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31/03/2023 | FRANCE | N°21/00357

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale a salle 2, 31 mars 2023, 21/00357


ARRÊT DU

31 Mars 2023







N° 445/23



N° RG 21/00357 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TPLH



FB/AL

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BETHUNE

en date du

05 Février 2021

(RG F 19/00288 -section )






































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GROSSE :



aux avocats



le 31 Mars 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



Mme [B] [G]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Didier DARRAS, avocat au barreau de BETHUNE





INTIMÉE :



S.A.S. SERGIC

[Adresse 2]

[Localité 1]

représ...

ARRÊT DU

31 Mars 2023

N° 445/23

N° RG 21/00357 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TPLH

FB/AL

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BETHUNE

en date du

05 Février 2021

(RG F 19/00288 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 31 Mars 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme [B] [G]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Didier DARRAS, avocat au barreau de BETHUNE

INTIMÉE :

S.A.S. SERGIC

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI assisté de Me Marion HUERTAS, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l'audience publique du 14 Février 2023

Tenue par Frédéric BURNIER

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Annie LESIEUR

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Olivier BECUWE

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Frédéric BURNIER

: CONSEILLER

Isabelle FACON

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 31 Mars 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Séverine STIEVENARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 24 Janvier 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [B] [G] a été engagée par la société Sergic, pour une durée indéterminée à compter du 21 mars 2016, en qualité de chargée d'affaire avec le statut de VRP.

Madame [B] [G] a été placée en arrêt de travail à compter du 13 juin 2017.

Le 18 décembre 2018, le médecin du travail a délivré un avis d'inaptitude à tout poste dans l'entreprise.

Par lettre du 10 janvier 2019, Madame [G] a été convoquée pour le 22 janvier suivant, à un entretien préalable à son licenciement.

Par lettre du 25 janvier 2019, la société Sergic a notifié à Madame [G] son licenciement pour inaptitude.

Le 28 octobre 2019, Madame [B] [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Béthune et formé des demandes afférentes à un licenciement nul, ainsi qu'à l'exécution de son contrat de travail.

Par jugement du 5 février 2021, le conseil de prud'hommes de Béthune a débouté Madame [B] [G] de ses demandes et l'a condamnée au paiement d'une indemnité de 500 euros pour frais de procédure ainsi qu'aux dépens.

Madame [G] a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 5 mars 2021, en visant expressément les dispositions critiquées.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er juin 2021, Madame [G] demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant de nouveau, de:

- dire qu'elle a été victime d'un harcèlement moral et de manquements de l'employeur à son obligation de sécurité;

- dire le licenciement nul, ou, à tout le moins, sans cause réelle et sérieuse;

- condamner la société Sergic à lui verser les sommes de:

- 19 518,48 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

- 3 253,08 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis;

- 325,30 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente;

- 8 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral;

- 1 752,66 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement;

- 19 518,48 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité;

- 2 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile;

- ordonner la remise d'une attestation destinée à Pôle emploi et d'un bulletin de salaire rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour de retard au delà d'un délai de 8 jours à compter de la notification de la décision à intervenir.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 25 août 2021, la société Sergic demande la confirmation du jugement.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 janvier 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'allégation de harcèlement

Aux termes de l'article L.1152-1 du même code, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Conformément aux dispositions de l'article L.1154-1 du même code, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il juge utiles.

En l'espèce, Madame [G] soutient que l'attitude dénigrante d'une collègue de travail, Madame [Y], a dégradé ses conditions de travail et altéré son état de santé.

Dans ses écritures, Madame [G] évoque principalement le comportement général de Madame [Y] dans sa relation avec ses collègues de travail et ses clients sans décrire, de manière précise et circonstanciée, des agissements l'ayant personnellement concernée. Elle se borne à se référer aux documents qu'elle verse au dossier.

L'attestation de Monsieur [K], client de l'agence, qui évoque ses relations avec Madame [Y] lors de la mise en vente d'un bien, ne dit rien des agissements effectifs de cette dernière à l'encontre de Madame [G].

