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31/03/2023 | FRANCE | N°20/01435

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale c salle 3, 31 mars 2023, 20/01435


ARRÊT DU

31 Mars 2023







N° 549/23



N° RG 20/01435 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TCA7



GG/VM





























Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCIENNES

en date du

18 Mai 2020

(RG 18/00369 -section 2)



































GROSSE :



Aux av

ocats



le 31 Mars 2023



République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [Y] [T]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Manuel DE ABREU, avocat au barreau de VALENCIENNES substitué par Me Geoffrey BAJARD, avocat au barreau de VALENCIENNES





INT...

ARRÊT DU

31 Mars 2023

N° 549/23

N° RG 20/01435 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TCA7

GG/VM

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCIENNES

en date du

18 Mai 2020

(RG 18/00369 -section 2)

GROSSE :

Aux avocats

le 31 Mars 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [Y] [T]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Manuel DE ABREU, avocat au barreau de VALENCIENNES substitué par Me Geoffrey BAJARD, avocat au barreau de VALENCIENNES

INTIMÉE :

S.A.S. COMPASS GROUP FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Loïc LE ROY, avocat au barreau de DOUAI, et assistée de Me Hugues PELISSIER, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Soleine HUNTER-FALCK

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

[M] [J]

: CONSEILLER

Le prononcé de l'arrêt a été prorogé du 17 février 2023 au 31 mars 2023 pour plus ample délibéré

GREFFIER lors des débats : Serge LAWECKI

DÉBATS : à l'audience publique du 14 Décembre 2022

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 31 Mars 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC, Conseiller et par Séverine STIEVENARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 21 Novembre 2022

EXPOSE DU LITIGE

La SAS COMPASS GROUP FRANCE, issue de la fusion des sociétés EUREST, MEDIREST et SCOLAREST, développe une activité de restauration collective. Elle comprend plus de 10 salariés et applique la convention collective des entreprises de restauration de collectivités.

Elle a engagé M. [Y] [T] par contrat à durée indéterminée du 01/02/2017 en qualité de cuisinier, statut employé, échelon IV, au foyer [6] à [Localité 5], foyer de service et d'hébergement pour personnes handicapées.

La moyenne des salaires de M. [Y] [T] s'établit 1.761,33 €

Par lettre du 04/09/2018, M. [T] a été convoqué à un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu'au licenciement fixé au 17/09/2018, qui ne s'est pas tenu un nouvel entretien ayant été fixé au 27/09/2018 par lettre du 20/09/2018.

L'employeur a notifié par lettre du 17/10/2018 le licenciement pour faute grave de M. [T] aux motifs qui suivent :

«'['] Cet entretien était destiné à entendre vos explications quant aux faits qui vous sont reprochés à savoir, l'exécution de vos tâches culinaires, les problèmes liés à l'hygiène ainsi que votre comportement vis-à-vis de votre gérant.

1) L'exécution de vos tâches culinaires : nous avons été à plusieurs reprises, alertés quant à votre attitude irrespectueuse ainsi que pour l'insatisfaction grandissante de votre prestation.

Il ressort de nos échanges avec le client les dires suivants: « sa cuisine n'était pas bonne », « cuisine réalisée sans goût, pas d'assaisonnement, aucun plaisir dans sa cuisine », «les quantités sont insuffisantes, il manque des portions de fromages, pas assez de légumes ou de boulettes...certains résidents et professionnels n'ont pas eu à manger! » « Pizzas trop cuites donc impossible de couper et de manger » « certains jours, il n'y a pas de prévu de dessert prévu pour les bien-être et pas de plat de substitution pour un résident atteint d'un cancer colorectal (en attente de chirurgie) qui a un régime spécifique ».

Cela impacte de facto le nombre de couverts qui est alors en baisse dès lors que vous cuisinez impactant de facto le chiffre d'affaire qui subit une perte de 1 5000 Euros.

Dans un souci d'amélioration de notre service et afin de trouver une solution pérenne à tous, Monsieur [F] [D] vous a informé de ces remontées négatives récurrentes en espérant que cela pourrait vous faire prendre conscience de la gravité de la situation.

