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17/02/2023 | FRANCE | N°20/01444

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale c salle 1, 17 février 2023, 20/01444


ARRÊT DU

17 Février 2023







N° 223/23



N° RG 20/01444 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TCB4



SHF/VDO





























Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LANNOY

en date du

17 Juin 2020

(RG 19/00012 -section )



































GROSSE :



Aux av

ocats



le 17 Février 2023



République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



Mme [V] [R]

[Adresse 1]

représentée par Me Stéphane DUCROCQ, avocat au barreau de LILLE, assisté de Me Magali OUSTIN-ASTORG, avocat au barreau de TOULOUSE





INTIMÉE :



S.A.S....

ARRÊT DU

17 Février 2023

N° 223/23

N° RG 20/01444 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TCB4

SHF/VDO

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LANNOY

en date du

17 Juin 2020

(RG 19/00012 -section )

GROSSE :

Aux avocats

le 17 Février 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme [V] [R]

[Adresse 1]

représentée par Me Stéphane DUCROCQ, avocat au barreau de LILLE, assisté de Me Magali OUSTIN-ASTORG, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉE :

S.A.S. DECATHLON FRANCE

[Adresse 2]

représentée par Me Rodolphe PIRET, avocat au barreau de DOUAI,

assistée de Me Yannick LIBERI, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Soleine HUNTER-FALCK

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

Gilles GUTIERREZ

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : Serge LAWECKI

DÉBATS : à l'audience publique du 14 Décembre 2022

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Février 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 19 janvier 2022

La SAS Decathlon France qui a une activité de distribution d'articles de sport est soumise à la convention collective du commerce de détail des articles de sports et de loisirs ; elle comprend plus de 10 salariés.

Mme [V] [R], née en 1982, a été engagée par contrat à durée indéterminée par la SAS Decathlon France le 03.06.2009 en qualité de responsable de rayon statut cadre coefficient 300 sur le site de [Localité 3] et il était stipulé une rémunération au forfait-jours sur 218 jours à temps complet.

La salariée a été mutée sur le site de [Localité 4] à [Localité 5] en 2012.

Elle a été promue responsable exploitation magasin coefficient 320 par avenant du 25.01.2013.

En octobre 2010, Madame [R] a été placée en arrêt de travail jusqu'en juin 2012.

Le 03.03.2014 Madame [R] a été jugée inapte temporaire sur le poste de responsable d'exploitation par le médecin du travail qui a préconisé un arrêt de travail.

Le 04.03.2014 Mme [V] [R] a été placée en arrêt maladie par son médecin traitant pour 'syndrome dépressif réactionnel à harcèlement moral dans le cadre du travail. Déclarée inapte temporaire par la médecine du travail'.

Le 19 mars suivant elle a été de nouveau déclarée inapte temporairement sur le poste de responsable d'exploitation par la médecine du travail.

L'arrêt de travail de la salariée a été prolongé pour « Asthénie. Trouble du sommeil. Etat dépressif suite à harcèlement moral sur lieu de travail » jusqu'au 01.06.2014.

Le 06.06.2014, le médecin du travail a rendu un avis d'aptitude à la reprise sur le poste de responsable d'exploitation, en précisant 'à revoir en juillet 2014".

Mme [V] [R] a été victime d'un accident du travail en raison d'une entorse le 27.06.2014 et placée en arrêt maladie jusqu'au 02.07.2014 ; cet accident a été reconnu au titre des accidents du travail par la CPAM le 03.07.2014.

Le 28.07.2014, le médecin du travail a déclaré la salariée apte au poste de responsable d'exploitation.

Le 15.09.2014, Mme [V] [R] a adressé un courriel à M. [X] [O], directeur de magasin, pour faire état d'une souffrance récurrente au travail. Par LRAR du 17.09.2014, la société lui a rappelé les différentes actions mises en place à son profit et lui a proposé un rendez vous avec la médecine du travail. En réponse, la salariée a maintenu la dénonciation de ses conditions de travail.

Lors de l'examen organisé à la demande de l'employeur, le médecin du travail a indiqué le 24.11.2014 que la salariée devait se faire prescrire un arrêt de travail par son généraliste.

Mme [V] [R] a été mise en arrêt maladie du 25.11.2014 avec prolongation jusqu'au 31.03.2015.

La salariée a informé la société de son congé maternité complété d'un congé pathologique allant du 09.05.2015 au 11.09.2015 ; elle a donné le jour à un enfant qui n'a pas vécu.

Dans un courrier daté du 13.03.2015, la SAS Decathlon a informé Mme [V] [R] que ses missions de responsable d'exploitation au sein du magasin situé à [Localité 4] / [Localité 5] étaient confiées temporairement à un responsable du magasin pendant son congé maternité.

Le médecin du travail a, dans le cadre d'une viste de préreprise s'étant tenue le 28.08.2015, préconisé une reprise à mi temps thérapeutique.

Puis elle a bénéficié d'un arrêt maladie du 14.09.2015 qui a été prolongé jusqu'au 31.10.2016.

Le 17.09.2015, Madame [R] a été déclarée apte au poste de responsable d'exploitation avec mise en place d'un temps partiel thérapeutique de 2 jours et demi par semaine sans port de charge lourde 10 kg maximum. Le temps partiel thérapeutique a été renouvelé à hauteur de 50% par avenant en date du 29.09.2015 pour un mois, puis à nouveau jusqu'au 31.01.2016.

Mme [V] [R] a été désignée représentante de section syndicale le 01.12.2015.

