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31/03/2023 | FRANCE | N°21/00941

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale e salle 4, 31 mars 2023, 21/00941


ARRÊT DU

31 Mars 2023







N° 213/23



N° RG 21/00941 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TU4C



PL/VM

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARRAS

en date du

06 Avril 2021

(RG 19/00023 -section 2)








































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GROSSE :



aux avocats



le 31 Mars 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [J] [L]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Gérald VAIRON, avocat au barreau de BÉTHUNE





INTIMÉE :



S.A.S. SONADIA

[Adresse 5]

[Localité 4]

représentée pa...

ARRÊT DU

31 Mars 2023

N° 213/23

N° RG 21/00941 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TU4C

PL/VM

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARRAS

en date du

06 Avril 2021

(RG 19/00023 -section 2)

GROSSE :

aux avocats

le 31 Mars 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [J] [L]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Gérald VAIRON, avocat au barreau de BÉTHUNE

INTIMÉE :

S.A.S. SONADIA

[Adresse 5]

[Localité 4]

représentée par Me Nathalie POULAIN, avocat au barreau d'ARRAS

DÉBATS : à l'audience publique du 24 Janvier 2023

Tenue par Philippe LABREGERE

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Séverine STIEVENARD

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Philippe LABREGERE

: MAGISTRAT HONORAIRE

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 31 Mars 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Séverine STIEVENARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 03 Janvier 2023

EXPOSE DES FAITS

 

[J] [L] a été embauché en qualité d'électricien mécanicien par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er janvier 1991, par la société SONADIA, titulaire de la concession automobile CITROËN située à [Localité 4].

Le 5 janvier 2015, la société a accueilli, dans le cadre d'une convention de stage, [E] [Z] en formation baccalauréat cette dernière professionnel-systèmes électroniques et numériques. A la suite d'une plainte déposée par cette dernière le 21 janvier 2015 auprès du commissariat de police d'[Localité 4] pour des faits d'agressions sexuelles imputés à [J] [L] et d'une enquête interne effectuée le 22 janvier 2015, la société a convoqué le salarié par lettre remise en main propre contre décharge le même jour, avec mise à pied à titre conservatoire, à un entretien préalable le 2 février 2015. Toutefois, par courrier du 12 février 2015, elle lui a notifié qu'en raison de faits nouveaux, elle ne donnait plus de suite à cet entretien dans l'attente des résultats des poursuites pénales et annulait la mise à pied. Le salarié a bénéficié d'une relaxe prononcée par jugement du 16 mai 2017 par le tribunal correctionnel d'Arras.

[J] [L] ayant fait l'objet d'un arrêt de travail continu pour maladie à compter du 26 janvier 2015 a saisi, par requête reçue le 22 septembre 2017, le conseil de prud'hommes d'Arras en vue de faire prononcer la résiliation de son contrat de travail et d'obtenir des indemnités de rupture et des dommages et intérêts. L'affaire a fait l'objet d'une radiation.

Dans le cadre de la visite médicale de reprise et après étude du poste et des conditions de travail du salarié, le médecin du travail a émis, le 12 décembre 2017, un avis d'inaptitude d'[J] [L] à son poste, ajoutant que l'état de santé de ce dernier faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Après avoir adressé au salarié par courrier du 26 décembre 2017 une proposition de reclassement au poste de technicien expert au sein de la concession SODIVA à [Localité 3], sous réserve de l'aval du médecin du travail compétent sur le site, proposition à laquelle [J] [L] n'a donné aucune suite, la société l'a convoqué par lettres recommandées à un entretien organisé le 18 puis le 25 janvier 2015 en vue d'un éventuel licenciement. Cet entretien n'ayant pas lieu du fait de l'absence du salarié, son licenciement pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement lui a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 30 janvier 2018.

 

Les motifs du licenciement tels qu'énoncés dans la lettre sont les suivants :

« Nous sommes au regret de devoir procéder par la présente à votre licenciement pour inaptitude à votre poste de travail prononcée par avis du médecin du travail en date du 12 décembre 2017.

Cet avis médical était, nous vous le rappelons le suivant :

- Avis du 12 décembre 2017 - A l'issue de cet examen, le médecin du travail a déclaré : « Inaptitude. - L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.»

Nous avons tenu compte de cet avis pour rechercher les possibilités de reclassement et d'adaptation de postes, compatibles avec votre état de santé et cela tant en interne qu'en externe.

