ARRÊT DU
17 Février 2023
N° 224/23
N° RG 20/02017 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TGTH
SHF/AL
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DUNKERQUE
en date du
01 Septembre 2020
(RG 19/00192 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 17 Février 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
S.A.S. CATH DIFFUSION
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Jean-philippe CARLIER, avocat au barreau de DUNKERQUE
INTIMÉE :
Mme [S] [T]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Isabelle DE LYLLE, avocat au barreau de DUNKERQUE
DÉBATS : à l'audience publique du 04 Janvier 2023
Tenue par Soleine HUNTER-FALCK
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Séverine STIEVENARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Soleine HUNTER-FALCK
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Février 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 14 Décembre 2022
La SAS Cath Diffusion est soumise à la convention collective des commerces de détail non alimentaire.
Mme [S] [T], née en 1982, a été engagée, à la suite d'une convention relative à la mise en oeuvre d'une période de mise en situation en milieu professionnel fixée avec Pôle Emploi du 07 au 13.06.2018, par contrat à durée indéterminée par la SAS Cath Diffusion 13.06.2018 en qualité d'agent polyvalent à temps partiel (26 h par semaine) ; il a été convenu du renouvellement de la période d'essai jusqu'au 12.09.2018.
Par avenants des 30.06 et 31.08.2018 les horaires de travail ont été revus et la durée du travail fixée à 30 h par semaine.
Un avertissement a été notifié à la salariée le 21.12.2018 en raison de son comportement, Mme [S] [T] l'a contesté le 09.01.2019.
Elle a été placée en arrêt de travail du 28.12.2018 au 19.01.2019.
Mme [S] [T] a été convoquée par lettre du 28.01.2019 à un entretien préalable fixé le 06.02.2029 avec mise à pied conservatoire, puis licenciée par son employeur le 09.02.2019 pour faute grave ; il lui était reproché les faits suivants :
'Malgré les explications que vous nous avez fournies, nous avons décidé de vous licencier.
Ainsi que nous vous l'avons exposé lors de l'entretien, les motifs de ce licenciement sont les suivants :
- Insubordinations, arrogance, manque de respect total.
Le 22 janvier 2019, je vous ai demandé de mettre de la marchandise en rayon et de montrer à Madame [X] [R], comment il fallait procéder car c'était son premier jour de travail.
Au bout de quelques minutes je vous ai surprise en train de discuter avec une de vos collègue et vous ai demandé de reprendre votre travail ce que vous avez refusé puisque vous aidiez soit-disant votre collègue à bouger une palette.
Le ton est monté et vous m'avez demandé d'un air très arrogant pourquoi vous deviez former une personne alors que vous ne pouviez aider votre collègue.
Je vous ai alors répondu qu'[B] savait bouger une palette seule et si c'était vous qui fixiez les règles du magasin ce à quoi vous avez répondu « Non, non, mais c'est pas vous non plus ».
Nous ne pouvons tolérer de tels propos et de tels agissements à l'égard de votre hiérarchie et considérons que ces faits constituent une faute grave rendant impossible votre maintien même temporaire dans l'entreprise
Votre licenciement est donc immédiat, sans préavis ni indemnité de rupture.'
Le 15.02.2019, Mme [S] [T] a contesté le solde de tout compte ainsi que le licenciement.
Le 27.06.2019, le conseil des prud'hommes de Dunkerque a été saisi par Mme [S] [T] en contestation de cette décision, et indemnisation des préjudices subis.
Un appel a été interjeté régulièrement devant la cour d'appel de Douai le 24.09.2020 par la SAS Cath Diffusion à l'encontre du jugement rendu le 01.09.2020 par le conseil de prud'hommes de Dunkerque section Commerce, qui a :
Dit que le licenciement de Madame [T] [S] est justifié par une cause réelle et sérieuse ;
Débouté Madame [T] [S] de la demande formulée au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamné la SAS Cath Diffusion à lui verser les sommes suivantes :
- 506,00€ au titre de la déduction salariale de la mise à pied à titre conservatoire ;
- 1.130,00€ au titre de l'indemnité de préavis ;
- 163,60€ au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis et sur la déduction salariale de la mise à pied conservatoire ;
- 150,00€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouté la SAS Cath Diffusion de l'ensemble de ses demandes ;
- Condamné la SAS Cath Diffusion aux entiers dépens.
