ARRÊT DU
14 Avril 2023
N° 385/23
N° RG 20/00011 - N° Portalis DBVT-V-B7E-SYZZ
PL/VM
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Boulogne-sur-Mer
en date du
16 Décembre 2019
(RG 19/00020 -section 4)
GROSSE :
aux avocats
le 14 Avril 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
Mme [C] [N]
Lieudit '[Adresse 8]'
[Localité 4]
représentée par Me Anne PAINSET BEAUVILLAIN, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER
INTIMÉES :
S.A.R.L. PHARMACIE [9]
en liquidation judiciaire
S.E.L.A.R.L. RUFFIN MANDATAIRE ET ASSOCIES représentée par Maître Marion MICHAUX-RUFFIN, es-qualité de Liquidateur Judiciaire de la SARL PHARMACIE [9]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Benoît CALLIEU, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER substitué par Me Margaux DUMETZ, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER
CGEA AGS AMIENS
[Adresse 1]
[Localité 5]
n'ayant pas constitué avocat-assigné le 23 mai 2022 à personne habilitée
DÉBATS : à l'audience publique du 28 Février 2023
Tenue par Philippe LABREGERE
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Valérie DOIZE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Philippe LABREGERE
: MAGISTRAT HONORAIRE
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
ARRÊT : Réputé contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 08 Février 2023
EXPOSE DES FAITS
[C] [N] a été employée en qualité de pharmacien remplaçant par l'Eurl PHARMACIE [9] durant la période du 13 novembre 2012 au 30 novembre 2018 en vertu de multiples contrats de travail à durée déterminée.
Elle a par ailleurs fait l'objet d'un avertissement notifié le 26 octobre 2018 pour ne pas avoir remis à son employeur dans les quarante-huit heures un avis d'arrêt de travail.
Par requête reçue le 1er février 2019, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne sur mer d'afin d'obtenir l'annulation de l'avertissement, la requalification de la relation de travail, de faire constater l'illégitimité et l'irrégularité de la rupture de la relation de travail et d'obtenir le versement d'indemnités de rupture et de dommages et intérêts.
Par jugement en date du 16 décembre 2019, le conseil de prud'hommes a condamné la société à lui verser a débouté la salariée de sa demande et l'a condamnée au paiement de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Le 2 janvier 2020, [C] [N] a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance en date du 8 février 2023 la procédure a été clôturée et l'audience des plaidoiries a été fixée au 28 février 2023.
Selon ses conclusions récapitulatives et en réplique reçues au greffe de la cour le 6 février 2023, [C] [N] appelante sollicite de la cour l'infirmation du jugement entrepris, l'annulation de l'avertissement et l'inscription de la sa créance au passif de la liquidation judiciaire de l'Eurl PHARMACIE [9] à la somme de :
- 2000 euros à titre de dommages et intérêts
-25610,13 euros à titre d'indemnité compensatrice de perte de salaire
-2301 euros bruts à titre d'indemnité de requalification
-5062,20 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés y afférents
-5421,49 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
-3451,50 euros à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
-2301 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier
-2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
la décision devant être déclarée opposable à l'AGS
L'appelante expose que son employeur était informée de son absence les 22 et 23 octobre 2018, qu'elle n'était pas prévue dans les effectifs durant la semaine du 22 au 28 octobre 2018, qu'elle n'avait conclu aucun contrat intermittent avec l'Eurl, que les différents contrats convenus étaient intitulés contrat de remplacement ou contrat à durée déterminée à temps partiel, qu'aucun contrat écrit n'a été conclu pour dix-huit périodes travaillées entre le 12 décembre 2012 et le 20 juin 2018, que l'action en requalification n'est pas prescrite, que depuis le 1er février 2017 six contrats à durée déterminée n'ont pas été régularisés, qu'elle n'a jamais refusé de signer les contrats litigieux, que la requalification doit courir à compter du 12 décembre 2012, que bien qu'étant restée à la disposition de son employeur, elle n'a pas perçu la rémunération correspondant à 315 jours de travail, que la relation de travail étant devenue à durée indéterminée, sa rupture est irrégulière et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, qu'elle jouissait d'une ancienneté de six années, que son préjudice doit s'élever à 1,5 mois de salaire.
