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14/04/2023 | FRANCE | N°21/01104

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale e salle 4, 14 avril 2023, 21/01104


ARRÊT DU

14 Avril 2023







N° 557/23



N° RG 21/01104 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TWDF



PL/VM

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de ROUBAIX

en date du

20 Mai 2021

(RG F 20/00213 -section )







































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GROSSE :



aux avocats



le 14 Avril 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-



APPELANTE :



S.A.S. JULES (VENANT AUX DROITS DE LA SOCIÉTÉ HAPPYCHIC SERVICES)

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Gonzague TALVARD, avocat au barreau de LILLE



INTIMÉS :



...

ARRÊT DU

14 Avril 2023

N° 557/23

N° RG 21/01104 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TWDF

PL/VM

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de ROUBAIX

en date du

20 Mai 2021

(RG F 20/00213 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 14 Avril 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

S.A.S. JULES (VENANT AUX DROITS DE LA SOCIÉTÉ HAPPYCHIC SERVICES)

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Gonzague TALVARD, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉS :

Mme [A] [G]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Laurence BONDOIS, avocat au barreau de LILLE, assistée de Me Mounir BOURHABA, avocat au barreau de PARIS

Syndicat FÉDÉRATION DES EMPLOYÉS ET CADRES FORCE OUVRIERE ( FEC-FO)

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Me Laurence BONDOIS, avocat au barreau de LILLE, assistée de Me Mounir BOURHABA, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS : à l'audience publique du 29 Mars 2023

Tenue par Muriel LE BELLEC

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Serge LAWECKI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Philippe LABREGERE

: MAGISTRAT HONORAIRE

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 28 mars 2023

EXPOSE DES FAITS

 

[A] [G] a été embauchée par contrat de travail à durée indéterminée par la société HAPPYCHIC SERVICES à compter du 4 mars 2012.

A l'occasion de la négociation avec des organisations syndicales d'un plan de sauvegarde de l'emploi consécutif à projet de réorganisation de l'entreprise conduisant à devoir envisager 460 licenciements, une grève a été déclenchée le 3 décembre 2018, conduisant au blocage des accès à l'entrepôt de [Localité 7]. Plusieurs camions ont donc été bloqués par les grévistes et contraints à repartir sans avoir pénétré sur le site. D'autres ont pu y accéder au site, mais sont ressortis marchandise. Une situation similaire s'est produite les 4, 5 et 6 décembre 2018. Le blocage de l'entrepôt n'a pris fin que le 10 décembre 2018 au soir, avant l'audience du tribunal judiciaire de Lille devant statuer sur l'assignation en référé présentée par la société.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 24 janvier 2019, [A] [G] a été convoquée, en vue d'une éventuelle sanction disciplinaire, à un entretien reporté au 8 février 2019 à la demande de la salariée.

A la suite de cet entretien la société a notifié à cette dernière par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 février 2019, une mise à pied disciplinaire de huit jours, motivée dans les termes suivants :

«Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 24/01/2019, nous vous avons convoquée à un entretien préalable à une éventuelle sanction.

Par mail du 28/01/2019, vous avez sollicité votre hiérarchie afin de décaler cette entrevue, n'étant pas disponible à cette date. Ce rendez-vous a ainsi été reporté au 08/02/2019.

Au cours de celui-ci, et pour lequel vous étiez assistée de Monsieur [Z] [H], Monsieur [V] [I], Directeur Général Délégué Ressources Humaines, accompagné de Monsieur [K] [T], vous a exposé les raisons qui nous contraignent à envisager une telle mesure à votre encontre et que nous reprenons ci-après.

Précisément, le 03/12/2018, alors même que des négociations étaient en cours, vous avez appelé à un mouvement de blocage à l'entrepôt HAPPYCHIC LOGISTIQUE de [Localité 7].

Ce même jour et à cet effet, vous avez stationné votre véhicule personnel devant « l'accès camion » de l'entrepôt, empêchant l'accès aux transporteurs venus le réapprovisionner ou bien se recharger en marchandise pour assurer ensuite la livraison dans nos différents points de vente.

Vous avez également déclaré : « on ne laisse plus passer ».

