République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 23/03/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 22/02473 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UJFB
Ordonnance (N° 20/01495)
rendue le 25 avril 2022 par le juge de la mise en état de Valenciennes
APPELANT
Monsieur [Z] [S]
né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 2] ([Localité 2])
demeurant [Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me Bernard Franchi, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assisté de Me Pierre-Jean Coquelet, avocat au barreau de Valenciennes, avocat plaidant, substitué à l'audience par Me Caroline Lemer, avocat au barreau de Valenciennes
INTIMÉE
La SARL GPS V
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Me Rodolphe Piret, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 02 janvier 2023 tenue par Bruno Poupet magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 23 mars 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 02 janvier 2023
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Par contrat du 13 juillet 2007 à effet au 1er novembre 2007, M. [Z] [S] a été embauché en qualité d'expert-comptable stagiaire par la SARL Armada gérée par M. [Y] [I].
A la même période, MM. [I], [S] et [O] ont décidé de s'associer pour la création d'une société d'expertise comptable à [Localité 2], la SARL GPS [Localité 2] qui a vu le jour le 12 octobre 2007, dans laquelle ils détenaient respectivement 7 500, 2 400 et 100 parts et dont M. [I] était le gérant.
Les associés avaient préalablement établi, approuvé et signé, le 14 septembre 2007, un règlement intérieur précisant les modalités de fonctionnement de la société et prévoyant notamment une clause d'interdiction de concurrence et une clause de respect de la clientèle, ainsi qu'une clause prévoyant le recours à l'arbitrage en cas de survenance d'un différend.
M. [Z] [S] a ensuite exercé son activité d'expert-comptable au profit de cette société dans un cadre dont il a été jugé depuis lors qu'il s'agissait d'un contrat de travail.
Il a donné sa démission le 23 juin 2008.
Faisant état d'un détournement de clientèle par M. [S], la société lui a notifié le 21 mars 2011 son intention de déclencher une procédure d'arbitrage en application de la clause susvisée.
Quelques semaines plus tard, M. [S] a pour sa part saisi le conseil de prud'hommes de [Localité 2] afin de voir requalifier sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse et faire juger nulles la clause de non concurrence et la clause d'arbitrage insérées dans le règlement d'associés.
Ayant été informé de la mise en oeuvre d'une procédure d'arbitrage, il a, le 4 octobre 2011, saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes afin d'en obtenir la suspension. Sa demande a été alors rejetée mais, par arrêt du 24 février 2012, la cour d'appel de Douai a infirmé l'ordonnance de référé, en jugeant que la mise en oeuvre de la procédure d'arbitrage constituait un trouble manifestement illicite, et ordonné la cessation de ladite procédure jusqu'à ce qu'il soit statué par la juridiction prud'homale sur l'existence d'un contrat de travail et la validité des clauses de non concurrence et d'arbitrage.
Par jugement du 2 avril 2012, le conseil de prud'hommes, statuant sur les demandes au fond de M. [S], s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce mais M. [S] a formé contredit et, le 27 septembre 2013, la cour d'appel de Douai a considéré que celui-ci pouvait se prévaloir de l'existence d'un contrat de travail et renvoyé en conséquence l'affaire devant le conseil de prud'hommes.
Par jugement du 23 février 2015, la juridiction prud'homale a notamment :
- dit n'y avoir lieu de requalifier la démission en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné le demandeur à régler à son ancien employeur une indemnité compensatrice de 10'000 euros au titre de l'inexécution de son préavis,
- déclaré inopposables au demandeur les clauses de non concurrence et compromissoire insérées dans le règlement d'associé.
Cette décision a été frappée d'appel par les deux parties et par arrêt du 31 janvier 2019, la cour d'appel a prononcé diverses condamnations contre celles-ci mais aussi «'débouté M.[S] de ses demandes relatives à la clause d'interdiction de concurrence et à la clause compromissoire incluses dans le règlement d'associés'».