Selon ses conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 13 octobre 2022, le liquidateur judiciaire de l'Eurl PHARMACIE [9] sollicite de la cour la confirmation du jugement entrepris, le débouté de la demande, la constatation de la prescription de la demande de requalification des contrats antérieurs au 13 mars 2017, à titre subsidiaire, la limitation aux sommes de 6960,91 euros le rappel de salaire, de 1150,50 euros l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 4480,58 euros, l'indemnité conventionnelle de licenciement et, en toute hypothèse, la condamnation de l'appelante à lui verser 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimé soutient que l'avertissement est bien fondé, que l'appelante était absente les 22 et 23 octobre 2018 et n'a pas apporté de justification, que le planning communiqué était le planning personnel de la gérante, [X] [9], mais n'était pas le planning définitif communiqué à l'ensemble du personnel, que la demande de requalification n'est pas fondée, que l'appelante n'était pas constamment à la disposition de son employeur, qu'elle travaillait également pour le compte de la pharmacie [7] à [Localité 6], que tous les contrats conclus plus de deux années avant la saisine de la juridiction prud'homale sont atteints par la prescription, que seuls doivent être analysés les contrats conclus entre le 13 mars 2017 et le 18 juin 2018, que durant cette période, certains contrats n'ont pas été signés par l'appelante en raison du refus de celle-ci , à titre subsidiaire, que du fait que l'appelante ne démontrant pas qu'elle se tenait pas à la disposition constante de l'Eurl, elle ne peut solliciter des rappels de salaire durant les périodes intercalaires, à titre très subsidiaire, qu'aucun rappel de salaire ne peut être demandé antérieurement au 30 novembre 2015, qu'ils doivent être limités à 6960,91 euros, que la cessation de la relation de travail était régulière du fait de la survenance du terme du contrat, qu'à titre subsidiaire, l'appelante ne justifie pas du préjudice qu'elle invoque du fait de l'irrégularité alléguée de la rupture et de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, qu'elle effectuait depuis de nombreuses années des remplacements, que certains clients se sont en outre plaints de son attitude, que le salaire de référence doit être évalué à 2489,21 euros et l'indemnité conventionnelle de licenciement à 4480,58 euros.
L'UNEDIC délégation AGS CGEA d'Amiens n'a ni constitué avocat ni conclu. Selon son courrier reçu à la cour le 14 juin 2022, l'informant que L'AGS ne serait pas représentée, elle fait valoir qu'il appartient à l'appelante de démontrer le préjudice financier qu'elle prétend avoir subi, que la rupture étant intervenue après le 23 septembre 2017, le barème Macron est applicable, que sa garantie n'est due que dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, qu'elle ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L3253-8 et suivants du code du travail que dans les conditions résultant des dispositions des articles L 3253-15 à L3253-17, L3253-19 à L3253-21 et D3253-2 dudit code.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Attendu en application de l'article L1333-2 du code du travail, sur l'annulation de l'avertissement, que celui-ci est motivé par l'absence de l'appelante sur son lieu de travail les 22 et 23 octobre 2018, le défaut de communication dans les 48 heures de l'avis d'arrêt de travail, si l'absence était motivée par une maladie et, si tel n'était pas le cas, l'obligation de se présenter à son travail le 29 octobre 2018 ; que par courrier du 28 octobre 2018, l'appelante a rappelé à son employeur que, dès la conclusion du contrat de travail le 3 septembre 2018, elle l'avait informée de son absence durant la quarante-troisième semaine car elle s'était engagée auprès d'un autre pharmacien ; qu'en outre elle l'assurait de sa présence le 29 octobre 2018 ; qu'il n'est pas contesté que l'appelante s'est trouvée à son travail ce jour-là ; qu'en outre, elle produit un MMS reçu de [T] [M], joint à un procès verbal de constat d'huissier dressé le 9 novembre 2018, transmettant la photographie du calendrier pour l'année 2018 faisant apparaître que l'absence de l'appelante durant la semaine du 22 au 28 octobre 2018 y avait été enregistrée à la main ; que l'avertissement, étant dépourvu de fondement, doit donc être annulé ; que cette sanction injustifiée a bien occasionné un dommage à l'appelante qu'il convient d'évaluer à la somme de 200 euros ;