Elle a bénéficié d'un coaching de la part de JLO Emploi sur proposition du Directeur du magasin

M. [X] [O], en décembre 2015/ janvier 2016.

Le 04.03.2016, le médecin du travail l'a déclarée apte avec aménagement de poste sur le poste de responsable d'exploitation, apte au porte de responsable de rayon en précisant : 'ne doit pas travailler plus de 5 demi journées par semaine'. Le temps partiel thérapeutique a été renouvelé par avenant jusqu'au 31.03.2016 puis au 31.05.2016.

Le 26.07.2016, le conseil des prud'hommes de Lannoy a été saisi par Mme [V] [R] en vue de voir reconnaître un harcèlement sexuel et en nullité de la convention de forfait jours avec réintégration dans le poste de responsable d'exploitation, indemnisation des préjudices subis et pour diverses demandes liées à l'exécution du contrat de travail.

Le 30.09.2016 Mme [V] [R] a été déclarée en invalidité 2è catégorie par la CPAM de [Localité 5].

Un appel a été interjeté régulièrement devant la cour d'appel de Douai le 08.07.2020 par Mme [V] [R] à l'encontre du jugement rendu le 17.06.2020 par le conseil de prud'hommes de Lannoy section Encadrement, notifié le 18.06.2020, qui a ordonné à la société Decathlon FRANCE de réintégrer Madame [R] sur son poste de responsable d'exploitation tout en rejetant les demandes des parties, chacune d'elle conservant la charge des dépens.

Vu les conclusions transmises par RPVA le 21.10.2020 par Mme [V] [R] qui demande à la cour de :

- INFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lannoy le 17.06.2020,

. Juger que Madame [R] a été victime de harcèlement sexuel

. Juger que la SAS Decathlon a manqué à son obligation de prévenir le harcèlement sexuel

. Juger que Madame [R] a été victime de harcèlement moral

. Juger que la SAS Decathlon a manqué à son obligation de prévenir le harcèlement moral

. Juger que la décision de rétrogradation de Madame [R] au poste de responsable de rayon constitue une discrimination en lien avec son état de grossesse et son état de santé

. Juger que la convention de forfait en jours est nulle

En conséquence :

. Condamner la SAS Decathlon à verser à Madame [R] les sommes suivantes :

- 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel

- 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de prévention du harcèlement sexuel

- 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

- 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de prévention du harcèlement moral

- 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination

- 64 036, 33 euros à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées

- 6 403, 63 euros au titre des congés payés y afférents

- 36 144, 84 euros à titre d'indemnité de contrepartie obligatoire en repos

- 18 147, 96 euros à titre d'indemnité forfaitaire de travail dissimulé

- CONFIRMER pour le surplus le jugement rendu le 17 juin 2020,

. Condamner la SAS Decathlon à verser à Madame [R] la somme de 3 000 euros

sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;

Vu les conclusions transmises par RPVA le 23.12.2020 par la SAS Decathlon France qui demande de :

Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées

INFIRMER le jugement rendu le 17.06.2020 en ce qu'il ordonne la réintégration de Madame

[N] [R] au poste de responsable d'exploitation ;

CONFIRMER le iugement rendu le 17.06.2020 pour le surplus, en ce qu'il a debouté Madame [N] [R] du surplus de ses demandes ;

Et statuant à nouveau,

JUGER que Mme [N] [R] n'a été victime d'aucun harcèlement sexuel ;

JUGER que Mme [N] [R] n'a été victime d'aucun harcèlement moral ;

JUGER que la société Decathlon France ne peut se voir reprocher le moindre manquement a son obligation de prévention en matiere de harcèlement sexuel tout comme de harcèlement moral ;

JUGER que Mme [N] [R] n'a subi aucune discrimination en lien avec son état

de santé ou son état de grossesse ;

JUGER que la réintégration de Madame [N] [R] à son poste de responsable

d'exptoitation ne pourra être prononcée qu'après avis express du médecin du travail rendu en ce sens ;

JUGER que Mme [N] [R] releve bien de la catégorie des cadres au forfait-jours autonomes ;

JUGER, à titre principal, que Mme [N] [R] ne peut donc prétendre à la moindre heure supplémentaire ;

JUGER, à titre subsidiaire, que Mme [N] [R] ne démontre pas le quantum de ses demandes de rappels d'heures supplémentaires ;

EN CONSEQUENCE,

DEBOUTER Mme [N] [R] de l'ensemble de ses demandes ;

CONDAMNER Mme [N] [R] à verser à la société Decathlon une somme

de 4.000 € sur le fondement de l'articie 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Un arrêt désignant un médiateur a été rendu le 09.02.2022 ; cependant aucun accord n'ayant pu être trouvé, l'affaire a été reprise le 14.12.2022 sur réouverture des débats avec dépôt de dossiers, et mise en délibéré.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 19.01.2022 prise au visa de l'article 907 du code de procédure civile ;

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l'audience de plaidoirie.

A l'issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur l'exécution du contrat de travail :

a) Sur le harcèlement sexuel et le manquement à l'obligation de prévention :

Aux termes de l'article L 1153-1 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce, aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

Selon l'article L 1153- 5 dans sa version applicable, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel.

Mme [V] [R] fait valoir qu'un nouveau directeur de magasin, M. [T] [S], a été nommé sur le site de [Localité 5] en août 2013, qui a eu progressivement à son égard un comportement déplacé ; elle a alerté par courriel sa hiérarchie (M. [C], Directeur régional) le 24.09.2013 de difficultés dans l'exécution de ses tâches, et en a fait part à un collègue responsable de rayon (M. [H]) le 30.10.2013.

