ARRÊT DU
17 Février 2023
N° 11/23
N° RG 21/01139 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TWW4
PL/VM
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Lannoy
en date du
02 Juin 2021
(RG 21/00006 -section 4 )
GROSSE :
aux avocats
le 17 Février 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [I] [WT]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me Ioannis KAPPOPOULOS, avocat au barreau de VALENCIENNES
INTIMÉE :
Société DECATHLON
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Benoit GUERVILLE, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Victor FLEURET, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l'audience publique du 13 Décembre 2022
Tenue par Philippe LABREGERE
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Cindy LEPERRE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Philippe LABREGERE
: MAGISTRAT HONORAIRE
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
ARRÊT : Avant Dire Droit
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Février 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 22 novembre 2022
EXPOSE DES FAITS
[I] [WT] a été embauché par contrat de travail à durée indéterminée par la société DECATHLON à compter du 25 février 1997 en qualité de trésorier groupe, statut cadre au coefficient 380 de la convention collective du sport, commerce des articles de sport et équipements de loisir.
A la date de son licenciement, il occupait le poste de responsable de l'innovation et percevait une rémunération mensuelle de base de 13320 euros augmentée de primes et d'un avantage en nature.
Il a été convoqué par lettre remise en main propre le 7 juin 2019 à un entretien le 17 juin 2019 en vue d'un éventuel licenciement avec mise à pied à titre conservatoire. A l'issue de cet entretien, son licenciement pour faute grave lui a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 20 juin 2019.
Les motifs du licenciement tels qu'énoncés dans la lettre sont les suivants :
«L'objet de cet entretien était de vous faire part des motifs qui nous amenaient à envisager votre licenciement pour faute grave, à savoir :
- Votre attitude managériale inacceptable auprès de certaines équipes du Service Innovation dont vous avez la responsabilité, laquelle a généré d'importantes incompréhensions ainsi qu'une iniquité de traitement avec des collaborateurs se trouvant en réelle souffrance ;
- Vos agissements et propos intolérables dans le cadre professionnel, caractérisés notamment par des attitudes vexatoires et humiliantes, un humour caustique déplacé, des gestes tendancieux et provocateurs à l'égard de certaines collaboratrices
Vous occupez un poste de Responsable Innovation, statut cadre dirigeant, depuis octobre 2016. Vous avez en charge l'animation de 25 personnes.
A ce titre, vous devez faire preuve d'une attitude exemplaire et respectueuse à l'égard de vos collaborateurs ainsi que de vos collègues.
Or, suite à l'enquête «coéquipiers heureux» d'avril 2019, une alerte concernant vos manquements aux valeurs de l'entreprise m'a conduit à interroger quelques-uns de vos collaborateurs directs pour mesurer la réalité et l'ampleur de la situation.
Compte tenu des remontées inacceptables qui m'ont été faites, et afin d'approfondir la réalité de ces déclarations, nous avons décidé de mener un diagnostic humain auprès de 100 % de vos collaborateurs.
Du 20 au 24 mai 2019, 4 collaborateurs des services ressources humaines et audit ont, dans le cadre d'entretiens individuels, écouté les personnes qui travaillent sous votre responsabilité pour bon nombre d'entre elles ou qui travaillent régulièrement avec vous. Il est ressorti de cette enquête un mal-être au travail de certains collaborateurs ainsi que des collaborateurs très choqués de comportements régulièrement irrespectueux de votre part à leur égard.
Les faits relatés par les membres de votre équipe par le biais de ce diagnostic humain ont révélé que vous adoptiez régulièrement une attitude provocatrice, voire humiliante notamment à l'égard des femmes, ce que nous ne pouvons tolérer.
Certaines collaboratrices nous ont dit vous avoir fait part de leur insatisfaction et de leur effarement suite à ces évènements ; or force est de constater que vous semblez ne pas avoir pris la pleine mesure de vos actes, votre attitude n'ayant pas changé malgré cela.
