République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 04/05/2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 21/00707 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TNQ2
Jugement (N° 19/01273)
rendu le 12 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Douai
APPELANT
Monsieur [M] [C]
né le 12 août 1980 à [Localité 7]
demeurant [Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Guy Delomez, avocat au barreau de Cambrai, avocat constitué
INTIMÉ
Monsieur [X] [K]
né le 21 avril 1982 à [Localité 5]
demeurant [Adresse 4]
[Localité 2]
représenté par Me Maxence Denis, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 26 janvier 2023 tenue par Bruno Poupet magistrat chargé d'instruire le dossier et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 4 mai 2023 après prorogation du délibéré en date du 13 avril 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 19 janvier 2023
****
M. [M] [C] a acquis le 11 janvier 2019 de M. [X] [K] un véhicule d'occasion de marque Audi moyennant 19'000 euros.
Exposant que ce véhicule avait, depuis, été saisi par les services de police comme étant signalé volé en Belgique depuis octobre 2018, il a fait assigner M. [K] devant le tribunal judiciaire de Douai afin d'obtenir la résolution de la vente ainsi que la condamnation du vendeur à lui en rembourser le prix et à lui verser des dommages et intérêts.
Par jugement contradictoire du 12 novembre 2020, le tribunal l'a débouté de ses demandes et condamné aux dépens ainsi qu'au paiement à M. [K] d'une indemnité de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [C] a interjeté appel de ce jugement et, par conclusions remises au greffe le 4 octobre 2021, demandait à la cour, sur le fondement de la garantie des vices cachés et, subsidiairement, de la responsabilité délictuelle, de l'infirmer et :
à titre principal,
- de prononcer la résolution de la vente,
- de condamner M. [K] à lui payer les sommes de :
* 19'000 euros à titre de restitution du prix,
* 970,69 à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel,
* 5'000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
à titre subsidiaire,
- de condamner M. [K] à lui payer les mêmes sommes à titre de dommages et intérêts,
en tout état de cause,
- de juger que ces sommes porteraient intérêts au taux légal à compter du 29 mai 2019, date de mise en demeure,
- de condamner M. [K] à lui payer 4'000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel,
à titre infiniment subsidiaire,
- de surseoir à statuer jusqu'à l'issue de l'enquête pénale en cours.
Par conclusions remises le 15 juillet 2021, M. [K], contestant la dépossession de M. [C] de son véhicule, demandait pour sa part à la cour de confirmer le jugement et de condamner l'appelant à lui payer 2'500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par arrêt du 10 novembre 2022, la cour a ordonné la réouverture des débats et invité les parties à présenter par conclusions leurs observations sur l'application au présent litige des dispositions relatives à la garantie d'éviction (articles 1626 et 1630 du code civil).
Par conclusions du 16 janvier 2023, M. [C] se déclare favorable à ce moyen et maintient ses demandes.
M. [K], par conclusions du 6 janvier 2023, soutenant que M. [C] dispose de son véhicule et qu'il n'y a pas d'éviction, sollicite la confirmation du jugement ainsi que la condamnation de l'appelant à lui verser 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
M. [K] a mis en doute, lors des premiers débats, les dires de M. [C] en produisant un « certificat de situation administrative détaillé'» du véhicule daté du 17 octobre 2019 et une copie d'un certificat identique daté du 20 avril 2021 ne mentionnant aucune anomalie et, notamment, pas de déclaration de vol.
A l'issue des premiers débats, la cour a noté, dans son arrêt du 10 novembre 2022, au vu des pièces dont elle disposait alors, que M. [C] justifiait néanmoins de la véracité de ses dires en versant aux débats :
- un procès-verbal d'audition rédigé le 2 avril 2019 par un agent de la sûreté urbaine de [Localité 6] établissant qu'il avait été convoqué par ce service dans le cadre d'une demande de coopération des autorités belges et informé de ce que le véhicule était signalé comme volé en Belgique depuis octobre 2018, soit à une date antérieure à son acquisition par M. [K] lui-même, que le véhicule avait été saisi à l'issue de son audition et qu'il avait remis aux services de police sa carte grise et celle de l'ancien propriétaire, les deux clés du véhicule et le carnet de bord du véhicule,
- une lettre du commissaire divisionnaire chef de la circonscription de sécurité publique de Lens-agglomération informant son conseil le 30 avril 2021, en réponse à une interrogation de celui-ci, de ce que la procédure avait été adressée au tribunal judiciaire de Béthune pour transmission en Belgique,
- deux courriers de son avocat au procureur de la République de Béthune, en date des 21 juillet et 15 septembre 2021, dont il disait qu'ils étaient restés sans réponse.
