Par un premier jugement en date du 6 avril 2018, le tribunal de grande instance de Saint-Omer a :
- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des successions de M. [L] [M] et Mme [E] [Z], et de la communauté ayant existé entre ces derniers ;
- désigné Me [V], notaire à [Localité 6], pour procéder aux dites opérations, sous la surveillance du juge commis aux partages ;
- donné mission à Me [V] d'évaluer l'indemnité d'occupation due par Mme [M] à l'indivision successorale à compter de la date du décès de Mme [E] [Z].
Le 27 mai 2019, le notaire a dressé un procès-verbal de difficultés après le refus de Mme [M] d'entrer en pourparlers de reprise du bien immobilier et de verser à l'indivision successorale l'indemnité d'occupation pour le bien situé à [Localité 7], 6 contour de l'église, impasse des tourterelles, dont le montant est fixé suivant le projet d'état liquidatif à 630 euros par mois, après application d'une décote de 10 % sur la valeur locative de l'immeuble estimée à 700 euros, soit un total pour la période du 29 septembre 2012 à mai 2019 de 50 421 euros.
A la suite d'un courrier daté du 20 juin 2019, le juge commissaire du tribunal de grande instance de Saint-Omer a invité les parties à poursuivre l'instance et à constituer avocat.
C'est ainsi que MM. [B] et [K] [M] ont demandé au tribunal d'homologuer le projet liquidatif établi par Me [V], d'ordonner la licitation préalable de l'immeuble aux conditions du marché avec la possibilité, pour eux, de s'en porter adjudicataires, sans délai supplémentaire lié à une éventuelle vente amiable et d'ordonner à Mme [M] de permettre les visites de l'immeuble, le cas échéant sous astreinte financière.
Par jugement contradictoire du 25 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Saint-Omer a homologué le projet d'état liquidatif de la succession de M. [L] [M] et Mme [E] [Z] établi par Me [V], ordonné la licitation préalable de l'immeuble situé à [Localité 7], ordonné à Mme [X] [M] de permettre les visites de l'immeuble, débouté MM. [B] et [K] [M] de leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage et débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires.
Mme [X] [M] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a homologué le projet d'état liquidatif, ordonné la licitation préalable de l'immeuble situé à [Localité 7], lui a ordonné de permettre les visites de l'immeuble et l'a déboutée de ses plus amples demandes.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 8 février 2021, elle demande à la cour de :
réformer le jugement entrepris en ce qu'il a homologué purement et simplement le projet d'état liquidatif de Me [V] ;
à titre principal, dire qu'aucune indemnité d'occupation n'est due ;
à titre subsidiaire, réduire à zéro ou à l'euro symbolique l'indemnité d'occupation qui serait mise à sa charge au profit de l'indivision ;
à titre infiniment subsidiaire, appliquer à ladite indemnité d'occupation une décote au moins égale à 30% ;
renvoyer l'affaire, le cas échéant, devant le notaire aux fins de chiffrage de l'indemnité d'occupation et de sa créance sur l'indivision ;
débouter MM. [B] et [K] [M] de leurs demandes ;
condamner MM. [B] et [K] [M] aux entiers dépens.
Elle précise que seule la question de l'indemnité d'occupation pose difficultés et fait valoir qu'il est manifeste que sa mère voulait lui transmettre sa maison, qu'alors que selon le testament de cette dernière, une convention d'indivision devait être établie à son décès, notamment pour fixer contractuellement le montant d'une indemnité d'occupation précaire en rapport avec sa situation financière, aucune convention d'occupation n'a été conclue. Elle soutient qu'elle ne jouit pas exclusivement et paisiblement des lieux, que l'indemnité calculée par le notaire liquidateur d'un montant de 50 421 euros n'est pas proportionnée à ses revenus puisqu'elle ne perçoit que le revenu de solidarité active, que la décote de 10% appliquée par le notaire n'est pas conforme à la jurisprudence, et qu'une indemnité lui est due sur le fondement de l'article 815-13 du code civil du fait des améliorations qu'elle a apportées à l'immeuble.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 7 mai 2021, MM. [B] et [K] [M] demandent à la cour, au visa des articles 1365 et suivants du code civil, de:
dire et juger l'appel de Mme [M] recevable mais mal fondé ;
débouter Mme [M] de l'ensemble de ses demandes ;
confirmer le jugement attaqué du 25 septembre 2020 dans toutes ses dispositions ;
condamner Mme [M] à leur payer :
- la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
- la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
statuer ce que de droit quant aux dépens.
