ARRÊT DU
27 Janvier 2023
N° 92/22
N° RG 21/00280 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TO4N
OB/NB
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE
en date du
01 Février 2021
(RG 20/00229)
GROSSE :
aux avocats
le 27 Janvier 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Romain THIESSET, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Guillaume BAILLOEUIL, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
M. [N] [R]
[Adresse 2]
Chez Mme [I] [U]
[Localité 3]
représenté par Me Romain DURIEU, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l'audience publique du 03 Janvier 2023
Tenue par Olivier BECUWE
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Valérie DOIZE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Olivier BECUWE
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Frédéric BURNIER
: CONSEILLER
Isabelle FACON
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 13 décembre 2022
EXPOSE DU LITIGE :
Engagé à durée indéterminée par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France (la société) en 2001 en qualité d'assistant clientèle, devenu en 2014 responsable d'agence à [Localité 4], M. [R] a bénéficié d'un congé pour convenance personnelle d'une durée d'un an du 30 septembre 2017 au 30 septembre 2018 afin de suivre son époux en Guadeloupe.
Ce congé a été renouvelé pour une année supplémentaire avec un terme prévu au 30 septembre 2019.
La société lui ayant indiqué dans le courant de l'année 2019 que le congé ne serait pas reconduit au-delà du 30 septembre 2019, la question du retour en son sein du salarié s'est posée.
L'employeur a accordé à M. [R] un délai supplémentaire d'un mois expirant le 30 octobre 2019 afin qu'il se positionne sur un des postes proposés.
N'en ayant finalement rejoint aucun, l'intéressé a été convoqué le 27 novembre 2019 devant le conseil de discipline prévu par la convention collective applicable, soit celle du Crédit agricole du 4 novembre 1987, lequel a émis un vote favorable au licenciement pour faute grave.
C'est dans ces conditions que, par lettre du 15 janvier 2020, M. [R] a été licencié pour faute grave au motif d'absence injustifiée à compter du 2 novembre 2019.
Il a saisi le conseil de prud'hommes de Lille de demandes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par un jugement du 1er février 2021, la juridiction prud'homale, retenant le manquement reproché par l'employeur, a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse mais que, compte tenu du contexte et de l'absence de préjudice subi par la banque, la faute grave devait être écartée.
Par déclaration du 2 mars 2021, la société a fait appel et sollicite, dans ses dernières conclusions, l'infirmation du jugement et le rejet des prétentions adverses.
Rappelant pour l'essentiel les dispositions de l'article 20 de la convention collective relatif aux congés non rémunérés de longue durée pour convenance personnelle, elle expose en avoir respecté les exigences et en déduit que le refus de M. [R], avisé en temps utile du terme de son congé, de regagner un poste similaire ne reposait sur aucune raison valable.
Par des conclusions en réponse notifiées le 27 juillet 2021, l'intimé réitère ses prétentions salariales et indemnitaires initiales.
Réfutant toute volonté de ne pas reprendre un poste, il insiste sur les conditions de son retour qui étaient, selon lui, imprécises quant au niveau de rémunération et des fonctions à occuper, certaines propositions étant selon lui caduques, ainsi que sur le fait que ledit article 20 n'assortit d'aucune sanction l'absence de réponse du salarié.
MOTIVATION :
L'article 20 de la convention collective dispose notamment :
'Tout agent titulaire justifiant d'un an de présence dans la Caisse régionale ou l'organisme adhérent à la convention collective bénéficiera, à sa demande, d'un congé non rémunéré pour convenance personnelle, d'une durée consécutive de trois mois au minimum et de douze mois au maximum [...].
Lorsque la durée du congé non rémunéré est de six mois consécutifs, ou plus, la Direction demande par écrit à l'agent, au moins un mois avant la fin de ce congé, s'il a l'intention de reprendre son activité dans l'entreprise. L'agent doit faire parvenir sa réponse écrite, au moins quinze jours avant le terme de ce congé.
A l'expiration de la période de congé non rémunéré, l'agent est réintégré dans son emploi ou dans un emploi similaire, et autant que possible et par priorité, dans la même localité'.
C'est à juste titre que la société souligne que le renouvellement du congé non rémunéré pour convenance personnelle d'une durée initiale d'un an du 30 septembre 2017 au 30 septembre 2018 l'avait été à titre exceptionnel et par faveur, l'article 20 ne prévoyant, en effet, qu'un seul congé d'un an au maximum.