Au cours de cette journée, vous avez été à la rencontre des conducteurs afin de leur expliquer qu'ils pouvaient pénétrer dans l'entrepôt afin de déposer les colis mais qu'ils ne pourraient pas ressortir. De tels procédés de blocage sont tout à fait anormaux, disproportionnés et inacceptables.

Au total, ce sont 14 camions, dont 8 le 04/12 et 6 le 05/12, qui ont été bloqués et qui ont été contraints de repartir sans avoir pu accéder au site pour accomplir leur prestation.

Vos agissements sont bien évidemment inadmissibles.

Non seulement vous avez délibérément fait fi de vos obligations contractuelles en prenant part activement et en soutenant ce mouvement de blocage, mais, de surcroît, vous avez, par votre comportement, porté atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté du travail des salariés, et à la liberté de circulation des personnes et des biens. Et pour cause, la société n'a pu effectuer son activité. Les transporteurs n'ont pu exercer les missions qui leur sont dévolues, empêchant ainsi les différents magasins de la marque d'être approvisionnées.

L'impact financier pour la société a été important. Vous le savez, les fêtes de Noël représentent, pour notre société, une période de forte activité où nous réalisons nos plus gros chiffres d'affaires. De plus, cela a donné une mauvaise image de la marque puisque de nombreux articles étaient absents des magasins et de nombreux clients n'ont pas pu être livrés dans les temps.

Par ailleurs, votre hiérarchie a constaté que vous aviez fait de votre messagerie professionnelle une utilisation non conforme à nos règles d'entreprise.

En effet, pour mémoire :

Le 13/10/2018 : Monsieur [L] [D] a informé l'ensemble des collaborateurs de la levée des blocages et de la nécessité d'entamer, dans de bonnes conditions, les négociations relatives aux mesures du PSE.

Le 17/10/2018 : suite à cette annonce, vous avez, depuis votre adresse électronique professionnelle, envoyé un message à l'ensemble des salariés de l'entreprise dans le but de discréditer la direction notamment dans sa manière de faire progresser le dialogue social.

Le 23/11/2018 : vous avez, avec votre mail professionnel, envoyé un message aux directeurs des différentes marques, ainsi qu'à tous les salariés du siège et des entrepôts pour les informer de la mobilisation au siège de l'entreprise.

Le 06/12/2018 : votre hiérarchie a informé les collaborateurs des mesures du PSE et du blocage de l'entrepôt de JULES.

Le 07/12/2018 : vous vous êtes permise d'envoyer à ces mêmes personnes, en réponse à l'annonce précédente et ce, toujours avec votre mail professionnel, un message dans lequel vous formuliez des reproches à la direction sur la conduite du PSE et sur ses mesures.

Le 12/12/2018 : vous avez recommencé, notamment en dénonçant le prétendu « mépris » de la direction envers les élus.

Le 12/12/2018 : votre hiérarchie a été contrainte d'intervenir afin que vous cessiez de faire ce type de déclaration avec votre adresse électronique professionnelle.

Le 14/12/2018 : la direction a informé les collaborateurs des avancés du PSE et du refus des syndicats de signer.

Le 15/12/2018 : suite au mail précédent, vous avez de nouveau fait de nombreux reproches à la direction et dénoncé la prétendue pression de la direction.

Ainsi, force est de constater que vous avez délibérément et de manière réitérée enfreint nos accords en ne faisant pas de votre messagerie une utilisation conforme à celle prévue. Ces faits sont d'autant plus sanctionnables que vous connaissiez très bien, et ce dès le départ, le contenu des règles applicables puisque vous les avez-vous-même signées.

Malgré les rappels de la direction, vous avez continué et en avez fait fi, caractérisant une insubordination régulière.

Lors de l'entretien préalable du 08/02 dernier, vous avez nié la totalité des faits qui vous ont été présentés.

Nous avions escompté que vous reconnaissiez vos torts et a minima votre implication dans ces derniers, cela n'a pas été le cas et nous le regrettons.

Compte tenu de l'ensemble des faits susvisés, nous vous notifions, par la présente, une mise à pied à titre disciplinaire d'une durée de 8 jours. Celle-ci se déroulera les 7,8,11,12,13,14,15 et 18 mars 2019.

A ces dates, vous ne vous présenterez pas à votre poste de travail et ces journées ne donneront lieu à aucune rémunération.»

A la date de la sanction disciplinaire, la salariée occupait l'emploi de responsable de paie logistique et détenait au sein de la société les mandats de déléguée syndicale Force ouvrière et de membre élue titulaire du comité social et économique.

Le 1er juillet 2019, La société HAPPYCHIC SERVICES a été absorbée par la société JULES dans le cadre d'une opération de fusion-absorption

Par requête reçue le 10 mai 2019, la salariée et la Fédération des Employés et des Cadres du syndicat Force Ouvrière ont saisi le conseil de prud'hommes de Roubaix afin d'obtenir l'annulation de la mise à pied disciplinaire et d'obtenir le versement de dommages et intérêts.

 

Par jugement en date du 20 mai 2021, le conseil de prud'hommes a annulé la sanction disciplinaire et condamné la société à verser à [A] [G] 800 euros bruts au titre de rappel de salaires, outre 80 euros au titre des congés afférents, 2500 euros au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, a débouté la confédération des employés et cadres Force Ouvrière de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, et a laissé les dépens à la charge de chaque partie.

Le 25 juin 2021, la société JULES a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance en date du 28 mars 2023 la procédure a été clôturée et l'audience des plaidoiries a été fixée au 29 mars 2023.

 

Selon ses conclusions récapitulatives et en réplique reçues au greffe de la cour le 03 mars 2023, la société JULES appelante, sollicite de la cour l'infirmation du jugement entrepris et la condamnation in solidum de [A] [G] et de la fédération des employés et des cadres Force ouvrière à lui verser 3000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelante expose que la mise à pied à titre disciplinaire est justifiée par la participation de l'intimée au blocage de l'entrepôt de [Localité 7] et l'utilisation non conforme par cette dernière de sa messagerie professionnelle, que le 3 décembre 2018, l'intimée a appelé au blocage de l'entrepôt et stationné son véhicule devant l'accès d'entrée du site interdisant ainsi l'entrée ou la sortie de véhicules, qu'en outre, elle a ouvertement manifesté sa volonté de bloquer l'accès à l'entrepôt en déclarant expressément à l'ensemble des salariés présents qu'il ne fallait plus laisser passer l'ensemble des camions arrivants, que la livraison de près de 90000 pièces par jour a été interdite, que la société a subi une perte de son chiffre d'affaires de plus de sept millions d'euros, à laquelle s'ajoutent 3300 commandes numériques quotidiennes, représentant un chiffre d'affaire de 160.000 euros, qui n'ont pu être réalisées, que ce blocage a également entraîné des répercussions sur l'activité des salariés des magasins concernés par les livraisons, qu'ils n'ont plus disposé de marchandises suffisantes à vendre, qu'un tel blocage constitue une action illicite qui ne peut se rattacher à l'exercice normal du droit de grève, que l'huissier de justice, qui a dressé le procès-verbal de constat a pu identifier l'intimée puisqu'il la connaissait antérieurement pour avoir établi un procès-verbal en sa présence, le 19 juin 2018, qu'il n'existe de ce fait aucun doute sur sa présence sur les lieux, qu'aucun texte normatif n'impose à l'huissier de procéder lui-même à un contrôle des identités, qu'il a en outre constaté la présence du véhicule de l'intimée bloquant les voies d'accès à l'entrepôt, que ce blocage ne s'est produit ni dans le cadre du déroulement pacifique de la grève, ni sans actes de violence et dégradations matérielles, ni sans atteinte à l'outil de production, ni avec le souci des grévistes d'assurer la sécurité totale des personnes et des biens, qu'ont également été sanctionnés cinq autres salariés, appartenant à différentes organisations syndicales, s'agissant de l'utilisation fautive de la messagerie professionnelle, que l'intimée a délibérément et de manière réitérée enfreint les dispositions internes applicables en ne faisant pas de sa messagerie une utilisation conforme à celle prévue, que les courriels litigieux, en date des 23 novembre 2018, 7, 12 et 15 décembre 2018, proviennent de sa propre adresse de messagerie professionnelle, «[Courriel 4]», qu'un accord régissant les modalités d'utilisation de la messagerie électronique avait été conclu le 28 septembre 2016 entre la société et les représentants du personnel, qu'il avait été signé par l'intimée elle-même, en sa qualité de déléguée syndicale de l'organisation Force Ouvrière, qu'il interdisait la diffusion, par les organisations syndicales représentatives, de messages à l'ensemble des salariés ou à un groupe de salariés, que cette interdiction était également insérée dans l'accord de méthode conclu le 18 septembre 2018, lui aussi signé par l'intimée, que l'envoi des courriels litigieux n'a pu être effectué que par elle-même puisque l'utilisation de sa messagerie suppose l'utilisation du mot de passe choisi personnellement, que le 12 décembre 2018, elle a eu recours à sa messagerie professionnelle pour transmettre à l'ensemble des salariés du groupe des éléments de revendications, que le 15 décembre 2018, en réponse à un courriel de [V] [I], directeur des ressources humaines, elle a récidivé, que la société avait alerté, le 17 octobre 2018, les organisations syndicales représentatives à la suite d'une première violation de l'accord, que 12 décembre 2018, il avait été personnellement rappelé à l'intimée les conditions d'utilisation de sa messagerie professionnelle, qu'elle a donc sciemment et volontairement méconnu les dispositions des accords d'entreprise en outre, signés par elle-même, sur la discrimination, qu'il est possible et licite de sanctionner différemment des salariés qui ont participé à la commission d'une faute de même nature, que les conditions de déroulement du mouvement de grève à l'entrepôt du Mans étaient sensiblement différentes de l'action de blocage menée sur l'entrepôt de [Localité 7], que l'entrepôt du Mans était directement concerné par le projet de réorganisation, que son impact sur les salariés générait une émotion forte dont l'entreprise a tenu compte dans sa gestion de la situation, que l'entrepôt de [Localité 7] n'était nullement menacé de fermeture, qu'une très large majorité de salariés n'était pas gréviste, de sorte que l'entrepôt aurait pu continuer à fonctionner, que l'intimée a été instigatrice du mouvement, a manifesté sa volonté de ne plus laisser passer les camions assurant le transport des marchandises en magasin et a utilisé son véhicule personnel pour entraver le fonctionnement de l'entrepôt, à plusieurs reprises, que les employés de l'entrepôt du Mans étaient salariés de la société HAPPYCHIC LOGISTIQUE, alors que l'intimée était employée par la société HAPPYCHIC SERVICES, sur la demande de rappel de salaire, que la mise à pied étant justifiée, la société n'est redevable d'aucun rappel, à titre subsidiaire, que la retenue de salaire opérée s'élève à 743,17 euros et non 800 euros, que ni l'intimée ni la Fédération des employés et des cadres de Force Ouvrière ne justifient d'un préjudice moral spécifique.

Selon leurs conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 15 novembre 2021, [A] [G] et la fédération des employés et des cadres Force ouvrière intimées et appelantes incidentes sollicitent de la cour la réformation du jugement entrepris et la condamnation de l'appelante à verser à la fédération 2500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi et aux intimées globalement 1800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les intimées soutiennent sur le premier grief que, pour établir la matérialité des faits reprochés, l'employeur verse aux débats un procès-verbal d'huissier daté du 3 décembre 2018, constatant des faits s'étant déroulés le même jour, que l'identification de l'intimée a été faite par la direction, que l'huissier n'a même tenté de procéder à l'identification des salariés grévistes, qu'à défaut d'avoir personnellement vérifié l'identité de la salariée, la matérialité des faits doit être considérée comme non établie, que l'intimée ne nie pas avoir été présente sur les lieux en tant que gréviste mais conteste avoir commis des faits fautifs, qu'il importe peu que l'huissier qui a instrumenté la connaissait déjà, à la faveur d'un précédent litige, que cette circonstance ne le dispensait nullement de procéder à la démarche d'identification et de constat formel prouvant qu'elle avait, en personne, commis les actes qui lui sont reprochés, qu'en tout état de cause, les faits reprochés ne caractérisent nullement un abus de l'exercice du droit de grève, que la société a été victime d'une simple gêne temporaire et non une véritable asphyxie qui ne saurait être tolérée même pendant une période limitée, qu'il ne ressort nullement du procès-verbal de constat que l'intimée a stationné son véhicule devant l'accès aux camions, qu'il n'est pas non plus démontré que ce véhicule a véritablement entravé l'accès au site, que les photographies produites font apparaître qu'il n'entravait pas réellement la grille d'entrée et n'empêchait pas les camions d'entrer, que les propos rapportés de l'intimée ne peuvent, à eux seuls, être regardés comme caractérisant un exercice abusif du droit de grève et donc une faute, que le seul fait de les avoir tenus n'a entravé ni la liberté de circulation ni celle de travailler, qu'au moment de la déclaration qui lui est reprochée, il n'y avait aucun camion présent ou en attente d'entrer sur le site de sorte qu'aucun chauffeur n'a pu l'entendre et se sentir dissuadé, que des faits plus graves de blocage ont été commis à deux reprises par les salariés de l'entrepôt du Mans sans qu'aucun d'eux n'ait été sanctionné, sur le second grief, que sa messagerie professionnelle qui lui était effectivement attribuée n'a joué que le rôle d'un canal de diffusion, qu'elle n'est pas l'auteur des messages qui ont été rédigés et signés par l'intersyndicale et la liste ensemble et non par elle-même, que la matérialité des faits reprochés n'est pas établie, qu'elle n'a enfreint ni le règlement intérieur ni les obligations du contrat de travail ni même les obligations découlant de l'appartenance à une communauté de travail, qu'elle était dans le plein exercice de son mandat syndical, qu'elle a subi un traitement différent face à des faits similaires commis par d'autres grévistes, que le pouvoir d'individualisation de l'employeur ne lui permettait pas de sanctionner les uns et de s'abstenir de sanctionner les autres pour la commission d'un fait identique, que le fait que l'entrepôt du Mans ait été directement concerné par les licenciements en raison de sa fermeture totale n'est pas une circonstance caractérisant une situation différente de celle des autres salariés du reste du groupe, que l'acte de blocage n'est pas moins légitime en fonction de la certitude d'être licencié ou de la simple probabilité, qu'il entraine les mêmes conséquences qu'il soit le fait de la totalité des salariés ou d'une partie seulement, qu'il n'y avait aucune différence d'employeur, les différentes sociétés Brice, Jules, Happychic Services et Happychic Logistique formant entre elles une unité économique et sociale dotée d'une direction centrale commune à l'ensemble de celles-ci, que la sanction infligée avait pour effet de stigmatiser la salariée en tant que représentant du personnel, qu'elle a porté atteinte à la fois à son intérêt propre et à l'intérêt collectif de la profession et a causé un préjudice moral aux intimées dans leur ensemble, que le caractère discriminatoire de la sanction est incontestable.

 

MOTIFS DE L'ARRÊT

 

Attendu en application de l'article L1333-2 du code du travail qu'il résulte de la lettre notifiant la mise à pied disciplinaire que les fautes imputées à l'intimée sont la participation de celle-ci, le 3 décembre 2018, à un mouvement de blocage de l'entrepôt durant une grève et l'utilisation de sa messagerie professionnelle en violation des règles d'utilisation de cet outil ;

Attendu sur le second grief qu'en application de l'article L2142-6 du code du travail, un accord d'entreprise relatif à l'amélioration du dialogue social, en vigueur pour une durée de quatre ans, a été signé le 28 septembre 2016 entre l'unité économique et sociale Happychic et différents syndicats dont Force ouvrière, représentée notamment par l'intimée ; que l'article 2.1.4 réglementait l'utilisation de la messagerie électronique par les organisations syndicales et prohibait en particulier la diffusion de messages à l'ensemble des salariés ou d'un groupe de salariés ; qu'un accord de méthode signé le 18 septembre 2018 par les représentants des mêmes organisations syndicales et en particulier par l'intimée, rappelait à l'article 3.4 relatif à la communication auprès du personnel, la nécessité de respecter les dispositions de l'accord précité lors de l'utilisation de leur page intranet ; que par courriel du 17 octobre 2018, [V] [I] a rappelé notamment à l'intimée que l'envoi, auquel elle avait procédé le même jour, d'un message à caractère syndical à l'ensemble du personnel de l'entreprise à partir de son adresse professionnelle violait les dispositions de l'accord du 28 septembre 2016 ; qu'en conséquence il l'invitait à le respecter ; que l'appelante verse aux débats les différents courriels transmis à l'ensemble des salariés par l'intimée à partir de son adresse professionnelle au nom des organisations syndicales CFDT, CGT et FO, le 23 novembre 2018, leur décrivant la mobilisation des salariés des différents entrepôts se déroulant au siège de la société, le 7 décembre 2018, les informant de l'état d'avancement de la négociation du plan de sauvegarde de l'emploi et du blocage du site de Winhoute et émettant des jugements sur la capacité financière de la société qualifiée de «machine à cash», le 12 décembre 2018, critiquant la direction de l'entreprise à l'occasion de la négociation du plan de sauvegarde de l'emploi, et le 15 décembre 2018 appelant à une mobilisation et les invitant à fermer les magasin pour faire pression sur la direction ; que ces différentes transmissions constituent une violation caractérisée de l'accord ; qu'elle a été commise en pleine connaissance de cause ; qu'en effet, non seulement l'intimée avait participé à la négociation de l'accord en qualité de représentant du syndicat Force ouvrière et l'avait signé à ce titre mais également [V] [I], directeur des ressources humaines, l'avait invitée à deux reprises par le courriel précité du 17 octobre 2018 puis par un second courriel du 12 décembre 2018 à respecter cette accord ; que si les messages ont été signés par l'intersyndicale, ils ont été transmis par l'intimée à partir de sa messagerie professionnelle « [Courriel 5] » à laquelle elle seule pouvait avoir accès ; qu'elle ne peut donc prétendre que la matérialité des faits reprochés n'est pas établie ; que le fait qu'ils s'inscrivent dans le cadre d'une activité syndicale n'interdit pas de les sanctionner dès lors qu'ils présentent un caractère fautif ; que tel est le cas en l'espèce puisqu'ils constituent une violation répétée de l'accord d'entreprise ;

Attendu sur le premier grief que [U] [C] et [B] [O], huissiers de justice, ont été requis par la société Happychic Services à l'effet de constater d'éventuels débordements à la suite de l'implantation d'un piquet de grève devant l'entrée de l'entrepôt de [Localité 7] ; qu'il résulte notamment du procès-verbal dressé le 3 décembre 2018 à 10 heures par Maître [U] [C], qu'un véhicule avait été stationné devant la sortie de l'entrepôt interdisant de ce fait tout passage, comme le fait apparaître la photographie jointe au constat ; que sur ce véhicule avaient été apposés au niveau des vitres avant et du pare-brise plusieurs drapeaux portant le sigle FO ; qu'il résulte du second procès-verbal dressé à compter de 12 heures 20, par Maître [B] [O], qu'à 14 h 18 le véhicule précédemment identifié, avait été placé en travers de la chaussée et qu'une personne de sexe féminin avait tenu les propos suivants : « on ne laisse plus passer » ; que le responsable technique de l'entrepôt, [P] [X], a indiqué à l'huissier qu'il s'agissait de l'intimée ; que ce dernier ne pouvait contrôler l'identité de cette dernière par d'autres moyens ; qu'au demeurant, il résulte du procès-verbal dressé par Maître [O] le 19 juin 2018 chargé de constater d'éventuels débordements à l'occasion de la convocation de l'intimée au siège social de l'entreprise à [Localité 6] en vue d'un entretien préalable que celui-ci avait eu l'occasion de la rencontrer ; que l'huissier relève la participation active de cette dernière dans le blocage de l'entrepôt à 15 heures 10 à l'entrée, ayant consisté à avertir le chauffeur d'un camion, qui s'était présenté au volant de son véhicule, qu'il pouvait y pénétrer mais ne pourrait procéder à un chargement ; que par ailleurs, sur l'une des photographies jointes au constat du 3 décembre 2018, apparaît le véhicule immatriculé CW395TQ stationné perpendiculairement de façon à obstruer la sortie de l'entrepôt, interdisant de ce fait toute sortie de camion ; qu'il était bien la propriété de l'intimée puisque la présence de la voiture en stationnement devant le domicile de cette dernière a fait l'objet d'un constat le 26 février 2020 ; que l'intimée ne nie pas par ailleurs qu'elle était propriétaire du véhicule, se bornant à objecter que le constat d'huissier ne le démontrait pas ;

Attendu toutefois qu'il est manifeste que [S] [E], délégué syndical C.G.T. a joué un rôle prépondérant dans le blocage de l'entrepôt, comme le font apparaître les différents constats dressés le 3, 4 et 5 décembre 2018 par [U] [C] et [B] [O], [S] [E] étant l'auteur des inscriptions «Picsou Mulliez Voyous Escrocs PL NF », tracées sur la chaussée devant l'entrée de l'entrepôt, et ayant personnellement filtré durant toute la matinée les différents chauffeurs des camions se présentant sur le site en les avertissant qu'aucune marchandise ne pourra sortir de l'entrepôt ; que les jours suivants et jusqu'au 5 décembre 2018, selon les constats dressés, il a continué à agir de la sorte, entravant le fonctionnement normal de l'entreprise ; que la société évalue à quatorze, dont huit pour la seule journée du $ décembre et 6 pour celle du 5 décembre 2018, le nombre de camions bloqués et obligés de rebrousser chemin ; que si l'intimée a participé également à ce blocage, son rôle a été moindre ; que Maître [O] n'a constaté sa présence sur les lieux que le 3 décembre 2018 et sa participation active qu'une seule fois ; que la société a notifié à [S] [E] le 27 février 2019 une sanction identique, à savoir une mise à pied disciplinaire d'une durée de huit jours ; que celle-ci est fondée à la fois sur le blocage de l'entrepôt durant trois jours et sur l'apposition d'inscriptions injurieuses devant l'entrée ; que les faits fautifs commis par l'intimée se limitent à la seule journée du 3 décembre 2018 selon les motifs justifiant la sanction ; que la société ne peut donc lui imputer la responsabilité du préjudice financier consécutif au blocage de quatorze camions survenu les 4 et 6 décembre 2018 alors que ces derniers faits n'ont pas été retenus à son encontre ; que ceux reprochés à la salariée ne revêtaient pas l'importance et la multiplicité de ceux mis à la charge de [S] [E], même s'il était imputé également à l'intimée l'utilisation de la messagerie professionnelle en violation de l'accord d'entreprise ; qu'ils ne pouvaient donc donner lieu à une sanction identique ;

Attendu que le caractère discriminatoire de la sanction n'est pas établi par ailleurs ; que la mise à pied disciplinaire infligée à l'intimée était destinée à sanctionner à la fois sa participation au blocage de l'entrepôt et l'utilisation irrégulière et répétée de sa messagerie professionnelle en violation de l'accord d'entreprise  ; que sa situation n'était donc pas identique à celle des salariés concernés par le protocole de fin de conflit signé le 26 novembre 2018 qui ne fait état que du seul blocage du site logistique du Mans ;

Attendu que la mise à pied disciplinaire de l'intimée pour une durée de huit jours étant disproportionnée par rapport à la faute commise, les premiers juges ont à juste titre prononcé son annulation ;

Attendu qu'il résulte du bulletin de paye du mois de mars 2019 que la société a opéré une retenue sur le salaire de 743,17 euros au titre de la mise à pied disciplinaire ; qu'il convient d'ordonner le paiement de cette somme par l'appelante et de 74,31 euros au titre de l'indemnité de congés payés y afférente ;

Attendu qu'en infligeant à l'intimée une sanction disciplinaire disproportionnée par rapport aux faits qu'elle avait commis, la société lui a bien occasionné un préjudice moral qu'il convient toutefois d'évaluer à la somme de 500 euros ;

Attendu qu'il n'est nullement établi que sa qualité de représentant du personnel ait pu influer sur la décision de l'employeur d'infliger à l'intimée une sanction ; que la fédération des employés et des cadres Force ouvrière ne peut donc se prévaloir d'un quelconque préjudice ;

Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais qu'elle a dû exposer en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ;

PAR CES MOTIFS

 

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

REFORME le jugement déféré,

 

CONDAMNE la société JULES à verser à [A] [G]

- 743,17 euros bruts au titre de rappel de salaire

- 74,31 euros au titre des congés afférents

- 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral,

CONFIRME pour le surplus le jugement entrepris,

CONDAMNE la société JULES aux dépens.

LE GREFFIER

S. LAWECKI

LE PRÉSIDENT

P. LABREGERE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale e salle 4
Numéro d'arrêt : 21/01104
Date de la décision : 14/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-14;21.01104 ?
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