Madame [J], stagiaire, indique que Madame [Y] critiquait devant elle Madame [G], mais hors la présence de cette dernière. Cette déclaration rejoint celle de Madame [U], stagiaire, lorsqu'elle relève que Madame [Y] disait souvent que Madame [G] ne savait pas travailler, quand cette dernière n'était pas à l'agence.

Madame [J] fait également état d'une altercation entre les deux salariées au cours de laquelle Madame [Y] aurait insulté Madame [G]. Il se déduit toutefois des termes utilisés qu'elle n'en a pas été personnellement témoin. L'existence d'une altercation ressort également de l'attestation, produite pas l'employeur, de Madame [M], conseillère patrimoniale au sein de l'agence, qui évoque un différend au sujet de la gestion de leurs portefeuilles et qui précise qu'aucune insulte n'a été prononcée.

Madame [U] déclare avoir entendu Madame [Y] dire à Madame [G] : 'oui, tu es qu'une pute' tout en précisant que c'était en rigolant. Elle ajoute que Madame [Y] a rabaissé Madame [G] à plusieurs reprises, même devant des clients, sans pour autant présenter les situations visées ou préciser les paroles proférées.

Enfin, les documents médicaux ne sont pas de nature à établir la matérialité des faits évoqués par Madame [G] lors de consultations.

Eu égard à l'ensemble des éléments produits par l'appelante, la cour retient que Madame [G] n'établit pas la matérialité de faits précis et concordants l'ayant personnellement visée susceptibles de constituer des agissements répétés de harcèlement moral.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Madame [G] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Sur les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité

Selon l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés.

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par l'article L.4121-2 du même code.

En l'espèce, Madame [G] a été placée en arrêt de travail par son médecin traitant à compter du 13 juin 2017, après que le médecin du travail a déclaré son état de santé incompatible avec le travail le 12 juin 2017.

Il ressort des divers documents médicaux versés au dossier par Madame [G] que celle-ci a présenté un syndrome dépressif réactionnel en lien, au moins pour partie, avec une situation de souffrance au travail, dans un contexte d'état de santé fragilisé, tant sur le plan physique (développement d'une fibromyalgie, possiblement d'ordre psychosomatique) que psychologique (antécédent d'un précédent burn-out survenu en 2010, blessures répétitives depuis l'enfance).

Madame [G] a exprimé aux différents médecins qu'elle a rencontrés, un sentiment massif d'avoir été dénigrée par sa collègue, de ne pas avoir été soutenue par sa hiérarchie, de ne pas avoir été reconnue dans son investissement professionnel.

Si en l'absence de faits suffisamment précis et concordants matériellement établis, aucun harcèlement moral ne peut être caractérisé au sens de l'article L.1152-1 du code du travail, il ressort nettement des attestations fournies, tant par l'appelante que par l'intimée, qu'il existait un climat de tension et de rivalité entre Mesdames [Y] et [G].

Cette situation a manifestement engendré un sentiment de souffrance au travail.

La société Sergic ne justifie pas avoir procédé à la moindre évaluation des risques professionnels. Elle ne s'est pas dotée des moyens de percevoir et prévenir le développement de la situation de souffrance au travail vécue par Madame [G].

Surtout, il est admis par les parties qu'une altercation est survenue entre les deux salariées au sein de l'agence. S'il ressort des attestations de Mesdames [Y] et [M] que le responsable de l'agence est intervenu pour apaiser les tensions, sans autre précision. La société Sergic ne démontre pas avoir réagi suite à cette alerte et avoir pris la moindre mesure effective pour garantir durablement un climat de travail serein.

Il s'ensuit que l'employeur ne démontre pas avoir pris toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé mentale de Madame [G].

La cour retient que ce manquement de l'employeur à son obligation de sécurité a, pour partie, contribué à altérer l'état de santé de la salariée.

Par infirmation du jugement déféré, il sera alloué à Madame [G] la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice résultant de ce manquement.

Sur le licenciement

Madame [G] n'a pas repris son activité professionnelle suite à l'arrêt de travail prononcé le 13 juin 2017.

Il ressort des documents médicaux versés au dossier, et notamment de la fiche de suivi renseignée par le médecin du travail, que l'avis d'inaptitude délivré le 18 décembre 2018 s'inscrit dans la continuité de cet arrêt de travail prolongé pour état dépressif résultant, au moins pour partie, d'une situation de souffrance au travail.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'inaptitude totale et définitive à tout poste dans l'entreprise, prononcée à l'issue d'un seul examen, avec dispense de l'obligation de reclassement au motif, notamment, que tout maintien de la salariée dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, trouve son origine, au moins pour partie, dans la situation de souffrance au travail vécue par Madame [G].

En l'absence de caractérisation d'un harcèlement moral, le licenciement pour inaptitude ne saurait être déclaré nul en application des dispositions des articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail.

En revanche, cette situation de souffrance au travail a pu se développer, au point de conduire à l'inaptitude de la salariée, en raison de manquements de l'employeur à son obligation de sécurité.

Dès lors, l'inaptitude s'avérant consécutive à un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, le licenciement se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En revanche, Madame [G] ne peut prétendre au bénéfice des règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle dans la mesure où il n'est pas démontré que l'employeur avait connaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude au moment du licenciement. En effet, Madame [G] n'a jamais signalé sa situation de souffrance au travail à son employeur. Il n'est pas établi de lien de causalité entre l'altercation susvisée (dont la date n'est pas déterminée) et l'arrêt de travail à compter du 13 juin 2017. Madame [G] ne démontre pas qu'elle a évoqué ce lien au cours de l'entretien préalable qui s'est tenu le 22 janvier 2019.

En conséquence, Madame [G] sera déboutée de sa demande d'indemnité spéciale de licenciement sur le fondement de l'article L.1226-14 du code du travail.

Lorsque le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, le salarié peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis.

Par infirmation du jugement déféré, il sera donc alloué à Madame [G] la somme de

3 253,08 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 325,30 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente (l'employeur n'ayant pas connaisance de l'origine professionnelle de l'inaptitude).

Au moment du licenciement Madame [G] était âgée 46 ans et comptait une ancienneté de deux années complètes. Elle ne présente aucun élément concernant sa situation professionnelle suite à ce licenciement.

En l'absence de lien avec une situation de harcèlement moral, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L.1235-3-1 du code du travail.

Conformément à l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, eu égard à la situation de Madame [G], du montant de sa rémunération et de sa capacité à trouver un nouvel emploi, il convient d'évaluer son préjudice à 4 000 euros.

Enfin, sur le fondement de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l'employeur à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de trois mois.

Sur les autres demandes

Il convient d'ordonner la remise d'un bulletin de salaire rectificatif et d'une attestation destinée à Pôle emploi, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans que le prononcé d'une astreinte apparaisse nécessaire.

Compte tenu de la solution apportée au litige, il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Madame [G] au paiement d'une indemnité de 500 euros pour frais de procédure ainsi qu'aux dépens.

Sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient de condamner la société Sergic à payer à Madame [G] une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'elle a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu'il y a lieu de fixer à 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Madame [B] [G] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de sa demande d'indemnité spéciale de licenciement,

Infirme le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant :

Dit le licenciement de Madame [B] [G] sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la SAS Sergic à payer à Madame [B] [G] les sommes suivantes :

- 2 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité,

- 3 253,08 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 325,30 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente,

- 4 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Ordonne à la SAS Sergic la remise d'un bulletin de salaire rectificatif et d'une attestation destinée à Pôle emploi, conformes aux dispositions du présent arrêt, dans un délai de 30 jours à compter de sa notification,

Condamne la SAS Sergic à payer à Madame [B] [G] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne le remboursement par la SAS Sergic des indemnités de chômage versées à Madame [B] [G] dans la limite de trois mois d'indemnités,

Rappelle qu'une copie du présent arrêt est adressée par le greffe à Pôle emploi,

Condamne la SAS Sergic aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER

Séverine STIEVENARD

LE PRESIDENT

Olivier BECUWE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale a salle 2
Numéro d'arrêt : 21/00357
Date de la décision : 31/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-31;21.00357 ?
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