M. [R] savait donc qu'à l'issue du renouvellement qui prenait fin le 30 septembre 2019, il lui était impératif, conformément à l'article 20, d'indiquer en temps utile à l'employeur son intention de reprendre ou non son activité dans l'entreprise.
Par lettre du 13 août 2019, la banque lui a d'ailleurs logiquement refusé le nouveau renouvellement du congé pour une durée d'un an qu'il sollicitait et lui a demandé 'sa position sur un éventuel retour dans la Caisse régionale'.
Elle lui a alors laissé un délai de réflexion supplémentaire du 1er au 31 octobre 2019, le dispensant d'activité rémunérée.
Il est constant qu'un poste de responsable d'agence à [Localité 4] n'était pas disponible.
Mais, par lettre du 11 octobre 2019, et à la suite de nombreux échanges entre les parties, elle lui a notamment proposé un poste de responsable d'agence à [Localité 5], commune distante de [Localité 4] d'environ 50 minutes de trajet et de 50 kilomètres par la route, lui assurant que 'l'emploi, la qualification et la rémunération [étaient] similaire[s] à votre emploi précédent'.
Selon M. [R], cette proposition n'était pas sérieuse car, d'une part, le poste était déjà occupé depuis quelques jours à la suite d'un recrutement, d'autre part, le niveau de rémunération 'similaire' ne signifie pas un niveau de salaire 'exact' de sorte qu'il ne peut lui être fait grief de n'avoir pas voulu rejoindre un tel poste en l'absence de précisions supplémentaires
Mais cette argumentation est inopérante.
S'il résulte des dispositions conventionnelles précitées que la banque s'engage à l'expiration de la période de congé à réintégrer l'agent dans son emploi ou dans un emploi similaire et si possible dans la même localité, il n'en reste pas moins que l'agent doit, au préalable, informer l'employeur de son intention.
C'est seulement lorsque ce dernier indique qu'il souhaite revenir travailler que la société doit lui proposer les modalités de réintégration.
Il résulte des nombreux courriels adressés par le salarié à la société que ce dernier a fait preuve d'atermoiements dans la manifestation d'une intention claire et précise de quitter la Guadeloupe et de revenir occuper un poste de responsable d'agence.
Il est d'ailleurs évident, au regard de différents courriels envoyés par M. [R] à la société en novembre et en décembre 2019, que ce dernier souhaitait, en réalité, rester en Guadeloupe et y obtenir un poste au sein de cette banque.
L'employeur lui a promis le poste de [Localité 5] et M. [R] ne peut remettre en doute l'engagement ferme qu'avait pris la société.
Il ne peut davantage mettre en cause le niveau de rémunération puisque la convention collective fait obligation à l'employeur, en son article 20, d'assurer une rémunération 'similaire', ce à quoi ce dernier s'était, là encore, engagé dans sa lettre du 11 octobre 2019.
En d'autres termes, le salarié n'avait plus, compte tenu des modalités de réintégration assurées par l'employeur conformément à la convention collective, à les discuter.
La société n'était en aucun cas tenue de lui assurer un poste 'similaire' en Guadeloupe.
Le salarié a dit souhaiter revenir travailler et, alors que l'employeur lui a proposé un emploi 'similaire', il n'y a finalement pas donné suite, tout en ne démissionnant pas.
Il a donc commis un manquement en refusant sans motif valable de réintégrer une agence.
Le conseil de prud'hommes a écarté la faute grave.
Il est certes exact que la société ne justifie ni même n'allègue d'un préjudice et que l'article 20 ne faisait pas obligation au salarié, à l'issue de son congé, de reprendre son activité dans l'entreprise.
Mais dès lors qu'il n'avait pas démissionné, que la société lui avait proposé en temps utile un poste conforme aux exigences de la convention collective et M. [R] n'y a sciemment pas donné suite, il a, par hypothèse, rendu impossible la poursuite du contrat de travail, ce qui caractérise la faute grave.
Il s'ensuit que le jugement sera infirmé sur ce point.
L'intimé sera débouté de sa demande de frais irrépétibles ayant succombé.
Il sera, par ailleurs, équitable de le condamner de ce chef à payer la somme de 1 000 euros au titre des frais d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour d'appel statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi :
- infirme le jugement ;
- statuant à nouveau, dit que le licenciement pour faute grave de M. [R] est fondé ;
- rejette les demandes de ce dernier ;
- le condamne à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;
- le condamne également aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER
Annie LESIEUR
LE PRESIDENT
Olivier BECUWE