Ne constatant aucune amélioration de votre part, Monsieur [F] [D] s'est déplacé à plusieurs reprises sur le site afin de vous accompagner dans l'amélioration de vos fonctions et comprendre ainsi les raisons pour lesquelles aucun changement notoire n'est constaté.

Force est de constater que malgré nos avertissements récurrents sur les conséquences de vos agissements, ainsi que la notification de la mise à pied, votre comportement néfaste à l'entreprise a perduré.

Nous ne pouvons plus tolérer un tel comportement de la part de l'un de nos collaborateurs et ce d'autant plus que cela impacte de facto la prestation que nous nous sommes engagés à fournir dans le cadre de notre relation commerciale avec notre client.

Cette attitude est d'autant plus préjudiciable à l'entreprise, que le client nous a expressément fait part de sa volonté de ne plus vouloir collaborer avec vous.

2)Les problématiques liées à l'hygiène : il a été constaté à plusieurs reprises que les repas sont cuisinés avec une production à J+3 légumes cuisinés sont surgelés!

Par ailleurs un audit a été réalisé en date du 15 juin 2018 au cours duquel un certain nombre de non-conformité a été constaté :

'Non-conformité des plats témoins,

'Non-respect des enregistrements des contrôles portant sur le refroidissement rapide,  

De manière générale, la cuisine n'est pas propre et la friteuse n'est pas lavée. Lorsqu'il vous a demandé de procéder au nettoyage vous avez adopté une attitude désinvolte en arguant « je ne suis pas le larbin ».

Il convient de vous rappeler que dans le cadre de votre activité, les convives sont des personnes vulnérables du fait de leurs problématiques liés à leur âge ainsi qu'à leur santé fragile.

Le respect des procédures liées à l'hygiène est donc primordial !

3)Votre attitude vis-à-vis de gérant : les clients ont été témoins du manque de respect que vous adoptez vis-à-vis de ce dernier dans la mesure où vous constatez de manière récurrente ces directives (sic).

Cette conduite est donc inacceptable et compromet gravement la bonne marche de l'entreprise.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise est donc impossible[...]'».

Estimant le licenciement nul en raison de faits de harcèlement moral, et subsidiairement dépourvu de cause réelle et sérieuse, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Valenciennes par requête du 06/12/2018 de diverses demandes indemnitaires concernant la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 18/05/2020, le conseil de prud'hommes a :

-dit le licenciement de M. [Y] [T] justifié pour faute grave,

-débouté M. [Y] [T] de l'intégralité de ses demandes,

-condamné M. [Y] [T] à payer à la SAS COMPASS GROUP FRANCE prise en la personne de son représentant légal la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-ordonné l'exécution provisoire en application de l'article 515 du code de procédure civile,

-condamné M. [Y] [T] aux dépens.

Par déclaration reçue le 08/07/2020 M. [T] a régulièrement interjeté appel de la décision précitée.

Selon ses conclusions reçues le 24/05/2022, M. [T] demande à la cour d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de VALENCIENNES en date du 18 mai 2020 en ce qu'il a :

-dit le licenciement justifié pour faute grave, l'a débouté de l'intégralité de ses demandes, l'a condamné à payer à la SAS COMPASS GROUPE France prise en la personne de son représentant légal, la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

Et statuant à nouveau,

A titre principal,

-annuler le licenciement,

En conséquence,

-condamner la société COMPASS GROUP France à lui verser les sommes suivantes :

-10.387,98 € à titre de dommages intérêts pour licenciement nul sur le fondement de l'article L.1235-3-1 du code du travail,

-1.731,33 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 173,13€ au titre des congés payés y afférents,

-757,45 € au titre de l'indemnité de licenciement,

-10.000 € au titre du préjudice moral distinct,

A titre subsidiaire,

-requalifier le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

-condamner la société COMPASS GROUP France à lui verser les sommes suivantes :

-6.059,65 € à titre de dommages intérêts pour licenciement nul sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail,

-1.731,33 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 173.13 € au titre des congés payés y afférents,

-757,45 € au titre de l'indemnité de licenciement,

-10.000 € au titre du préjudice moral distinct,

A titre infiniment subsidiaire,

-requalifier le licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

-condamner la société COMPASS GROUP France à lui verser les sommes suivantes :

-1.731,33 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 173.13 € au titre des congés payés y afférents,

-757,45 € au titre de l'indemnité de licenciement,

-10.000 € au titre du préjudice moral distinct,

En tout état de cause,

-ordonner à la société COMPASS GROUP France la délivrance des documents de sortie rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard et par document et ce à compter du 10ème jour suivant la signification à partie de l'arrêt à entreprendre,

-débouter purement et simplement la société COMPASS GROUP France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

-La condamner à lui verser la somme de 2.500 € à titre d'indemnité procédurale sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.

Selon ses conclusions reçues le 07/01/2021, la société COMPASS GROUP FRANCE demande à la cour de :

-confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de VALENCIENNES du 18 mai 2020 en ce qu'il a dit le licenciement de M. [T] justifié pour faute grave, l'a débouté de l'intégralité de ses demandes, l'a condamné à lui payer la société COMPASS GROUP FRANCE la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, a ordonné l'exécution provisoire du présent jugement en application des dispositions de l'article 515 du conseil de prud'hommes,

En conséquence :

-Sur le prétendu harcèlement moral :

Juger que M. [Y] [T] ne rapporte pas la preuve d'éléments laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre,

Par conséquent, débouter M. [Y] [T] de l'ensemble de ses demandes à ce titre,

-Sur le licenciement :

Juger l'absence de nullité du licenciement de M. [Y] [T],

Juger que le licenciement de M. [Y] [T] pour faute grave est parfaitement fondé et justifié,

Par conséquent, débouter M. [Y] [T] de l'ensemble de ses demandes à ce titre,

-Sur le prétendu préjudice distinct :

Juger que M. [Y] [T] ne rapporte pas la preuve d'un quelconque préjudice distinct,

Par conséquent, débouter M. [Y] [T] de l'ensemble de ses demandes à ce titre,

-Sur les documents de fin de contrat :

Juger que M. [Y] [T] a été rempli de l'intégralité de ses droits,

Juger que M. [Y] [T] ne rapporte pas la preuve d'un quelconque préjudice à ce titre,

Par conséquent, débouter M. [Y] [T] de l'ensemble de ses demandes à ce titre,

En tout état de cause :

-Débouter M. [Y] [T] de l'ensemble de ses demandes,

-Condamner Monsieur [Y] [T] à verser à la société COMPASS GROUP FRANCE la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

-Condamner M. [Y] [T] aux entiers dépens de l'instance.

La clôture de la procédure résulte d'une ordonnance du 21/11/2022.

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère en vertu de l'article 455 du code de procédure civile aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l'audience de plaidoirie.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur la demande de nullité du licenciement

L'appelant fait valoir que le licenciement est intervenu dans un contexte particulier, à la suite de propos critiquant la gestion des stocks des cuisines et avisant de la mise en danger potentiel des résidents, que la hiérarchie lui imposait une gestion des stocks avec des produits périmés dans un objectif de rentabilité, qu'il a dénoncé auprès du client les carences de la société, que M. [Z] le plaçait dans une situation dans laquelle il ne pouvait travailler de façon sereine.

L'intimée réplique que le licenciement n'est pas intervenu parce que le salarié aurait subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral, ou encore pour les avoir relatés, qu'il n'est produit aucun élément pouvant mettre en cause M. [Z].

Sur quoi, M. [T] invoque non des faits de harcèlement moral, mais les dispositions de l'article L1132-3-3 du code du travail dans leur rédaction antérieure à la loi du 21/03/2022, dispositions afférentes à la protection du lanceur d'alerte.

L'article L1132-3-3 du code du travail dispose qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

En cas de litige relatif à l'application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, M. [T] se réfère au courrier de transmission de la directrice évoquant des «'accusations graves d'utilisation de produits périmés pour cuisiner les plats servis'», la photographie du 05/07/2018 de yaourt périmés, du 01/04/2018 de quenelles périmées, outre deux photographies d'assiettes et leurs plats.