Ils soulignent d'abord que l'appel de Mme [M] n'est pas dirigé contre les dispositions du jugement relatives à la licitation de l'immeuble et aux visites de l'immeuble.
Ils soutiennent que le premier juge a, à juste titre, relevé l'autorité de la chose jugée concernant l'indemnité d'occupation due par leur soeur, surabondamment que l'inertie de Mme [X] [M] n'a pas permis d'aboutir à la conclusion d'une convention d'indivision, le testament olographe n'indiquant pas que seuls les frères auraient du être pro-actifs à cette fin, que c'est de son propre fait, s'étant maintenue dans les lieux sans débourser le moindre euro, que leur soeur se retrouve débitrice d'une indemnité d'occupation disproportionnée par rapport à ses ressources et que les factures produites ne correspondent qu'aux seuls travaux d'entretien effectués, l'immeuble ne cessant de se déprécier. Ils ajoutent ne pas avoir troublé la jouissance paisible de Mme [M], les allégations fantaisistes de cette dernière n'étant pas démontrées.
Ils font valoir que l'appel formé est dilatoire dès lors qu'après neuf années de procédures amiables et judiciaires, Mme [M] ne sollicite que le renvoi devant notaire pour fixation d'une indemnité d'occupation qu'elle sait devoir alors que les charges (taxes foncières, cotisations d'assurances, dépens) continuent de grever les comptes de la succession, caractérisant la résistance abusive de l'appelante et qu'ils sont contraints d'exposer des frais irrépétibles dans le cadres des différentes procédures.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de ses dernières conclusions, l'appelante ne maintient de demande de réformation, autrement dit d'infirmation, du jugement entrepris qu'en ce qui concerne l'indemnité d'occupation et l'homologation du projet d'état liquidatif établi par Me [V], de sorte que le jugement ne peut qu'être confirmé en ce qui concerne les autres chefs.
Sur l'indemnité d'occupation et l'homologation du projet d'état liquidatif
Selon l'article 1373 du code de procédure civile, en cas de désaccord des copartageants sur le
projet d'état liquidatif dressé par le notaire, ce dernier transmet au juge commis un procès-verbal reprenant les dires respectifs des parties ainsi que le projet d'état liquidatif. Le greffe invite les parties non représentées à constituer avocat. Le juge commis peut entendre les parties ou leurs représentants et le notaire et tenter une conciliation. Il fait rapport au tribunal des points de désaccord subsistants.
Aux termes de l'article 1375 du code de procédure civile, le tribunal statue sur les points de désaccord. Il homologue l'état liquidatif ou renvoie les parties devant le notaire pour établir l'acte constatant le partage.
En vertu de l'article 815-9 du code civil, l'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité.
Par ailleurs, selon l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Selon l'article 480 du même code, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche. Le principal s'entend de l'objet du litige tel qu'il est déterminé par l'article 4.
En l'espèce, ainsi que l'a relevé le premier juge, par jugement du 6 avril 2018, le tribunal de grande instance de Saint-Omer a déclaré Mme [X] [M] redevable à l'égard de l'indivision successorale d'une indemnité d'occupation à compter du 29 septembre 2012, date du décès de sa mère, de sorte que le principe d'une indemnité d'occupation est revêtu de l'autorité de la chose jugée, étant précisé que le débat sur la jouissance privative est en conséquence sans incidence.