Par ailleurs, vous n'êtes pas sans ignorer la communication réalisée par le DRH FRANCE le 28 août 2018 (message de [L] [WR]) rappelant à tous les leaders de l'entreprise, dont vous étiez destinataire, qu'aucune attitude ni aucun propos sexiste notamment ne saurait être toléré et que tout comportement déviant ferait l'objet d'une sanction.
Alors même que la nature de vos fonctions et votre statut impliquant une exemplarité irréprochable, vous vous en êtes affranchi, vous adonnant à des pratiques managériales et comportements inadaptés, inconciliables avec les principes et valeurs humaines que porte l'entreprise.
En effet, les collaborateurs ont exprimé un certain nombre de faits mettant en évidence des dérives inadmissibles et inappropriées de votre part, et ce de façon récurrente, de tels agissements ayant notamment constitué :
- En un manque de respect à l'égard de certains de vos collaborateurs que vous n'hésitez pas à décrédibiliser en collectif via des remarques et attitudes humiliantes, méprisantes :
28 mars 2019 en amont de l'entretien individuel de [GP] [U] : «je mets de la crème hydratante sur mon visage (après avoir fait du sport ensemble). [I] que je croise me dit : mets de la crème sur tes lèvres j'aime bien qu'elles soient douces pendant ton EI (entretien individuel)»
13 décembre 2018 : (soirée de Noël avec l'équipe organisée chez [I]) : vous faites de sous-entendus à connotation sexuelle et déplacés sur les femmes ukrainiennes ; vous shootez dans un livre sur les «smoothies» que vous avez offert à [KK] [V] en guise de cadeaux de Noël, ce qui lui a valu le surnom « d'extracteur de jus » pendant plusieurs mois...
19 septembre 2018 (restaurant après une réunion sur la vision de l'équipe Innobooster) : vous attirez l'attention de toute la tablée en tapant sur votre verre comme pour porter un toast or vous faites un commentaire déplacé sur la poitrine d'une collaboratrice serrée dans son chemisier : «Je porte un toast à la poitrine de [GR] qui est à l'étroit dans son chemisier et qui demande à pouvoir sortir».
15 septembre 2019 (atelier de travail) : se pose la question de l'aménagement du patio dans les locaux. Vous déclarez : « et pourquoi pas 3 poules et [GR] ([D]) au milieu tant que tu y es ».
- à adopter une attitude inacceptable et provocatrice vis-à-vis des femmes, parfois à connotation sexuelle dans le cadre de soirées ou de réunions d'équipe :
15 mai 2019 (réunion d'équipe sur B'Twin) : suite à une séance de sport [T] [W] demande «est ce que vous prenez une douche ici, comment on s'organise '» [I] lui répond «pourquoi tu veux venir la prendre avec nous ' [T] [C] répond « bah non c'était juste pour savoir comment on s'organisait pour les voitures. » Ce à quoi [I] lui a répondu « dans ce cas-là c'est pas la peine de demander ».
13 décembre 2018 (repas de Noël au domicile de [I]) : « je l'ai vu prendre le T-shirt de [T] [OD] (en CDD) le soulever légèrement et faire semblant de mettre sa tête dessous ».
13 décembre 2018 : «Quelle [WU] ' Il y en a 2 »- réponse de FH : « Non, il n'y en a qu'une c'est [WU] [E] ! » alors qu'il y avait également [WU] [J].
13 décembre 2018 (repas de Noël au domicile de [I]) : «[I] soulève sur le plan de travail de la cuisine dans une position équivoque Mme [KM] '. Celle-ci redescend immédiatement en lui disant «mais qu'est-ce que tu fais ' ». Lors de l'entretien vous avez indiqué qu'il s'agissait d'[F] [KL] [OD]
13 décembre 2018 : «[I] soulève son T-shirt à plusieurs reprises pour le mettre sur la tête de plusieurs collaboratrices (dont [GR] [D])».
20 juin 2018 (soirée lors d'un déplacement à [Localité 5]) : «[I] [WT] appelait [GR] [D] « ma [GR] » (alors qu'elle lui avait précisé auparavant qu'elle ne souhaitait pas qu'il l'appelle comme ça car réservé à ses proches) « c'est bientôt le moment d'aller rejoindre [GR] sous la tente». [I] passe sa soirée à se moquer de [GR] en lui disant qu'elle allait se faire violer durant la nuit. Il a enchaîné les remarques déplacées et désobligeantes qui l'ont rabaissée ; »
14 décembre 2017 (soirée de Noël avec l'équipe au Camden) : [I] [WT] interpelle [WU] en lui disant «Je vais pisser, tu viens me la tenir '» ou encore à cette même soirée : «[F] [KL] sort et FH lui dit « ben attends on s'embrasse quand même ! Et là il lui lèche la joue droite.»
- à des réflexions négatives et méprisantes sur la façon de travailler des salariés que vous n'hésitez pas, pour certains, à décrédibiliser en collectif :
20 juin 2018 (Déplacement à [Localité 5]) : [I] [WT] a plusieurs fois menacé de «virer» certains participants sur le ton de la blague,
20 juin 2018 (Déplacement à [Localité 5]) : [I] [WT] a fait plusieurs remarques à [X] [B] (facilitatrice dans le cadre d'un ws) sur le fait qu'elle alt refuser un CDI pour signer un CDD à temps partiel. [I] remet en cause ses compétences pour animer un atelier lowtech.
-à donner une mauvaise image de l'entreprise en externe
6 mars 2019 (réunion d'équipe, SINGA) : moquerie de [I] commentant une photo représentant un jeune homme noir assis sur un canapé avec son bras autour des épaules d'une dame âgée qu'il hébergeait gratuitement dans le cadre de l'association. Vous avez lancé suffisamment fort pour que l'assemblée entende «tu m'étonnes qu'elle l'accueille, elle doit bien se faire plaisir.»
-à adopter une attitude inéquitable entre les différents services que vous animez, ayant pour conséquence une souffrance au travail des collaborateurs concernés
Cette différence de traitement s'est fait ressentir à l'égard de l'entité Alive dont les 3 collaboratrices sont en grande souffrance. Cette iniquité nous a été remontée de la part d'une majorité des collaborateurs de l'équipe qui ne comprend pas pourquoi vous vous acharnez à l'égard de cette équipe Alive (pression économique, obligation de présence aux réunions contrairement à d'autres équipes, suivi strict d'un CEX et élaboration d'un budget à 3 ans, obligation de refacturation des activités) alors même que vous n'imposez pas ce même niveau d'exigence pour toutes les autres équipes.
Certaines attitudes ou propos déplacés sont orientés à l'égard de femmes de votre équipe qui ont un lien hiérarchique direct avec vous ou tout au moins un lien professionnel évident (notamment [GR] [D] [WU], [T] [W]).
Cela constitue une circonstance aggravante eu égard à leur situation de fragilité, de la même façon que vos remarques à l'égard de collaborateurs en CDD, stagiaires ou nouveaux arrivants («je peux te virer pour ça»).
La situation que vous avez créée au sein de votre équipe est le résultat de pratiques et d'attitudes désobligeantes et inacceptables de votre part dans le cadre professionnel. Vos agissements ont porté atteinte à l'intégrité morale et à la dignité de plusieurs collaborateurs, ce qui outrepasse la notion d'exigence professionnelle et est de nature à engager ma responsabilité.
Les collaborateurs et collaboratrices de votre équipe ont en effet exprimé que vous aviez parfois des mots moqueurs lorsque vous arrivez à l'atelier («là où il y a du bruit et de la poussière»), que vous pouviez être méprisant et ridiculiser des collaborateurs en collectif, que votre comportement est «toxique» pour certains collaborateurs ce qui impacte la vie de l'équipe au global, allant même jusqu'à tenir des propos incompréhensibles pour un leader : «le groupe avance au rythme du plus lent, donc je n'attends pas les autres, ils n'ont qu'à me suivre» ou encore «J'ai le bras long, ça aide» quand vous vous êtes vanté en réunion d'équipe d'avoir fait passer l'augmentation de loyer du futur ileu d'Innovation dans la redevance payée par d'autres entités.
Votre management est perçu comme étant fait d'injustices, de pressions, d'inégalités de traitement entre les personnes des différentes équipes, de favoritisme.
Votre attitude managériale engendre une réelle souffrance pour certains collaborateurs ce qui influe sur leur vie tant professionnelle que personnelle. Certains sont «choqués», en «colère», se sentent «mal à l'aise» en votre présence.
Certains se sont permis de vous évoquer ces points en entretien individuel ou par le biais de l'humour en jouant la carte des «cartons jaunes» mais vous n'avez pas jugé nécessaire de modifier votre attitude, estimant à plusieurs reprises que cela dérange ceux qui ont une sensibilité exacerbée. D'autres n'ont rien osé dire de ces comportements jusqu'à la réalisation du diagnostic humain du 20 au 24 mai 2019 pensant que vous étiez «intouchable»..
De la même manière, lors de votre EAA 2018, je vous alertais sur le fait que notre rôle est d'être bienveillant et attentionné car vous avez tendance à être «clivant» car dur et froid. Vous l'avez reconnu en précisant que vous deviez le travailler si cela servait le projet.
Or j'ai constaté à l'occasion de cette enquête que rien n'a finalement changé, ces comportements ayant été réguliers et récurrents.
Lors de l'entretien préalable, vous avez indiqué avoir fait de l'humour ou avoir été maladroit et avez tenté de minimiser la portée de vos propos et attitudes. Vous avez également mis en avant que certains des griefs qui vous sont faits sont hors temps de travail et avez remis en question le fait que des collaborateurs aient été en souffrance.
Vous n'avez pas contesté avoir tenu certains de ces propos. Vous estimez aimer vous amuser et reconnaissez avoir un humour caustique et que si certaines personnes ne l'acceptent pas c'est probablement lié à leur propre sensibilité.
Malgré vos explications, consistant à minimiser les faits et leurs conséquences, vos écarts de comportement réitérés à l'égard de plusieurs collaborateurs et collaboratrices de votre équipe demeure intolérables et sont incompatibles avec les responsabilités qui vous sont confiées, et ce, d'autant plus qu'en votre qualité de cadre dirigeant vous devez être garant des valeurs humaines de l'entreprise.
Par conséquent, nous nous voyons dans l'obligation, par la présente, de vous notifier votre licenciement pour faute grave ».
Par requête reçue le 13 août 2019, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Lannoy afin d'obtenir la communication de différentes pièces sous astreinte, au fond, de faire constater l'illégitimité de son licenciement et d'obtenir le versement d'indemnités de rupture et de dommages et intérêts.
Par jugement en date du 2 juin 2021, le conseil de prud'hommes a débouté le salarié de sa demande et l'a condamné au paiement de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Le 2 juillet 2021, [I] [WT] a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance en date du 22 novembre 2022, la procédure a été clôturée et l'audience des plaidoiries a été fixée au 13 décembre 2022.