Toutefois, les éléments versés ne constituent pas des éléments de fait permettant de présumer que M. [T] a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou des dispositions de la loi du 9 décembre 2016. Outre que M. [T] ne précise pas quel crime ou délit aurait été mis en lumière par ses déclarations, rien ne démontre que les photographies produites se rapportent à son emploi, et rien ne permet d'en identifier la provenance. La demande d'annulation du licenciement est rejetée, ainsi que les demandes afférentes, et le jugement est confirmé.

Sur la contestation du licenciement

L'appelant fait valoir que le grief tenant à la mauvaise exécution des tâches culinaires relève de l'insuffisance professionnelle, qu'il n'a jamais été sanctionné ni averti, qu'aucun élément ne démontre la réalité d'un entretien avec M. [D] le 31/05/2018, l'attestation de ce dernier n'étant pas probante, pas plus que le courriel de Mme [G], le courriel de transmission ayant été modifié, qu'il ne disposait pas des moyens et fournitures nécessaires pour produire la prestation de qualité à laquelle devaient pouvoir prétendre les résidents, que s'agissant de l'hygiène les courriels du 31/08/2018 ne sont pas étayés, que l'audit du 15/06/2018 n'est pas versé aux débats, le grief tenant à son comportement à l'égard du gérant n'étant pas établi.

L'intimée réplique que le chef de secteur est intervenu à plusieurs reprises auprès du salarié, la situation ne s'étant pas améliorée, que les griefs sont démontrés notamment par le courriel de Mme [G] directrice du foyer, que le salarié était responsable de la qualité de la prestation culinaire, que plusieurs manquements aux règles d'hygiène ont été constatés, qu'il ne s'est pas présenté aux formations obligatoires, que le chef gérant M. [Z] a été dénigré.

Sur ce, l'article L.1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave privative du préavis prévu à l'article L.1234-1 du même code résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l'employeur.

Il appartient à ce dernier de rapporter la preuve de l'existence d'une faute grave, à défaut de quoi le juge doit rechercher si les faits reprochés sont constitutifs d'une faute pouvant elle-même constituer une cause réelle et sérieuse.

Il convient de revenir sur chacun des griefs mentionnés à la lettre du 17/10/2018, en l'espèce une mauvaise exécution des tâches culinaires, des problématiques liées à l'hygiène, une attitude irrespectueuse à l'égard du gérant.

Pour preuve de la faute grave, la société COMPASS GROUPE FRANCE produit notamment les éléments qui suivent :

-la définition conventionnelle de l'emploi de cuisinier,

-un courriel du 21/08/2018 de Mme [E] [G] à M. [F] [D] faisant suite à un entretien du 08/08, et son compte-rendu,

-une attestation de M. [D],

-deux courriels du 31/08/2018 adressés à M. [D].

L'employeur se fonde principalement sur le compte-rendu d'entretien transmis à M. [D] par la directrice de l'établissement. Il en ressort qu'elle a été interpellée par plusieurs salariés en raison du comportement de M. [T], qui a pris l'habitude de dénigrer le gérant (M. [Z]), puis a remis en cause la qualité des produits, «'proférant des accusations graves d'utilisation de produits périmés'». Elle indique avoir «'réactivé le cahier commission menu'» dont elle retrace quelques mentions (entre autres exemples : 10/06 «'la pizza était infecte'» ; 26/07 : «'des professionnels et résidents n'ont pas eu à manger'» ; 28/07 : menu catastrophique : pommes de terre trempent dans le gras'»). Elle précise que chaque vendredi «'est un jour sans', tant la prestation est médiocre'», et exprime sa satisfaction en revanche quant au travail de «'M. [B]'». Le cahier transcrivant les doléances des pensionnaires et professionnels du foyer n'est certes pas transmis mais le compte-rendu de Mme [G] est suffisamment précis pour établir le premier grief. De plus, le courriel de M. [D] transmettant le compte-rendu le 26/03/2019 à Mme [C] est assorti d'une pièce jointe nommée «'version définitive courrier Medirest'», ce qui n'est toutefois pas de nature à faire naître un doute sur la sincérité du courriel de Mme [G]. En outre ce document est corroboré par l'attestation de M. [D], examinée avec circonspection compte-tenu du lien de subordination, dont il ressort qu'il lui a fait part de son insatisfaction relativement à la qualité de la cuisine du salarié. Le premier grief est donc établi.