Elle a cependant noué par la suite une relation intime avec M. [S] sur une courte période, qu'elle a relatée dans un courriel adressé à ce dernier le 19.02.2014, dans lequel elle constate qu'il n'avait pas l'intention de poursuivre cette relation. Elle communique des courriels adressés par celui-ci attestant de l'intensité de leur relation, mais également les messages dans lesquels il la menace après qu'elle ait appelé à l'aide sa hiérarchie : ainsi le 21.11.2013 'Au cas où tu ne le sais pas [Y] [M] m'a contacté suite à ton mail d'appel à l'aide que tu lui as envoyé sans me le dire... sache que si tu dis quoi que ce soit à qui que ce soit je te ferais tout perdre! J'espère que tu as bien compris', ce qu'il a répété dans un sms : 'si tu fais quoique ce soit je te ferais tout perdre ! Ton boulot et ton fils!', mais également le 29 novembre suivant sur la messagerie interne de l'entreprise : 'Je suis pas bien quand tu es loin de moi'. Lors d'un échange de courriels M. [S] répond à Mme [V] [R] qui lui déclare '... tu me suit partout dans le magasin et tu te permet de me tripoter quand on est en EI (entretien individuel) tu n'es qu'un sal porc!' : 'oui je sais mais je n'arrive pas à me maîtriser'. Cette situation s'est poursuivie en décembre 2013 ; M. [S] lui a à nouveau adressé un message inapproprié sur la messagerie interne le 20 décembre (notamment 'tu n'aurais jamais du faire ça! Espèce de pute tu vas le payer'), et il a tenté de lui offrir des cadeaux qu'elle a refusés en lui demandant d'arrêter de la harceler (07.01.2014 et le 14 suivant) ; Mme [V] [R] a demandé que son entretien d'évaluation se tienne en open space le 21.01.2014 et non seule à seule dans le bureau de son supérieur, tout en alertant M. [Z].

Mme [V] [R] rappelle que la société a dans un premier temps mis à pied conservatoire M. [S] le 03.03.2014 avant de prononcer une mise à pied disciplinaire de six jours le 24.03.2014 ; dans ce courrier de notification de sanction l'employeur a indiqué à M. [S] que la salariée avait subi les conséquences de ses agissements et avait été déclarée inapte temporaire par le médecin du travail qui a mis en exergue la fragilité de son état psychologique, mais également que l'organisation du magasin et la conduite managériale des équipes en avaient été affectées. De son côté Mme [R] n'a pas reçu de sanction disciplinaire et aucune plainte n'a été déposée à son encontre ; son arrêt maladie a été prolongé. La société n'a pas saisi la médecine du travail à la suite des faits dénoncés par la salariée.

La SAS Decathlon oppose le fait que la relation sentimentale ayant existé entre Mme [V] [R] et M. [S] était librement consentie entre adultes depuis septembre 2013 ce qui ne peut laisser présumer un harcèlement sexuel à partir du 30.10.2013 ; la société n'a été avisée du comportement harceleur du Directeur de magasin qu'en mars 2014 ; elle communique le dépôt de plainte de Mme [V] [R] du 21.10.2016 auprès du commissariat de police de [Localité 5] dans lequel elle déclare avoir informé M. [M], RRH, du harcèlement sexuel qu'elle subissait de la part de M. [S] fin février 2014 et ce dépot de plainte aurait été retransmis sur Facebook soit publiquement ; le courriel du 19.02.2014 adressé à M. [S] confirme la réalité et la nature des relations entretenues entre les intéressés jusque là ; ce dernier l'a reconnue dans le courriel du 24.02.2014 tout en invoquant une responsabilité partagée ; il s'agit donc bien d'une affaire privée qui ne peut avoir de retentissement professionnel. La société déclare que la salariée s'est préconstituée des preuves en s'adressant des messages à elle même. Elle indique que la salariée a eu des intentions diffamatoires à l'égard de M. [S] ; le message qu'elle avait adressé à M. [S] le 19.02.2014 a été transmis par M. [M] au nouveau Directeur de magasin M. [O] le 26.02.2014 en l'absence de toute confidentialité tandis que la salariée elle même a publié sur Facebook sous le pseudonyme de 'Drew Isaïa' un message 'Stop au harcèlement et aux discriminations' dénonçant un harcèlement sexuel, ce qui a été constaté par commissaire de justice le 13.02.2017. Mme [V] [R] n'a pas cherché à faire reconnaître ce harcèlement sexuel en interne auprès des institutions représentatives alors qu'elle avait été désignée représentante de section syndicale, ni auprès de la médecine du travail, ni à exercer son droit de retrait ou encore à procéder à un dépôt de plainte. Mme [V] [R] ne peut pas opposer l'absence de prévention alors même que la société n'a été avisée que tradivement et que bien au contraire elle a sanctionné M. [S] dès le 03.03.2014, ce qui ne constitue pas en soi la reconnaissance de la réalité de ce harcèlement sexuel ; la société ne pouvait pas s'immiscer plus tôt dans une relation purement privée ; elle n'en n'a pas été informée dès le mois d'octobre 2013.

Sur ce, un responsable hiérarchique ne peut avoir à l'égard d'une salariée des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste ; la qualification de harcèlement sexuel nécessite l'absence de consentement de la victime, mais aussi une atteinte à la dignité ou une situation intimidante, hostile ou offensante.

Il ressort des éléments du débat que si, en effet, M. [S], nommé Directeur du magasin de [Localité 5] en août 2013, et Mme [V] [R], ont entamé courant septembre une relation consentie librement entre adultes, cette relation a dérapé fin novembre 2013 lorsque M. [S] n'a plus voulu poursuivre cette relation qui mettait en danger la relation suivie qu'il avait par ailleurs. Cependant il a néanmoins adressé à la salariée, sa subordonnée, à partir de la messagerie de l'entreprise, des messages qui ne faisaient aucun doute sur leur caractère de nature sexuel alors que celle ci s'estimait trompée et refusait une relation devenue sans avenir, mais également des messages de menaces explicites liant le professionnel et le personnel ; l'absence de consentement est dès lors démontré de même que la situation hostile et même offensante compte tenu de la nature certains propos injurieux transmis par courriels. Dans la lettre de mise à pied disciplinaire du 24.03.2014, la société a reconnu les conséquences du comportement de M. [S] à l'égard de sa subordonnée qui a été placée en arrêt maladie en mars 2014 et jusqu'au 01.06.2014, mais également au sein du service. Il importe peu que Mme [V] [R] n'en n'ait pas saisi les institutions représentatives dont elle faisait partie, ni même la médecine du travail qui a néanmoins constaté les incidences médicales de la situation litigieuse et préconisé un arrêt de travail pour la salariée victime.