Selon ses conclusions récapitulatives et en réplique reçues au greffe de la cour le 25 octobre 2022, [I] [WT] appelant, sollicite de la Cour
avant dire droit la production
-du diagnostic humain réalisé et qui sert de support à son licenciement
-de tous les entretiens individuels mensuels et entretiens de fin d'année qu'il a réalisés avec ses collaborateurs depuis octobre 2016, soit sa prise de poste
-de toutes les enquêtes trimestrielles team barometer (vague 1 à 6) et de toutes les enquêtes annuelles collaborateurs heureux
-des évaluations de fin d'année sur SAP depuis le début de sa carrière
-des mails et documents d'échange avec [M] [C] et [AH] [OE] relatifs au management du salarié
-des mails et documents concernant la gestion financière de l'équipe Booster Inno, de l'entité Alive et de l'entité Positive Impact Product de [AH] [KJ] (incluant les mails afférents échangés avec Monsieur [A] [O], directeur administratif et financier et DECATHLON,
le tout sous astreinte de 1000 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision,
au fond, l'infirmation du jugement entrepris et la condamnation de la société DECATHLON à lui verser
-6660 euros bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire
-660 euros bruts de congés payés y afférents
-50577 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis
-5057,70 euros bruts de congés payés y afférents
-134 872 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
-510000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
à titre subsidiaire
-6660 euros bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire
-660 euros bruts de congés payés y afférents
-50577 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis
-5057,70 euros bruts de congés payés y afférents
-134 872 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
et en tout état de cause
-5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
les sommes dues portant intérêts à compter du jour de la demande et avec capitalisation des intérêts de plein droit en application de l'article 1154 du code civil, du moment qu'ils sont dus pour une année entière.
L'appelant expose que la société DECATHLON lui reproche des griefs concernant son management et, notamment, des propos déplacés ou des comportements inadmissibles à l'égard de collaboratrices, qu'il est indispensable pour éclairer la cour que les informations traçant son management soient produites, que les éléments sollicités sont nécessaires à la démonstration de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, qu'à titre d'exemple, la société ne verse même pas l'intégralité du diagnostic humain «booster inno» et se contente de n'en produire que quatre pages, que le règlement général de protection des données n'interdit pas à une juridiction d'ordonner une mesure d'instruction relative aux rémunérations des salariés, que la société ne rapporte pas le moindre élément de preuve pour justifier des fautes ou des griefs qu'elle invoque dans le cadre de la lettre de licenciement, que la culture de la société vise à développer un management de proximité, de manière à compenser le poids du lien hiérarchique, que les pièces produites par l'intimée confirment les qualités tant techniques que managériales de l'appelant, qu'elles sont confirmées par l'obtention durant quinze années de stocks options réservées aux performeurs économiques et humains, que sur le plan du management, ses compétences étaient également reconnues du service RH de l'entreprise, que les enquêtes mesurant la satisfaction au travail des collaborateurs gérés par l'appelant menées au sein de la société démontrent que 94% des salariés qu'il encadrait prenaient du plaisir à venir travailler, que les faits reprochés étaient connus de l'employeur depuis des années, qu'il n'a jamais été sanctionné ni réprouvé mais, au contraire, encouragé par la culture de l'entreprise, que l'organisation de soirées et la proximité entre les managers et leurs équipes font partie de «l'ADN DECATHLON», que plusieurs directeurs, dont [AH] [OE], signataire de la lettre de licenciement, participaient aux soirées alcoolisées organisées avec les collaborateurs, que ce dernier ne pouvait ignorer le management d'entreprise et l'humour de l'appelant, que la société a toujours mis en place un management extrêmement festif et alcoolisé, ayant pour but affiché d'inviter les salariés à se «libérer», qu'il ne peut donc être reproché à un salarié d'avoir exagéré durant ces soirées alors qu'elles se déroulaient en dehors du temps de travail et que le comportement incriminé était favorisé