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11/05/2023 | FRANCE | N°21/03307

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 11 mai 2023, 21/03307


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 11/05/2023





****





N° de MINUTE :

N° RG 21/03307 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TWBT



Jugement (N° 18/06315) rendu le 14 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Lille







APPELANTE



Madame [H] [V] épouse [X]

née le 04 janvier 1967 à [Localité 6]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 7]



représen

tée par Me Aya Bulaid, avocat au barreau de Lille, avocat constitué





INTIMÉ



Monsieur [D] [X]

né le 09 mars 1985 à [Localité 5] (Tunisie)

demeurant [Adresse 2]

[Localité 3]



représenté par Me Fouzia Zellami, avocat au ...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 11/05/2023

****

N° de MINUTE :

N° RG 21/03307 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TWBT

Jugement (N° 18/06315) rendu le 14 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANTE

Madame [H] [V] épouse [X]

née le 04 janvier 1967 à [Localité 6]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 7]

représentée par Me Aya Bulaid, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉ

Monsieur [D] [X]

né le 09 mars 1985 à [Localité 5] (Tunisie)

demeurant [Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Fouzia Zellami, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

DÉBATS à l'audience publique du 16 février 2023 tenue par Céline Miller magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Bruno Poupet, président de chambre

Céline Miller, conseiller

Camille Colonna, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 11 mai 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 26 janvier 2023

****

Mme [H] [V] et M. [D] [X] se sont mariés, sans contrat de mariage préalable, le 12 avril 2016 par devant l'officier d'état-civil de la ville de [Localité 5], en Tunisie.

Le 6 février 2018, M. [X] a engagé une procédure de divorce devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Lille.

Par acte d'huissier en date du 19 juin 2019, Mme [V] a fait assigner M. [X] devant le tribunal de grande instance de Lille aux fins d'obtenir, notamment, l'annulation du mariage pour défaut d'intention matrimoniale de ce dernier et sa condamnation à lui verser la somme de 3 500 euros au titre du préjudice moral qu'elle disait avoir subi.

La procédure a été transmise au ministère public qui, par avis du 8 octobre 2019 s'en est rapporté à l'appréciation du tribunal sans prendre de conclusions écrites.

Par jugement en date du 14 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Lille a déclaré la juridiction française incompétente pour statuer sur l'annulation d'un mariage célébré par une autorité étrangère, débouté les parties de leur demande respective fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et condamné Mme [V] aux entiers dépens de l'instance.

Mme [V] a interjeté appel de ce jugement et, aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 18 septembre 2021, demande à la cour, au visa des articles 146, 180, 184 et 202-1 du code civil, L. 623-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et des articles 1048 et 1049 du code de procédure civile, d'annuler le jugement entrepris et de :

- dire que le tribunal judiciaire de Lille est compétent et lui enjoindre de se déclarer compétent pour statuer sur la nullité du mariage contractée par elle avec M. [X] le 12 avril 2016 à [Localité 5] en Tunisie,

- constater le défaut d'intention matrimoniale de M. [X] et dire que son propre consentement fait défaut,

- condamner M. [X] à lui verser la somme de 3 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral qu'elle a subi,

- le condamner au titre de l'article L. 623-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

- le condamner aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me [S], ainsi qu'à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient principalement qu'en application des articles 1048 et 1049 du code de procédure civile, le tribunal judiciaire de Lille est compétent pour statuer sur sa demande de nullité de son mariage célébré avec M. [X] ; qu'en effet, son domicile (adresse à [Localité 7]) se situe dans le ressort de la juridiction lilloise et cette action est ouverte non seulement au ministère public mais également à toute personne qui y a intérêt.

De plus, elle allègue qu'en application des articles 146, 180, 184 et 202-1 du code civil, elle est fondée à demander la nullité du mariage célébré le 12 avril 2016 en ce que le consentement de son époux n'était nullement animé par une intention matrimoniale, celui-ci ayant usé de cette union pour obtenir une carte de séjour. En ce sens, l'appelante rapporte que quelques mois après avoir obtenu ladite carte, le comportement de son époux a changé ; qu'il a introduit une requête en divorce ; qu'il a cessé de contribuer aux charges du mariage et qu'il n'a plus respecté ses devoirs conjugaux (absence de relations physiques, remarques vexatoires sur la différence d'âge, violences conjugales, a quitté le domicile familial). Par conséquent, elle soutient avoir commis une erreur sur la personne de M. [X] si bien que son consentement a été vicié et demande la réparation de son préjudice moral.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 décembre 2021, M. [X] demande à la cour de débouter Mme [V] de l'ensemble de ses demandes, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il s'est déclaré incompétent et condamner Mme'[V] aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à lui payer la somme de 2 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il fait essentiellement valoir que les pièces versées aux débats par Mme [V] ne démontrent pas l'altération du lien conjugal et ne caractérisent pas une faute de sa part ; que par conséquent, elles ne sauraient justifier une demande de nullité si bien que la demande de l'appelante est infondée. Il soutient, encore, qu'il n'a pas contracté le mariage dans un but migratoire ; que les relations physiques ont cessé en raison de l'abstinence imposée par son épouse et que l'isolement dans une autre pièce invoqué par l'appelante est impossible puisque le domicile de Mme [V] ne contient que deux chambres, dont celle de son fils.