La cour, par son arrêt du 10 novembre 2022, a toutefois :
- exclu la mise en oeuvre de la garantie des vices cachés en relevant, au visa des articles 1641, 1643 et 1644 du code civil, que le fait que le véhicule ait été déclaré volé antérieurement à la vente et que cela ait entraîné sa saisie postérieurement à celle-ci, s'il privait l'appelant de son usage, ne constituait pas un défaut caché rendant ledit véhicule impropre à l'usage auquel on le destinait au sens de l'article 1641 précité ;
- rejeté les prétentions de M. [C] fondées sur l'article 1240 du code civil en rappelant que l'action en réparation d'un dommage causé par l'inexécution alléguée d'une obligation contractuelle, ce qui était le cas en l'espèce, ne pouvait être fondée que sur le droit de la responsabilité contractuelle et non sur celui de la responsabilité délictuelle et que le non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle s'opposait à ce qu'il soit fait droit aux demandes de M. [C] sur le fondement de l'article 1240 ;
- soulevé d'office le moyen tiré de la garantie d'éviction.
***
L'article 1626 du code civil dispose que, quoique lors de la vente il n'ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet et non déclarées lors de la vente.
Aux termes de l'article 1630, lorsque la garantie a été promise, ou qu'il n'a rien été stipulé à ce sujet, si l'acquéreur est évincé, il a droit de demander contre le vendeur :
1° la restitution du prix,
2° celle des fruits, lorsqu'il est obligé de les rendre au propriétaire qui l'évince,
3° les frais faits sur la demande en garantie de l'acheteur et ceux faits par le demandeur originaire,
4° enfin, les dommages et intérêts, ainsi que les frais et loyaux coûts du contrat.
Il est constant que, la garantie d'éviction du fait d'un tiers étant due seulement si le trouble de droit, imputable au vendeur et ignoré de l'acquéreur, est actuel, la simple connaissance par celui-ci de l'existence d'un droit au profit de ce tiers susceptible de l'évincer ne suffit pas à lui permettre d'agir.
A la faveur de la réouverture des débats, M. [C] produit un courriel qu'il dit avoir reçu de Mme'[W], du commissariat de [Localité 6], après la saisie susvisée, par lequel celle-ci lui indiquait que sur instruction du parquet de Béthune, il pouvait reprendre possession de son véhicule le temps de l'enquête. Il admet qu'il en dispose depuis lors (avril 2019), ce qui ne ressortait pas clairement de ses précédentes conclusions.
Un courriel de la même personne, adressée le 12 janvier 2023 au conseil de l'appelant en réponse à une demande de celui-ci, expose que la procédure a été adressée, sur sa requête, au parquet de Béthune le 31 décembre 2020 pour transmission aux autorités belges et que le commissariat de [Localité 6] n'a eu aucun retour depuis lors.
M. [K] produit pour sa part un nouveau « certificat de situation administrative détaillé'» relatif au véhicule litigieux, délivré par les services du ministère de l'Intérieur, attestant cette situation au 29 décembre 2022 et ne mentionnant toujours aucune anomalie (opposition, gage, déclaration de vol ...).
Il s'avère donc que, si les services de police ont notifié à M. [C] une « saisie'» du véhicule à l'issue de son audition du 2 avril 2019, il le lui ont néanmoins restitué, concrètement, que celui-ci en dispose depuis quatre ans sans démontrer ni même alléguer avoir rencontré la moindre difficulté liée à la « saisie'», que cette mesure n'opère pas par elle-même un transfert de propriété, de sorte qu'il en est toujours propriétaire, qu'il ne fait état d'aucune revendication par une personne qui s'en présenterait comme le véritable propriétaire ni par un service d'enquête belge ou français, et que la situation administrative du véhicule ne présente aucune irrégularité ni aucune réserve.
Il en résulte que M. [C] ne subit actuellement aucune dépossession, que ce soit de droit ou de fait, et que ses demandes ne peuvent prospérer sur le fondement de la garantie d'éviction.
Ses demandes ne sont donc justifiées au regard d'aucun des moyens de droit examinés, de sorte qu'il y a lieu de confirmer le jugement.
Si M. [K] allègue un préjudice moral résultant d'une mise en cause infondée et de la longue procédure qui s'en est suivie, aucune faute de M. [C], à qui, nonobstant les développements qui précèdent, les informations données par les services de police ont pu occasionner une inquiétude compréhensible, n'est caractérisée.
Il est néanmoins équitable que ce dernier, qui sera condamné aux dépens en sa qualité de partie perdante, indemnise l'intimé, en application de l'article 700 du code de procédure civile, des frais qu'il a dû exposer pour assurer la défense de ses intérêts.
PAR CES MOTIFS
La cour
confirme le jugement entrepris,
déboute M. [X] [K] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,
condamne M. [M] [C] aux dépens et au paiement à M. [X] [K] d'une indemnité de 3000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet