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14/04/2023 | FRANCE | N°21/01098

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale e salle 4, 14 avril 2023, 21/01098


ARRÊT DU

14 Avril 2023







N° 556/23



N° RG 21/01098 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TWCR









PL/VM



























Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LENS

en date du

18 Mai 2021

(RG 18/00388 -section 4)








































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GROSSE :



aux avocats



le 14 Avril 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [R] [W] [I]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Dorothée FIEVET, avocat au barreau de VALENCIENNES





INTIMÉE :



S.A.S. SODEXO JUSTICE SERVICES

[Adresse 3]

[...

ARRÊT DU

14 Avril 2023

N° 556/23

N° RG 21/01098 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TWCR

PL/VM

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LENS

en date du

18 Mai 2021

(RG 18/00388 -section 4)

GROSSE :

aux avocats

le 14 Avril 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [R] [W] [I]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Dorothée FIEVET, avocat au barreau de VALENCIENNES

INTIMÉE :

S.A.S. SODEXO JUSTICE SERVICES

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Nicolas SERRE, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS : à l'audience publique du 29 Mars 2023

Tenue par Muriel LE BELLEC

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Serge LAWECKI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Philippe LABREGERE

: MAGISTRAT HONORAIRE

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 08 mars 2023

EXPOSE DES FAITS

 

[R] [W] [I] a été embauché par contrat de travail à durée indéterminée par la société GEPSA à compter du 1er janvier 2016 en qualité de responsable de site au sein du centre pénitentiaire de [Localité 5] avec reprise d'ancienneté au 4 octobre 1999. A compter du 6 novembre 2017, il a été affecté sur le site du centre pénitentiaire de [Localité 7].

Par avenant du 8 août 2018, prenant effet le 11 septembre 2018, à la suite de la reprise des activités de restauration du centre de [Localité 7] par la société SODEXO JUSTICE, le contrat de travail a été transféré au sein de cette dernière.

[R] [I] a été convoqué par lettre remise en main propre le 11 septembre 2018 à un entretien le 19 septembre 2018 en vue d'un éventuel licenciement. A l'issue de cet entretien, son licenciement pour faute grave lui a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 24 septembre 2018.

 

Les motifs du licenciement tels qu'énoncés dans la lettre sont les suivants :

« Vous êtes affecté sur le site de [Localité 7] et avez une ancienneté de reprise fixée au 4 octobre 1999.

Vous intervenez en qualité de responsable de site, statut cadre, à temps plein.

Vous avez fait l'objet de deux transferts de votre contrat de travail, dernièrement au titre de l'article L 1224'1 du code du travail lors de la reprise collective de l'équipe de la Maison Centrale de [Localité 7] au 11 septembre 2018.

C'est dans ce cadre que Sodexo poursuit la relation contractuelle de l'intégralité de l'équipe.

Pour organiser la reprise du site, Sodexo a nommé une équipe de parrainage dont la mission consiste à préparer en amont l'ouverture opérationnelle du site puis, à la reprise du marché, organiser l'aide technique apportée à l'équipe reprise pour mettre en 'uvre le nouveau marché. L'équipe de parrainage a été présentée à l'ensemble des collaborateurs le 21 juin 2018, équipe dont Monsieur [G] [N], directeur de site du centre pénitentiaire de [Localité 6], a été nommé responsable.

A ce titre, vous l'avez sollicité sur la marque de votre futur véhicule de fonction. Il a indiqué qu'il ne pouvait vous répondre, puisqu'il n'était pas en charge des aspects administratifs RH (informations que vous avez eues lors de la présentation de votre avenant de reprise le 7 septembre 2018). Pour autant, vous avez poursuivi vos actions et vous êtes montré de plus en plus insistant, puis agressif et menaçant à son égard, vos menaces prenant une tournure personnelle totalement disproportionnée.

Ainsi, le 13 août 2018, vous avez appelé M. [N] et lui avait demandé avec insistance qu'il vous fasse un écrit indiquant qu'il prenait votre place sur le site de [Localité 7] (62). Il vous a rappelé qu'il était déjà directeur de son propre site et qu'il venait avec ses différents responsables de service de son site à [Localité 6] (02) pour vous parrainer dans le cadre de l'ouverture de votre site et la mise en place du nouveau marché commercial.

Le 16 août, lorsque M. [N] est venu vous visiter, vous l'avez immédiatement agressé verbalement en lui tenant les propos suivants : « tu es un mouton », « tu n'as pas de couilles », « il faut que tu vois avec le collecteur de robots » (en parlant de ma personne). Vous avez ajouté, toujours de manière virulente et injustifiée « puisque tu es le parrain tu vas t'occuper de mon véhicule de fonction » ainsi que « quand tu arrives tu passes par mon bureau ! ».

Malgré la présentation de vos excuses pour votre comportement du matin auprès de M. [N], vous avez renforcé votre discours violent et intimidant le 3 septembre 2018 et pour lequel notre parrain et collègue s'est plaint au travers des mails : « ce dernier m'a appelé ce matin. Il m'a sommé de lui donner la date à laquelle ce véhicule de fonction serait sur le site. » ; « Ce dernier avait eu des allusions du genre « je connais du monde même chez les voyous' une adresse ça se trouve' attention à toi ! ! ! » « Ce type d'allusions risque de se reproduire à compter de demain puisque je suis sur le site de façon plus intense. Ce jour il m'a dit qu'il viendrait de moins en moins ».

A nouveau, M. [N] vous a indiqué par mail du 5 septembre 2018 : « je n'avais pas envie ce mardi matin de me prendre une énième fois des sous-entendus et des menaces. » « Il y a 15 jours, j'ai eu droit de ta part à un sympathique « tu n'as pas de couilles ». Tu t'es excusé le lendemain, certes mais pour repartir avec mieux. J'aime moyen ton : « Il faut que tu sois un homme et avoir des couilles' les détenus j'en connais' si tu vois ce que je veux dire » La prochaine fois, tu m'accueilles comment ' »

Un de vos collaborateurs est venu se présenter à M. [N] indiquant qu'il était présent et qu'il avait entendu les termes en ajoutant qu'il n'était pas surpris de vous entendre parler ainsi puisque ce n'était pas la première fois.

Parallèlement, vous vous en êtes pris également à ma personne, notamment lorsque vous m'avez téléphoné le 3 septembre matin à 7h30 où vous teniez des propos avec des sous-entendus extrêmement menaçants mon égard indiquant que : « je serai le taureau au milieu de l'arène ». Votre comportement a créé en très peu de temps un climat délétère au moment crucial de la transition entre l'ancien prestataire Gepsa et Sodexo, transition suivie de près par notre client, l'administration pénitentiaire. Or, le maintien d'un climat de travail serein nous incombe en application de notre obligation de veiller à la sécurité et à la santé de nos collaborateurs, particulièrement au sein d'un environnement comme une maison centrale.

Lors de l'entretien préalable, vous avez indiqué que ce vocabulaire n'était pas le vôtre ; cependant toujours lors de cet entretien, vous nous avez prêté des intentions inexpliquées en tenant ces propos : « 2 noires valent une blanches » sous-entendant que nous préférions écouter uniquement les propos de M. [N] plutôt que les vôtres du fait de vos origines, occultant que vous étiez tous les deux, d'origine étrangère. Nous vous avons alors demandé de vous expliquer sur ses termes mais vous avez poursuivi en osant on la voix, indiquant que nous tentions de vous faire passer pour le « bougnoul délinquant », « voyou » selon vos dires. Ces propos accusateurs et sans fondement, reste incompréhensible encore à ce jour.

Vous avez indiqué ne pas être agressif alors même que lors de l'entretien du 19 septembre, votre conseil voyant votre attitude vous a demandé de calmer

Lors de l'entretien du 19 septembre 2018, toujours en présence de votre conseil, nous vous avons fait part qu'en sus de ces attitudes et comportements agressifs et provocateurs, il nous a été présenté et communiqué le 2 août dernier par votre collaborateur, l'état des habilitations et formations de recyclage (électrique notamment) du personnel qui est sous votre responsabilité et management autonome.

En effet, l'ensemble des équipes techniques et maintenance n'ont pas les habilitations et recyclages nécessaires pour exercer sur le site, comme l'exige la loi pour leur sécurité et celle des autres, et comme l'exige le contrat commercial à pénalité financière qui nous lie avec les autorités étatiques. Les habilitations et les recyclages ont pour objectif de contrôler et valider les compétences électriques et techniques du personnel technique ou de maintenance (ou de compléter leurs savoirs et savoir-faire), de s'assurer de leur maîtrise des risques, afin d'assurer leur sécurité et celle des personnes autour.

Il relève de vos missions de vous assurer que vous équipes travaillent en toute sécurité et connaissent parfaitement leur environnement de travail et l'évolution des savoirs et savoir-faire de leur métier. Ceci est d'autant plus grave que notre activité s'exerce au sein d'une Maison Centrale, où les dispositifs de sécurité reposent sur la compétence des équipes électriques et techniques.

Par vos manquements et absence totale de prévention auprès, et pour vos collaborateurs et clients, vous avez mis volontairement les personnes du site en danger ainsi que le dispositif de sécurité de la maison centrale, et ce, sans nous en informer au préalable notamment le 21 juin, de la reprise du site le 11 septembre dernier.

Votre parrain sachant cette situation urgente et à haut risque, a mis en place avec bureau Veritas le planning de formation pour faire le nécessaire dans les meilleurs délais.

Vous avez reconnu savoir parfaitement que vos équipes n'étaient pas habilitées à travailler mais rejetez la faute sur la direction de Gepsa, votre ancien employeur.

Plus récemment, lors de ma rencontre du 5 septembre dernier avec votre notre client, celui-ci m'a fait part que vous n'aviez pas effectué le travail attendu jusqu'alors. En effet, il s'est plaint que vous ne lui aviez pas présenté de relevé mensuel d'activité (RMA) pourtant obligatoires et inscrits au contrat commercial.

Lors de l'entretien, vous avez indiqué que les termes utilisés étaient « erronés » sans pour autant apporter une version ou des propos différents.

Vous avez indiqué que vous n'étiez pas fautifs de ne jamais avoir représenté des revues mensuelles d'activité à votre client, puisque votre interlocuteur client avait changé en mars 2018.

Ces faits et manquements sont inacceptables et portent atteint au bon fonctionnement de l'entreprise. Vous travaillez sur une maison centrale. Vous avez, à ce titre, accès à des informations sensibles. Profiter de votre situation de directeur du site, pour proférer des menaces directes à l'encontre de personnes avec lesquelles vous allez être amené à travailler à proximité, dont moi-même, est inacceptable.

L'entreprise est garante des règles de sécurité des personnes qu'elle emploie. Nous ne tolérons aucun écart en la matière, ce que vous n'ignorez pas, eu égard aux nombreuses années d'expériences passées.

Les revues mensuelles d'activité (RMA) obligatoire et contractualisée n'étant pas présentés laisse apparaître un manque de professionnalisme sérieux et de transparence de nos activités et de la sécurité pour ce type d'établissement.

Cet ensemble de faits, qui constitue une faute professionnelle, nous ont conduit, afin de garantir la sécurité de nos personnels, vous convoquez le 11 septembre 2018 en entretien préalable comme susvisé avec dispense d'activité sur le site.

Vos agissements, vos propos agressifs, ainsi que vos menaces ne peuvent être tolérés davantage. Votre attitude non professionnelle et irrespectueuse est totalement inadmissible.

Votre manque de sérieux et de transparence auprès des autorités étatiques n'est pas tolérable.

En conséquent, du fait de la gravité de vos actions et de leurs conséquences, sommes amenées à vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave, sans indemnité ni préavis, pour ces différents motifs ».

A la date de son licenciement, l'appelant percevait un salaire mensuel brut moyen de 4896,06 euros. L'entreprise employait de façon habituelle au moins onze salariés.

Par requête reçue le 5 décembre 2018, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Lens afin de faire constater l'illégitimité de son licenciement et d'obtenir le versement d'indemnités de rupture et de dommages et intérêts.

 

Par jugement en date du 18 mai 2021, le conseil de prud'hommes a débouté le salarié de sa demande mais a laissé les dépens à la charge de chaque partie.

Le 24 juin 2021, [R] [I] a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance en date du 08 mars 2023 la procédure a été clôturée et l'audience des plaidoiries a été fixée au 29 mars 2023.

 

Selon ses conclusions récapitulatives et en réplique reçues au greffe de la cour le 14 février 2022, [R] [I] appelant sollicite de la cour l'infirmation du jugement entrepris et la condamnation de la société SODEXO JUSTICE SERVICES à lui verser

- 117505 euros à titre de dommages et intérêts

- 9792,12 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 979,21 euros bruts à titre de congés payés sur préavis

- 26656,32 euros à titre d'indemnité de licenciement

- 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

la délivrance par la société d'un bulletin de paie ainsi qu'une attestation Pôle emploi conforme à la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

le remboursement par la société des indemnités chômage versées par Pôle emploi dans la limite de six mois.

L'appelant expose, sur le défaut d'habilitation et de formation du personnel placé sous sa responsabilité et l'absence de transmission de relevés mensuels d'activité, que l'employeur ne verse aux débats aucun élément, que celui-ci affirme sans en justifier que l'administration pénitentiaire se serait plainte de l'absence de relevés mensuels d'activité, pourtant obligatoires conformément aux stipulations du contrat commercial, qu'il produit une lettre de félicitations du directeur adjoint du centre pénitentiaire faisant état de sa disponibilité et de son dévouement au début de l'année 2018 à l'occasion d'un mouvement social local puis national, un mail de l'ancienne attachée d'administration au centre pénitentiaire, en charge du contrôle de la bonne réalisation du marché, faisant état de son incompréhension après avoir appris son licenciement et confirmant sa grande disponibilité pour l'établissement et un mail du 2 juillet 2021 de son ancien supérieur hiérarchique, confirmant que les rapports mensuels, les actions sites, le relationnel et la communication avec le client lui étaient remontés sans aucune difficulté, que si des pénalités financières lourdes avaient été prononcées par l'administration pénitentiaire, elles n'auraient en aucun cas impacté la société intimée qui n'était pas titulaire du marché à l'époque, sur les attitudes et comportements agressifs et provocateurs au moment de la transition avec la société GEPSA, que ces fautes reprochées ne sont qu'un prétexte pour se débarrasser de lui à moindre coût, qu'un courriel de [S] [A] du 7 septembre 2018 adressé à sa collègue [U] [Y] établit que la société avait déjà pris sa décision de ne plus le garder dans ses effectifs bien avant la convocation à entretien préalable, qu'il a été informé dès le 21 juin 2018 qu'il ne serait pas repris lorsqu'il a été reçu par le directeur régional, que, le 8 août 2018, il lui a été présenté un avenant à son contrat de travail conduisant à un déclassement de ses fonctions de directeur de site qu'il occupait depuis le 1er janvier 2016, qu'il n'a jamais tenu les propos qui lui sont attribués par [G] [N] et les a vivement contestés dans son mail du 5 septembre 2018, en ajoutant qu'il s'agissait de propos diffamatoires, qu'aucun élément ne vient démontrer qu'il ait tenu des propos inappropriés et irrespectueux à l'égard de [C] [X], directeur régional, qu'il avait près de dix-neuf ans d'ancienneté au jour de son licenciement, qu'il n'a jamais fait l'objet d'une quelconque remarque ou sanction disciplinaire de la part de ses employeurs, que le client de GEPSA puis ensuite de SODEXO était plus que satisfait de ses services en qualité de directeur de site, que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, que lui sont dues une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité de licenciement, que le plafonnement des indemnités pour licenciement abusif violent la Charte sociale européenne et la Convention n°158 de l'Organisation internationale du travail, que la spécificité du poste qu'il occupait au sein de la Société SODEXO et en particulier au sein d'un établissement pénitentiaire a fortement diminué la possibilité de retrouver un emploi similaire assorti d'une rémunération équivalente, qu'il s'est trouvé au chômage jusqu'en septembre 2022, soit pendant 4 ans, qu'il a subi de ce fait une lourde perte financière, qu'il est actuellement ingénieur d'affaires, responsable de site au sein de la maison d'arrêt de [Localité 8] en Seine Saint-Denis, que la société doit lui délivrer sous astreinte un bulletin de paie conforme ainsi qu'une attestation Pôle Emploi rectifiée.

Selon ses conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 22 décembre 2021, la société SODEXO JUSTICE SERVICES sollicite de la cour la confirmation du jugement entrepris à titre subsidiaire, la réduction à plus justes proportions de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, en tout état de cause, la condamnation de l'appelant à lui verser 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée soutient que l'appelant a adopté, à l'encontre de [G] [N] un comportement inacceptable, justifiant son licenciement pour faute grave, que le 13 août il a prétendu à tort que ce dernier avait été désigné pour le remplacer, qu'il a réitéré ses propos par courriel, qu'aucun des éléments produits par l'appelant ne démontre que la société avait pris la décision de le licencier pour le remplacer par [G] [N], qu'il résulte du courriel du prestataire Greensheep que l'appelant en était également destinataire, qu'il ne peut être déduit du courriel adressé par [S] [A] à [U] [Y] que la société avait l'intention de licencier l'appelant, qu'il était tout à fait normal que le courriel en date du 7 septembre 2018, ayant pour objet la répartition des équipes de renfort pour l'ouverture du site, ait été expédié par [G] [N], parrain venant assister le directeur de site afin d'optimiser la transition entre GEPSA et SODEXO JUSTICE, que le 16 août 2018, l'appelant s'est de nouveau montré agressif et menaçant envers ce dernier en présence de [K] [O], que le 3 septembre 3018 il l'a agressé verbalement, que [G] [N] a été contraint de l'inviter par écrit à cesser ses menaces, que dès le mois d'août 2018, l'appelant a tenu des propos inappropriés et irrespectueux envers [C] [X], directeur régional de la société et supérieur hiérarchique des responsables de sites affectés dans la région qu'il supervisait, .que les 3 et 4 septembre, à l'occasion d'échanges de courriels, il a de nouveau fait preuve envers le directeur régional d'une attitude dénigrante et menaçante, en outre sur un ton irrespectueux, que cette attitude menaçante est confirmée par le SMS adressé à [C] [X] par la compagne de l'appelant, que le 2 août 2018, la société a pris connaissance de l'état des habilitations et formations du personnel, notamment en matière électrique, qu'elle a découvert que l'ensemble des équipes techniques ne disposait des habilitations exigées par le contrat commercial, qu'elle a été contrainte de mettre en place un planning de formation avec le bureau Veritas pour régulariser la situation le plus rapidement possible, que l'appelant a ainsi mis en danger les personnes travaillant sur le site, les détenus comme les installations, que l'administration pénitentiaire s'est plainte de l'absence de relevés mensuels d'activité obligatoires conformément aux stipulations du contrat commercial, que ces relevés présentent et mesurent l'activité et le travail de la société auprès de l'administration pénitentiaire, que celle-ci pouvait, à la lecture de leur contenu, dispenser son cocontractant de certaines pénalités financières lourdes, que l'appelant a manqué à ses obligations essentielles en tant que responsable de site, justifiant ainsi la mesure de licenciement prise à son encontre, à titre subsidiaire, que le barème fixé à l'article L1235-3 du code du travail est conforme aux engagements conventionnels de la France, qu'en l'absence de démonstration d'un préjudice spécifique, l'appelant ne peut prétendre qu'à une indemnité minimale de trois mois de salaire.

MOTIFS DE L'ARRÊT

 

Attendu en application de l'article L1234-1 du code du travail qu'il résulte de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que les motifs y énoncés sont le comportement adopté par l'appelant à l'égard de [C] [X], directeur régional, et de [G] [N], directeur de site, la non-conformité des habilitations de ses collaborateurs et un défaut de présentation au client du relevé mensuel obligatoire d'activité ;

Attendu que pour caractériser ces différents griefs la société produit un courriel adressé le13 août 2018 par l'appelant à [G] [N], sollicitant des précisions sur la date à laquelle celui-ci devait reprendre le site en vue de clarifier sa situation et la réponse le lendemain de ce dernier, indiquant qu'il devait en assurer le parrainage pour soutenir les équipes ; qu'elle verse également aux débats un courriel adressé le 5 septembre 2018 par l'appelant à [G] [N] se plaignant de propos diffamatoires à son égard confinant à du harcèlement en vue de l'obliger à quitter son poste, l'invitant à ramener le calme dans leurs relations et lui proposant de prendre un café avec l'équipe cuisine le lendemain ; qu'elle communique l'attestation de [G] [N], rapportant les propos injurieux que lui avait tenus ce dernier le 16 août 2018 lors de son arrivée sur le site et les menaces voilées émises 3 septembre 2018 à l'occasion de la livraison du véhicule de fonction, et celle de [K] [O], responsable hôtellerie, assurant avoir entendu, le 16 août 2018, l'appelant tenir des propos agressifs à l'égard [G] [N] et ordonné à ce dernier de passer par son bureau lorsqu'il se rendrait sur le site ; qu'elle communique des échanges de courriels avec [C] [X] entre le 3 et le 4 septembre 2018, à la suite d'un appel par téléphone de l'appelant à 7 h 30, portant sur les propos reprochés à ce dernier ; qu'elle produit un message SMS sans date de [T] [V] à [C] [X], l'interrogeant sur la nature des faits qu'il reprochait à son compagnon et lui faisant part de ses craintes sur la personne et sur celle de ce dernier si l'appelant refusait les emplois qui lui étaient proposés ;

Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que celles-ci concernent exclusivement les incidents susceptibles d'être survenus entre l'appelant, [G] [N] et [C] [X] ; que les deux derniers griefs ne sont donc pas caractérisés ;

Attendu, sur le comportement de l'appelant à l'égard de [C] [X] et de [G] [N], que l'ensemble des faits qui lui sont reprochés est survenu alors qu'il se trouvait encore sous la seule autorité de la société GEPSA ; que [C] [X] rappelle cette situation dans son courriel du 4 septembre 2018, soulignant que cette société était l'employeur et le manager de l'appelant jusqu'à la reprise du marché par la société SODEXO le 11 septembre 2018 ; que compte tenu des rapports exécrables existant entre l'appelant et [G] [N] l'attestation rédigée par celui-ci, partie prenant à l'affaire, ne saurait avoir à elle seule une valeur probante ; que toutefois, l'agressivité dont l'appelant a fait preuve envers lui est également décrite dans l'attestation délivrée par [K] [O] ; que le témoin relate avoir assisté à un échange qu'il qualifie de houleux entre eux deux, survenu le 16 août 2018 ; qu'il rapporte les injures proférées par [R] [I], reprochant en termes crus à [G] [N] son absence de courage et sa servilité envers [C] [X], qualifié pour l'occasion de «collectionneur de robots» ; qu'il assure également que l'appelant avait intimé à [G] [N] l'ordre de passer désormais par son bureau quand il comptait se rendre sur le site du centre ; que seuls les faits confirmés par [K] [O] sont donc caractérisés ; que toutefois leur gravité doit être appréciée au regard du contexte dans lequel ils se sont produits ; que l'appelant exerçait les fonctions de responsable de site au centre pénitentiaire de [Localité 7] depuis le mois de novembre 2017 ; qu'il avait été investi de responsabilités identiques en janvier 2016 à la maison d'arrêt de [Localité 8] puis en décembre 2016 à la maison centrale de [Localité 5] ; que le 3 février 2018, il avait reçu les félicitations du directeur du centre pénitentiaire pour sa disponibilité et son dévouement lors du mouvement social ayant perturbé durant deux semaines l'activité du centre ; que la reprise du marché par la société SODEXO conduisait à une diminution de ses responsabilités puisqu'après avoir conclu un avenant prenant effet à compter du 11 septembre 2018, lui attribuant les fonctions de responsable de site, il en avait signé le même jour un second, aux termes duquel il devait exercer les fonctions de responsable de site adjoint ; qu'alors que, selon son courriel du 14 août 2018, [G] [N] se présentait comme chargé d'une simple activité de parrainage et de soutien des équipes sur le site, il participait en réalité activement à l'opération d'éviction de l'appelant, se substituant à ce dernier, comme le démontre la réception le 6 septembre 2018 d'un devis d'éco-pâturage et de pack installation, qui lui avait été adressé en exclusivité par la société Greensheep ; que d'ailleurs, le lendemain, [S] [A], de la société Greesheep, avertissait [U] [Y], sa collègue, que l'appelant allait partir et que le dossier allait être suivi par «la personne de Sodexo»,; que cette éviction est également démontrée par le courriel du 7 septembre 2018 de [G] [N] ayant pour objet la répartition des équipes de renfort pour l'ouverture, relevant jusque-là de l'appelant, et dont ce dernier n'avait même pas été rendu destinataire ; qu'elle est également démontrée par la précipitation étonnante ayant affecté la procédure de licenciement mise en 'uvre par la remise en main propre de la convocation du salarié à l'entretien préalable le 11 septembre 2018, date à laquelle son contrat de travail devait être transféré au sein de la société intimée, cette dernière prenant en outre des dispositions de nature à éviter que l'appelant doive rester à son poste jusqu'à la date fixée pour l'entretien ; qu'enfin, aucune pièce n'est produite par la société sur la répartition concrète des responsabilités entre [G] [N] et l'appelant à compter du 11 septembre 2018 ; que s'agissant des faits dont aurait été victime [C] [X], la société impute à l'appelant dans la lettre de licenciement des propos menaçants tenus lors d'un entretien téléphonique le 3 septembre 2018 ; que les propos susceptibles d'être imputés à [R] [I] sont reproduits dans un courriel de [C] [X] du 3 septembre 2019 ; que l'appelant l'aurait comparé à un taureau au milieu de l'arène ; qu'il est nécessaire de se livrer à un effort prononcé de volonté pour arriver à déceler des menaces sous-jacentes dans une telle comparaison ; qu'au demeurant si l'appelant reconnaît avoir tenus de tels propos, il assure dans un courriel en réponse du même jour que cette métaphore ne visait nullement [C] [X] mais était destinée à illustrer sa position personnelle au sein de l'entreprise, puisque son départ, qu'il assimilait à la mise à mort de la bête dans l'arène, était recherché ; que par ailleurs si l'expression «collectionneur de robots» employée par l'appelant pour dépeindre [C] [X] est effectivement peu flatteuse, elle doit également être analysée à la lueur du contexte professionnel précédemment décrit dans lequel elle a été employée, l'appelant reprochant à son futur responsable un manque de loyauté ; qu'enfin pour caractériser les menaces obscures dont [C] [X] aurait été la victime, la société produit un SMS dont la date de transmission est inconnue, provenant de [T] [V], compagne de ce dernier, dans lequel elle manifestait de l'inquiétude envers [C] [X], si son compagnon refusait des propositions ; qu'outre le fait que la référence à ce message ne figure pas dans la lettre de licenciement, il ne saurait être reproché à l'appelant d'avoir indirectement généré un climat de frayeur alors que celui-ci n'était susceptible de provenir que de la seule initiative de sa compagne, initiative au demeurant peu compréhensible, [T] [V], exprimant par ailleurs dans le même message sa reconnaissance pour le service que [C] [X], avec lequel elle entretenait des rapports d'amitié puisqu'elle disposait de son numéro de téléphone portable et le tutoyait, lui aurait rendu «dans un certain sens» ;

Attendu en conséquence qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que le licenciement de l'appelant est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Attendu qu'il n'existe pas de contestation par la société intimée du montant de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés y afférents et de l'indemnité de licenciement, sollicités par l'appelant ; que la société n'en discute que le principe au motif que la faute grave serait caractérisée ; qu'il convient en conséquence de condamner la société SODEXO au paiement de ces différentes sommes ;

Attendu que les dispositions des articles L1235-3 et L1235-4 du code du travail sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT ; que par ailleurs les dispositions de la Charte sociale européenne n'étant pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l'invocation de son article 24 ne peut conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail ;

Attendu qu'à la date de son licenciement, l'appelant était âgé de 51 ans et jouissait d'une ancienneté de dix-neuf années au sein de l'entreprise, compte tenu du délai de préavis ; que son licenciement lui a bien occasionné un préjudice puisqu'il s'est retrouvé immédiatement sans ressources et que le reproche d'avoir commis une faute grave était de nature à hypothéquer des perspectives d'embauche dans le milieu professionnel qu'il avait toujours connu ; qu'il n'a d'ailleurs retrouvé un emploi d'ingénieur d'affaires, responsable de site au sein de la maison d'arrêt de [Localité 8] qu'à compter du 21 septembre 2022, soit quatre ans après son licenciement ; qu'il convient en conséquence d'évaluer le préjudice qu'il a subi par suite de la perte de son emploi à la somme de 68500 euros ;

Attendu qu'il convient d'ordonner la remise par la société intimée d'un bulletin de paye et d'une attestation Pôle emploi conformes sans assortir toutefois cette obligation d'une astreinte ;

Attendu en application de l'article L 1235-4 alinéa 1 et 2 du code du travail que le remboursement des allocations de chômage peut être ordonné au profit du Pôle Emploi lorsque le salarié a deux années d'ancienneté au sein de l'entreprise et que celle-ci emploie habituellement au moins onze salariés ;

 

Attendu que les conditions étant réunies en l'espèce, il convient d'ordonner le remboursement par la société intimée des allocations versées à l'appelant dans les conditions prévues à l'article précité et dans la limite de six mois d'indemnités ;

 

Attendu qu'il ne serait pas équitable de laisser à la charge de l'appelant les frais qu'il a dû exposer tant devant le Conseil de Prud'hommes qu'en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu'il convient de lui allouer une somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

 

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

INFIRME le jugement déféré

 

ET STATUANT A NOUVEAU,

CONDAMNE la société SODEXO JUSTICE à verser à [R] [W] [I]

- 9792,12 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 979,21 euros bruts à titre de congés payés sur préavis

- 26656,32 euros à titre d'indemnité de licenciement

- 68500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

ORDONNE la remise par la société SODEXO JUSTICE d'un bulletin de paye et d'une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt,

ORDONNE le remboursement par la société SODEXO JUSTICE au profit du Pôle emploi des allocations versées à [R] [W] [I] dans la limite de six mois d'indemnités,

CONDAMNE la société SODEXO JUSTICE à verser à [R] [W] [I] 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

LA CONDAMNE aux dépens.

LE GREFFIER

S. LAWECKI

LE PRÉSIDENT

P. LABREGERE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale e salle 4
Numéro d'arrêt : 21/01098
Date de la décision : 14/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-14;21.01098 ?
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