Vu les conclusions transmises par RPVA le 24.12.2020 par la SAS Cath Diffusion qui demande de :
'Dire bien appelé, mal jugé pour les sanctions pécunières'
Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Dunkerque, en date du 1er Septembre 2020, en ce qu'il a dit que le licenciement de Madame [T] est justifié par une cause réelle et sérieuse et l'a déboutée de sa demande formulée au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et l'infirmer pour les sanctions pécunières.
Débouter Madame [T] de l'ensembIe de ses demandes, fins et conclusions.
Condamner Madame [T] à verser à la SAS Cath Diffusion une somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamner Madame [T] aux entiers frais et dépens.
Vu les conclusions transmises par RPVA le 24.02.2021 par Mme [S] [T] qui demande à la cour de :
CONFIRMER le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Dunkerque le 1 er septembre 2020 (Rg n°19/00192) en ce qu'il a :
- Condamné l'employeur à lui payer :
. 506,00€ au titre de la déduction salariale de la mise à pied à titre conservatoire ;
. 1.130,00€ au titre de l'indemnité de préavis ;
. 163,60€ au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis et sur la déduction salariale de la mise à pied conservatoire ;
. 150,00€ au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- Débouté la SAS Cath Diffusion de l'ensemble de ses demandes ;
- Condamné la SAS Cath Diffusion aux entiers dépens ;
INFIRMER le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Dunkerque le 1 er septembre 2020 (Rg n°19/00192) en ce qu'il a :
- Dit que le licenciement de Madame [T] est justifié par une cause réelle et sérieuse;
- Débouté Madame [T] de sa demande formulée au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Et en conséquence :
DECLARER le licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de Madame [T] comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNER la SAS Cath Diffusion à verser à Madame [T] la somme de 1.000,00€ au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse; CONDAMNER la SAS Cath Diffusion à verser à Madame [T] la somme 1.600,00€ au titre de l'article 700 pour les frais de justice engagés en cause d'appel
CONDAMNER la SAS Cath Diffusion aux entiers dépens, dont distraction faite au profit de Maître Isabelle de Lylle ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 14.12.2022 prise au visa de l'article 907 du code de procédure civile ;
Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l'audience de plaidoirie.
A l'issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur le bien fondé et les conséquences du licenciement :
La lettre de licenciement, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du litige qui peuvent être éventuellement précisés par l'employeur. Dès lors que l'employeur et le salarié sont d'accord pour admettre que le contrat de travail a été rompu, chacune des parties imputant à l'autre la responsabilité de cette rupture, il incombe au juge de trancher le litige en décidant quelle est la partie qui a rompu.
Il appartient au juge d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur. En principe, la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du motif n'incombe pas spécialement à l'une ou à l'autre des parties. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, si besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; les faits invoqués doivent être matériellement vérifiables ; afin de déterminer si les faits imputés au salarié sont ou non établis, les juges du fond apprécient souverainement la régularité et la valeur probante des éléments de preuve qui leur sont soumis. Le doute sur la réalité des faits invoqués doit profiter au salarié.
La faute grave est entendue comme la faute imputable au salarié constituant une violation de des obligations découlant de son contrat de travail ou de ses fonctions, qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis et impose son départ immédiat ; les juges du fond, pour retenir la faute grave, doivent caractériser en quoi le ou les faits reprochés au salarié rendent impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis. Alors que la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'incombe pas particulièrement à l'une ou l'autre des parties, il revient en revanche à l'employeur d'apporter la preuve de la faute grave qu'il reproche au salarié ; en cas de doute il profite au salarié.
Lorsque qu'une faute grave n'est pas caractérisée, les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain pour apprécier si les faits initialement qualifiés de faute grave par l'employeur constituent ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement.
A l'appui de son argumentation, la société évoque des faits d'insubordination, de l'arrogance, et un manque de respect total en produisant l'attestation de Mme [R], travaillant en immersion dans l'entreprise depuis le 22.01.2019 et avec Mme [S] [T] depuis deux jours, dans laquelle cette salariée déclare que les employées, Mme [S] [T] et sa collègue [B] [U], 'parlent d'une façon très incorrecte et irrespectueuse à Mme [E] [G] la patronne de Destockland' ; elle a précisé que le 23.01.2019, cette dernière a demandé à Mme [S] [T] de lui montrer comment ranger les rayons et qu'elle aurait répondu 'qu'elle n'était pas payer pour me former. Donc Mme [E] lui a demandé si c'est elle qui fesait les règles du magasin' [S] lui a répondu 'NON!' mais ce n'est pas vous non plus! J'ai été choqué'.
De son côté, Mme [S] [T] a contesté toute faute grave en indiquant que son employeur lui donnait des directives contradictoires pour la pousser à la faute ; elle a observé avoir reçu auparavant un avertissement concernant un manque de respect vis à vis de sa hiérarchie, la réitération de ce comportement ne pouvant se traduire que par un nouvel avertissement ; il s'agirait plutôt d'une insuffisance professionnelle. Elle fait valoir que son employeur lui a imposé de nombreuses heures complémentaires ce qui a nécessité la signature d'un avenant au contrat de travail relatif aux horaires de travail et que son comportement était autoritaire et arbitraire, ce qui ressort des courriers adressés aux autres salariés ; son propre état de santé s'est dégradé dans ce contexte.
La cause du licenciement n'est pas objective eu égard au propre comportement de l'employeur ; dans le cadre de l'entretien préalable il a à plusieurs reprises fait état de sa décision de la licencier ; l'attestation de Mme [R] a été rédigée sous la pression de l'employeur sur les lieux même de leur emploi ; enfin les faits qui lui sont reprochés sont datés du 22.01.2019 alors que Mme [U] ne travaillait pas.
Au préalable il convient de constater que la société a demandé la confirmation du jugement rendu le 01.09.2020 par le conseil de prud'hommes de Dunkerque 'en ce qu'il a dit que le licenciement de Madame [T] est justifié par une cause réelle et sérieuse', ce dont il ressort que l'employeur renonce à la qualification de faute grave pour le licenciement de la salariée. Cependant dans le corps de ses écritures, la SAS Cath Diffusion maintient cette qualification.
Il résulte des pièces communiquées à la cour et notamment de l'attestation délivrée par Mme [R] le 23.01.2019, que celle ci a assisté à un échange peu amène entre Mme [S] [T] et sa responsable hiérarchique Mme [E], alors que cette dernière lui avait demandé d'aider Mme [R] et non Mme [U]. Le 21.12.2018, la SAS Cath Diffusion avait notifié à Mme [S] [T] un avertissement motivé par le fait que celle ci n'ouvait plus le magasin spontanément, et que les 05 et 12.12.2018 elle aurait tenu des propos irrespectueux ; il s'agissait d'une mise en garde qui n'a pas été suivie d'effet, que Mme [S] [T] l'avait contesté par écrit sans cependant en demander l'annulation dans le cadre de la présente procédure. Le grief est donc établi.
Néanmoins il est établi par ailleurs que lors de l'entretien préalable s'étant tenu en présence de M. [H] le 06.02.2019, Mme [E] a reconnu ne plus supporter ses 'réflexions désagréables, ici c'est moi qui commande, contrairement à ce que vous croyez ça n'est pas vous' mais également avoir d'ores et déjà pris la décision de la licencier tout en l'ayant déjà remplacée pendant la mise à pied. Mme [U], collègue de travail, a été elle même licenciée pour les mêmes motifs le 05.02.2019.
Dès lors si les éléments de faits et de preuve justifient la réalité des griefs imputés à la salariée, dans le contexte décrit, ces faits ne rendaient pas impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis, peu important l'acrimonie manifestée par la responsable de la salariée.
Le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse ; le jugement sera confirmé également en ce qui concerne les conséquences du licenciement, les montants des demandes n'étant pas contestés.
Il serait inéquitable que Mme [S] [T] supporte l'intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la SAS Cath Diffusion qui succombe doit en être déboutée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement contradictoirement :
Déclare l'appel recevable ;
Confirme le jugement rendu le 01.09.2020 par le conseil de prud'hommes de Dunkerque en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de leur demande ;
Rejette les autres demandes ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Cath Diffusion à payer à Mme [S] [T] la somme de 1.600 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;
Condamne la SAS Cath Diffusion aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER
Nadine BERLY
LE PRESIDENT
Soleine HUNTER-FALCK