Attendu en application de l'article L1471-1 du code du travail que toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ;
Attendu que l'appelante fonde son action en requalification du contrat de travail sur l'absence de conclusion d'un contrat écrit ; que du fait de la date de la saisine de la juridiction prud'homale, seuls les contrats conclus durant la période courant à compter du 1er février 2017 sont susceptibles de faire l'objet d'une requalification ; que l'appelante produit un bulletin de paye émis à la suite d'une prestation de travail en qualité de pharmacien adjoint pour la période du 13 au 21 mars 2017 ; que l'intimé ne communique aucune contrat de travail susceptible d'avoir été établi pour cette période ; qu'il devait être écrit puisqu'à durée déterminée ; que l'intimé ne démontre nullement qu'un exemplaire de ce contrat ait été communiqué à l'appelante et que celle-ci se soit refusée de le signer comme il le soutient ; que le contrat qu'il produit n'a aucune valeur probante puisqu'il n'est même pas signé par l'employeur ; qu'au demeurant, alors qu'il est motivé par le remplacement de [X] [9], l'absence de cette dernière n'est pas démontrée ;
Attendu en conséquence en application de l'article L1245-1 du code du travail qu'en l'absence de contrat écrit, celui-ci est réputé à durée indéterminée à compter du 13 mars 2017 ;
Attendu que l'appelante ne démontre pas qu'elle se soit tenue à la disposition de son employeur durant les périodes séparant la conclusion des contrats à durée déterminée conclus entre le 13 mars 2017 et le 3 septembre 2018, date de conclusion du dernier contrat ; qu'en outre par courrier du 23 octobre 2017, l'appelante sollicitait de son employeur de limiter la durée mensuelle de son travail à 93 heures afin de lui permettre le cumul de plusieurs activités ; qu'enfin dans son courrier du 28 octobre 2018, l'appelante rappelait à son employeur qu'elle lui avait communiqué qu'elle n'était pas libre durant cette semaine car elle s'était engagée auprès d'un autre pharmacien ; qu'il résulte donc de l'ensemble de ces éléments que, complémentairement à son activité au sein de la Pharmacie [9]; elle travaillait régulièrement depuis de nombreux mois dans d'autres officines ; que cette situation était donc incompatible avec la disponibilité alléguée ;
Attendu en application de l'article L1245-2 du code du travail que la rémunération mensuelle brute moyenne de l'appelante s'élevant à la somme de 2489,21 euros, il convient de fixer l'indemnité de requalification due à la somme sollicitée par cette dernière, à savoir 2301 euros ;
Attendu que du fait de la requalification du contrat de travail en contrat à durée indéterminée, la rupture de la relation de travail devait être effectuée dans les conditions et les formes des articles L1232-2 et L1232-6 du code du travail ; qu'il résulte des pièces produites que celle-ci est survenue le 29 novembre 2018 lors de la fin du dernier contrat, en l'absence de toute lettre de licenciement ; qu'il s'ensuit que cette rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Attendu qu'en application de l'article 11 de la convention collective nationale de la pharmacie d'officine que l'ancienneté dans une entreprise correspond au temps pendant lequel le salarié a été occupé d'une façon continue dans cette entreprise, quelles que puissent être les modifications survenant dans la nature juridique de celle-ci ; qu'il s'ensuit que du fait de la date de requalification du contrat de travail, l'appelante jouissait d'une ancienneté inférieure à deux années ;