L'ordonnance de clôture de la mise en état a été rendue le 26 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Liminaire

Aux termes de l'article 542 du code de procédure civile, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.

L'article 562 dudit code dispose par ailleurs que l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent ; que la dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

Par ailleurs, il résulte de l'article 954 du même code que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions d'appel et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

En l'espèce, il résulte de la formulation de la déclaration d'appel de Mme [V], ainsi libellée 'appel en cas d'objet du litige indivisible', qu'elle entend solliciter la réformation de l'ensemble du jugement dont l'objet est indivisible, la juridiction de première instance ayant déclaré la juridiction française incompétente pour statuer sur l'annulation d'un mariage célébré par une autorité étrangère et statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

C'est donc de manière impropre que l'appelante, dans ses dernières conclusions, sollicite 'l'annulation' du jugement entrepris, aucun des moyens développés à cet effet n'étant d'ailleurs de nature à aboutir à l'annulation du jugement, et il convient de traiter cette demande comme une demande de réformation du jugement.

Sur la juridiction compétente

L'article 14 du code civil dispose que l'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français.

Aux termes de l'article 3 du code civil, les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger.

Les conditions de validité au fond du mariage sont déterminées par la loi personnelle des époux et s'apprécient distributivement selon la loi nationale de chacun des époux.

L'article 146 du code civil français, loi nationale de l'épouse, dispose qu'il n'y a pas de mariage s'il n'y a point de consentement.

L'article 180 dudit code dispose que le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux, ou de l'un deux, peut être attaqué par les époux, ou par celui des deux dont le consentement n'a pas été libre, ou par le ministère public.

En application de ces textes, le mariage peut notamment être annulé pour erreur lorsque l'autre époux était dépourvu de la volonté de s'unir effectivement et durablement et d'en assumer les conséquences légales.

Par ailleurs, aux termes de l'article 3 du Code du statut personnel tunisien, loi nationale de l'époux, le mariage n'est formé que par le consentement des deux époux, l'article 21 du même code précisant qu'est frappée de nullité l'union qui comporte une clause contraire à l'essence même du mariage ou qui est conclue en contravention des dispositions du 1er alinéa de ce code, et l'article 22 ajoutant qu''est nulle et de nul effet, sans qu'il soit besoin de recourir au divorce, l'union visée à l'article précédent.'

Il résulte de ces textes que la juridiction française est compétente pour se prononcer sur la nullité d'un mariage contracté à l'étranger par un Français avec une personne de nationalité étrangère, à charge pour ce juge d'apprécier les conditions de fond de la validité du mariage distributivement selon la loi nationale de chacun des époux.

L'action en nullité du mariage est une action d'état qui relève traditionnellement de la compétence d'attribution exclusive du tribunal de grande instance telle que définie par les articles L211-4 et R211-3-26 du code de l'organisation judiciaire.

En vertu de l'article 1070 du code de procédure civile, le juge aux affaires familiales territorialement compétent est :

- le juge du lieu où se trouve la résidence de la famille ;

- si les parents vivent séparément, le juge du lieu de résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants mineurs en cas d'exercice en commun de l'autorité parentale, ou du lieu de résidence du parent qui exerce seul cette autorité ;

- dans les autres cas, le juge du lieu où réside celui qui n'a pas pris l'initiative de la procédure.

Mme [H] [V] est de nationalité française et les époux avaient leur résidence habituelle à [Localité 7] du temps de leur vie commune. M. [X] était par ailleurs domicilié à [Localité 4] lorsque l'instance en nullité du mariage a été engagée par Mme [V] devant le premier juge.

Si M. [X] a depuis changé de domicile et ne réside plus dans le ressort du tribunal judiciaire de Lille, il ne formule pas de demande tendant à la désignation du tribunal judiciaire auquel il ressortit désormais.

Par ailleurs, Mme [V] ne sollicite pas l'évocation de l'affaire au fond par la cour d'appel de céans, aucune demande d'annulation du mariage n'étant formulée dans le dispositif de ses conclusions, quand bien même leur motivation évoque les moyens qu'elle entend soutenir à l'appui de cette demande d'annulation.

Au vu de ces éléments, il convient d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré la juridiction française incompétente pour statuer sur l'annulation d'un mariage célébré par une autorité étrangère et, statuant à nouveau, de déclarer le tribunal judiciaire de Lille compétent tant matériellement que territorialement pour statuer sur la demande en annulation de mariage formée par Mme [V], ainsi que sur sa demande de dommages et intérêts subséquente.

Sur les autres demandes

Le sort des dépens et des frais irrépétibles suivra celui de l'instance au fond.

PAR CES MOTIFS

La cour

Infirme la décision entreprise,

Statuant à nouveau,

Déclare le tribunal judiciaire de Lille matériellement et territorialement compétent pour statuer sur l'action en nullité du mariage engagée par Mme [C] [V] à l'encontre de M. [D] [X], ainsi que sur sa demande de dommages et intérêts complémentaire ;

Renvoie l'affaire devant le tribunal judiciaire de Lille pour y être jugée au fond ;

Dit que le sort des dépens et frais irrépétibles suivra le sort de l'instance au fond.

Le greffier

Delphine Verhaeghe

Le président

Bruno Poupet


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 21/03307
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;21.03307 ?
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