ARRÊT DU
31 Mars 2023
N° 481/23
N° RG 19/01705 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SQFL
FB/NB
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LENS
en date du
01 Juillet 2019
(RG F 18/00234)
GROSSE :
aux avocats
le 31 Mars 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
S.A.S. MAZET MESSAGERIE
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Pierre-yves FORSTER, avocat au barreau de VALENCE substitué par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI
INTIMÉ :
M. [O] [J]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par M. [B] [E] (Défenseur syndical)
DÉBATS : à l'audience publique du 22 Mars 2022
Tenue par Frédéric BURNIER
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Cindy LEPERRE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Stéphane MEYER
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Béatrice REGNIER
: CONSEILLER
Frédéric BURNIER
: CONSEILLER
Le prononcé de l'arrêt a été prorogé du 24 juin 2022 au 31 mars 2023 pour plus ample délibéré.
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 31 Mars 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Frédéric BURNIER, conseiller et par Séverine STIEVENARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 21 décembre 2021
EXPOSÉ DU LITIGE
Par contrat de travail à durée déterminée du 26 mars 1998 devenu à durée indéterminée, la société Mazet Lille a engagé Monsieur [O] [J], en qualité de chauffeur livreur.
Suivant avenant du 1er avril 2000, ses missions sont devenues celles d'un chauffeur routier.
Par contrat de travail à durée indéterminée du 1er avril 2014, la société Mazet Messagerie, établissement de [Localité 6], a repris son contrat de travail et l'a engagé en qualité de conducteur poids lourd.
Son salaire mensuel brut s'élevait en dernier lieu à la somme de 1883,30 euros.
La relation de travail était régie par la convention collective du transport routier.
Par lettre du 23 avril 2018, la société Mazet Messagerie a notifié à Monsieur [O] [J] son licenciement pour inaptitude.
Monsieur [O] [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Lens et formé des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'à l'exécution de son contrat de travail.
Par jugement du 1er juillet 2019, le conseil de prud'hommes de Lens a qualifié l'inaptitude de Monsieur [O] [J] comme étant d'origine non professionnelle, a jugé que son licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse et a condamné la société à lui payer différentes sommes à titre indemnitaire, outre les dépens.
La société Mazet Messagerie a fait appel de ce jugement par déclaration du 29 juillet 2019, en visant expressément les dispositions critiquées.
Aux termes de ses dernières conclusions, la société Mazet Messagerie demande la confirmation du jugement, en ce qu'il a considéré que l'inaptitude de Monsieur [O] [J] était d'origine non professionnelle et l'infirmation du jugement, s'agissant de la contestation du licenciement. Elle sollicite la condamnation de ce dernier à lui verser une indemnité pour frais de procédure de 3000 euros, outre la charge des dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions, Monsieur [O] [J], qui a formé appel incident, demande la confirmation du jugement sur le principe du licenciement, tandis qu'il réclame son infirmation sur l'origine de l'inaptitude, le montant des dommages et intérêts alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et le débouté des sommes demandées au titre de l'indemnité de licenciement. Il présente également une demande de réparation de l'exécution déloyale du contrat, non réclamée en première instance.
Il sollicite ainsi la condamnation de la société Mazet Messagerie à lui payer les sommes de :
- 37 660,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse;
- 5 649,90 euros à titre de préavis, outre 564,95 euros au titre des congés payés afférents;
- 13 144,02 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement;
- 8 000,00 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail;
- 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est référé aux conclusions des parties pour l'exposé de leurs moyens, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'origine de l'inaptitude
Les règles spécifiques applicables aux salariés inaptes, victimes d'accident du travail ou de maladie professionnelle, résultant des articles L1226-10, L1226-11 et L1226-12 du code du travail s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur a connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
En l'espèce, l'avis d'inaptitude du 15 février 2018 n'apporte aucune indication sur les pathologies ou lésions imposant un 'reclassement définitif à un poste sans manutention manuelle, sans tirage de palette, sans montée/descente fréquente du véhicule'.
Toutefois, cet avis d'inaptitude intervient au terme d'une suspension du contrat de travail qui a débuté après un accident du travail survenu le 26 décembre 2016.
Le certificat médical initial, qui a placé Monsieur [O] [J] en arrêt de travail le 26 décembre 2016, porte mention de lésions au genou gauche et au genou droit.
L'employeur a restreint la déclaration d'accident du travail à la lésion affectant le genou droit.
Cet accident du travail a été reconnu par la CPAM, qui a fixé la consolidation de cette lésion du genou droit à la date du 22 octobre 2017.
L'employeur n'ignore pas que cette consolidation ne s'est pas traduite par un rétablissement total. En effet, le salarié a conservé des séquelles qui ont entraîné une incapacité permanente, dont le taux a été fixé à 3% par décision de la CPAM du 26 décembre 2017.
Du 22 octobre au 31 décembre 2017, l'arrêt de travail s'est poursuivi, malgré la consolidation des lésions du genou droit, en raison des soins post-opératoires consécutifs à une intervention chirurgicale sur le genou gauche, le 13 septembre 2017.
Enfin, dans le cadre de la demande d'indemnité temporaire d'inaptitude, le médecin du travail a indiqué que son avis d'inaptitude était susceptible d'être en lien avec l'accident du travail du 26 décembre 2016.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'inaptitude de Monsieur [O] [J] a pour origine, au moins partiellement, l'accident du travail du 26 décembre 2016.
L'employeur, informé que le salarié conservait des séquelles résultant des lésions occasionnées par cet accident du travail, justifiant un taux d'incapacité permanente de 3%, l'employeur avait connaissance, au moment du licenciement, de cette origine professionnelle, au moins partielle.
La cour retient donc que Monsieur [O] [J] peut prétendre aux dispositions spécifiques en faveur des victimes d'accident du travail ou de maladie professionnelle.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la régularité de la procédure de reclassement
L'article L1226-10 du code du travail dispose que :
' Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.'
Monsieur [O] [J] reproche notamment à son employeur de ne pas avoir consulté l'ensemble des délégués du personnel de la société qui compterait plus de 300 salariés.
Il est ainsi établi que la société Mazet Messagerie a convoqué un délégué du personnel aux fins de consultation sur la recherche de reclassement de Monsieur [O] [J] et que celui-ci a donné un avis favorable aux trois propositions qui ont été faites à l'intéressé pour 3 postes situés à [Localité 5].
Pour autant, comme l'indique justement la société Mazet Messagerie, la Cour de cassation, dans une époque antérieure au comité économique et social, a jugé que les délégués du personnel devant être consulté sont ceux de l'établissement dans lequel le salarié exerçait. (Soc 13 novembre 2008, n° 07-41512).
Pour autant, la charge de la preuve de la régularité de la formalité substantielle de cette consultation pèse sur l'employeur.
Or, la société Mazet Messagerie procède par voie d'affirmation lorsqu'elle soutient que l'établissement pour lequel travaillait Monsieur [O] [J] n'avait qu'un seul délégué du personnel. Alors que les premiers juges ont retenu que l'employeur ne justifiait pas de la consultation de tous les délégués du personnel présents, l'appelante ne produit toujours pas, en cause d'appel, le procès-verbal des élections ou à tout le moins un justificatif du nombre d'employés de l'établissement.
En conséquence, la société Mazet Messagerie échoue à démontrer qu'elle a respecté la procédure de recherche de reclassement.
Partant, le licenciement de Monsieur [O] [J] est privé de cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences indemnitaires
La cour retient que le salaire brut moyen de 1883.30 euros n'est pas contesté.
Sur l'indemnité spécifique du licenciement abusif en cas d'inaptitude professionnelle
En application des articles L 1226-15, L 1235-3 et L1235-3-1 du code du travail, le juge octroie au salarié, en cas de licenciement prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié inapte, une indemnité spécifique, attribuée sans condition d'ancienneté, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois et destinée à réparer le préjudice de la perte d'emploi.
Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats, compte tenu de l'ancienneté de Monsieur [O] [J], de son salaire, de son âge, de son niveau de qualification et de sa situation personnelle que l'indemnité spécifique à même de réparer, de façon adéquate, son préjudice de perte d'emploi doit être fixée à 30 000 euros.
Le jugement sera infirmé.
Sur l'indemnité spéciale de licenciement pour inaptitude professionnelle
En application des articles L 1226-14 et L1226-15 du code du travail, le salarié a également droit à une indemnité spéciale de licenciement égale au double de l'indemnité légale de licenciement, sauf dispositions conventionnelles plus favorables.