Nous vous avons proposé un reclassement sur un poste de Technicien expert au médecin du travail le 18 décembre 2018, et le Docteur [H] n'a pas souhaité se positionner sur cette proposition.

C'est dans ce cadre qu'une proposition de reclassement vous a été faite par courrier recommandé avec accusé de réception du 26 décembre 2017, pour un poste de Technicien expert au sein de la Concession Peugeot d'[Localité 3], Société SODIVA, correspondant à la fiche RNQSA n°A-12-2 de la Convention collective, avec une durée hebdomadaire de travail de 37 heures. Vous n'avez pas répondu à notre proposition.

Nous nous sommes adressés à d'autres sociétés afin de solliciter un poste disponible et compatible avec votre état de santé. A ce jour nous n'avons eu malheureusement aucune réponse positive.

Dès lors nous sommes contraints de rompre le contrat de travail qui nous lie.

La mesure de licenciement prendra effet dès l'envoi du présent courrier. »

A la date de son licenciement, [J] [L] occupait l'emploi de technicien-expert, percevait une rémunération mensuelle brute de 2054,31 euros et était assujetti à la convention collective nationale des services de l'automobile. L'entreprise employait de façon habituelle au moins onze salariés.

A l'occasion de la réinscription de la précédente requête, le salarié a saisi le 28 novembre 2018 le conseil de prud'hommes afin de faire constater la nullité ou l'illégitimité de son licenciement et d'obtenir le versement d'indemnités de rupture et de dommages et intérêts.

 

Après jonction des deux requêtes, par jugement en date du 6 avril 2021, le conseil de prud'hommes a débouté le salarié de sa demande.

Le 1er juin 2021, [J] [L] a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance en date du 4 janvier 2023, la procédure a été clôturée et l'audience des plaidoiries a été fixée au 24 janvier 2023.

 

Selon ses conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 11 juin 2021, [J] [L] appelant, sollicite de la Cour l'infirmation du jugement entrepris, la résiliation de son contrat de travail, la constatation que son licenciement est nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse et la condamnation de la société à lui verser :

- 4 108,62 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 10 271,55 euros à titre d'indemnité de licenciement

- 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement, - 150 000 euros ou, à titre infiniment subsidiaire, 41 086,20 euros pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

- 30 000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires sur le fondement de l'article 1240 du code civil

- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

- 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination

- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de formation

- 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelant expose qu'il n'a jamais rencontré de difficultés dans son travail, qu'à la première accusation, son employeur l'a mis au ban de la société, qu'au cours de l'entretien préalable du 2 février 2015 auquel a assisté [P] [V], son conseiller, il a été victime d'un harcèlement, que les services d'Arras Ambulances ont été appelés car il se trouvait dans un état critique, qu'il a été emmené aux urgences vers 13 heures, [P] [V] terminant seul l'entretien, que l'entreprise a organisé un véritable tribunal le 22 janvier 2015, que l'employeur a utilisé la plainte et l'a même instrumentalisée en se rendant coupable d'un véritable pré-jugement qui lui a occasionné de graves difficultés durant plusieurs années, qu'il n'a pas pu reprendre une activité quelconque dans l'entreprise et s'est trouvé en arrêt de travail pour maladie de façon continue, que les manquements de l'employeur sont suffisamment fautifs pour entraîner la résiliation judiciaire du contrat aux torts de ce dernier, que la résiliation ne pouvait être demandée qu'à la suite de sa relaxe qui l'a lavé de tout soupçon, que l'exécution du contrat de travail était déloyale et de mauvaise foi, que la société s'est livrée à du harcèlement moral, à de la discrimination et a commis une violation délibérée de plusieurs libertés fondamentales, ce qui permet un déplafonnement des dommages intérêts octroyés, qu'avant l'affaire, il était déjà en dépression à cause de ses conditions de travail difficiles, que son employeur l'a condamné sur la base des propos de la stagiaire sans mener une véritable enquête, que ce dernier a avoué que les parents ne voulaient pas rencontrer l'appelant et qu'il leur avait même conseillé de porter plainte, que l'impossibilité de le reclasser est due à l'attitude de son employeur qui n'a jamais tenu compte de ses difficultés de santé, que celui-ci l'a au contraire enfoncé en l'accusant d'un délit qu'il n'avait pas commis, que ses difficultés de reclassement sont également dues au fait que l'employeur s'est acquitté de manière incomplète de son obligation de formation, que l'attitude de ce dernier est à l'origine de la déclaration d'inaptitude.