Par acte d'huissier du 9 juin 2020, M. [S] a assigné la SARL GPS-[Localité 2] devant le tribunal judiciaire de Valenciennes aux fins de voir :
- dire nulle et de nul effet la clause compromissoire figurant dans l'acte intitulé règlement intérieur de la SARL GPS-V du 14 septembre 2007, faute d'avoir été souscrite par lui dans le cadre d'une activité professionnelle,
- à titre infiniment subsidiaire et sur le fondement de l'article 2061 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 et notamment son alinéa 2, dire non opposable la clause compromissoire en question.
Par ordonnance du 25 avril 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Valenciennes, saisi d'un incident par la SARL GPS-[Localité 2], a déclaré irrecevables, comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée, les demandes aux fins de voir déclarer nulle et subsidiairement inopposable la clause compromissoire litigieuse, débouté la SARL GPS-[Localité 2] de sa demande fondée sur l'article 32-1 du code de procédure civile, rejeté les demandes plus amples ou contraires, condamné M. [Z] [S] aux dépens et au paiement à la société GPS-[Localité 2] de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du même code.
M. [Z] [S] a interjeté appel de cette décision et, par conclusions remises le 13 août 2022, demande à la cour de l'infirmer, de déclarer recevables les demandes susvisées, de débouter la SARL GPS-V de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui payer 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Les conclusions d'intimée de la société GPS [Localité 2] ont été déclarées irrecevables par ordonnance du magistrat chargé de la mise en état du 8 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'article 122 du code de procédure civile fait du moyen tiré de l'autorité de la chose jugée une fin de non recevoir.
L'article 480 du même code dispose que le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche ; que le principal s'entend de l'objet du litige tel qu'il est déterminé par l'article 4.
L'article 1355 du code civil dispose pour sa part que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement ; qu'il faut que la chose demandée soit la même'; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
M. [S] fait valoir que deux des conditions posées par cet article, tenant à la qualité des parties et à la cause, ne sont pas remplies en soutenant, d'une part, qu'il agit dans la présente instance en qualité d'associé alors qu'il agissait devant la juridiction prud'homale en qualité de salarié, d'autre part, qu'il n'invoque pas le même moyen.
Il en veut pour preuve, en ce qui concerne la qualité, la motivation suivante de la cour d'appel dans son arrêt du 31 janvier 2019 :
« Attendu que la validité de la clause d'interdiction de concurrence incluse dans le règlement intérieur approuvé et signé par les associés le 14 septembre 2007 s'apprécie à la date de sa conclusion ; qu'à la date de son engagement, [Z] [S] n'avait pas la qualité de salarié de la société qu'il s'est engagé à ne pas concurrencer puisqu'il n'a été embauché par la SARL GPS-V que postérieurement, le 29 octobre 2007 ; qu'il ne fait pas même valoir qu'il était convenu dès le 14 septembre 2007 qu'il deviendrait salarié de la société ; que sa demande d'annulation de la clause d'interdiction de concurrence, tirée de l'absence de contrepartie financière, doit en conséquence être rejetée dès lors qu'une telle contrepartie ne s'impose que si l'associé avait, à a date de son engagement, également la qualité de salarié ;
attendu par voie de conséquence qu'il convient de débouter [Z] [S] de sa demande d'annulation de la clause compromissoire insérée au règlement intérieur et de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes indemnitaires pour procédure abusive'».
Le premier juge a considéré que devant la cour d'appel, M. [S] s'était prévalu de sa double qualité d'associé et de salarié.