par les autorisations et les encouragements de la direction, que les pièces versées aux débats par la société démontrent que cette dernière était parfaitement informée et a favorisé des comportements familiers entre les équipes, cassant les codes habituels de l'entreprise et supprimant le lien hiérarchique autre que l'émulation, la bonne entente et l'esprit de camaraderie, que la société ne peut se prévaloir de faits antérieurs au 7 avril 2019, sauf à démontrer qu'elle en a eu connaissance postérieurement, que le seul grief énoncé dans la lettre de licenciement qui ne soit pas atteint par la prescription disciplinaire est celui du 15 mai 2019, relatif à des propos qui auraient été tenus à [T] [W] après une séance de sport, que les faits qui y sont décrits sont manifestement mensongers, que la société ne communique pas le diagnostic qui aurait été réalisé entre le 20 et le 24 mai 2019 et qui, selon l'employeur, l'aurait pleinement informé des faits litigieux, que le fichier texte dénommé «Diagnostic human booster inno» n'est pas de nature à démontrer que la société ait été informée des prétendus faits fautifs dans le délai de deux mois précédant l'engagement des poursuites disciplinaires, que le diagnostic aurait été mené entre le 20 et le 24 juin, soit postérieurement au licenciement, que l'attestation de [N] [CW] communiquée en 2022 et disposant d'une délégation de pouvoir au sein de la société est dépourvue de toute valeur probante, que l'immense majorité des faits reprochés a eu lieu en dehors du temps et du lieu de travail, qu'ils sont tirés de la vie personnelle de l'appelant, que certains d'entre eux se seraient déroulés à son domicile, que le comité d'hygiène, de sécurité, et des conditions de travail n'a effectué aucune enquête, qu'il n'existe pas non plus d'enquête interne menée par l'employeur, que l'imputabilité des faits reprochés n'est pas rapportée, que les personnes visées par les traits d'humour sarcastiques ne s'en plaignent absolument pas, que seules deux personnes [GP] [U] et [WU] [J] tentent d'incriminer l'appelant pour des faits qui ne les concernent même pas, que [GP] [U] nourrissait une ranc'ur tenace à son égard, que l'appelant a déposé une plainte à son encontre pour fausse attestation et a été entendu par les services de police, que [J] ne supportait pas les exigence de l'appelant au regard de sa faible productivité ou de l'absence de qualité de son travail dans la gestion du projet «Alive», qu'il lui a d'ailleurs refusé un augmentation pour l'année 2019 de 5% pour ces raisons, que le témoignage d'[H] [SZ] est une copie conforme de celui de [WU] [J], que l'attestation de [Y] [R] n'apporte rien de concret dans la mesure où ce dernier n'a été témoin de rien, que M. [AF] avait une activité principale autre que celle de DECATHLON, ne venait que très rarement aux réunions collectives et ne faisait pas non plus réellement partie de l'équipe de manière permanente, que son attestation est donc dépourvue d'intérêt, qu'il résulte de l'analyse des pièces versées aux débats par la société que la preuve d'une faute reposant sur des faits matériellement vérifiables n'est pas rapportée, que ceux-ci ne sont pas suffisamment sérieux pour justifier la rupture du contrat de travail, qu'ils étaient connus et encouragés de l'employeur, qu'ils ne permettent pas de caractériser une faute grave, que la société est défaillante dans la démonstration que les faits qu'elle reproche ont eu le moindre impact sur le fonctionnement de l'entreprise, que le licenciement de l'appelant est dépourvu de cause réelle et sérieuse, que son salaire de référence s'élevait à 16859 euros, qu'il a été contraint de s'inscrire au Pôle emploi et a vu ses revenus considérablement baisser du fait du plafonnement des indemnités de chômage, que compte tenu de son âge, il n'a que peu de chance de retrouver un emploi, qu'il a subi un préjudice considérable, que le directeur des ressources humaines de la société a contacté en septembre 2019 la société ILLICADO dont il était administrateur depuis plusieurs années, pour la prévenir qu'ils l'avaient licencié et étaient assignés devant le conseil de prud'hommes, ce qui a conduit à son éviction, que ce préjudice n'est pas réparé de manière adéquate par l'application du barème de l'article L1235-3 du code du travail qui prévoit une indemnisation se situant entre 3 et 16,5 mois de salaire et qui doit être écarté en raison du principe de primauté de la norme internationale sur la norme nationale, conformément à l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958.
Selon ses conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 29 avril 2022, la société DECATHLON intimée sollicite de la cour la confirmation du jugement entrepris et la condamnation complémentaire de l'appelant à lui verser 8000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimée soutient qu'alors qu'il était tenu de faire preuve de réserve et d'exemplarité dans le cadre de son activité, l'appelant a multiplié les propos et postures inconvenants à l'égard de nombreuses collaboratrices de la société, qu'elle produit le diagnostic humain synthétisant les entretiens individuels réalisés avec les collaborateurs en contact avec ce dernier, que cette pièce révèle, indépendamment de propos, comportements et attitudes déplacés, que celui-ci avait mis en place un mode de management clivant, par nature clanique, contraire aux valeurs de l'entreprise et à la nécessaire cohésion attendue au sein d'un service, qu'elle est corroborée par les multiples témoignages émanant de collaborateurs du service ou de personnes ayant été les témoins de la souffrance générée par les comportements et les propos de l'appelant, que la société produit les attestations de [GP] [U], [WU] [J], [CX] [D], [Z] [P], [H] [SZ], qui mettent bien en évidence les propos et comportements dégradants ou humiliants de l'appelant, son attitude méprisante ciblée à l'égard de plusieurs collaborateurs de la structure, ses menaces, pressions managériales et économiques, manifestations d'inégalité, d'injustice et de favoritisme, que la plainte pour faux témoignage déposée par ce dernier à l'encontre de [GP] [U] a été classée sans suite, que son comportement a mis en souffrance plusieurs collaborateurs ce qui, au regard de l'obligation de sécurité s'imposant à la société, devait la conduire à procéder à la rupture du contrat pour faute grave, qu'elle produit un courriel de [L] [WR], l'un des dirigeants de la structure, rappelant la tolérance zéro vis-à-vis des comportements déviants comme ceux commis par l'appelant, qu'elle justifie de ce que ce courriel n'a pas été adressé qu'aux directeurs de magasin mais aussi aux «users centric leaders», dont l'appelant faisait partie, que si elle favorisait les échanges collaboratifs et les évènements collectifs, la société n'a jamais entendu tolérer des postures et des propos similaires à ceux adoptés par l'appelant, que les attestations de [Y] [R] et de [G] [K] mettent en évidence le caractère nuisible ou toxique de son attitude, que les témoignages produit par l'appelant ne sont pas de nature à remettre en cause la matérialité des faits précités qui ne sont d'ailleurs pas démentis, qu'ils n'ont, en réalité, aucune pertinence dans le cadre du présent contentieux puisque ces collaborateurs ne relevaient plus du service de l'appelant au moment des faits reprochés, que la société justifie des conditions exactes dans lesquelles elle a été amenée à connaître la nature, l'ampleur et la gravité du comportement de ce dernier, à l'issue du diagnostic humain qu'elle a diligenté, que la convocation de l'appelant à un entretien préalable est intervenue quelques jours après le terme de ce diagnostic en date du 24 mai 2019, de sorte que la procédure est parfaitement régulière et justifiée, qu'il est compréhensible que les différents collaborateurs concernés n'aient pas eu la force de signaler immédiatement les agissements fautifs de l'appelant compte tenu à la fois du lien d'autorité et de l'influence de ce dernier au sein du service, que les faits reprochés se sont produits durant des manifestations professionnelles, que la société verse aux débats les invitations aux «soirées» en question, destinées à la propre équipe de travail de l'appelant, que les faits reprochés étaient directement rattachables à l'activité professionnelle de ce dernier et constituaient un manquement flagrant à ses obligations contractuelles, que ses prétentions sont disproportionnées et contraires à la loi, que l'article L1235-3 du code du travail est parfaitement conforme au droit européen, que l'appelant ne produit aucun élément