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31/03/2023 | FRANCE | N°19/00954

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale a salle 2, 31 mars 2023, 19/00954


ARRÊT DU

31 Mars 2023







N° 446/23



N° RG 19/00954 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SJLL



FB/AL









Article 37

de la loi du 10/07/91



















Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de lille

en date du

21 Mars 2019

(RG 17/00606 -section )



































GROSSE :



Aux avocats



le 31 Mars 2023



République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



Mme [S] [V]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Eve THIEFFRY, avocat au barreau de LILLE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 591...

ARRÊT DU

31 Mars 2023

N° 446/23

N° RG 19/00954 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SJLL

FB/AL

Article 37

de la loi du 10/07/91

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de lille

en date du

21 Mars 2019

(RG 17/00606 -section )

GROSSE :

Aux avocats

le 31 Mars 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme [S] [V]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Eve THIEFFRY, avocat au barreau de LILLE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 59178002/19/004961 du 07/05/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de DOUAI)

INTIMÉE :

S.N.C. LIDL

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Dominique GUERIN, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Olivier BECUWE

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

[Y] [H]

: CONSEILLER

[P] [K]

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : Séverine STIEVENARD

DÉBATS : à l'audience publique du 28 Février 2023

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 31 Mars 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Séverine STIEVENARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 01 Mars 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [S] [T] épouse [V] a été engagée par la société Lidl, en qualité de caissière, dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée et à temps partiel, à compter du 29 mars 2010, avant de conclure un contrat à durée indéterminée et à temps partiel, le 27 septembre 2010.

La salariée a travaillé dans les établissements de [Localité 6], [Localité 5] et [Localité 7]. Elle a occasionnellement fait fonction de chef de caisse.

Le 21 janvier 2017, Madame [S] [T] épouse [V] a été reçue par sa responsable.

La salariée a été placée en arrêt maladie à compter de ce jour.

Le 7 juillet 2017, Madame [S] [T] épouse [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Lille et formé des demandes afférentes à la requalification de ses contrats de travail à temps partiel en contrats à temps complet, ainsi qu'à la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

Le 3 octobre 2017, le médecin du travail a déclaré l'intéressée inapte à son poste de travail.

Le 30 janvier 2018, la société Lidl a notifié à Madame [S] [T] épouse [V] son licenciement pour inaptitude.

Par jugement du 21 mars 2019, le conseil de prud'hommes de Lille a débouté Madame [S] [T] épouse [V] de l'ensemble de ses demandes et a laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.

Madame [S] [T] épouse [V] a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 15 avril 2019, en visant expressément les dispositions critiquées.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 29 juin 2020, auxquelles la cour se réfère pour un plus ample exposé des faits et des moyens, Madame [S] [T] épouse [V] demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant de nouveau, de:

- reconnaître le caractère discriminatoire des agissements de la société Lidl à son encontre;

- requalifier le contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet;

- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur;

- condamner la société Lidl à lui payer les sommes suivantes :

- 30 000,00 euros en réparation du préjudice consécutif aux faits de discrimination;

- 5 614,64 euros à titre de rappel de salaire sur la base d'un contrat à temps complet;

- 561,46 euros au titre des congés payés y afférents;

- 3 370,30 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis;

- 337,03 euros au titre des congés payés y afférents;

- 2 359,23 euros à titre d'indemnité légale de licenciement;

- 13 481,20 euros à titre de d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

- 3 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 2 mars 2021, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions de la société Lidl en date du 2 décembre 2019.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 1er mars 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la cour rappelle que l'irrecevabilité des conclusions de l'intimée, prononcée, sur le fondement de l'article 909 du code de procédure civile, par le conseiller de la mise en état par ordonnance du 2 mars 2021, s'étend aux pièces de cette partie ainsi qu'à ses écritures postérieures.

Sur l'allégation de discrimination

Selon l'article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français.

L'article L.1134-1 du même code dispose que lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance de ces dispositions, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En l'espèce, Madame [T] épouse [V] soutient avoir été victime d'une discrimination affectant sa rémunération et son évolution de carrière.

La détermination du ou des critères de discrimination invoqués apparaît imprécise. En reprenant la définition de l'article L.1132-1 du code du travail, l'appelante a mis en exergue (police en gras) certains critères: l'origine, l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, l'état de santé, la perte d'autonomie et le handicap. Puis, elle a rappelé qu'aucun salarié ne pouvait faire l'objet défavorable en raison de sa couleur de peau, de son origine, de sa religion ou de son état de santé.

Les premiers juges ont analysé cette demande comme relevant d'une discrimination fondée sur l'origine de la salariée.

Madame [T] épouse [V] cherche à démontrer qu'elle a fait l'objet d'un traitement défavorable en relevant qu'elle n'a pas été promue à la fonction de chef de caisse, qu'elle n'a connu aucune évolution de son coefficient en six années d'activité, qu'elle n'a pas bénéficié d'augmentations de salaire significatives.

Elle considère que l'employeur n'apporte aucune justification valable à ce traitement défavorable.

Néanmoins, l'appelante n'apporte aucune information, ne verse au dossier aucun élément permettant d'établir un lien entre le traitement présenté comme défavorable et l'un des critères visés à l'article L.1132-1 du code du travail.

Madame [T] épouse [V] déclare qu'une collègue moins expérimentée a été promue aux fonctions de chef de caisse, mais ne fournit aucune information concernant cette dernière.

Elle affirme que d'autres salariés ont bénéficié d'augmentations individuelles conséquentes sans produire le moindre élément permettant d'identifier ces salariés et d'étayer la différence de traitement alléguée.