Il convient de rappeler que la clause compromissoire litigieuse figure dans le règlement adopté le 14 septembre 2007 régissant les rapports entre associés de la SARL GPS-[Localité 2] et il ressort de la chronologie des événements mais aussi de l'argumentation de la société devant la cour telle qu'elle est rapportée par l'arrêt que c'est en application de ce règlement et en considération de ce qu'elle estimait être une violation par M. [S] des engagements pris par lui en qualité d'associé que celle-ci a décidé de la mettre en oeuvre. M. [S] a cru devoir saisir le conseil de prud'hommes d'une demande d'annulation des clauses de non concurrence et compromissoire alors qu'il n'était pas visé par leur éventuelle mise en oeuvre en sa qualité de salarié et qu'il ne prétendait pas qu'elles figuraient dans son contrat de travail (au demeurant non matérialisé). Le conseil de prud'hommes a cru, à son tour, devoir statuer sur ces demandes alors que, si la cour d'appel, par son arrêt du 27 septembre 2013, avait certes estimé que M. [S] l'avait saisi à bon droit dès lors qu'il pouvait se prévaloir d'un contrat de travail et qu'il lui appartenait de se prononcer sur les questions relatives à celui-ci (non respect du préavis notamment), sa compétence pour statuer sur la validité de clauses du règlement d'associés, étranger à la relation employeur/salarié, était discutable. La cour s'est trouvée saisie de la question par l'effet dévolutif de l'appel mais n'a pas confirmé le jugement (qui avait d'ailleurs déclaré les clauses litigieuses inopposables alors que la juridiction était semble-t-il saisie d'une demande de nullité) et a débouté M. [S] de ses demandes relatives aux clauses contestées par la motivation précitée. Ce que révèlent ces circonstances, ce n'est pas, comme M. [S] semble l'affirmer, que c'est nécessairement en tant que salarié qu'il a agi puisqu'il a saisi le conseil de prud'hommes qui est la juridiction exclusivement compétente pour connaître des rapports entre employeur et salarié mais plutôt qu'il a saisi à tort la juridiction prud'homale de demandes qui ne le concernaient qu'en tant qu'associé et non en tant que salarié.
Et, contrairement à l'interprétation que fait M. [S] de la motivation de la cour, celle-ci a bien considéré qu'il présentait sa demande relative aux clauses considérées en tant qu'associé, outre ses demandes relatives à son contrat de travail. Cela ressort notamment de ce qu'elle souligne qu'il n'était pas salarié de la société GPS-V au moment où le règlement a été adopté et qu'il ne fait pas même valoir qu'il était convenu dès le 14 septembre 2007 qu'il deviendrait salarié de la société. Mais aussi de ce qu'elle a écarté le moyen soulevé en indiquant qu'il ne pouvait prospérer que si l'associé avait, à la date de son engagement, également la qualité de salarié. Autrement dit, M. [S] était associé au moment de la signature du règlement interne, la demande de nullité et le moyen soulevé à cet effet qu'il présente n'auraient pu prospérer que s'il avait eu également la qualité de salarié, or il ne se prévaut pas de sa qualité, ne serait-ce que future mais déjà décidée, de salarié, c'est donc bien en qualité d'associé qu'il présente alors ses demandes.
M. [S], qui affirme agir aujourd'hui en qualité d'associé, agit par conséquent en la même qualité que devant la cour.
En ce qui concerne l'identité de cause exigée, la cause ne se confond pas avec le moyen. Certes, la cour a débouté M. [S] de ses demandes car le moyen soulevé était mal fondé, ce qui n'exclut pas qu'elles aient pu prospérer sur un autre moyen. Mais il est constant qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci (Cass. ass. plén. 7 juillet 2006). Il en résulte qu'un nouveau moyen de droit ne constitue pas un changement de cause et ne suffit pas à faire obstacle à l'autorité de la chose jugée attachée à une décision antérieure et que seule l'intervention d'un fait nouveau peut constituer un changement de cause et remettre en cause cette autorité. Or, l'appelant ne fait état que d'un moyen nouveau.
L'argumentation de M. [S] est donc inopérante pour faire obstacle à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la présente cour du 31 janvier 2019 sur une demande identique à celle qu'il présente aujourd'hui, de sorte que l'ordonnance entreprise doit être confirmée et l'appelant débouté de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour
confirme l'ordonnance entreprise,
déboute M. [Z] [S] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
le condamne aux dépens.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet