ARRÊT DU
14 Avril 2023
N° 605/23
N° RG 19/02402 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SX2G
FB / SL
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARRAS
en date du
05 Décembre 2019
(RG F18/00022 -section 4)
GROSSE :
aux avocats
le 14 Avril 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [S] [N]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par Me Etienne PRUD'HOMME avocat au barreau d'Arras
INTIMÉE :
Caisse de Crédit Mutuel CAISSE FEDERALE DU CREDIT MUTUEL NORD EUROPE Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Benôit GUERVILLE avocat au barreau de Lille substitué par Me MOREAU-ANSART Laure avocat au barreau de Lille
DÉBATS : à l'audience publique du 18 Janvier 2022
Tenue par Frédéric BURNIER
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Séverine STIEVENARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
[K] [M]
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Béatrice REGNIER
: CONSEILLER
Frédéric BURNIER
: CONSEILLER
Le prononcé de l'arrêt a été prorogé du 29 avril 2022 au 14 avril 2023 pour plus ample délibéré.
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Frédéric BURNIER et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 18/01/2022
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [S] [N] a été engagé par la société Caisse Fédérale du Crédit Mutuel Nord Europe (ci-après dénommée CMNE) à compter du 4 mai 1987 en qualité d'attaché commercial.
En 1989, il a été promu aux fonctions de gestionnaire de patrimoine, puis, en 1991, il est devenu directeur de caisse.
En dernier lieu, il était directeur de caisse de l'agence d'[Localité 4].
Monsieur [S] [N] a exercé des mandats représentatifs en qualité de membre du CHSCT de mars 2012 à mars 2016, et de délégué du personnel de mars 2013 à mars 2017.
Par lettre remise en mains propres le 12 octobre 2017, Monsieur [S] [N] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement et a été mis à pied à titre conservatoire.
L'entretien préalable initialement prévu le 24 octobre 2017, a été reporté au 31 octobre 2017 en raison de l'arrêt maladie du salarié à compter du 13 octobre 2017.
Par lettre du 7 novembre 2017, Monsieur [S] [N] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave.
Le 30 janvier 2018, Monsieur [S] [N] a saisi le conseil de prud'hommes d'Arras et a formé des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 5 décembre 2019, le conseil de prud'hommes d'Arras a':
-déclaré le licenciement de Monsieur [S] [N] fondé sur une faute grave et l'a débouté de l'intégralité de ses demandes,
-débouté la société Caisse fédérale du crédit mutuel de ses demandes reconventionnelles,
-condamné Monsieur [S] [N] aux entiers dépens.
Monsieur [S] [N] a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 16 décembre 2019, en visant expressément les dispositions critiquées.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 12 janvier 2022, Monsieur [S] [N] demande à la cour d'infirmer le jugement rendu et, statuant à nouveau de:
-juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, à défaut, juger que son licenciement ne repose pas sur une faute grave,
-condamner la société Caisse fédérale du crédit mutuel à lui payer les sommes suivantes':
-29 094,45 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis brut, outre 2 909,94 euros au titre des congés payés y afférents brut,
-153 709,68 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
-9 421,06 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire brut, outre 942,11 euros au titre des congés y afférents brut,
-128 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-d'ordonner à la société Caisse fédérale du crédit mutuel d'avoir à lui remettre son certificat de travail, son attestation pôle emploi et un bulletin de paie conforme à la décision à intervenir, dans les quinze jours de sa notification et passé ce délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document,
-condamner la SA Caisse fédérale du crédit mutuel à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-débouter la SA Caisse fédérale du crédit mutuel de l'ensemble de ses demandes,
-condamner la SA Caisse fédérale du crédit mutuel aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, Monsieur [S] [N] rappelle, à titre liminaire, qu'il n'a jamais fait l'objet de sanction disciplinaire alors qu'il bénéficiait d'une ancienneté de plus de trente ans et souligne que la procédure de licenciement a fait suite à l'expiration de la période de protection suivant la fin de son mandat de délégué du personnel.