Il s'ensuit que Madame [T] épouse [V], qui ne présente pas d'éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination, doit être, par confirmation du jugement entrepris, déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour discrimination.

Sur la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet

L'article L.3123-17 du code du travail dans sa version antérieure à la loi du 8 août 2016 prévoyait que 'les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié au niveau de la durée légale du travail ou à la durée fixée conventionnellement'. Ces dispositions sont depuis reprises à l'article L.3123-9 du même code.

Il est constant qu'un contrat de travail à temps partiel doit être requalifié en contrat de travail à temps complet, lorsque le salarié travaille 35 heures ou plus au cours d'une semaine, quand bien même le contrat aurait fixé la durée de travail convenue sur une période mensuelle.

En l'espèce, le contrat de travail à durée indéterminée du 27 septembre 2010 stipule que Madame [T] épouse [V] est employée à temps partiel selon un horaire mensuel de 121,35 heures. Ce contrat mentionne la répartition de la durée du travail entre les semaines du mois.

Il ressort des plannings et des bulletins de salaire versés au dossier par l'appelante que celle-ci a, à plusieurs reprises, été amenée à travailler 35 heures ou plus au cours d'une semaine, une première fois au cours de la semaine du 26 novembre au 1er décembre 2012 (41,20 heures).

Il s'ensuit que le contrat de travail à temps partiel de Madame [T] épouse [V] encourt la requalification en contrat à temps complet à compter du 1er décembre 2012.

Dans la limite de la demande, et par infirmation du jugement déféré, cette requalification sera prononcée à compter du 7 juillet 2014.

L'appelante est donc en droit d'obtenir un rappel de salaire au titre d'un temps complet, qui, déduction faite des sommes d'ores et déjà versées en contrepartie des heures accomplies en-deçà de la durée légale de travail (mais pas des sommes versées en contrepartie des heures accomplies au-delà de la durée légale de travail), doit être fixé à la somme de 5 614,64 euros (dans la limite de sa demande), outre la somme de 561,46 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente.

Sur la demande de résiliation judiciaire

Il résulte des dispositions des articles 1224 et 1228 du code civil qu'un contrat de travail peut être résilié aux torts de l'employeur en cas de manquement de sa part à ses obligations contractuelles d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.

Lorsque le salarié est licencié postérieurement à sa demande de résiliation, cette dernière, si elle est accueillie, doit produire ses effets à la date du licenciement.

En l'espèce, il a été jugé que la société Lidl a maintenu Madame [T] épouse [V], pendant plusieurs années, dans un emploi à temps partiel alors que la salariée aurait dû bénéficier d'un contrat de travail à temps complet, impliquant pour celle-ci un manque à gagner d'ordre salarial significatif.

Ce manquement, qui s'est poursuivi jusqu'à la saisine du conseil de prud'hommes, est d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifier que, par infirmation du jugement déféré, la résiliation judiciaire du contrat de travail soit prononcée.

Cette résiliation judiciaire doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La date de la rupture est fixée à la date de notification du licenciement, prononcé après la demande en résiliation, le 30 janvier 2018.

Madame [T] épouse [V], qui comptait plus de deux années d'ancienneté, est fondée à percevoir une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire sur le fondement des articles L.1234-1 et L.1234-5 du code du travail, soit la somme de 3 370,30 euros, ainsi que l'indemnité de congés payés afférente, soit 337,03 euros.

Madame [T] épouse [V] n'allègue pas ne pas avoir été remplie de ses droits à indemnité de licenciement lors de son licenciement pour inaptitude survenu le 30 janvier 2018. Elle sera déboutée de sa demande à ce titre dans le cadre de la résiliation judiciaire.

Au moment de la rupture, Madame [T] épouse [V], âgée de 44 ans, comptait 7 années d'ancienneté. Elle ne justifie pas de l'évolution de sa situation professionnelle.

En application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017 (la résiliation judiciaire prenant effet à une date postérieure à l'entrée en vigueur de cette ordonnance), il convient d'évaluer le préjudice de Madame [T] épouse [V], au vu de sa situation, du montant de sa rémunération et de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, à la somme de 8 000 euros.

Enfin, sur le fondement de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l'employeur à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de trois mois.

Sur les autres demandes

Sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, il convient de condamner la société Lidl à payer au conseil de Madame [T] épouse [V], bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens que celle-ci a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu'il y a lieu de fixer à 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Madame [S] [T] épouse [V] de sa demande de dommages et intérêts pour discrimination et de sa demande d'indemnité légale de licenciement,

Infirme le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant :

Requalifie le contrat de travail de travail à temps partiel en contrat à temps plein à compter du 7 juillet 2014,

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [S] [T] épouse [V] au 30 janvier 2018,

Dit que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la SNC Lidl à payer à Madame [S] [T] épouse [V] les sommes suivantes:

- 5 614,64 euros à titre de rappel de salaire suite à la requalification,

- 561,46 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente,

- 3 370,30 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 337,03 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente,

- 8 000,00 euros à titre de d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Ordonne le remboursement par la SNC Lidl des indemnités de chômage versées à Madame [S] [T] épouse [V] dans la limite de trois mois d'indemnités,

Rappelle qu'une copie du présent arrêt est adressée par le greffe à Pôle emploi,

Condamne la SNC Lidl à payer au conseil de Madame [S] [T] épouse [V] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,

Déboute la SNC Lidl de sa demande d'indemnité pour frais de procédure formée en cause d'appel, 

Condamne la SNC Lidl aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER

Séverine STIEVENARD

LE PRESIDENT

Olivier BECUWE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale a salle 2
Numéro d'arrêt : 19/00954
Date de la décision : 31/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-31;19.00954 ?
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