Selon ses conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 3 septembre 2021, la société SONADIA sollicite de la cour la confirmation du jugement entrepris, la constatation que la demande afférente au paiement d'une indemnité de licenciement est irrecevable et la condamnation de l'appelant à lui verser 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée soutient qu'il ne saurait lui être fait grief d'avoir diligenté une enquête interne dans le strict respect du règlement intérieur existant au sein de l'entreprise et destiné à lutter contre le harcèlement et la souffrance au travail et de la charte en vigueur prévoyant la mise en place d'une enquête interne, qui a été validée par la DIRECCTE et déposée auprès du conseil de prud'hommes, que l'appelant a été mis en situation de pouvoir s'expliquer sur son comportement et n'a pas contesté les faits sur lesquels il a été entendu par sa hiérarchie, que la société a fait preuve de vigilance puisqu'à l'issue de l'entretien préalable et en raison de la plainte déposée par [E] [Z] et de l'audition prévue de l'appelant, elle a préféré mettre un terme à la procédure disciplinaire dans l'attente des résultats de l'enquête pénale, qu'elle ni manqué à ses obligations vis-à-vis de l'appelant ni ne s'est rendue coupable d'une exécution déloyale du contrat de travail, que le licenciement est légitime, la rupture étant la conséquence de l'avis d'inaptitude au poste, sans reclassement possible, émis par le médecin du travail dispensant ainsi l'entreprise de toute obligation de reclassement, que bien qu'elle n'en ait pas été tenue, elle a présenté une proposition à l'appelant à laquelle celui-ci n'a pas entendu donner suite, qu'il ne justifie nullement d'un quelconque fait s'apparentant à une violation d'une liberté fondamentale ou caractérisant une discrimination, qu'il ne s'explique pas sur la discrimination dont il aurait été la victime, que la société ne l'a jamais accusé de quoi que ce soit, qu'à deux reprises, elle a sollicité ses observations face aux accusations formulées par la jeune stagiaire, que si le fait que la plainte pénale n'ait pas abouti démontre que les faits reprochés par [E] [Z] n'étaient pas constitutifs d'un délit pénal, ils ont néanmoins créé un trouble grave chez la jeune fille, consistant en un important état anxio-dépressif associé à des troubles du sommeil, que l'appelant n'a jamais été mis à l'écart ni même montré du doigt, à titre subsidiaire, que la demande au titre de l'indemnité de licenciement est irrecevable, l'appelant l'ayant perçue dans le cadre de son licenciement pour inaptitude, que l'indemnité maximale au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ne peut excéder un plafond équivalant à 40059 euros dans la mesure où la rémunération mensuelle brute versée était de 2054,31 euros, qu'aucun manquement de la société à son obligation de formation n'est démontré, que l'appelant ne s'explique nullement sur la demande fondée sur l'article 1240 du code civil et ne démontre ni l'existence d'une faute délictuelle, ni d'un préjudice imputable à la société, qu'elle n'a jamais exécuté de manière déloyale ou de mauvaise foi le contrat de travail.

 

MOTIFS DE L'ARRÊT

Attendu en application de l'article L1231-1 du code du travail qu'il résulte des pièces versées aux débats que le 21 janvier 2015, [E] [Z], stagiaire âgée de 19 ans, a déposé une plainte visant nommément l'appelant, l'accusant d'attouchements sexuels sur son lieu de travail, la semaine précédente ; qu'elle a réitéré ses accusations dans une attestation rédigée le 22 janvier 2015, ajoutant qu'elle s'était décidée à déposer plainte à la suite de nouveaux attouchements commis le matin même ; que préalablement, [E] [Z] avait informé de ces faits sa mère qui avait alors pris contact avec [F] [A], directeur de plaque au sein de la société SONADIA ; qu'une réunion avec ce dernier avait alors été organisée ; qu'à la suite d'une visite médicale le 26 janvier 2015, le docteur [X] [T] a délivré une attestation dans laquelle il constatait que [E] [Z] se trouvait dans un important état anxio-dépressif associé à des troubles du sommeil ; qu'en raison de la perspective d'un dépôt de plainte, la société a légitimement été amenée à diligenter une enquête interne en vue de s'assurer de la réalité des faits imputés à l'appelant, conformément à l'article 5-3 du règlement intérieur du 6 mars 2013 ; que celle-ci a été conduite dans les conditions définies par la charte de lutte contre le harcèlement moral et sexuel de l'entreprise en date du 21 mai 2014 par [F] [A], [S] [O], directrice des ressources humaines du groupe, et [Y] [G] référente ;