Il précise que s'agissant des prétendues opérations financières atypiques entre lui et Madame [T], les faits reprochés, qui constitueraient un manquement aux règles et procédures bancaires applicables au sein de l'entreprise et au code de déontologie, ne sont pas fondés. Il souligne qu'il n'a bénéficié d'aucune libéralité et qu'il n'a existé aucun lien de dépendance avec Madame [T] susceptible de nuire à l'établissement. Il entend démontrer par les éléments versés aux débats que les mouvements financiers sont justifiés et reposent sur des éléments objectifs.
S'agissant des prétendus manquements aux procédures bancaires, il précise au préalable que les documents produits par l'intimée, intitulés «'Politique et règlement de crédit'» ou «'règlement crédit'» lui sont inopposables en ce qu'ils n'étaient pas en vigueur au moment de son licenciement. Il rappelle également la charge de travail qui était la sienne due notamment à un problème d'effectif et la qualité de son travail qui a toujours été reconnue. Il rappelle que la lettre de licenciement fixe les limites du litige et indique que son licenciement ne saurait être fondé, faute d'éléments suffisants, matériellement établis et objectifs, sur les seules conclusions du rapport d'inspection et de son audition du 10 octobre 2017. Il souligne que les conclusions de l'inspection ont été prises sur la base de documents qui pour bon nombre d'entre eux ne sont pas versés aux débats, qui n'ont pas été soumis à la contradiction et pour lesquels il n'a d'ailleurs pas pu s'expliquer de sorte qu'elles lui sont inopposables. Subsidiairement, il affirme que les griefs ne sont pas matériellement établis, faute pour l'intimée de produire des éléments probants alors que la charge de la preuve lui incombe.
Ses demandes indemnitaires sont fondées. Le montant de sa demande de dommages-intérêts est justifié au regard des circonstances ayant entouré la rupture de son contrat de travail.
Il soutient que la demande de dommages-intérêts de l'intimée n'est pas fondée, cette dernière ne démontrant aucun abus de droit dans l'exercice de l'action en justice, que ce soit en première instance ou en cause d'appel, ni de préjudice.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 21 décembre 2021, la société Caisse fédérale du crédit mutuel demande à la cour de confirmer le jugement rendu sauf en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles, et statuant à nouveau et y ajoutant, de:
-condamner Monsieur [S] [N] à lui payer les sommes suivantes:
-5 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de la procédure abusive,
-10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner Monsieur [S] [N] aux dépens,
A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour devait infirmer la décision déférée en ce qu'elle a dit que le licenciement reposait bien sur une faute grave, de:
-déclarer que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,
-débouter Monsieur [S] [N] de sa demande de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle sérieuse,
-réduire les autres demandes dans les plus amples proportions.
La société CMNE rappelle, à titre liminaire, que si la lettre de licenciement fixe les limites du litige, l'employeur n'est pas tenu de lister tous les exemples précis correspondant à chaque grief mentionné dans cette dernière. Ainsi, elle a mentionné pour chacun des manquements un exemple et est en droit, d'illustrer ces derniers avec des exemples supplémentaires.
Elle produit deux documents intitulés «'Politique et règlement de crédit'» ou «'règlement crédit'» qui étaient applicables au moment du licenciement, contenant un certain nombre de règles que Monsieur [N] connaissait compte tenu de son expérience et de son ancienneté mais aussi des rappels qui lui ont été faits à plusieurs reprises.
Elle soutient que le salarié a délibérément transgressé à plusieurs reprises et de plusieurs façons les règles impératives du code de déontologie, du règlement intérieur (notamment relatives à l'obligation de neutralité et de prudence) et des procédures bancaires. Elle produit de nombreux éléments visant à démontrer que les faits reprochés sont matériellement établis et constitutifs d'une faute grave. Elle estime que la gravité de la faute est d'autant plus établie au regard des responsabilités de Monsieur [N], de son ancienneté dans ses fonctions de directeur d'agence et du préjudice causé à l'entreprise.
Contrairement à ce que prétend l'appelant, elle déclare qu'il n'existe aucun lien entre l'expiration de la période de protection et la mise en 'uvre de la procédure de licenciement. Elle rappelle que l'inspection générale est une structure indépendante, que la phrase contradictoire a bien été respectée et que Monsieur [N] a eu l'opportunité de transmettre ses explications, ce qu'il n'a pas fait. De plus, son licenciement ne repose pas sur le seul rapport de l'inspection générale puisque les faits mentionnés sont corroborés par d'autres éléments matériels et objectifs. Enfin, Monsieur [N] ne saurait se retrancher derrière une surcharge de travail et un sous-effectif qui ne sont, au demeurant, pas démontrés.
Subsidiairement, elle souligne que les manquements reprochés sont constitutifs à tout le moins d'une cause réelle et sérieuse de licenciement. Elle précise que Monsieur [N] ne justifie pas des sommes réclamées tant au niveau de l'indemnité de préavis que des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
S'agissant de sa demande au titre de la procédure abusive, elle indique que celle-ci est fondée au regard des circonstances de l'espèce.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 18 janvier 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement
Il résulte des dispositions de l'article L. 1234-1 du code du travail que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle nécessite le départ immédiat du salarié, sans indemnité.
La preuve de la faute grave incombe à l'employeur.
En l'espèce, la lettre de licenciement du 7 novembre 2017, qui fixe les limites du litige, concernant les motifs énoncés, en application des dispositions de l'article L.1232-6 du code du travail, est libellée dans les termes suivants :
« Cette décision repose sur les faits et motifs qui vous ont été exposés dans le détail lors de l'entretien préalable, pour lequel vous étiez assisté de Madame [A] [D], représentante du personnel, et qui s'est tenu en présence de Monsieur [R] [L], représentant de l'Inspection Générale.
Nous vous rappelons que vous êtes actuellement et depuis le 1er juin 2011, Directeur de caisse à [Localité 4], et que vous avez auparavant occupé le poste de Directeur de caisse au sein de différents points de vente.
En cette qualité, vous devez naturellement appliquer strictement les règles et procédures bancaires applicables au sein de l'entreprise et avoir, à cet égard, un comportement d'autant plus exemplaire au regard de votre rôle de manager.
Pourtant, des contrôles réalisés par l'Inspection Générale ont révélés des opérations financières atypiques entre vous-même et Madame [T], sociétaire du CMNE, affectée à votre portefeuille en votre qualité de Directeur de caisse, qui, générant des investigations plus poussées, ont permis de caractériser de nombreux et graves manquements à ces règles de procédure.
Parmi les opérations atypiques que nous avons constatées entre vous-même et Madame [T], nous vous rappelons notamment :
- l'achat d'un véhicule par vous-même le 29 juin 2017, dont la propriétaire est Madame [T]. Puis, deux mois plus tard, le 6 septembre 2017, la revente de ce même véhicule à Madame [T] avec une moins-value de 5 000€ ;
- une remise d'un chèque de 29 000€ débité le 4 novembre 2016 de votre compte au bénéfice de Madame [T] ;
- un investissement personnel au travers de la SCI « [Adresse 5] » avec des travaux réalisés par la Société HABITAT CONCEPT DESIGN, société gérée par Madame [T], facturés à hauteur de 72 K€. Ce même bien issu de votre SCI est loué par Madame [T].
Ces différentes opérations démontrent l'existence d'un lien personnel avec Madame [T] qui nous a d'ailleurs été confirmé par les salariés de votre point de vente.
Cette situation constitue, à elle seule, un manquement aux obligations relatives à la déontologie bancaire et notamment un manquement au principe de neutralité rappelé au sein de notre règlement intérieur.
Nous vous rappelons que cette obligation de neutralité est pourtant essentielle pour garantir la régularité de nos opérations.
A ce titre, le non-respect de cette obligation de neutralité vous a conduit à enfreindre d'autres règles et procédures.
En effet, l'extension des contrôles à l'environnement de Madame [T] a mis en évidence 22 parrainages avec flux financiers entre une société dont celle-ci est gérante (HABITAT CONCEPT DESIGN) et certains clients parrainés.
L'analyse des crédits octroyés aux sociétaires parrainés pour un montant global de 2.027 K€ (sur 18 clients parrainés) a permis de révéler de nombreux dysfonctionnements et, plus généralement, le non-respect de la politique crédit sur plusieurs angles.
Parmi ces dysfonctionnements dont le détail, connu à ce jour, vous a été donné lors de votre audition par l'inspection générale puis à l'occasion de votre entretien préalable, nous vous rappelons notamment :
- Le non-respect des règles relatives aux apports personnels : A plusieurs reprises, nous avons constaté que vous aviez permis, au mépris des règles applicables, le financement d'un apport personnel recourant à un prêt à la consommation.
A titre d'exemple, vous avez débloqué, le 19 septembre 2017, au profit de Monsieur [P], un prêt dont l'apport personnel a été financé par un prêt à la consommation. Il en est de même du prêt que vous avez débloqué le 03 août 2017 au profit de Monsieur [V].
-Le déblocage de fonds au profit de la Société HABITAT CONCEPT DESIGN sur la base de factures de travaux antérieures à la signature des actes chez le notaire. Tel a été notamment le cas dans le cadre des prêts ci-dessus cités au profit de Monsieur [P] et de Monsieur [V].
- La validation de comptes débiteurs par anticipation d'un déblocage de crédit. Tel a été le cas sur ce point également pour Monsieur [P] et Monsieur [V]. Une telle opération, qui vise à détourner les procédures applicables au sein de l'entreprise, a également été constatée au profit directement de Madame [T].
- Une absence des réactions face à de nombreux mouvements en inadéquation avec le profil du client, des négligences sur le traitement des opérations relatives au dispositif de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme. Ces dysfonctionnements ont notamment été constatés à l'analyse de la situation des comptes de Monsieur [G] [C] et de la SCI PARIS, ou encore de notre client la SCI LES COQUELICOTS.
- Un manquement à l'obligation de vigilance s'inscrivant plus précisément dans le cadre des obligations de « connaissance de la clientèle », notamment à l'égard de Monsieur [V].
- L'émission de chèque à destination d'un bénéficiaire différent, des opérations non conformes à l'objet du crédit telles que celles relevées au profit de la SCI LES COQUELICOTS.
- L'émission de chèque après déblocage de crédit, sans justificatif de paiement. Cette irrégularité a été constaté à de nombreuses reprises au profit de la SCI D'ART COM, de Monsieur et Madame [X], de Monsieur et Madame [Z] ou même directement au profit de Madame [T].
- Le non-respect du règlement crédit en matière de délégation d'octroi de crédit, et plus précisément le financement d'opérations hors délégation de la caisse locale. Ainsi vous avez procédé, là encore au profit de la Société de Madame [T] à l'instruction d'un dossier de financement alors que cette société était immatriculée depuis moins de trois ans et dont le dossier relevait de la Direction des Engagements et non de la caisse locale.
- Le non-respect de la zone de chalandise des caisses locales. Vous avez ainsi instruit des dossiers ne relevant pas de votre zone de chalandise, comme celui de Monsieur et Madame [Y] pour un financement à [Localité 6] pour lequel des analyses s'avèreront nécessaires d'un point de vue de conformité des flux entrants.
Au regard de l'ensemble de ces faits, nous ne pouvons que constater des manquements graves et délibérés à vos obligations professionnelles en matière de déontologie bancaire, de respect de la politique crédit, de sécurisation des opérations, d'application du principe de prudence, de respect des procédures.
Contrairement à ce que vous avez affirmé lors de l'entretien préalable, ces faits ne constituent en aucun cas de simples négligences mais des manquements professionnels graves qui sont d'autant plus inacceptables qu'ils portent sur des dossiers parrainés par une sociétaire avec laquelle vous avez des relations contractuelles mutuelles et des flux financiers réciproques sans justification économique sérieuse et au profit de laquelle vous avez directement mené ces opérations irrégulières.
Même si l'existence d'un préjudice pour l'entreprise n'a pas à être recherchée sur le plan juridique dans le cadre de vos agissements, nous vous rappelons que vos manquements et comportements ont, dès à présent, une incidence pour l'entreprise :
- La situation financière de Monsieur [P] apparaît aujourd'hui compromise, avec un risque potentiel sur le prêt d'un montant de 205 K € que vous lui avez accordé.