S'agissant de la problématique liée à l'hygiène, l'attestation de M. [D] relève que les équipements étaient sales «'à chaque retour de congé du gérant'», ainsi qu'un non-respect des règles d'hygiène (production à J+3), ce qui apparaît dans un des commentaires du document de Mme [G] (le 21/07). Le grief est donc établi.

S'agissant du dénigrement de M. [Z], le compte-rendu de Mme [G] est insuffisamment précis. Il s'évince de l'attestation de M. [D] que M. [T] a évoqué subir un harcèlement moral de la part de M. [Z], ce qui peut laisser entendre l'existence d'un conflit entre les protagonistes. Enfin, l'expéditeur des courriels du 31/08/2018 adressés à M. [D], et attribués à M. [Z], n'est pas connu, les messages n'étant pas signés. Le dernier grief n'est pas établi.

En conséquence, deux griefs sont établis, et constituent des manquements du salarié à ses obligations contractuelles, ne relevant pas d'une insuffisance professionnelle, comme le soutient l'appelant. Toutefois, il n'est pas justifié, contrairement à ce qui est affirmé par l'employeur que le salarié a refusé de suivre deux formations hygiène/HACCP, les convocations à ces actions de formation n'étant pas produites. En outre, les rappels à l'ordre invoqués par M. [D] sont restés verbaux, nul rappel l'ordre écrit n'ayant été adressé au salarié. Il s'ensuit que la faute est établie mais ne rendait pas impossible la poursuite du contrat de travail pendant le temps du préavis. En conséquence, le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse. Le jugement est infirmé.

Sur les conséquences indemnitaires du licenciement

L'indemnité compensatrice de préavis s'établit à la somme de 1.731,33 €, outre 173,33 € de congés payés afférents.

L'indemnité de licenciement s'établit à 757,45 €, le calcul du salarié n'apparaissant pas critiquable.

La SAS COMPASS GROUP FRANCE sera condamnée au paiement de ces sommes.

Il n'est pas justifié d'un préjudice distinct de celui lié à la perte de l'emploi, l'appelant ne démontrant pas les circonstances vexatoires qu'il allègue. Le jugement est confirmé.

Sur les autres demandes.

Il sera enjoint à la SAS COMPASS GROUP FRANCE de remettre à M. [Y] [T] une attestation Pôle emploi conforme au présent arrêt, sans astreinte.

Les dispositions de première instance étant infirmées, la SAS COMPASS GROUP FRANCE supporte les dépens de première instance et d'appel.

L'équité conduit à allouer à M. [T] pour ses frais irrépétibles une indemnité de 1.500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, les dispositions de première instance étant infirmées.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a dit le licenciement justifié pour faute grave et en ses dispositions concernant les dépens et frais irrépétibles,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, mais écarte la faute grave,

Condamne la SAS COMPASS GROUP FRANCE à payer à M. [Y] [T] les sommes qui suivent :

-1.731,33 € d'indemnité compensatrice de préavis, outre 173,33 € de congés payés afférents,

-757,45 € d'indemnité de licenciement,

-1.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Enjoint à la SAS COMPASS GROUP FRANCE de remettre à M. [Y] [T] une attestation Pôle emploi conforme au présent arrêt,

Dit n'y avoir lieu à astreinte,

Condamne la SAS COMPASS GROUP FRANCE aux dépens de première instance et d'appel,

LE GREFFIER

Séverine STIEVENARD

POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ

Muriel LE BELLEC, Conseiller


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale c salle 3
Numéro d'arrêt : 20/01435
Date de la décision : 31/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-31;20.01435 ?
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