visant à établir la réalité du préjudice allégué, qu'il ne fournit aucune justification de sa situation personnelle et professionnelle depuis sa sortie des effectifs de la société, qu'il exerce actuellement les fonctions de président de la société Prevent's, que les éléments sollicités par l'appelant sous astreinte ne sont pas des données personnelles le concernant, qu'il s'agit soit de données personnelles d'autres salariés ou d'échanges entre salariés ou collaborateurs relevant du secret des correspondances, que selon l'article 15 du règlement général de protection des données, le droit d'accès reconnu au salarié ne doit pas porter atteinte aux droits détenus par des tiers comme le droit au secret des correspondances, qu'en sollicitant les entretiens individuels de différents salariés de l'entreprise, l'appelant s'affranchit des dispositions relatives à la confidentialité des entretiens d'évaluation, que les éléments probatoires fournis par la société sont suffisants pour justifier le bien-fondé de la rupture du lien contractuel.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Attendu en application de l'article L1234-1 du code du travail qu'il résulte de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que les motifs y énoncés sont une attitude managériale inacceptable auprès de certaines équipes du Service Innovation dont l'appelant avait la responsabilité, un traitement inéqutable de ses collaborateurs, une attitude vexatoire et humiliante, un humour caustique déplacé, des gestes tendancieux et provocateurs à l'égard de collaboratrices, un manque de respect envers des collaborateurs conduisant à les décrédibiliser, des réflexions inacceptables et provocatrice envers femmes, parfois à connotation sexuelle dans le cadre de soirées ou de réunions d'équipe, des réflexions négatives et méprisantes sur la façon de travailler des salariés, un comportement ayant généré une souffrance au travail chez les collaborateurs concernés ;
Attendu qu'il résulte de la lettre de licenciement que les différents griefs reprochés à l'appelant ont été mis en évidence par une enquête ayant donné lieu à un document intitulé 'diagnostic human booster inno' rédigé après la rencontre par [M] [C] [N] [SX] [S] [KI] et [AH] [AZ] de 28 collaborateurs ou collaboratrices entre le 20 et le 24 juin 2019 ; que toutefois le document versé aux débats n'est qu'un résumé de quatre pages de ce rapport contenant la liste des observations censées être recueillies auprès d'une partie des vingt huit collaborateurs de l'appelant sur les aspects positifs et négatifs du management de celui-ci, accompagnée pour les aspects négatifs d'exemples de comportements qui auraient marqué douze d'entre eux et qui pour huit collaborateurs seraient la manifestation d'un manque d'exemplarité ; que toutefois, dans la mesure où selon la lettre de licenciement, ce diagnostic a déterminé la mise en oeuvre de la procédure de licenciement, il est nécessaire qu'il soit versé aux débats dans sa totalité ; que de même, selon le contexte décrit dans le diagnostic, celui-ci a été provoqué par [AH] [OE] à la suite de la réception d'un verbatim qualifié d'inquiétant de la dernière enquête collaborateurs effectuée en mars 2019 ; qu'il importe donc que ce dernier document soit également produit ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
AVANT DIRE DROIT
SURSEOIT A STATUER,
ORDONNE la révocation de l'ordonnance de clôture en date du 22 novembre 2022,
ORDONNE la communication dans un délai d'un mois à compter du présent arrêt par la société DECATHLON à [I] [WT] du rapport intitulé «diagnostic human booster inno» dans son intégralité et de l'enquête menée auprès des collaborateurs de [I] [WT] au cours du mois de mars 2019 et en particulier de son verbatim,
DIT qu'à la suite de cette communication, les parties pourront présenter des observations par conclusions ;
ORDONNE la clôture de la procédure à la date du 10 mai 2023,
FIXE l'audience des plaidoiries au 31 mai 2023 à 14 H 00,
RÉSERVE les dépens.
LE GREFFIER
N. BERLY
LE PRÉSIDENT
P. LABREGERE