- Il en est de même de la relation de Monsieur [C], pour lesquels des rejets de chèque ou de prélèvement ont été constatés, générant un risque de recouvrement du montant du prêt restant à amortir (92k€).
- L'absence de domiciliation des ressources annoncées de Monsieur [V] dans le cadre du déblocage de son prêt, génère un risque potentiel sur le recouvrement du prêt de 156k€ qui lui a été accordé.
Par ailleurs, l'importance des risques encourus ou déjà engagés ne fera qu'augmenter en cas de défaillance des clients pour lesquels ces irrégularités ont été constatées.
En outre, ces manquements apparaissent intolérables au regard de l'image que vous avez ainsi donnée auprès de vos collaborateurs, lesquels avaient pu constater ces comportements irréguliers, et plus généralement la non qualité des dossiers que vous montiez. S'ajoute ainsi à vos nombreux manquements, une faute managériale intolérable.
S'ajoute également à ces différents manquements et fautes, le caractère inadapté de votre attitude à l'égard de votre employeur dans le cadre des investigations que nous avons menées.
En effet, vous n'avez pas hésité à donner des explications manifestement fausses.
Tel était notamment le cas sur la nature de votre relation avec Madame [T], s'agissant par exemple du chèque d'un montant de 5.400 € que vous avez encaissé le 03 octobre 2017 et pour lequel vous nous avez prétendu qu'il s'agissait du paiement par Madame [T] du loyer du bien dont votre SCI est propriétaire. Or, ce montant ne peut correspondre à une perception de loyer, la promesse de bail prévoyant un loyer mensuel de 490 € qui ne correspond pas, sur la période de location, au montant du chèque encaissé.
De même, nous vous rappelons qu'un huissier a constaté, le 25 octobre 2017, que l'immeuble ainsi loué à Madame [T] est en réalité vide de tout occupant, aucun élément à l'intérieur ne permet de justifier la réalité d'une location, que le chantier est à l'abandon, une absence de travaux rénovation récent et que les travaux listés sur les factures énoncées sur la requête (facture de travaux à hauteur de 72k€) ne correspondent pas à des travaux effectués dans cet immeuble. Ce rapport contredit vos déclarations à l'Inspection le 10 octobre 2017, selon lesquelles « les travaux ne sont pas totalement finis mais Madame [T] occupe plus de place que ce qui était prévu d'où l'écart entre ce que je vous annonce et ce que vous recomposez ».
Pour l'ensemble de ces raisons, dont le détail de chaque opération vous a été donné lors de votre audition par l'inspection générale et lors de votre entretien préalable, et dans la mesure où vos explications ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation de la situation, nous avons pris la décision de vous licencier pour faute grave. »
Il est constant que l'employeur peut développer devant le juge des éléments qui n'ont pas été mentionnés expressément dans la lettre de licenciement dès lors qu'ils s'inscrivent dans le cadre d'un motif ou grief énoncé dans cette lettre.
Par ailleurs, il est constant que le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction n'impose pas que, dans le cadre d'une enquête interne, le salarié ait accès au dossier et aux pièces recueillies dès lors que la décision que l'employeur peut être amené à prendre ultérieurement ou les éléments dont il dispose pour la fonder peuvent, le cas échéant, être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement.
En l'espèce, l'employeur produit un rapport rédigé par le service d'inspection générale, daté du 20 octobre 2017, et plusieurs documents étayant les faits évoqués dans ce rapport.
Il n'est pas contesté que ce rapport a été finalisé après audition de Monsieur [N] le 10 octobre 2017. Le compte rendu d'entretien, qui compte 9 pages, démontre que le salarié a été amené à s'expliquer, en détail, sur les constatations effectuées par les enquêteurs.
Dès lors, il n'y a pas lieu d'écarter ce rapport d'inspection régulièrement versé au dossier, accompagné de pièces, et soumis au débat contradictoire devant le juge.
Il ressort des pièces versées au dossier que les motifs invoqués par l'employeur au soutien de la mesure de licenciement sont fondés.
Il est notamment démontré l'existence de transactions nombreuses et portant sur des montants significatifs entre Monsieur [N] et une sociétaire, Madame [T], ou entre des sociétés détenues par les intéressés. L'appelant feint de considérer qu'il s'agit de transactions classiques entre particuliers alors qu'elles interviennent entre un directeur d'agence bancaire, soumis à des exigences déontologiques spécifiques et une cliente. Sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur la licéité de ces transactions, il y a lieu de retenir qu'elles étaient de nature à porter atteinte au principe de neutralité devant exister entre un salarié d'un établissement bancaire et un client et, surtout, de placer, par leur fréquence et leur importance, le directeur d'agence dans une situation de dépendance à l'égard de cette sociétaire.
Cette relation contraire aux règles de déontologie a eu des répercussions sur le traitement des dossiers de Madame [T] et de ses sociétés, comme de clients apportés par celle-ci. Ainsi, il est établi que Monsieur [N] a commis plusieurs manquements dans l'instruction de crédits et le suivi des opérations bancaires, en faveur notamment Madame [T] et de clients parrainés par cette dernière et en relation d'affaire avec elle.
Lors de son audition du 10 octobre 2017, Monsieur [N] a admis un défaut de vigilance. Dans le cadre de ses écritures, il tend à minimiser certains manquements dont il ne conteste pas la réalité (ex: financement d'un immeuble hors du ressort de sa fédération, déblocage de fonds pour le financement de travaux avant l'acquisition effective des immeubles).
Compte tenu de son ancienneté et de ses responsabilités de directeur d'agence, Monsieur [N] ne peut raisonnablement soutenir qu'il ignorait les règles en vigueur en matière de déontologie et de conditions d'octroi des crédits. Au cours de l'audition du 10 octobre 2017, l'intéressé n'a nullement contesté les règles qui lui étaient opposées et n'a fait état d'aucune méconnaissance des procédures en vigueur. En outre, le code de déontologie versé au dossier par l'intimée date du 17 septembre 2009.
Le manque d'effectif et la charge de travail allégués, qui ne sont, par ailleurs, nullement démontrés au moment des faits litigieux, ne sont pas de nature à écarter le caractère fautif de manquements répétés qui, majoritairement, participent d'un système visant à favoriser, directement ou indirectement, Madame [T] et des clients apportés par celle-ci et, dès lors, ne peuvent constituer de simples négligences imputables à un manque de temps.
Aucun élément ne laisse présumer que cette procédure de licenciement ait un lien avec les mandats qu'exerçait le salarié et qui avaient pris fin en mars 2017, alors qu'il est établi qu'elle s'inscrit dans la continuité d'une inspection diligentée suite au constat de possibles manquements aux règles de déontologie les 29 juin et 6 septembre 2017.
Enfin, si Monsieur [N] n'a jamais fait l'objet de sanctions disciplinaires, il apparaît qu'il a été destinataire de deux rappels à l'ordre, par courriers des 10 février 2010 et 22 avril 2014, pour non respect des procédures d'octroi des crédits et pour manquement au code de déontologie et aux règles d'éthique.
Il résulte de l'ensemble de ces considérations que Monsieur [N] a commis des manquements répétés aux règles de déontologie, au règlement encadrant l'octroi des crédits et à son obligation de vigilance et de prudence. Ces manquements caractérisent des fautes pouvant justifier une mesure de licenciement d'ordre disciplinaire. Compte tenu des fonctions exercées par l'intéressé, de son niveau de responsabilité et du caractère systémique des agissements litigieux, la poursuite de la relation de travail s'avérait impossible, même pendant la durée du préavis.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a dit le licenciement de Monsieur [N] fondé sur une faute grave et débouté l'intéressé de l'ensemble de ses demandes.
Sur les autres demandes
Il n'est pas établi que Monsieur [N] ait agi par intention malicieuse ou malveillante dans des conditions caractérisant un abus de droit.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté l'employeur de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive. Cette même demande sera également rejetée en cause d'appel.
L'équité et la situation des parties ne commandent pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant:
Déboute la la société Caisse Fédérale du Crédit Mutuel Nord Europe de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée en cause d'appel,
Déboute les parties de leurs demandes respectives sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Monsieur [S] [N] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER
Serge LAWECKI
pour le président empêché
Frédéric BURNIER