Attendu toutefois que la mise à pied conservatoire a décidée dans la plus grande hâte puisqu'elle été notifiée à l'appelant le jour même de la fin de l'enquête ; que celle-ci s'est résumée à des échanges avec [E] [Z], [M] [K], tuteur de la stagiaire, et l'appelant ; que si [M] [K] ne partageait pas les affirmations du salarié sur l'exigüité des locaux, il paraissait en revanche très surpris des faits reprochés à ce dernier et assurait ne jamais avoir constaté antérieurement l'adoption par l'appelant du comportement qui lui était reproché ; que [F] [A] aurait pu nourrir des doutes sur la réalité ou du moins sur la gravité des faits imputés à l'appelant puisque lors de son audition le 6 février 2015, à la demande de l'officier de police judiciaire sur le degré d'appréciation de l'appelant au sein du garage, celui-ci lui répondait en ces termes : « que ce soit au niveau des relations avec les autres et au niveau professionnel, pas de soucis, c'est un employé qui a vingt-cinq ans de carrière. Pour moi, si j'avais dû faire une liste de personnes dites à risque dans le garage, je l'aurais mis à la fin » ; qu'en réalité il ne s'est déterminé qu'en fonction du comportement de l'appelant qu'il avait qualifié de bizarre lors de l'audition précitée ; que par ailleurs, il résulte de l'attestation d'[Y] [G] que celle-ci avait acquis l'intime conviction de la culpabilité de l'appelant par le seul fait qu'il n'avait pas nié les attouchements ; que toutefois, [F] [A] précisait au cours de ladite audition que, si l'appelant ne les avait pas niés, il ne les avait pas non plus reconnus ; qu'en conséquence l'intime conviction des participants à l'enquête interne qui a conduit à la mise à pied de l'appelant résultait de simples impressions totalement subjectives ;

Attendu que la mise à pied conservatoire était injustifiée, comme le démontrent son annulation et l'abandon de la procédure de licenciement dès le 12 février 2015 ; que cette dernière mesure, selon le courrier la notifiant, était consécutive à la survenance de faits nouveaux résultant de l'audition de [F] [A], le 6 février 2015, par les services de police et consistant notamment en un dépôt de plainte et l'ouverture d'une enquête ; que toutefois ce dernier ne pouvait ignorer dès le 21 janvier 2015 qu'une plainte allait être déposée par [E] [Z] puisque, selon l'attestation de la stagiaire, le dépôt avait été effectué le 21 janvier 2015 à 15 heures. une heure après une réunion organisée dans le bureau de [F] [A] à l'initiative de celui-ci et à laquelle assistait également la mère de [E] [Z] ; qu'en outre, il avait connaissance, dès le 22 janvier 2015, du contenu de la plainte déposée par la stagiaire puisque, selon [Y] [G], l'appelant s'y serait référé lors de son audition durant l'enquête ; que les faits eux-mêmes méritaient d'être évalués avec une extrême précaution puisque les poursuites pénales ont été engagées sur le seul fondement des impressions de [E] [Z] qui, selon les observations du Ministère public rapportées dans les écritures de l'intimée, s'était sentie victime alors qu'elle était « irritable et fuyante à cette période » selon les propos tenus à l'audience par les proches de celle-ci et rapportés dans l'article paru dans la presse lors de l'évocation de l'affaire devant le tribunal correctionnel ; que la société reconnaît également dans ses conclusions que l'attitude des différents protagonistes pouvait donner lieu à des difficultés d'interprétation ;

Attendu qu'il est manifeste que l'arrêt de travail pour maladie survenu à compter du 26 janvier 2015 est consécutif à la mise à pied conservatoire ainsi qu'aux conditions particulièrement éprouvantes dans lesquelles s'est tenu ensuite l'entretien préalable organisé le 2 février 2015 et à l'engagement d'une procédure de licenciement abandonnée dix jours plus tard ; qu'il résulte en effet du compte-rendu rédigé par [P] [V], conseiller du salarié, que [F] [A] s'est présenté à l'entretien avec un verre d'eau qu'il destinait au salarié ; qu'il n'ignorait pas l'état de faiblesse de l'appelant puisqu'il a lui-même reconnu durant son audition le 6 février 2015 par les services de police que ce dernier était très fragile et affecté physiquement par la situation dans laquelle il se trouvait ; que [P] [V] relate en outre le comportement déstabilisant de [S] [O], coupant la parole au salarié et lui posant des questions laissant penser qu'elle tenait pour acquis les accusations proférées à l'encontre de ce dernier ; que l'entretien a dû être écourté en raison des défaillances de l'appelant qui, selon [P] [V], s'était affaissé sur le bureau ; qu'il a dû alors être conduit au service des urgences de l'hôpital d'[Localité 4] en ambulance ; que si l'intimée conteste la teneur de ce compte-rendu, elle n'explique pas les raisons qui ont nécessité ou l'intervention d'une ambulance ou celle des pompiers, selon [F] [A] ; qu'enfin celui-ci ne pouvait sérieusement soutenir, le 6 février 2015, que la mesure de mise à pied conservatoire avait été prise dans le but de préserver les intérêts personnels et professionnels de l'appelant, reprenant en cela les affirmations de [S] [O] émises lors de l'entretien préalable, alors qu'elle entraînait de graves répercussions tant sur la santé que sur les ressources du salarié ;

Attendu qu'ont été décidées dans la précipitation et sans discernement, la mise à pied conservatoire et l'engagement de la procédure de licenciement abandonnée peu après, pour une faute qui n'était nullement caractérisée à la date de mise en 'uvre de celle-ci, alors que par ailleurs des doutes pouvaient naître sur la culpabilité de l'appelant en raison tant de la personnalité de la victime que du contexte dans lequel les attouchements allégués se seraient produits ; que ces faits constituent de graves manquements de l'employeur, d'autant qu'ils ont conduit à un arrêt de travail continu de l'appelant jusqu'à son licenciement motivé par son inaptitude définitive ; qu'ils justifient la résiliation du contrat de travail prenant effet à la date du licenciement soit au 30 janvier 2018 ;

Attendu en application des articles L1134-1 et L1154-1 du code du travail que l'appelant ne présente aucun élément de fait susceptible de faire présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte ou d'un harcèlement moral ; que s'agissant de la violation alléguée des dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail, il ne fournit aucune précision sur les mesures que l'employeur n'aurait pas mises en 'uvre ; qu'au demeurant aucune demande de ce chef n'est mentionnée dans le dispositif de ses conclusions ; que pour justifier l'exécution déloyale du contrat de travail, il ne se fonde pas sur des éléments de fait distincts de ceux sur lesquels repose la demande de résiliation du contrat ; qu'enfin la demande du chef de violation de l'obligation de formation est liée à l'obligation de reclassement, dont il n'y pas lieu de rechercher si l'employeur s'en est acquitté, la reconnaissance de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement ne reposant pas sur le non-respect de cette dernière obligation ;

Attendu en application de l'article 2.12 de la convention collective qu'il convient d'évaluer l'indemnité compensatrice de préavis due à la somme de 4108,62 euros ; qu'il n'y a pas lieu l'allouer à l'appelant une indemnité de licenciement, celle-ci lui ayant déjà été versée ;

Attendu que les dispositions de l'article L1235-3 du code du travail sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT ; que par ailleurs, les dispositions de la Charte sociale européenne n'étant pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l'invocation de son article 24 ne peut conduire à écarter l'application des dispositions précitées ;

Attendu en application de l'article L1235-3 du code du travail que l'appelant était âgé de 57 ans et jouissait d'une ancienneté de moins de vingt-cinq années à la date de son licenciement, compte tenu de la période de suspension du contrat de travail conformément à l'article 1.13 b de la convention collective ; qu'il n'a plus retrouvé d'emploi ; que du fait de son âge, des perspectives d'embauche sont illusoires ; qu'en conséquence, il convient d'évaluer le préjudice subi à la somme de 35950 euros ;

Attendu qu'il ne serait pas équitable de laisser à la charge de l'appelant les frais qu'il a dû exposer tant devant le Conseil de Prud'hommes qu'en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu'il convient de lui allouer une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

 

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

INFIRME le jugement déféré,

 

ET STATUANT A NOUVEAU,

PRONONCE la résiliation du contrat de travail à la date du 30 janvier 2018,

DIT que la résiliation du contrat produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

 

CONDAMNE la société SONADIA à verser à [J] [L]

- 4 108,62 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 35 950 euros à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

DÉBOUTE [J] [L] du surplus de sa demande,

CONDAMNE la société SONADIA à verser à [J] [L] 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

LA CONDAMNE aux dépens.

LE GREFFIER

S. STIEVENARD

LE PRÉSIDENT

P. LABREGERE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale e salle 4
Numéro d'arrêt : 21/00941
Date de la décision : 31/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-31;21.00941 ?
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