Il résulte du solde de tout compte que Monsieur [O] [J] a perçu une indemnité légale de licenciement de 13 114.02 euros, dont le montant n'est pas contesté.
Il sollicite à raison le doublement de cette indemnité et la société sera condamnée à lui payer la somme de 13 114.02 euros.
Le jugement sera infirmé.
Sur l'indemnité compensatrice de préavis
En application des articles L 1226-14, L 1226-15 et L 1234-5 du code du travail, le salarié qui dispose d'une ancienneté d'au moins deux années, a droit à une indemnité compensatrice de préavis, correspondant à deux mois de salaire.
En raison de la nature indemnitaire de cette somme, la Cour de cassation a jugé que le salarié ne pouvait prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés sur préavis (Soc 23 novembre 2016, n° 15-21.470).
Enfin, contrairement à ce que prétend Monsieur [O] [J], la Cour de cassation a jugé que l'article L 5213-9 du code du travail, qui a pour but de doubler la durée du délai-congé en faveur des salariés handicapés, n'est pas applicable à l'indemnité compensatrice de préavis (Soc 10 mars 2009, n° 08-42.249)
Il résulte de ce qui précède que Monsieur [O] [J] a droit à une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 3 766.60 euros.
Le jugement sera infirmé.
Conformément aux dispositions de l'article 1231-7 code civil, les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur la demande d'indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail
Monsieur [O] [J] semble viser différents fondements juridiques que sont le harcèlement moral, l'obligation de sécurité de l'employeur et la protection du salarié handicapé pour demander réparation du fait qu'en tant que salarié handicapé, il n'aurait bénéficié d'aucun aménagement de poste et serait devenu inapte à la suite d'une chute sur les genoux de la faute de son employeur.
Il produit les reconnaissances de travailleur handicapé valables pour les périodes allant du 16 janvier 1997 au 16 janvier 2002 pour un handicap modéré, puis dans le cadre de la présente procédure, à compter du 7 septembre 2017 au 6 septembre 2022 avec une orientation en milieu ordinaire, sur un poste adapté.
Faute d'étayage factuel de ses affirmations, Monsieur [O] [J] ne démontre ni l'existence d'un harcèlement moral qui suppose, à tout le moins, des agissements répétés, ni de manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur, en l'absence des circonstances précises des faits ayant conduit à l'accident du travail, ni de manquement à la prise en compte de son statut de travailleur handicapé, dont aucun élément de la procédure ne démontre qu'il en avait informé l'employeur.
La demande sera rejetée.
Sur l'application de l'article L 1235-4 du code du travail
L'article L.1235-4 du code du travail dispose que « Dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées. ».
Le licenciement de Monsieur [O] [J] ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu à l'application de l'article L.1235-4 du code du travail.
En conséquence, la cour ordonne le remboursement par la société aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Monsieur [O] [J], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.
Sur les autres demandes
Sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Mazet Messagerie à payer à Monsieur [O] [J] une indemnité de 1 000 euros destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et y ajoutant, de la condamner au paiement d'une indemnité de 500 euros en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné la SAS Mazet Messagerie au paiement d'une indemnité de 1 000 euros pour frais de procédure ainsi qu'aux dépens de première instance,
Infirme le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant :
Dit que l'inaptitude de Monsieur [O] [J] est d'origine professionnelle,
Condamne la SAS Mazet Messagerie à payer à Monsieur [O] [J] les sommes suivantes :
- 3 766,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 13 114,02 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement,
- 30 000,00 euros à titre d'indemnité spécifique pour rupture abusive,
Déboute Monsieur [O] [J] de sa demande d'indemnité de congés payés sur préavis et de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
Dit que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Ordonne le remboursement par la SAS Mazet Messagerie aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à Monsieur [O] [J], dans la limite de six mois d'indemnités de chômage,
Rappelle qu'une copie du présent arrêt est adressée par le greffe à Pôle emploi,
Condamne la SAS Mazet Messagerie à payer à Monsieur [O] [J] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs autres demandes,
Condamne la SAS Mazet Messagerie aux dépens d'appel.
LE GREFFIER
Séverine STIEVENARD
Pour le Président empêché,
Frédéric BURNIER, conseiller