Il ressort du courriel adressé par M. [S] le 21.11.2013 à la salariée que M. [M], qui occupait la position de RRH, avait reçu de la part de Mme [R] un 'appel à l'aide' envoyé sans en prévenir M. [S] qui déclare dans ce message 'sache que si tu dis quoi que ce soit à qui que ce soit je te ferais tout perdre!'. Pour autant le responsable RN n'a pas réagi si ce n'est en contactant M. [S] sans qu'il y ait de suite particulière. On ne peut donc pas dire que la société avait été avisée tardivement et n'a donc pas été en mesure de prendre de mesure de prévention ; en effet si le 24.09.2013 Mme [V] [R] a évoqué uniquement ses conditions de travail auprès du Directeur régional et a adressé un courriel à un collègue simple responsable de rayon qui n'avait aucune légitimité à intervenir, en revanche elle avait saisi le service compétent du comportement de son supérieur en novembre 2013.

Par ailleurs, l'employeur peut engager sa responsabilité civile à l'égard de ses salariés pour des actes dommageables dont il n'est pas l'auteur direct. Il peut s'exonérer de sa responsabilité dès lors qu'il justifie avoir pris toutes les actions de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail (actions de prévention des risques et de la pénibilité, de formation et d'information, mise en place d'une organisation et de moyens adaptés, etc.) et qu'informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, il a pris les mesures immédiates pour le faire cesser effectivement.

S'il a eu connaissance de faits laissant présumer des actes de harcèlement sexuel et moral il doit immédiatement procéder à une enquête et engager une procédure disciplinaire dans les deux mois suivant la date à laquelle il a eu connaissance des reproches de la salariée harcelée.

De fait il ressort des éléments du débats que la société a été avisée en novembre 2013 de l'existence d'une situation délicate établie entre Mme [R] et son supérieur hiérarchique sans immédiatement chercher à recueillir plus d'information en particulier dans le cadre d'une enquête qui aurait permis de révéler que la salariée s'était ouverte de ses difficultés auprès d'un collègue responsable de rayon qui en l'état n'avait aucune légitimité à intervenir.

De fait, il est établi que c'est en février 2014 que M. [S] s'est adressé à M. [C], Directeur régional, en reconnaissant la relation qu'il avait eu avec sa subordonnée tandis que celle ci s'adressait à nouveau à M. [M] responsable Rh Ouest pour relater les faits en transférant le contenu d'échanges entre les deux protagonistes, tout en rencontrant le médecin du travail le 03.03.2014 ; M. [S] a été mis à pied conservatoire puis mis à pied disciplinaire le 24.03.2024, après que l'employeur ait entendu les deux salariés concernés.

Le harcèlement sexuel subi par Mme [V] [R] dans un contexte professionnel au sein de la SAS Decathlon est par suite établi. La société sera condamnée au paiement de la somme de 5.000 € en réparation du préjudice subi. Le jugement sera infirmé.

Le manquement à l'obligation de prévention est également démontré et la société sera condamnée au paiement de la somme de 2.000 €. Le jugement sera infirmé.

b) Sur le harcèlement moral :

Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il appartient au juge de se prononcer sur l'ensemble des éléments retenus afin de dire s'ils laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral. Le juge ne doit pas seulement examiner chaque fait invoqué par le salarié de façon isolée mais également les analyser dans leur ensemble, c'est-à-dire les apprécier dans leur globalité, puisque des éléments, qui isolément paraissent insignifiants, peuvent une fois réunis, constituer une situation de harcèlement.

Si la preuve est libre en matière prud'homale, le salarié qui s'estime victime de harcèlement moral est tenu d'établir la matérialité des éléments de faits précis et concordants qu'il présente au soutien de ses allégations afin de mettre en mesure la partie défenderesse de s'expliquer sur les agissements qui lui sont reprochés.

Au soutien de ses allégations, Mme [V] [R] fait valoir qu'elle a également été victime d'un harcèlement moral de la part de M. [S] ainsi que de la part de sa hiérarchie et de ses collègues à partir de janvier 2014 et jusqu'en avril 2016.

En ce qui concerne son supérieur hiérarchique direct, elle relève les pressions et et menaces exercées à son encontre lorsqu'elle a voulu faire état du harcèlement sexuel ; elle produit des échanges de courriels avec M. [S] mentionnant qu'elle avait souhaité porter plainte ce dont il l'avait dissuadée mais aussi qu'il avait lui même dénoncé le comportement harcelant de sa subordonnée ; il a répondu qu'il avait été contraint par l'entreprise de le faire en indiquant 'je suis vraiement désolé de tout ce que je te fais subir je n'aurais jamais dû te mettre dans cette situation excuse moi' ; il adresse des courriels insultants sur la messagerie de l'entreprise ainsi le 20.12.2013 : 'espèce de pute tu vas le payer'. Dans le courriel du 19.02.2014, Mme [V] [R] relate l'évolution des relations entre les deux salariés.

Mme [V] [R] affirme avoir été confrontée au mépris de ses collègues lorsqu'elle a repris son travail le 01.06.2014 ; elle dénonce dans le courriel adressé à M. [O] le 07.06.2014 le fait que ses collègues responsables de rayon ne lui disent plus bonjour, se détournent et font des réflexions devant les collaborateurs du magasin : 'cette situation est très difficile à vivre honnêtement' ; de même le 15.09.2014, 'Aujourd'hui je ne vois aucune aide et accompagnement et c'est une réelle souffrance pour moi de vivre dans cette situation où je suis méprisée et où des actes vindicatifs me sont faits'. La salariée estime que sa hiérarchie a mis une pression sur elle dans le cadre des entretiens qui se sont tenus ; Mme [J], responsable de rayon jusqu'en août 2013, et M. [W], responsable de rayon en 2012, dénoncent leurs conditions de travail. La salariée indique avoir été rétrogradée au poste de responsable de rayon en raison de son absence lors de son congé maternité et à son retour en temps partiel thérapeutique à la suite du décès de son nouveau né.

Ces éléments précis et concordants sont matériellement établis et peuvent laisser présumer, pris dans leur ensemble, l'existence d'un harcèlement moral.

La société conteste la réalité de ce harcèlement en déclarant que la salariée se présente à tort comme une victime alors qu'elle a vécu une relation amoureuse d'un ordre purement privée avec un collègue de travail ; elle n'a pas été informée de cette situation dès octobre 2013 et a réagi en mettant à pied M. [S] en mars 2014. Elle précise que la salariée a fait l'objet d'un accompagnement lors de sa reprise en juin 2014 après trois mois d'arrêt de travail et alors que M. [S] avait quitté l'entreprise, tout en étant suivi par la médecine du travail qui l'a déclarée apte sans réserve le 06.06.2014 tout comme le 28.07.2014 ; la salariée a remercié M. [O] le 18.09.2014 pour l'accompagnement dont elle bénéficiait de sa part. La SAS Decathlon justifie de ce que Mme [V] [R] a eu avec M. [O] des entretiens individuels de décision et développement (EIDD) à plusieurs reprises les 10.06, 04.07, 25.07, 12.08, 07.10 et 14.11.2014 qui devaient lui permettre d'adapter sa communication avec les collaborateurs dont elle se plaignait, ces difficultés étant relevés lors des entretiens ; elle est revenue d'arrêt maladie dans l'entreprise après le départ houleux de M. [S].

La SAS Decathlon conteste toute rétrogradation au retour de la salariée en septembre 2015 ; elle déclare que le positionnement de responsable de rayon, moins exigeant que celui de responsable d'exploitation, avait été proposé par la société et le médecin du travail, et accepté par Mme [R], il s'agissait d'un aménagement concerté et temporaire de son poste ce qui ressort de son entretien professionnel du 22.12.2015 et ce qu'a confirmé M. [O] dans un courriel du 29.03.2016 ainsi que Mme [A], RH région, le 23.02.2016 ; le poste stratégique de responsable d'exploitation a été confié temporairement à un collègue comme il le lui a été rappelé le 13.03.2015, il s'agissait de M. [G], qui avait été embauché en novembre 2011.

La SAS Decathlon a utilisé un panel complet de mesures adaptées pour accompagner sa reprise en 2015, comprenant 5 entretiens avec un psychologue du travail de décembre 2015 à février 2016, un accompagnement/coaching de la part d'un psychologue référencé par la Mission Handicap à partir de décembre 2015, des rendez vous réguliers avec M. [O], et une rencontre entre les responsables de rayon et un psychologue le 15.12.2015, mesures supervisées par Mme [A]. Cette dernière a répondu à ses sollicitations concernant le dossier de prévoyance, même avec un peu de retard.

En outre, Mme [V] [R] a bénéficié d'un mi temps thérapeutique conformément aux préconisations du médecin du travail de septembre 2015 à avril 2016 à hauteur de 50% et dernièrement de 70%. Ce temps partiel a été effectif et elle ne démontre pas l'inverse. Il lui a été rappelé que son activité professionnelle comportait des contraintes liées à ses responsabilités, indépendamment de son mandat syndical et de son choix de prêter assistance à des collègues extérieurs.

La société conteste tout lien entre les inaptitudes reconnues à la salariée par le médecin du travail les 03 et 19.03.2014 et un harcèlement moral, alors qu'elle avait connu une situation personnelle difficile tant sur le plan de sa santé en raison d'un cancer en 2012 notamment.

Enfin, la SAS Decathlon conteste tout traitement différencié à l'occasion d'un repas de noël en décembre 2016 alors qu'elle était absente pour maladie.

Sur ce, la SAS Decathlon justifie certes des mesures prises à partir de décembre 2015 en faveur de la salariée, et après une succession d'entretiens d'accompagnement avec son nouveau supérieur hiérarchique au cours de l'été 2014, en vue de répondre à une situation objectivement délicate en raison, dans un contexte d'arrêts de travail pour soigner un cancer en 2012, d'un congé maternité qui s'est achevé alors que le nourrisson n'avait pas vécu, précédé d'un accident du travail en juin 2014 et d'une brève relation sentimentale avec son supérieur hiérarchique qui a dégénérée. Si la salariée a été en souffrance, la société a cherché par de nombreux moyens à l'aider à reprendre son emploi ; c'est dans cet esprit qu'un poste moins dimensionné lui a été temporairement attribué, avec son accord, ainsi qu'il ressort de l'entretien professionneldu 22.12.2015, et avec l'assentiment du médecin du travail et de la mission handicap.

Mme [V] [R] a dénoncé le comportement de ses collègues à son retour de congé maladie en juin 2015, alors même qu'il est établi que la relation qu'elle avait entretenue avec le Directeur du magasin qui a été par la suite sanctionné puis licencié, avait créé des réactions au sein de l'entreprise ; M. [O] a de son côté au cours des nombreux entretiens qu'il a eu avec elle cherché à l'aider à surmonter ses difficultés de communication, avant que des professionnels psychologues ne la prennent en charge. Les deux attestations de collègues qui n'étaient pas en place au moment des faits invoqués ne sont pas pertinentes.

Néanmoins, le comportement de M. [S] vis à vis de la salariée a été répréhensible, déplacé et s'est traduit par des injures et menaces inadmissibles dans un contexte professionnel. La société n'a pas réagi suffisamment fort ni suffisamment vite pour faire cesser les faits délictueux, étant précisé que ce responsable a quitté par la suite l'entreprise et que Mme [R] a été alors suivie par un nouveau responsable. En effet M. [M] s'est borné à évoquer la situation avec M. [S] ainsi qu'il résulte du courriel que celui ci a adressé à sa subordonnée le 21.11.2013 ('[Y] [M] m'a contacté') sans qu'il y ait eu la preuve d'une simple mise en garde. Il en est résulté pour la salarié une dégradation de son état de santé psychique et physique qui est suffisamment démontrée.

Par suite le harcèlement moral es démontré, la demande à ce titre sera accueillie et la SAS Decathlon sera condamnée au paiement de la somme de 5.000 € en réparation, le jugement étant infirmé.

Il en est de même du manquement invoqué concernant la prévention de ce harcèlement qui n'a pas été mise en oeuvre ; la société sera condamnée au paiement de la somme de 2.000 € en réparation du préjudice subi. Le jugement sera infirmé.

c) Sur les heures supplémentaires et l'indemnité de contrepartie obligatoire en repos :

- Mme [V] [R] reconnaît que son contrat de travail prévoit une convention de forfait jours cependant elle conteste le niveau d'autonomie nécessaire à la validité d'un tel forfait, ainsi qu'il était prévu par l'accord d'entreprise du 25.06.2002, la société ne pouvant pas se borner à opposer la fiche métier de responsable de rayon, des annonces de recrutement et des avis de collaborateurs anonymes, peu important le nombre d'entretiens suivis ; elle rappelle connaître des sujétions horaires conformes aux horaires d'ouverture et de fermeture du magasin et son planning, elle devait être présente lors des heures d'affluence en fin de journée, et de participer aux déménagements deux fois par mois ; elle présente un décompte et l'attestation de deux salariés, Mme [J] et M. [W], de même que le courriel du Directeur de magasin définissant les priorités au quotidien ; elle dénonce en outre l'absence de suivi de sa charge de travail, de ses horaires, leur compatibilité avec sa vie personnelle et familiale pourtant prévu par l'accord d'entreprise : en 2013 elle a bénéficié d'un point à mi année, en 2014 des entretiens n'abordant pas cette question et en 2015 d'un entretien cadre. Le forfait jours est donc nul et de nul effet.

Sur cette question la SAS Decathlon affirme que le forfait jours contractuels est licite et opposable à la salariée ; Mme [V] [R] l'a accepté contractuellement ; cette convention individuelle de forfait est conforme à l'accord ARTT des cadres du 31.07.2013 qui avait été précédé d'un accord de 2002 ; cet accord du 31.07.2013 stipule que les responsables de rayon et les responsables d'exploitation relèvent de la catégorie des cadres autonomes et que la salariée pour sa part a exercé ces deux fonctions en toute autonomie dans l'organisation de son emploi du temps et de la prise de décision, de par la nature même de ses fonctions, ce qui ressort des fiches métiers, des annonces de recrutement et des avis de collègues ; Mme [V] [R] n'était pas contrainte de respecter les horaires d'ouverture du magasin ou les opérations 'money time' ; la société produit ses plannings signés qui fixaient ses périodes de repos ; elle a reconnu elle même (pièce 52) que son responsable M. [O] savait respecter les horaires des cadres en les laissant autonomes sans pression supplémentaire ; elle pouvait participer à des moments forts sans que cela ne se traduise par une charge de travail supplémentaire.

En ce qui concerne le suivi de la charge de travail de la salariée, le planning prévisionnel inscrit dans le logiciel PlanNet constitue l'instrument de suivi et de contrôle du Directeur de magasin, et la salariée a signé ses propres plannings qui sont communiqués, de même que les entretiens individuels réguliers. Les témoignages produits ne sont pas pertinents.

Sur ce, eu égard aux exigences de protection de la sécurité et de la santé du travailleur, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

Au sein de la SAS Decathlon, un accord d'entreprise a été conclu qui prévoit l'application d'un forfait de 218 jours pour les cadres dits 'autonomes', défini comme le cadre qui a la maîtrise de son emploi du temps et de l'organisation de son travail ; ces cadres doivent élaborer un planning prévisionnel en veillant 'à ce que les amplitudes et la charge de travail soient raisonnables pour assurer une bonne répartition dans le temps de son travail' ; pour garantir la santé au travail, des entretiens doivent être tenus : lors de l'entretien de mi année, lors de l'entretien de mars/avril lorsque les cadres établissent les plannings annuels horaires de leurs équipes et lors de chaque entretien mensuel dès lors que le cadre l'estimera nécessaire, et le salarié pourra alors exprimer son ressenti sur sa charge de travail, l'influence de son travail et de ses responsabilité sur sa santé, ses propositions, en cas de nécessité des plans d'actions pourraient être mis en place.

Or si ces dispositions sont claires et précises, et de nature à répondre aux exigences légales, la société ne communique qu'un entretien de mi année en 2013 qui n'aborde pas la question, ainsi que 6 entretiens 'EIDD' dans le cadre d'un suivi spécifique d'accompagnement de juin à novembre 2014 qui ne laissent pas véritablement apparaître ce contrôle spécifique, et un entretien cadre en 2015 ni daté ni signé ni véritablement renseigné, ce qui est insuffisant à démontrer le suivi attentif de la hiérarchie sur la compatibilité de la charge de travail et des horaires de la salariée avec sa vie personnelle et familiale alors même qu'elle s'était trouvée dans une situation particulière en étant placée en temps partiel thérapeutique de septembre 2015 à avril 2016.

Par suite, la convention de forfait jours n'a pas fait l'objet d'un suivi concret et effectif permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable. Elle est privée d'effet et l'appelante en conséquence peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires.

- La société conteste le décompte formé par Mme [V] [R] de ses heures supplémentaires en relevant que le tableau récapitulatif produit par la salariée, qui n'est pas corroboré par d'autres éléments si ce n'est des témoignages de complaisance, est partiel, incomplet, mal cadré, sans détermination du nombre d'heures hebdomadaires. En outre elle oppose la prescription triennale de la demande eu égard à la saisine prud'homale le 26.07.2016 alors que la demande porte à partir de l'année 2012.

En effet, la demande de Mme [V] [R] ne peut porter que sur la période à compter du 26.07.2013.

Sous cette réserve, il convient de constater qu'en cause d'appel, la salariée n'a pas cru devoir communiquer un nouveau tableau faisant figurer un décompte utile puisque le document est tronqué et qu'il ne propose qu'un récapitulatif total vraisemblablement au 24.10.2016, ce qui ne permet pas pas à la cour de réaliser son office et de contrôler la réalité ou ne serait ce que la vraisemblance de la demande ; les demandes chiffrées sur les années invoquées sont insuffisantes à permettre de déterminer leur bienfondé.

Cette demande sera dans ces conditions écartée et le jugement confirmé.

Dans ces conditions la demande portant sur l'indemnité de contrepartie obligatoire en repos doit également être écartée.

d) Sur le manquement à l'obligation de prévention :

L'employeur prend, en application de l'article L 4121-1 du code du travail, les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : des actions de prévention des risques professionnels ; des actions d'information et de formation ; la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement de circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En conséquence la responsabilité de l'employeur est engagée sauf à prouver : la faute exclusive de la victime ou l'existence de circonstances relevant de la force majeure, imprévisibles, irrésistibles et extérieures. Il suffit que l'employeur manque à l'une de ses obligations en matière de sécurité pour qu'il engage sa responsabilité civile même s'il n'en est résulté ni accident du travail ni maladie professionnelle. Pour satisfaire à son obligation de résultat l'employeur doit vérifier : les risques présentés par l'environnement de travail, les contraintes et dangers liés aux postes de travail, les effets de l'organisation du travail, la santé des salariés, les relations du travail.

La simple constatation du manquement à l'obligation de sécurité suffit à engager la responsabilité de l'employeur. Mais encore faut-il que la victime apporte la preuve de l'existence de deux éléments': la conscience du danger qu'avait ou aurait dû avoir l'employeur (ou son préposé substitué) auquel il exposait ses salariés'; l'absence de mesures de prévention et de protection.

Sur ce point, Mme [V] [R] allègue que, dans son courriel du 17.09.2014, la société s'est bornée à faire état de son insatisfaction au regard des prestations professionnelles accomplies, tout en lui proposant tardivement une rencontre avec le médecin du travail, sans mettre en place une enquête à la suite de la dénonciation du harcèlement sexuel. Elle estime que le mi temps thérapeutique n'a jamais été respecté et elle en a saisi sa hiérarchie dans des courriels des 17.02 et 18.04.2016 ; le médecin du travail avait relevé son malaise lors de la visite du 04.03.2016 la salariée indiquant faire 30 heures par semaine et avait souhaité la revoir lors de la visite périodique. Elle constate qu'aucun avenant n'a été signé relatif à l'aménagement de son poste de travail, son poste antérieur ayant été pourvu, elle en a fait l'observation lors de son entretien d'évaluation du 22.12.2015. Elle produit un décompte des heures travaillées et un courriel d'alerte du 18.04.2016. Elle déclare n'avoir pas adhéré au coaching qui lui a été assigné. Elle se prévaut du courriel du DRH France, M. [U], rappelant aux responsables locaux le 15.09.2018 le respect des conditions de travail des collaborateurs, de même que le courrier du CCE du 24.09.2010 relatif aux facteurs psychosociaux. Elle n'a pas été conviée au repas de noël de l'entreprise le 13.12.2016.

En réplique, la SAS Decathlon expose que le courriel général de M. [U] ne peut être reconnu comme probant en ce qui la concerne alors qu'il fait référence à une situation établie depuis ces derniers mois, et le courrier du CCE est tout aussi général ; la salariée était en arrêt maladie depuis avril 2016.

Préalablement, la société avait fait valoir qu'un temps partiel thérapeutique a bien été prescrit et formalisé par des avenants à son contrat de travail et que les préconisations du médecin du travail ont été respectées, que la salariée avait donné son accord pour un aménagement temporaire de son poste de travail, qu'elle devait adapter ses horaires aux contraintes de son emploi notamment en ce qui concerne ses fonctions syndicales.

Il a été décidé plus haut que la salariée avait bien signalé à son employeur, en la personne de M. [M] RRH, les difficultés rencontrées avec son supérieur hiérarchique du fait d'un harcèlement sexuel et moral, sans que la société pour sa part ne prenne immédiatement les mesures adaptées tant vis à vis de la salariée qui a été reçu à plusieurs reprises par le médecin du travail mais à partir de mars 2014 qui a prescrit les mesures adaptées, que vis à vis de son supérieur hierarchique qui a été sanctionné mais tardivement, après qu'ils aient été l'un comme l'autre entendu sur les faits qui ne concernaient aucun autre salarié eu égard à leur nature.

La société avait dans ces conditions conscience du danger auquel elle exposait sa salariée, sans prévoir de mesures de prévention et de protection.