Par ailleurs, Mme [M] se méprend sur le caractère impératif du testament de sa mère qui ne comporte que des sollicitations formulées à ses enfants. Elle est mal fondée à invoquer l'absence de convention d'indivision lui accordant la jouissance de la maison de [Localité 7] alors qu'elle ne justifie pas avoir recherché la conclusion d'une telle convention et qu'elle occupe le bien depuis plus de dix ans. Enfin, concernant le montant de l'indemnité d'occupation à déterminer en fonction de sa situation financière, il n'est pas fait mention dans ce testament de dispense ou de gratuité.
En revanche, Mme [M], allocataire du revenu de solidarité active et bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale justifie de faibles ressources financières et avoir supporté des charges afférentes à l'immeuble (assurance de l'habitation jusqu'en 2015, entretien des éléments d'équipement) qu'elle qualifie à tort d'améliorations apportées à l'immeuble mais qui, s'agissant en réalité de dépenses d'entretien à la charge de l'occupante, ne lui permettent pas de revendiquer une créance à ce titre, étant précisé que la taxe foncière dont elle justifie des appels à son nom jusqu'en 2017 fera l'objet d'un rapport en cas de justification au notaire de paiement par ses soins, sans qu'il y ait lieu de statuer sur ce point à défaut de demande en ce sens au dispositif de ses conclusions.
La précarité de l'occupation est caractérisée par l'indivision, les revendications de ses co-indivisaires, les procédures qui en résultent et in fine, la licitation de l'immeuble ordonnée par décision judiciaire.
En considération de ces éléments, il y a lieu d'appliquer une décote de 30% à la valeur locative du bien.
En conséquence, il convient de réformer partiellement le jugement entrepris et de dire que Mme [M] sera redevable d'une indemnité d'occupation à compter du 29 septembre 2012 sur la base d'une décote de 30 % au titre de la précarité de l'occupation appliquée à la valeur locative de l'immeuble, de rejeter la demande d'homologation du projet d'état liquidatif établi le 27 mai 2019 et de renvoyer l'affaire devant le notaire afin qu'il l'amende en considération du montant actualisé de l'indemnité d'occupation due.
Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive
Selon l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrive à le réparer.
La résistance à une action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à réparation que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi.
La partie qui invoque la résistance abusive doit non seulement caractériser l'abus mais également le préjudice subi.
MM. [B] et [K] [M] ont été déboutés de leur demande sur le même fondement en première instance au motif qu'ils n'apportaient aucune précision quant à la nature de leur préjudice. Ils n'ont pas relevé appel de ce chef, sollicitant la confirmation du jugement attaqué en toutes ses dispositions, leur demande à ce titre en appel s'analyse donc en une demande reconventionnelle.
Or, les demandes de Mme [X] [M] étant partiellement fondées, ainsi que cela vient d'être dit, la procédure d'appel qu'elle a initiée ne revêt pas le caractère dilatoire que ses frères lui reprochent sans d'ailleurs le démontrer. Leur demande sera par conséquent rejetée.
En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage et de débouter MM. [B] et [K] [M] de leur demande d'indemnité pour frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour
infirme le jugement entrepris en ce qu'il a homologué le projet d'état liquidatif de la succession de M. [L] [M] et Mme [E] [Z] établi par Me [V], notaire à [Localité 6], et en ce qu'il a débouté Mme [X] [M] de sa demande d'application d'une décote au moins égale à 30 % à l'indemnité d'occupation due,
le confirme pour le surplus,
et statuant à nouveau sur les chefs infirmés
rejette la demande d'homologation du projet d'état liquidatif établi le 27 mai 2019 par Me'[V], notaire à [Localité 6],
renvoie l'affaire devant le notaire aux fins de calcul de l'indemnité d'occupation due par Mme'[X] [M] au titre de l'occupation privative de l'immeuble indivis sis à [Localité 7] depuis le 29 septembre 2012, avec application à la valeur locative du bien d'une décote de 30 % au titre de la précarité de l'occupation et d'actualisation en conséquence du projet de partage,
y ajoutant
déboute MM. [B] et [K] [M] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
les déboute de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet