La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/04/2023 | FRANCE | N°21/01431

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale e salle 4, 14 avril 2023, 21/01431


ARRÊT DU

14 Avril 2023





















N° RG 21/01431 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TZ7X



N° 388/23



PL/VM

































































GROSSE



le 14 Avril 2023

République Française

Au nom du Peuple Français



COU

R D'APPEL DE DOUAI



Renvoi après Cassation

- Prud'hommes -











CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE VALENCIENNES en date du 29 Janvier 2016

COUR D'APPEL DOUAI en date du 27 Septembre 2019

COUR DE CASSATION DU 23 Juin 2021



APPELANT :



M. [GH] [I]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparant en personne, assisté de Me Alexandre BAREGE, avocat au barreau de LILLE



INTIMÉE :



S.A....

ARRÊT DU

14 Avril 2023

N° RG 21/01431 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TZ7X

N° 388/23

PL/VM

GROSSE

le 14 Avril 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Renvoi après Cassation

- Prud'hommes -

CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE VALENCIENNES en date du 29 Janvier 2016

COUR D'APPEL DOUAI en date du 27 Septembre 2019

COUR DE CASSATION DU 23 Juin 2021

APPELANT :

M. [GH] [I]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparant en personne, assisté de Me Alexandre BAREGE, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

S.A.S. OUTINORD SAINT AMAND

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Pierre-Jean COQUELET, avocat au barreau de VALENCIENNES substitué par Me Caroline LEMER, avocat au barreau de VALENCIENNES

DÉBATS : à l'audience publique du 28 Février 2023

Tenue par Philippe LABREGERE

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Valérie DOIZE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Philippe LABREGERE

: MAGISTRAT HONORAIRE

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Serge LAWECKI greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS

 

[GH] [I] a été embauché par contrat de travail verbal à compter du 9 mars 1967 en qualité de tourneur sur métaux par la société OUTINORD.

A compter de mai 1977 et jusqu'à sa retraite, il a exercé parallèlement les responsabilités de délégué du personnel, membre puis secrétaire du comité d'entreprise, membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et conseiller prud'hommes.

Il est parti à la retraite à compter du 31 août 2008 après avoir adhéré à une convention de préretraite entraînant un passage à temps partiel annualisé à compter du 1er septembre 2003.

Par requête reçue le 9 août 2013, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Valenciennes afin faire constater l'existence d'une discrimination dans le déroulement de sa carrière et d'obtenir le versement de dommages et intérêts.

 

Par jugement du 29 janvier 2016, le conseil de prud'hommes a déclaré l'action en responsabilité pour discrimination prescrite, débouté le salarié de sa demande et l'a condamné aux dépens. Par arrêt en date du 27 septembre 2019 la cour d'appel de Douai a confirmé le jugement entrepris.

Par arrêt du 23 juin 2021, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour au motif que le retard de carrière et de la rémunération afférente invoqués n'avaient pas cessé de produire leurs effets et s'étaient prolongés jusqu'au 31 août 2008, date de départ du salarié de l'entreprise.

La cour a été régulièrement saisie dans le délai de deux mois à compter de la signification à partie de l'arrêt de la Cour de cassation, conformément à l'article 1034 du code de procédure civile.

Après un précédent renvoi, à la demande de la société intimée, l'audience des plaidoiries a été fixée au 29 novembre 2022 puis au 28 février 2023.

Selon ses dernières écritures récapitulatives et ses observations orales à l'audience, [GH] [I] appelant, sollicite de la cour l'infirmation du jugement entrepris, la constatation que son action n'est pas prescrite et :

- à titre principal, la condamnation de la société à lui verser 105.797,38 euros en réparation du préjudice résultant de la discrimination en raison de son appartenance et ses activités syndicales,

- à titre subsidiaire,

l'obligation faite à la société OUTINORD de produire les relevés de carrière de l'ensemble des salariés engagés de 1965 à 1969 dans l'entreprise au même coefficient que l'appelant et aux coefficients directement inférieur et supérieur ainsi que pour [GH] [M], [IE] [G], [CT] [A], [N] [EK], [L] [V], [N] [WT], [EV] [Y], [IO] [X], [D] [AW], en précisant pour tous les salariés concernés les dates d'évolution de leur coefficient, fonction, rémunération, les éventuelles primes obtenues, ainsi que les mandats détenus le cas échéant, l'ensemble jusqu'à leur départ de l'entreprise,

les éléments susvisés devant lui être communiqués dans le mois de la décision à intervenir sous peine d'une astreinte définitive de 1000 euros par jour de retard,

le renvoi de l'affaire pour qu'il soit statué au fond,

et, en tout état de cause, la condamnation de la société OUTINORD à lui verser 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

les sommes dues devant porter intérêts à compter du jour de la demande en application de l'article 1231-7 du code civil, et avec capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil du moment qu'ils sont dus pour une année entière.

L'appelant expose qu'il ne ressort pas du courrier du 2 décembre 2004 qu'il a adressé à la société qu'il disposait de l'ensemble des éléments lui permettant d'exercer son droit par la voie d'un recours judiciaire, faute d'avoir entre les mains l'ensemble des documents et éléments permettant d'établir qu'il était victime d'une discrimination et son préjudice, que le délai de prescription ne peut donc être considéré comme ayant commencé à courir à compter de ce courrier, que la discrimination opérée par la société portant sur un retard de carrière et la rémunération afférente s'est poursuivie après le courrier du 2 décembre 2004, que les effets du retard de sa carrière résultant de la discrimination invoquée se sont fait sentir jusqu'à son départ de l'entreprise, le 31 août 2008, que le délai d'action doit courir à compter de cette dernière date, que son action n'est pas prescrite puisqu'il a saisi le conseil de prud'hommes dans les cinq ans suivant la rupture de son contrat de travail, qu'il n'a jamais été en possession d'une enquête de l'inspection du travail qui aurait conclu à la discrimination, qu'il apporte les éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination, qu'alors que depuis son embauche en 1967 et son retour de service militaire en 1969, il avait très fréquemment bénéficié de promotions régulières pendant huit ans, puisqu'il avait changé huit fois d'échelon, il n'a plus bénéficié d'aucune promotion, restant classé P2f durant treize ans, que ce blocage de carrière correspond au moment où il a été désigné délégué syndical CGT et élu délégué du personnel CGT en mai 1977, que sa dernière promotion a daté du mois de mars de cette même année, qu'il travaillait en poste avec [O] [AN], qui avait la qualification de tourneur, qu'ils avaient été embauchés le même mois, qu'il était plus qualifié que ce dernier et n'avait pas de tâches moins compliquées à réaliser, que pourtant, il n'a bénéficié que de la classification P2f, alors qu'à son collègue était reconnue la classification P3, qu'il n'a bénéficié qu'en 2000 du coefficient 215a, avant d'accéder au coefficient 215b un an avant son départ de l'entreprise alors que son collègue, de 1978 à 1982, était déjà classé P3 et bénéficiait donc du coefficient 215 à cette époque, soit vingt ans plus tôt, qu'en outre, [O] [AN], lors de la fin de son contrat de travail en 2006, était classé au coefficient 215g, que l'appelant a ainsi stagné au même coefficient pendant vingt-neuf ans, que de la comparaison à laquelle il s'est livré avec les personnes embauchées à une date proche de la sienne et pour des fonctions comparables, il résulte qu'il avait le coefficient le plus bas en 1996 et en 2003, qu'il n'a progressé que d'un indice, soit de 190j à 215a, sur la période tandis que d'autres salariés, notamment [S] [P] et [O] [AN], prenaient plusieurs indices sur la même période, que de la comparaison avec les salariés engagés quelques années après lui, il apparaît qu'il était classé à un coefficient inférieur, qu'ils ont tous davantage progressé entre 1996 et 2003, bénéficiant de deux indices supplémentaires au minimum alors qu'il n'en obtenait qu'un, que six années plus tard, tous bénéficiaient d'un coefficient supérieur ou égal au sien, y compris le salarié qui était moins bien classé, que des collègues entrés bien après lui au sein de la société et ayant un coefficient plus faible en 1996 ont bénéficié d'une bien meilleure progression de carrière, qu'en outre certains d'entre eux sont passés chef ouvrier (coefficient 225), assimilé agent de maîtrise (coefficient 240) et même agent de maîtrise, que le listing de quinze personnes produit par la société intimée ne rapporte pas la preuve de l'absence de discrimination, que seules que trois personnes, dont lui-même faisaient partie des services mécanique et entretien, que le coefficient d'embauche des personnes concernées est inconnu, que les progressions intermédiaires de carrière ne sont pas indiquées, qu'en outre les éléments produits par l'employeur ne remettent pas du tout en cause la présomption apportée par l'appelant, subsidiairement, que si la cour ne s'estimait pas suffisamment éclairée, elle devra ordonner la production des pièces détenues par la société, qu'au surplus, celle-ci a eu à l'égard de l'appelant un comportement relativement constant de défiance, voire d'acharnement, qu'elle ne respectait pas toujours la rémunération des arrêts maladie pourtant portés à sa connaissance, qu'elle ne procédait pas au paiement des heures passées en réunion de comité d'entreprise, en conseil d'administration ou en assemblée générale, de 2004 à 2006, ni à celui des heures consacrées à la juridiction prud'homale hors temps de travail qui n'avaient pas encore fait l'objet d'une récupération, qu'elle lui a réclamé à tort huit heures de travail, que pour réparer le préjudice qu'il a subi, il doit être tenu compte du salaire perdu durant les années de travail passées, de son impact sur le niveau de droits à la retraite et de son préjudice moral.

Selon ses dernières écritures récapitulatives et ses observations orales à l'audience, la société OUTINORD SAINT AMAND sollicite de la cour la confirmation du jugement entrepris, à titre subsidiaire, la réduction de l'examen de la discrimination alléguée à la seule période courant du 9 au 31 août 2008, conclut à l'absence de démonstration de l'existence d'une discrimination, au débouté de la demande et à la condamnation de l'appelant à lui verser 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société intimée soutient que l'appelant a adressé, le 2 décembre 2004, un courrier recommandé à son employeur par lequel il l'informait de ce qu'il faisait l'objet de discriminations salariales dans le déroulement de sa carrière, que l'article L 1134-5 alinéa 1 du code du travail prévoit un délai de prescription de cinq ans à compter de la date de révélation des faits, qu'au cours de sa carrière, l'appelant a eu de nombreux mandats, que pendant plus de trente ans, il a participé à la vie de l'entreprise et à l'assistance des salariés, qu'il a pris part aux négociations salariales, qu'étant membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, il avait à ce titre accès à tous les éléments factuels permettant la révélation d'une discrimination, qu'en outre au cours de ses vingt-cinq années de mandats prud'homaux, il disposait de la compétence et des éléments juridiques lui permettant de faire reconnaître cette discrimination et de saisir la juridiction compétente, que, dès le 2 décembre 2004, de son propre aveu, il connaissait l'ensemble des faits qui, selon lui, pouvait démontrer l'existence d'une discrimination à son égard, qu'en application de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin 2008. il disposait d'un délai courant jusqu'au 19 juin 2013 inclus pour saisir la juridiction d'une demande tendant à voir condamner la société pour une discrimination, qu'ayant saisi par requête le conseil de prud'hommes de Valenciennes le 9 août 2013, le délai d'action au titre de la discrimination était prescrit à cette date, qu'il résulte de son courrier du 2 décembre 2004, qu'il disposait, selon lui, à cette date de l'ensemble des éléments de comparaison lui permettant d'exercer son droit par la voie de recours judiciaire, à titre subsidiaire, que la cour ne pourrait que statuer sur la période allant du 9 au 31 août 2008, date de départ effectif de l'entreprise de l'appelant, qu'il appartient à ce dernier de présenter au juge des éléments permettant de présumer l'existence d'une discrimination en les reliant à l'un des motifs de discrimination visés par l'article L 1132-1 du code du travail, qu'il ne rapporte aucun des éléments de preuve permettant de démontrer l'existence d'une quelconque discrimination à son encontre, qu'il a bénéficié de diverses promotions entre le 9 mars 1967 et le 1er août 2007, que la société verse aux débats un relevé de carrière de quinze salariés, dont l'appelant, tous embauchés en 1967, que sur les quatorze salariés, entrés à la même date que ce dernier, huit d'entre eux ont terminé leur carrière avec un coefficient inférieur et cinq d'entre eux avec le même coefficient que celui de l'appelant, qu'un seul salarié sur les quatorze listés a terminé sa carrière avec un coefficient supérieur, qu'elle produit également des "copies écran" du logiciel de paie, que la situation et la progression de carrière des salariés listés, embauchés à la même époque, est tout à fait comparable, que l'appelant ne produit aucun document probant démontrant qu'il a informé son employeur de son absence pour hospitalisation le 4 octobre 2004, que la demande relative au non-paiement d'heures de conseil d'administration, assemblées générales, réunions de comité d'entreprise ou de délégué syndical est prescrite depuis l'année 2009 sur le fondement des dispositions de l'article L1471-1 alinéa 2 du code du travail, que sur les heures de récupération, l'appelant ne chiffre pas cette demande et ne produit aucun document permettant d'attester de la réalité de son affirmation, que concernant la réparation du préjudice moral, il n'explique pas en quoi le préjudice dont il se prévaut serait caractérisé.

 

MOTIFS DE L'ARRÊT

Attendu en application des articles L1134-5 du code du travail et 26 II de la loi 2008-561 du 17 juin 2008, qu'aux termes du premier de ces textes, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; qu'avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination était soumise à la prescription trentenaire de l'article 2262 du code civil dans sa rédaction alors applicable ; que selon l'article 26 II de la loi précitée, les dispositions qui réduisent le délai de la prescription s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ;

Attendu que la discrimination alléguée est censée s'être produite depuis le mois de mars 1977 jusqu'au départ à la retraite de l'appelant, soit le 31 août 2008 ; que l'action en réparation du préjudice résultant de faits de discrimination allégués était initialement soumise à la prescription trentenaire, réduite à cinq ans par la loi du 17 juin 2008, entrée en vigueur à compter du 18 juin 2008 ; que le point de départ de la prescription quinquennale est le 31 août 2008, date à laquelle les faits susceptibles de constituer une discrimination avaient cessé de poursuivre leurs effets ; que l'action ayant été engagée par l'appelant le 9 août 2013, le délai de cinq années pour l'exercer n'était pas écoulé ; qu'il s'ensuit que la prescription n'est acquise que pour les faits antérieurs au 9 août 1983 ;

Attendu sur la discrimination syndicale , en application des articles L.1132-1 et L1134-1 du code du travail, que l'appelant a été désigné délégué syndical C.G.T. et élu délégué du personnel C.G.T. en mai 1977, réélu délégué du personnel de mai 1978 jusqu'à son départ en retraite au 31 août 2008, membre titulaire du comité d'entreprise en novembre 1979, secrétaire de ce comité et conseiller prud'hommes de décembre 1982 jusqu'en décembre 2007 ; que les éléments de fait qu'il présente sont son maintien en tant que tourneur-ajusteur au niveau 2 coefficient 190 j du 1er mars 1977 au 31 janvier 2000 avec un passage de l'indice f à i au bout de treize ans et son maintien à l'échelon j durant neuf ans, alors que son collègue, [O] [AN], qui avait la qualification de tourneur était déjà classé en 1996 au niveau 3 coefficient 215d, l'attribution du niveau 3 coefficient 215a à compter seulement du 1er février 2000 et de l'indice b un an avant son départ à la retraite alors que [O] [AN] bénéficiait à la fin de son contrat de travail, le 30 septembre 2006, du coefficient 215g ; qu'il communique en outre les positions de [AC] [MI], électricien, [NV] [TJ], tôlier production, [S] [P], régleur ajusteur, et [L] [EK], électricien, appartenant au service entretien et qui, embauchés à la même époque que l'appelant, soit entre juillet 1966 et avril 1969, bénéficiaient en 1996 soit du coefficient 215c ou d, soit du coefficient 225k ou o ; qu'il s'appuie également sur la situation de [GH] [M], chaudronnier, d'[N] [EK], mécanicien, et d'[N] [WT], tourneur contrôleur, embauchés postérieurement, respectivement en août 1971, juillet 1972 et juillet 1977, qui tous trois étaient en 1996 classés au niveau 215 a, c ou e ; qu'enfin il se réfère aux positions de [IO] [X], électricien, et de [D] [AW], outilleur robot, qui, jouissant d'un coefficient inférieur au sien en 1996, se trouvaient en 2003 classés au coefficient 215c ;

Attendu que la société intimée prétend que l'appelant a bénéficié de diverses promotions entre le 9 mars 1967 et le 1er août 2007 et produit le relevé de carrière de ce dernier ; que par ailleurs elle communique la liste de quatorze salariés, à savoir [NV] [TJ], [U] [UL], soudeur, [C] [PS], tôlier, [CN] [Z], soudeur, [S] [P], [O] [AN], [K] [R], dresseur, [T] [RC], soudeur, [UW] [E], tôlier, [LY] [SZ], scieur, [J] [W], soudeur, [YF] [B], monteur, [KL] [F], peintre et [H] [GS], ouvrier chargement, en vue de démontrer que la plupart d'eux ont terminé leur carrière soit à un coefficient inférieur soit au même coefficient que celui de l'appelant ; qu'enfin elle verse aux débats les relevés de leurs salaires de base ;

Attendu toutefois que le relevé de carrière produit par la société est identique à celui communiqué par l'appelant ; qu'il fait apparaître que du 1er mars 1977 au 31 janvier 2000, l'appelant a stagné au coefficient 190 qui n'a connu que des variations infimes d'échelon ; qu'ensuite et jusqu'à la fin de sa carrière qui s'est terminée huit ans plus tard, il n'a jamais dépassé le niveau 215a puis b qui lui avait été attribué à compter du 1er février 2000, comme le font apparaître les bulletins de paye produits ; qu'une carrière ayant connu une évolution aussi lente ne peut être considérée comme ponctuée de promotions semblables à celles qu'ont pu connaître des salariés se trouvant dans une position similaire à celle de l'appelant ; que la comparaison de la position de l'appelant avec celles d'autres collègues à laquelle se livre la société en dressant leur liste est dépourvue de pertinence puisque sont pris en compte des salariés qui ne relevaient pas tous du secteur auquel était rattaché l'appelant ; qu'au demeurant, il apparaît du tableau produit qu'au 1er février 2000, date à laquelle il a été attribué à l'appelant le niveau 215a la plupart des salariés mentionnés jouissaient du niveau 215 depuis de nombreuses années ; qu'ainsi [NV] [TJ], tôlier soudeur, était classé depuis janvier 1991 au coefficient 215c, [C] [PS], tôlier chaudronnier, depuis janvier 1992 au coefficient 215a ; qu'en outre, il résulte des écritures de l'appelant non contestées sur ce point qu'en 1996 au moins, [O] [AN] et [S] [P], mentionnés dans le tableau précité, se trouvaient déjà aux coefficients P3 215d et 225 j ; que par ailleurs il n'est pas non plus contesté que [O] [AN], embauché le 29 mars 1967, soit quasiment à la même date que l'appelant, travaillait en poste avec ce dernier et que tous deux accomplissaient des taches identiques ; que pourtant l'appelant jouissait d'une qualification supérieure à celle de son collègue puisqu'il était tourneur ajusteur alors que [O] [AN] n'était employé qu'en qualité de tourneur ; qu'en outre selon le tableau précédemment évoqué, il avait notablement progressé puisqu'au 1er juillet 2005 il bénéficiait du coefficient 215g ; que des observations similaires peuvent être formulées à l'égard de [S] [P] qui, en qualité de mécanicien, appartenait comme l'appelant au service entretien et était classé au niveau 225m au 1er novembre 2022 alors qu'il avait été embauché le 20 mars 1967 ;

Attendu que l'intimée ne justifie par aucun élément objectif étranger à toute discrimination les raisons pour lesquelles l'appelant n'a été classé au niveau P3 215a puis b qu'à compter du 1er février 2000 après être resté durant trente-trois années au niveau P2 190, dont vingt-sept ans correspondant à la période au cours de laquelle il était titulaire d'un mandat syndical ; que tout en s'appuyant sur des comparaisons de salaire, évoquées précédemment, qui ne justifient pas l'absence de discrimination, elle se borne à objecter que l'évolution de la carrière d'un salarié dans une entreprise privée dépend avant tout de l'implication de celui-ci dans son travail et que la société n'avait aucune obligation d'octroyer une promotion à un salarié, même s'il jouissait d'une ancienneté importante ; que toutefois elle ne produit, à l'appui de ses affirmations, aucune pièce de nature à démontrer l'éventuel absence d'investissement de l'appelant

dans ses fonctions qui pouvait expliquer les retards affectant sa carrière à compter de 1977 alors que ces retards, l'attribution et l'exécution de mandats syndicaux à compter de cette date sont concomitants ; qu'en conséquence la discrimination, dont les éléments de fait présentés par l'appelant en laissait supposer l'existence, est caractérisée ;

Attendu que la réparation intégrale d'un dommage oblige à placer celui qui l'a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu ; que le seul élément d'appréciation des différentes rémunérations perçues, à la disposition de la cour, se résume aux copies d'écran du logiciel de paie communiquées par la société, indiquant le salaire mensuel brut de base de l'appelant et des autres salariés à compter du 1er janvier 1999 ; que celui de l'appelant était évalué à 1297,23 euros et celui de [O] [AN], à qui il convient de se référer en raison de l'identité de position, s'élevait à 1340,63 euros, soit une différence de 43,40 euros correspondant à une variation de 3,22 % ; qu'il y a lieu d'en déduire que, pour la période courant du 9 août 1983 au 31 décembre 1998, l'appelant a subi un préjudice du fait d'une perte de salaire évalué à cette différence et, pour la période postérieure courant jusqu'au 31 août 2008, à la somme correspondant au pourcentage de variation entre le salaire perçu chaque année par [O] [AN] et celui de l'appelant durant cette période ; que le préjudice total durant la période d'activité doit être évalué à la somme de 13559 euros ; que le versement d'un salaire minoré par l'effet de la discrimination a conduit à une diminution du montant de la retraite de l'appelant ; que compte tenu de l'espérance de vie à laquelle il pouvait prétendre et d'une retraite estimée sur la base du dernier revenu qu'il déclare avoir perçu à son départ à la retraite, il convient d'évaluer le préjudice ainsi subi à la somme globale de 13071 euros ; qu'en conséquence, le préjudice total subi par l'appelant du fait de la discrimination syndicale s'élève à la somme de 26130 euros ;

Attendu que le fait de ne pas avoir bénéficié d'une progression normale de carrière professionnelle durant vingt-sept ans au moins en raison de ses activités syndicales a bien occasionné à l'appelant un préjudice moral distinct qu'il convient de réparer par l'allocation d'une somme de 10000 euros,

Attendu qu'il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,

Attendu qu'il ne serait pas équitable de laisser à la charge de l'appelant les frais qu'il a dû exposer tant devant le conseil de prud'hommes qu'en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu'il convient de lui allouer une somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

 

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

INFIRME le jugement déféré,

 

ET STATUANT A NOUVEAU,

CONDAMNE la société OUTINORD à verser à [GH] [I] :

- 26130 euros en réparation du préjudice résultant de la discrimination syndicale

- 10000 euros en réparation du préjudice moral subi,

ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,

CONDAMNE la société OUTINORD à verser à [GH] [I] 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

LA CONDAMNE aux dépens.

LE GREFFIER

Serge LAWECKI

LE PRÉSIDENT

Philippe LABREGERE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale e salle 4
Numéro d'arrêt : 21/01431
Date de la décision : 14/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-14;21.01431 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award