Ce manquement est donc démontré, la demande sera accueillie, la SAS Decathlon étant condamnée au paiement de la somme de 2.000 € et le jugement infirmé.

e) Sur la discrimination au regard de l'état de grossesse et de l'état de santé :

Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, ou en raison de son état de santé.

Aux termes de l'article L1134-1 du code du travail, il appartient au salarié qui se prétend victime d'une discrimination de présenter des faits laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie adverse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes le mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Mme [V] [R] oppose la rétrogradation dont elle aurait été victime au moment de son retour effectif en entreprise en septembre 2015 puisqu'elle a été affectée sur le poste de responsable de rayon alors qu'elle était positionnée en qualité de responsable d'exploitation dans le magasin ; cette modification de son contrat de travail n'a pas été contractualisée et elle n'y avait pas consenti ainsi qu'il ressort du courrier transmis le 22.09.2014 par la salariée ; le médecin du travail a noté le 04.03.2016 qu'elle contestait le changement de poste.

Ainsi Mme [V] [R] présente des faits qui pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une discrimination directe.

Pour sa part, la SAS Decathlon déclare que l'aménagement temporaire dont elle a fait l'objet avait été mis en place collectivement avec le médecin du travail et la salariée qui en a reconnu le bien fondé, ce qui a été relevé par M. [O] le 29.03.2016 ; il lui appartenait de respecter d'elle même le temps de travail lié à ce mi temps thérapeutique ; la salariée pouvait reprendre son poste initial dès qu'elle le souhaitait.

Cependant, il est constant que le médecin du travail dispose d'une large marge de man'uvre et ses recommandations peuvent aboutir à des modifications du contrat de travail notamment un passage à temps partiel, qui constituerait un aménagement de poste. En effet aux termes de l'article L. 323-3 du code de la sécurité sociale, le temps partiel pour raisons thérapeutiques correspond à un aménagement temporaire de la reprise du travail destiné à favoriser la guérison du salarié ou à lui permettre une rééducation ou une réadaptation.

Un avenant au contrat de travail doit alors être établi, en vue de formaliser l'accord des parties sur les modifications mises en 'uvre dans le cadre du temps partiel aménagé. Celui-ci précise la nature des aménagements apportés au contrat initial, leur durée et les nouvelles modalités de la rémunération.

Dans ce cadre il convient de distinguer la transformation de poste (régime de l'aptitude) du changement de poste (régime de l'inaptitude) ; la distinction n'est pas liée à l'importance des dispositions prises, mais à la conservation, ou non, de ce qui fait la substance des fonctions occupées.

Or il résulte des pièces communiquées que c'est le poste de responsable de rayon qui a été proposé à Mme [V] [R] à temps partiel, au lieu de celui de responsable d'exploitation, l'employeur estimant que eu égard au positionnement stratégique de celui ci, il convenait de ne pas le restituer à Mme [V] [R], temporairement, et de le confier à un collègue.

Ce faisant il n'a pas respecté le maintien avec aménagement de la salarié dans son poste préconisé par le médecin du travail qui avait déclaré la salariée apte sous condition, puisque le contenu du poste était différent ; il ne lui a pas davantage fait signer d'avenant convenant d'un changement de poste en septembre 2014 alors que de nombreux avenants ont par la suite été signés à partir de septembre 2015 concernant la durée du temps partiel et la rémunération.

Le premier juge a décidé de la réintégration de Mme [V] [R] à son poste de responsable d'exploitation sans pour autant en sanctionner l'employeur.

Par suite il convient de dire que la discrimination en lien avec l'état de santé et la grossesse de la salariée est démontrée. La SAS Decathlon sera condamnée au paiement de la somme de 3.000 € en réparation du préjudice subi et la réintégration de la salariée sera confirmée. Le jugement sera partiellement infirmé.

f) Sur le travail dissimulé :

En application de l'article L 8823-1, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Mme [V] [R] ne se prévaut d'aucune rupture du contrat de travail et la demande doit donc être rejetée ; le jugement est confirmé.

Il serait inéquitable que Mme [V] [R] supporte l'intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la SAS Decathlon France qui succombe doit en être déboutée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement contradictoirement :

Déclare l'appel recevable ;

Confirme le jugement rendu le 17.06.2020 par le conseil de prud'hommes de Lannoy section Encadrement en ce qu'il a rejeté les demandes relatives à la nullité du forfait jours, au rappel d'heures supplémentaires et à la contrepartie obligatoire en repos, au travail dissimul ; le confirme également en ce qu'il a ordonné la réintégration de la salariée dans son poste de responsable d'exploitation ;

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que Mme [V] [R] a subi un harcèlement sexuel et une discrimination au regard de l'état de santé et de la grossesse ;

Condamne en conséquence la SAS Decathlon France à payer à Mme [V] [R] les sommes de :

- 5.000 € en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement sexuel ;

- 2.000 € en réparation du préjudice résultant du manquement à l'obligation de prévenir le harcèlement sexuel ;

- 5.000 € en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral ;

- 2.000 € en réparation du préjudice résultant du manquement à l'obligation de prévenir le harcèlement moral ;

- 2.000 € en réparation du préjudice lié au manquement à l'obligation de sécurité ;

- 3.000 € en réparation du préjudice subi du fait de la discrimination au regard de l'état de santé et de la grossesse ;

Dit que ces sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Rejette les autres demandes ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Decathlon France à payer à Mme [V] [R] la somme de 3.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Condamne la SAS Decathlon France aux entiers dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER

Nadine BERLY

LE PRESIDENT

Soleine HUNTER-FALCK


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale c salle 1
Numéro d'arrêt : 20/01444
Date de la décision : 17/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-17;20.01444 ?
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