Attendu en application des articles 20 et 21 de la convention collective nationale de la pharmacie d'officine, qu'il convient d'évaluer à la somme de 2489,21 euros l'indemnité compensatrice de préavis ; qu'il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité compensatrice de congés payés, l'appelante ne la distinguant pas dans ses écritures de l'indemnité due au titre du préavis non accompli ; que compte tenu d'une ancienneté courant à compter du 13 mars 2017, et de ce que l'indemnité conventionnelle de licenciement doit être calculée selon la formule la plus avantageuse sur la base de la rémunération brute des douze ou des trois derniers mois précédant la date d'envoi de la notification du licenciement, excluant de ce fait le mois d'octobre, il convient de l'évaluer à la somme de 1089 euros ;
Attendu en application de l'article L1235-3 qu'à la date de la cessation de la relation de travail, l'appelante était âgée de 63 ans et jouissait d'une ancienneté de dix-huit mois au sein de la pharmacie qui employait de façon habituelle mois de onze salariés ; qu'elle se trouvait déjà à la retraite, comme le fait apparaître le procès verbal de constat précité dans lequel il est mentionné que l'appelante se présentait comme salariée-retraitée de la pharmacie [9] ; qu'elle exerçait par ailleurs concurremment son activité de pharmacienne remplaçante auprès d'autres officines ; qu'il s'ensuit que son préjudice consécutif à son licenciement abusif doit être évalué à la somme de 2400 euros ;
Attendu en application de l'article L1235-2 du code du travail dernier alinéa que l'irrégularité de la procédure de licenciement ne donne lieu au versement d'une indemnité que si le licenciement est survenu par ailleurs pour une cause réelle et sérieuse ; que tel n'étant pas le cas en l'espèce, l'appelante ne peut y prétendre ;
Attendu qu'il convient de déclarer le présent arrêt opposable à l'AGS dans les limites de sa garantie ;
Attendu qu'il ne serait pas équitable de laisser à la charge de l'appelante les frais qu'elle a dû exposer tant devant le conseil de prud'hommes qu'en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu'il convient de lui allouer une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
STATUANT publiquement et par arrêt rputé contradictoire,
INFIRME le jugement entrepris
ET STATUANT A NOUVEAU,
ANNULE l'avertissement en date du 26 octobre 2018,
REQUALIFIE le contrat de travail conclu le 13 mars 2017 en contrat à durée indéterminée,
FIXE la créance de [C] [N] au passif de la liquidation judiciaire de l'Eurl PHARMACIE [9] à la somme de :
- 200 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif à l'annulation de l'avertissement
- 2301 euros à titre d'indemnité de requalification
- 2489,21 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 1089 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
- 2400 euros à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
DÉCLARE l'arrêt opposable à l'UNEDIC délégation AGS CGEA d'Amiens,
DIT qu'elle ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L3253-8 et suivants du code du travail que dans les conditions résultant des dispositions des articles L 3253-15 à L3253-17, L3253-19 à L3253-21 et D3253-2 dudit code,
DÉBOUTE [C] [N] du surplus de sa demande
DÉBOUTE l'AGS CGEA de sa demande tendant à subordonner ses avances à la justification par le mandataire de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder au paiement des sommes garanties mais rappelle que l'obligation au paiement de l'AGS-CGEA ne pourra s'effectuer que sur présentation par le mandataire d'un relevé de créance,
CONDAMNE le liquidateur judiciaire de l'Eurl PHARMACIE [9] à verser à [C] [N] 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
MET les dépens au passif de la la liquidation judiciaire de l'Eurl PHARMACIE [9].
LE GREFFIER
S. LAWECKI
LE PRÉSIDENT
P. LABREGERE